Description de la Chine (La Haye)/Cinquième ode, sur la perte du genre humain

Scheuerleer (2p. 375-376).


CINQUIÈME ODE
Sur la perte du genre humain.


Je lève les yeux vers le Ciel, il paraît comme de bronze. Nos malheurs durent depuis longtemps ; le monde est perdu ; le crime se répand comme un poison fatal ; les filets du péché sont tendus de toutes parts et l’on ne voit point d’apparence de guérison.

Nous avions d’heureux champs, la femme nous les a ravis. Tout nous était soumis, la femme nous a jeté dans l’esclavage. Ce qu’elle hait, c’est l’innocence et ce qu’elle aime, c’est le crime.

Le mari sage élève l'enceinte des murs mais la femme qui veut tout savoir, les renverse. O ! qu’elle est éclairée ! c’est un oiseau, dont le cri est funeste ; elle a eu trop de langue, c’est l’échelle par où sont descendus tous nos maux. Notre perte ne vient point du Ciel, c’est la femme qui en est cause. Tous ceux qui n’écoutent point les leçons de la sagesse, sont semblables à cette malheureuse.

Elle a perdu le genre humain : ce fut d’abord une erreur, et puis un crime : elle ne se reconnaît seulement pas, et dit : qu’ai-je fait ? l’homme sage ne doit point s’exposer[1] aux périls du commerce ni la femme se mêler d’autre chose, que de coudre et de filer.

D’où vient que le Ciel vous afflige ? Pourquoi les esprits célestes ne vous assistent-ils plus ? C’est que vous vous êtes livré à celui que vous deviez fuir, et que vous m’avez quitté, moi que vous deviez uniquement aimer : toutes sortes de maux vous accablent ; il n’y a plus aucun vestige de gravité et de pudeur. L’homme s’est perdu, et l’univers est sur le point de sa ruine.

Le Ciel jette ses filets, ils sont répandus partout ; l’homme est perdu : voilà ce qui m’afflige. Le Ciel tend ses filets, ils ne sont pas loin ; c’en est fait, l'homme est perdu : voilà ce qui fait toute ma tristesse.

Ce ruisseau si profond a une source, d’où il est sorti ; ma douleur lui ressemble : elle est profonde, et elle vient de bien loin. Il n’a plus ce qu’il possédait[2] avant sa chute, et il a enveloppé tous ses enfants dans son malheur. O Ciel ! vous pouvez seul y apporter remède : effacez la tache du père, et sauvez la postérité.



  1. Le texte est presque inintelligible en cet endroit, de l’aveu même des interprètes. Ainsi on ne voudrait pas garantir cette traduction. Peut-être que le texte est corrompu : peut-être cache-t-il quelqu’autre sens qu’on n’a pu découvrir.
  2. Bien que le Ciel, dit Tchu hi, soit tellement élevé au-dessus de nous, qu’il semble que ce bas monde soit indigne de ses soins ; cependant ses voies et ses desseins sont impénétrables : il peut fortifier la faiblesse même, et rétablir l’ordre, lors même que tout paraît perdu. Si Yeou vang voulait changer, et devenir un homme nouveau, le Ciel suspendrait son arrêt, et la postérité de ce malheureux n’aurait pas été tout à fait perdue.