Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre VIII/Paragraphe 1

CHAPITRE HUITIÈME.


DESCRIPTION
D’ERMENT OU HERMONTHIS,

Par E. JOMARD.

§. I. De la ville d’Hermonthis.



Les antiquité d’Hermonthis n’offrent rien d’aussi grand que les temples de Philæ, d’Esné ou d’Edfoû. C’est par une disposition particulière au temple qu’elles renferment, par l’élégance de ses colonnes, par les sculptures dont il est couvert, enfin par un bassin qu’on croit avoir servi de nilomètre, que ces ruines se recommandent à l’attention du voyageur.

Le village d’Erment, qui a succédé à la ville d’Hermonthis, et qui en a aussi retenu le nom[1], est situé dans une grande plaine, à six cents mètres[2]à l’orient du Nil, et à un myriamètre[3] au-dessus de la ville de Thèbes. On le distingue, à quelque distance, par un minaret élevé qui a la forme d’une tour, et qui est placé audessous du village, c’est-à-dire, à l’est ; car, à cet endroit, le Nil ne coule pas au nord, mais au levant.

À quatre cents mètres[4] au nord de ce minaret, on trouve le temple égyptien, non loin d’un hameau qui dépend du village d’Erment. Ce temple est le seul qui subsiste au milieu d’une grande étendue de décombres, dont la longueur est d’environ un kilomètre, ou un petit quart de lieue. Les autres édifices que la ville a possédés, sont aujourd’hui enfouis ou détruits de fond en comble. Çà et là on aperçoit des débris de colonnes et de chapiteaux.

Autour du temple sont les vestiges d’un ancien mur d’enceinte ; et au midi, un bassin oblong qui était revêtu en pierres. Dans le prolongement de l’axe de ce bassin, est une large route bordée de chaque côté par les décombres, avec les fondations d’une porte à son extrémité : ce chemin m’a paru le reste d’une rue principale d’Hermonthis. Enfin, à deux cents mètres[5] au sud du temple, et à pareille distance du village, on trouve les restes d’un édifice plus récent, qui parait avoir servi d’église aux premiers chrétiens.

La ville d’Hermonthis, dans l’ancienne Égypte, était le chef-lieu d’un nome distinct de celui de Thèbes, malgré la proximité de la capitale. Pline et Ptolémée font mention de ce nome. Strabon place immédiatement cette ville après Thèbes, et dit qu’on y adorait Apollon et Jupiter. Sous les empereurs, on y a frappé des médailles, comme dans les autres métropoles ; témoin une médaille de l’an 126 de J. C., portant le nom de cette préfecture, avec la marque de l’an xi du règne d’Adrien[6] : d’un côté est la tête de ce prince, couronnée de lauriers ; de l’autre, une figure tenant une pique et un lion. Une légion romaine était stationnée dans ce lieu[7], qui, dans la suite, conserva encore assez d’importance pour être une ville épiscopale. L’histoire chrétienne rapporte les noms de plusieurs évêques d’Hermonthis[8].

La population d’Erment est encore, en partie, composée de chrétiens ; et l’on y fait voir le prétendu tombeau de Mary-Girgès ou S. George, qui est en grande vénération parmi eux. Je demandai à voir ce tombeau ; mais, par mégarde, je m’adressai à un musulman, qui, au lieu de me répondre, me fit en riant cette question : Qu’est-ce que Mary-Girgès ? La haine la plus envenimée règne à Erment entre les deux sectes. Les qobtes s’imaginaient, en nous voyant, que nous étions venus tout exprès pour exterminer le mahométans du village ; l’un d’eux me dit d’un grand sang-froid : Quand donc les Français tueront-ils tous ces misérables ? Nous ne trouvâmes d’accord les uns et les autres que pour nous vendre des antiques et des médailles qu’ils sont continuellement occupés à tirer des décombres. Ayant eu besoin de quelques hommes pour faire des fouilles dans le temple, je vis chrétiens et musulmans accourir pêle-mêle, et travailler de concert pour gagner quelques petites pièces de monnaie ; tant l’amour de l’argent a de force et d’empire sur les autres passions, même sur l’esprit de secte.

  1. On a aussi donné à ce lieu le nom de beled Mousä, c’est-à-dire patrie de Moïse.
  2. Trois cents toises.
  3. Deux lieues.
  4. Deux cents toises.
  5. Cent toises.
  6. Mémoire de l’Académie des inscriptions, in-12, t. xlix, p. 82.
  7. Notitia utraque dignitatum ; Venetiis, 1602, p. 90.
  8. Oriens Christianus t. ii, p. 609, 610.