Description de la Chine (La Haye)/Quatrième ode, conseils donnés à un roi

Scheuerleer (2p. 373-375).


QUATRIÈME ODE
Conseils donnés à un roi.


Un extérieur grave et majestueux est comme le palais où réside la vertu ; mais on le dit, et il est vrai : aujourd’hui les plus ignorants en savent assez pour voir les défauts d’autrui, et les plus éclairés ne sont aveugles que sur leurs défauts propres.

Celui qui n’exige rien de personne au-dessus de ses forces, peut enseigner l’univers, et le vrai sage fait ce qu’il veut du cœur des hommes. Ne formez point de dessein où il entre le moindre intérêt : donnez de si bons ordres, que vous ne soyez pas obligé de les changer : ayez un certain air de probité et de vertu, qui réponde de ces deux points, afin de servir de modèle à tout le peuple.

Mais hélas ! ces sages leçons ne sont plus d’usage : tout est renversé, on est comme enseveli dans une ivresse honteuse, et parce que l’ivresse plaît, on ne pense plus au bon ordre, on n’étudie plus les maximes des anciens rois, pour faire revivre leurs sages lois.

L’auguste Ciel, dites-vous, ne vous protège plus ; mais il n’aime que ceux qui sont déclarés pour la vertu ; vous êtes au milieu du courant, craignez qu’il ne vous entraîne. Veillez sans cesse sur les moindres choses, en observant exactement l’heure du lever et du coucher, et en prenant soin que votre maison soit toujours propre : vous rendrez le peuple diligent à votre exemple en tenant vos chars et vos chevaux, vos soldats, et vos armes en bon état, vous éviterez la guerre, et écarterez les barbares.

Perfectionnez votre peuple, et observez le premier les lois que vous lui donnez, vous vous épargnerez par là bien des chagrins. Surtout pesez mûrement vos ordres, et ayez un soin extrême de votre extérieur ; alors tout sera paisible, tout sera bien. On peut ôter une tache d’un diamant, à force de le polir : mais si vos paroles ont le moindre défaut, il n’y a pas moyen de l’effacer.

Ne parlez donc jamais qu’avec grande réserve, et ne dites pas : ce n’est qu’un mot. Songez qu’on ne peut retenir votre langue ; et que si vous ne la retenez vous-même, vous ferez mille fautes. Les paroles pleines de sagesse sont comme la vertu, cela ne demeure point sans récompense : par elle vous assistez vos amis, et tous les peuples qui sont vos enfants, deviennent vertueux, en suivant d’âge en âge vos maximes.

Lorsque vous êtes avec de sages amis, composez-vous tellement, qu’on ne voie rien dans toute votre personne que de doux et d’aimable : dans votre domestique, qu’il ne vous échappe rien de déréglé. Enfin, quand vous êtes seul dans le lieu le plus secret de votre logis, ne vous permettez rien de honteux ; ne dites pas : personne ne me voit[1] : car il y a un esprit intelligent qui voit tout : il vient lorsqu’on y pense le moins, et c’est ce qui doit nous tenir dans une attention continuelle sur nous-mêmes.

Votre vertu ne doit pas être commune, il faut arriver à la plus haute perfection. Réglez si bien tous vos mouvements, que vous ne vous détourniez jamais du chemin le plus droit : ne passez point les bornes que la vertu vous prescrit, et fuyez tout ce qui pourrait la blesser. Proposez-vous à tout le monde comme un modèle, qu’il puisse imiter sans crainte. On rend, dit le proverbe, une poire pour une pêche. Vous ne recueillerez que ce que vous aurez semé. Vous dire le contraire, c’est vous tromper : c’est, comme on dit, chercher des cornes au front d’un agneau naissant.

Une branche d’arbre, qui est simple et pliante, prend toutes les formes qu’on lui donne ; un homme sage possède l’humilité, fondement solide de toutes les vertus. Parlez-lui des belles maximes de l’antiquité, il s’y soumet incontinent, et tâche de les mettre en pratique. Au contraire l’insensé s’imagine qu’on le trompe, et ne veut rien croire. Chacun suit ainsi son penchant.

O mon fils, vous ignorez, dites-vous, le bien et le mal : ce n’est pas en vous tirant par force, que je veux vous conduire à la vraie vertu ; mais c’est en vous donnant des preuves sensibles de tout ce que je vous dis ; ce n’est pas en écoutant simplement mes leçons, que vous deviendrez sage ; c’est en les pratiquant de tout votre cœur. Reconnaître, comme vous faites, votre incapacité, c’est une excellente disposition pour être bientôt en état d’instruire les autres ; car du moment qu’on n’est plus rempli de soi-même, ni enflé d’un vain orgueil, ce qu’on apprend le matin, on le met en exécution avant la fin du jour.

Le Tien[2] suprême distingue clairement le bien et le mal : il hait les superbes, et chérit les humbles ; il n’y a pas un seul instant où je ne puisse offenser le Tien : le moyen donc d’avoir un moment de joie dans cette misérable vie ? Elle passe comme un songe, et la mort vient avant qu’on soit désenchanté. Voilà ce qui fait ma douleur. Je n’oublie rien pour vous instruire, et vous m’écoutez à peine. Bien loin d’aimer mes leçons, elles vous paraissent peut-être trop rudes. Vous dites que vous n’êtes pas dans la saison d’être si sage : mais si vous n’embrassez maintenant la vertu, comment y arriverez-vous dans une caduque vieillesse ?

O ! mon fils, je ne vous prêche que les grandes maximes des anciens rois. Si vous écoutez mes conseils, vous n’aurez jamais aucun sujet de vous repentir. Le Ciel est en colère, vous craignez qu’il n’éclate contre vous et votre peuple ; vous avez dans les siècles passés de fameux exemples de sa conduite. Le Seigneur ne s’écarte jamais dans ses voies. Soyez bien persuadé que de ne pas entrer incessamment dans le chemin de la vertu, que je viens de vous ouvrir, c’est attirer sur vous et sur votre empire les plus grands malheurs.



  1. Voici comme parle Tchu hi : Il faut bien se persuader, dit-il, que le Seigneur des esprits et de toutes les choses invisibles est intimement répandu partout. Il vient sans qu’on s’aperçoive de sa présence, et quelque attention qu’on ait, il faut toujours craindre. Que ne doit-on donc point appréhender, quand on n’y pense seulement pas ! Tout cela veut dire qu’il ne suffit point de régler seulement tout ce qui paraît au-dehors ; mais qu’il faut surtout veiller continuellement sur les moindres mouvements de son intérieur.
  2. Le Ciel.