Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre VII/Partie VI

ANTIQUITÉ RELATIVE DES MONUMENS.


Il est sans doute impossible de fixer l’époque précise à laquelle fut bâtie la ville que les Grecs nous ont fait connaître sous le nom de Latopolis, et dont nous avons retrouvé les ruines à Esné. Le siècle où cette ville florissait, celui qui vit s'élever les temples dont nous avons décrit les ruines, est d’autant plus difficile à assigner qu’il est plus éloigné de nous. Si, dans cette matière, on ne peut obtenir rien de positif, ni même faire de calculs approximatifs sans être effrayé de leurs résultats, on peut, du moins, en comparant les monumens entre eux, les ranger dans un ordre d’ancienneté qui, sans rien préjuger sur leur antiquité réelle, doit cependant être d’une grande utilisé, puisqu’il servira à suivre les progrès et la décadence de l’art chez les Égyptiens.

Si l’on considère les ruines d’Esné sous ce point de vue, et si on les compare à toutes celles de la haute Égypte, on reconnaîtra sans peine que cette ville doit être une des plus anciennes.

Elle se trouve dans la partie de la haute Égypte qui a dû être la première habitée : c’est, en descendant de la Nubie, le premier endroit où la vallée du Nil, prenant une certaine largeur, offre un espace assez vaste de terrain susceptible de culture.

L’élévation considérable de la butte de décombres sur laquelle la ville moderne est bâtie, et l’enfouissement du temple, prouvent non-seulement qu’elle a existé sans interruption, mais encore qu’elle a existé fort anciennement.

Si l’on considère attentivement l’architecture du temple d’Esné, on la trouvera plus rapprochée de la nature, plus simple, et d’une imitation plus naïve : on trouvera dans l’exécution des sculptures qui décorent ce monument, moins de grâce et de moelleux, et surtout moins de richesses de détail, qu’à Denderah et dans quelques autres temples de l’Égypte ; ce que l’on doit attribuer à une méthode d’exécution qui n’était point encore portée à sa perfection.

Enfin, soit que les monumens astronomiques indiquent précisément l’époque de la construction des temples qui les renferment, soit qu’ils constatent seulement l’état des connaissances acquises par toutes les observations faites antérieurement au temps de leur érection ; comme le zodiaque d’Esné indique évidemment une époque antérieure à celle des zodiaques de Denderah[1] et des bas-reliefs astronomiques de Thèbes, on doit en conclure que le temple d’Esné est antérieur à celui de Denderah et à la plus grande partie de ceux de Thèbes.

En admettant, ce qui est très-vraisemblable, que tous les monumens ont été élevés sur des buttes factices d’une hauteur fixe, déterminée par l’expérience, afin de les garantir des inondations et de prévenir les accidens qui auraient pu résulter de l’exhaussement du sol de la vallée, phénomène que les Égyptiens avaient certainement observé, on devra conclure que les monumens, dont le sol est le plus près d’être atteint par les dépôts du Nil, sont aussi les plus anciens. Cette hypothèse est appuyée d’observations faites sur différens points de l’Égypte. Quant à la hauteur à laquelle les Égyptiens avaient juge convenable d’élever leurs monumens au-dessus de la plaine, on doit croire qu’ils avaient poussé la prévoyance fort loin, puisqu’il résulte d’un nivellement fait avec beaucoup de soin à Denderah, que le sol du temple est encore de trois mètres, ou quinze pieds environ, supérieur au niveau de la plaine environnante.

Il nous a été impossible de constater la hauteur du sol du temple d’Esné ; mais nous avons observé que celui du petit temple, au nord, est à peine supérieur au niveau de la plaine. Il est donc certain que le sol de la vallée s’est considérablement exhaussé depuis l’époque de l’érection de ce petit monument, et, par conséquent, que cette époque est fort ancienne.

De plus, ce temple renferme un zodiaque qui retrace le même état du ciel que celui du portique d’Esné.

Ces considérations ne permettent pas de croire que ce petit temple ait une antiquité moindre que celle du portique d’Esné.

Nous ne pensons pas que toutes les parties du temple de Contra-Lato soient du même temps : le désordre de son plan nous fait présumer, au contraire, que les constructions qui sont derrière le portique sont moins anciennes que le portique lui-même ; mais cela ne doit rien faire préjuger pour ou contre l’antiquité de la ville, qui peut être de la même époque que Latopolis.

  1. Voyez le Mémoire sur les monumens astronomiques, par M.  Fourier.