Description d’un parler irlandais de Kerry/4-4

Quatrième partie, chapitre IV. Les compléments du nom.


CHAPITRE IV
LES COMPLÉMENTS DU NOM

§ 135. Compléments du substantif.

Le sens du substantif peut être complété par :

1º un adjectif ;
2º un génitif (voir § 138 sq.) ;
3º un substantif régi par une préposition ou un adverbe ;
4º un substantif en apposition (voir § 19) ;
5º une proposition relative on complétive (voir § 224 sq.).

Pour les constructions propres au substantif verbal et à la proposition infinilive, voir § 244 sq.

Adjectif qualificatif.

§ 136. L’adjectif qualificatif suit le substantif qu’il qualifie ; l’adjectif précédant le nom est ou un élément de composition (§ 62) ou un nominal, déterminant et non complément : comparer ən ilʹə dinʹə « tout homme » (§ 82) à ə dinʹə ilʹə (an duine uile) « l’homme tout entier ».

L’initiale de l’adjectif, comme celle du génitif (voir § 138), est susceptible d’être modifiée parle substantif qui le précède. En règle générale, la mutation que subit l’adjectif du fait du substantif est de même nature que celle que subit au même cas le substantif précédé de l’article. C’est ainsi que l’adjectif est, au singulier, aspiré après le vocatif, le génitif masculin et le cas direct du féminin ; B. O. II, 373 feirm bhreá thalún « une belle ferme de terre ».

Au datif singulier des deux genres, l’adjectif est aspiré ou nasalisé, mais ici l’usage marque certains flottements. Lorsque le substantif est précédé de l’article, ou d’une préposition qui aspire ou nasalise, l’article subit d’ordinaire la même mutation que celui-ci mais il arrive que l’on ait la nasalisation de l’article après un substantif aspiré, et inversement : sə vαlʹə vuər (insan bhaile mhór) « dans la grande ville », en face de ə mαlʹə muər (i mbaile mór) « dans une grande ville », klœh dən tʹi:da ǥʷèr (culath do’n tsíoda dhaor) « un costume de soie coûteuse » ; mais Peig, p. 48 : leis an dtreibh ghallda « d’après le parti protestant » ; p. 14 : ar an mnaoi bhoicht « aux dépens de la pauvre femme ». Avec le substantif non précédé de l’article : əd χαlʹi:nʹ vαh, ou mαh (id chailin mhaith ou maith) ; ə dʹigʹi:nʹ dʹαs ko:mpo:rdəχ (i dtigin deas compórdach) « dans une maisonnette joli et confortable », Peig, p. 19 : brainnse de mhnaoi óig chaoil áird duibh « un brin de femme jeune mince grande brune » ; il semble qu’il y ait tendance à aspirer l’adjectif après un féminin et non après un masculin, au datif, comme au cas direct (cf. § 138) ; cf. don vʹαr boχt (don bhfear bocht) « au pauvre homme » en face de don vʹαn voχt (don bhean bhoicht) « à la pauvre femme » ; par ailleurs il n’est pas rare que l’initiale de l’adjectif reste non modifiée, même après un substantif dont l’initiale est modifiée par l’article : is gʹαl lʹeʃ ə vʹiəχ duv ə jɑ:rkəχ (is geal leis an bhfiach dubh a ghearrcach) « pour le corbeau noir ses petits sont blancs (prov.) » ; Peig, p. 146 : do’n ngárnóir bocht « pour le pauvre jardinier » ; dans l’ensemble l’aspiration après le datif accuse un flottement dans le parler.

L’adjectif est aspiré après un substantif au duel, et après un pluriel terminé par une consonne palatale, nasalisé après un génitif pluriel : quand plusieurs adjectifs se suivent, il arrive que le premier seul subisse la mutation : Peig, p. 15 : leabhair bheaga deasa « de jolis petits livres », mais, chez le même sujet, op. cit., p. 69 : sean-amhráin bhreághtha bhríoghmhara Ghaedhleacha « de vieux airs gaéliques beaux et expressifs ».

On voit que plusieurs adjectifs qualifiant un même substantif sont normalement juxtaposés. La coordination implique insistance, et le plus souvent renchérissement, comme lorsqu’on répète l’adjectif en le faisant précéder de ro: (§ 63) : kαlʹi:nʹ bʹrʹɑ: ɑgəs ro:vʹrʹɑ: ə bʹα i (cailín breágh agus ró-bhreágh do b’eadh í) « c’était une fille belle et très belle ».

§ 137. Accord. L’adjectif qualificatif s’accorde en genre, en nombre (sous réserve du duel, § 18) et en cas (sous réserve des réductions de flexion signalées § 55 sq), avec le substantif. Il s’oppose en cela à l’adjectif prédicat : prɑ:ti: du: (prátaí dubha) « des pommes de terre noires », mais tɑ: nə prɑ:ti: duv (tá na prátaí dubh) « les pommes de terre sont noires ».

§ 138. Génitif.

Le génitif complément du substantif se place après celui-ci. Il subit les mêmes mutations initiales que l’adjectif qualificatif (voir plus haut) ; ici encore la mutation est parfois omise au datif : il semble que, lorsque le substantif qui régit le génitif n’est pas précédé de l’article, il y ait tendance à aspirer le génitif après un féminin et non après un masculin, comme après un cas direct (cf. § 136) : Peig, p. 145 i bpoca briste an ghárnóra « dans la poche du pantalon du jardinier », en face de p. 15 : le haimsir chodlata « vers l’heure de dormir ».

Du fait même que le génitif n’exprime par lui-même, non plus d’ailleurs que les autres cas du parler, aucun sens concret, il peut servir à exprimer les relations les plus diverses. L’emploi n’en a pas d’autres limites que celles qu’impose la clarté. Partout où la nature du rapport qui unit deux substantifs ressort assez nettement du sens même de ces substantifs pour qu’aucone ambiguïté ne soit à craindre, on aura le génitif. Là où au contraire la diversité des rapports possibles entre les deux termes requiert une précision supplémentaire, celle-ci est fournie par une préposition gouvernant le nom régi. C’est ainsi qu’on distinguera par exemple grɑ: dʹe: (grádh Dé) « l’amour de Dieu (qu’il éprouve, subjectif) » et grɑ: də jie (grádh do Dhia) « l’amour pour Dieu (objectif) ».

Il serait donc vain de chercher à énumérer les différentes relations que peut exprimer le génitif : appartenance, espèce, destination, partie, matière, contenant, contenu, sujet, objet, et maints autres rapports qui ne rentrent exactement dans aucune de ces catégories, et qui souvent pourraient être exprimés par un adjectif, ou par un premier élément de composition : tʹigʹ mɑhər (tigh m’athar) « la maison de mon père » ; tʹigʹ ən o:lʹ (tig an óil) « la taverne » litt. « la maison de boisson » ; ov kʹirʹkʹə (ubh circe) « un œuf de poule », et au plur., i: kʹαrk (uibhe cearc) « des œufs de poules », trigʹ mo χœʃə (troigh mo choise) « mon pied », litt. « le pied de ma jambe », mɑ:lə mʹinʹə (mála mine) « un sac de farine », mais, avec valeur de destination, mɑ:lə nə mʹinʹə (mála na mine) « le sac à farine » ; lɑ:n ə vokʹe:dʹ vuerʹ (lán an bhuicéid mhuair) « le plein du grand seau » ; kʹo: vrohəlʹ (ceó bhrothaill) « un brouillard de chaleur » ; gol nə mɑn (gol na mban) « les pleurs des femmes » (sujet), eg ihə fʹo:lə (ag itheadh feola) « mangeant de la viande » (objet), le génitif complément d’un substantif verbal qui se rattache à un verbe transitif pouvant aussi bien avoir le sens objectif que subjectif.

§ 139. Dans la plupart de ses emplois le génitif se trouve en concurrence avec des prépositions : la répartition entre les deux types de construction est réglée, dans chaque cas particulier, par l’usage, qui utilise cette dualité au mieux des besoins sémantiques, en particulier pour éviter la détermination qu’entraîne l’emploi d’un génitif déterminé (cf. § 101). Si « le fils de mon frère » se dit mɑk mo ǥrʹəhɑ:r (mac mo dhearbhráthar), le substantif suivi d’un génitif déterminé ne prenant pas l’article, comment dire « un fils de mon frère » ? On recourra à la préposition lʹe (§ 118), qui exprime aussi la possession, et l’on dira mɑk lʹem ǥrʹəhʹɑ:rʹ (mac lem’ dhearbhráthair) « un fils à mon frère » ; par ailleurs mɑk dʹrʹəhɑ:r (mac dearbhráthar), litt. « fils de frère » est le nom du « neveu » dans le parler, qui ne possède pas de termes spéciaux pour exprimer les degrés de la parenté collatérale ; d’où mɑk dʹrʹəhɑ:r lʹum (mac dearbhráthar liom) « un mien neveu », litt. « un fils de frère à moi ». On voit par cet exemple comment, en opposant l’une à l’autre les différentes constructions possessives, le parler parvient à exprimer différentes extensions de l’idée possessive. D’autres fonctions du génitif prêteraient à des remarques de même ordre.

Ainsi pour le génitif partitif : forəvu:r nə ni:nʹə (formhór na ndaoine) « la plupart des gens », mais, dans les expressions indéterminées, et pour éviter la détermination qu’entraînerait un génitif déterminé c’est la préposition do (do) qu’on aura : dinʹə dosnə sɑidʹu:rʹi: (duine dosna saighdiúiri) « un des soldats ». Avec bʹogɑ:n (beagán) « un peu », mo:rɑ:n (mórán) « beaucoup », on a indifféremment l’une ou l’autre construction.

L’origine est normalement exprimée, non par le génitif, mais par la préposition o (ó) : αr on dueh (fear ó’n dtuaith) « un homme de la campagne ».

§ 140. Trois emplois du génitif sont remarquables :

1º Le génitif désignant un accessoire ou un trait caractéristique par lequel un individu est défini ou identifié, au sens où l’on aurait en français la préposition « à » ; bo: nə lʹαhαirʹkʹə (bó na leath-adhairce) « la vache à une seule corne » (pour cet emploi de αh, voir § 18) ; αr ə ǥunə (fear an ghunna) « l’homme au fusil ».

2º Il arrive qu’un substantif et le génitif qui le détermine désignent une seule et même personne ou un seul et même objet, les deux termes étant définis l’un par l’autre, comme ils pourraient l’être par un adjectif : αnəv mʹik (leanbh mic) « un enfant mâle », litt. « un enfant de fils ». Nous avons vu que le parler a recours à ce procédé pour préciser le sexe (§ 16). Mais l’extension n’en est pas limitée là. Ce tour est particulièrement fréquent avec les substantifs désignant des êtres ou des objets caractérisés par des qualités données (cf. §§ 12 et 68) strɑ:lʹə buəχələ (stráille buachalla) « un fainéant de garçon » ; klʹehərʹə kapəlʹ (cleithire capaill) « une grande bringue de cheval » ; rαʃpʹi:nʹ kʷe:rəχ (raispín caorach) « une haridelle de mouton », etc.

On peut avoir la préposition do (do) avec la même valeur : kʷi:lʹkʹənʹ də hαnəvni: χrʹi:nə (caoilcin do sheanmhnaoi chríonna) « une vieille chipie de vieille femme ».

§ 141. 3º un grand nombre de groupes substantif + génitif constituent de véritables composées, stables ; ce type de groupe est d’ailleurs largement utilisé comme calque de composés anglais : kαˈli:nʹ ɑimʹʃərʹə (cailín aimsire) litt. « fille de temps, servante » ; αr ebʹərʹə (fear oibre) « homme de travail », « ouvrier », cf. anglais workman ; les noms de profession formés avec αr (fear) « homme » opposent au pluriel déterminé ou indéterminé un collectif formé avec loχt (lucht) « les gens » ; fʹirʹ ebʹərʹə (fir oibre) « ouvriers », nə fʹirʹ ebʹərʹə (na fir oibre) « les ouvriers », mais ən loχt ebʹərʹə (an lucht oibre) « tel ensemble d’ouvriers, la classe ouvrière », tʹi:rnə tɑˈlu:n (tighearna talmhan) litt. « seigneur de terre », « propriétaire », anglais landlord ; sɑgərt pɑˈro:ʃtə (sagart paróiste) « prêtre de paroisse », « curé », cf. anglais parishpriest ; mɑ:ʃtʹərʹ sgœlʹə (máighistir scoile) « maître d’école », cf. anglais schoolmaster.

L’unité de ces expressions ressort de la tendance à les traiter comme indivisibles : à côté de αn ə tʹi: (bean an tighe) « la maîtresse de maison » on a ainsi ə vʹαn tʹi: (an bhean tighe) ; de même ə sɑgərt pɑˈro:ʃtʹə (an sagart paróiste) « le curé », ə tʹi:rnə tɑˈlu:n « le propriétaire » ; tʹi:rnə nə tɑˈlu:n signifierait « le maître de la terre » ; de même ə mɑk ri: « le prince » en face de mak ə ri: « le fils du roi » (cf. § 101), la rupture du groupe par insertion de l’article entraînant la décomposition du sens global du composé en ses éléments.

§ 142. Locutions prépositionnelles ou adverbe complément.

Les substantifs verbaux se rattachant à des verbes intransitifs se construisent avec les mêmes prépositions que ceux-ci : e ri:ŋʹkʹə er ən u:rlɑ:r (ag rinnce ar an úrlár) « dansant sur le plancher » ; mais il s’agit là d’une construction infinitive (§ 245), qui n’a rien à voir avec le groupe nominal proprement dit.

En dehors de ce cas il arrive fréquemment qu’un substantif ait pour complément un autre substantif régi par une préposition, ou un adverbe : tʹigʹ fʹe: hɑləv (tigh fé thalamh) « une maison sous terre » ; bɑ:d fʹe: iʃgʹə (bád fé uisce) « un bateau-sons-eau, un sous-marin » ; tʹigʹ əmu: (tigh amugh) « une maison dehors », « un appentis, un hangar extérieur » ; klʹienʹ əʃtʹαχ (cliamhain isteach) « un gendre-dedans (mari de fa fille héritière qui vient habiter chez les beaux parents) » ; ə fʹαr huəs (an fear thuas) « l’homme là-haut, le Bon Dieu ».

§ 143. Complément de l’adjectif, au positif.

A la différence du substantif l’adjectif ne se construit pas avec le génitif, même au sens partitif ; on dit : lɑ:n diʃgʹə (lán d’uisce) « plein d’eau », lɑ:n də ço:l (lán de cheól) « plein d’entrain », etc., en face de əlɑ:n di:nʹə (a lán daoine) « beaucoup de gens ».

Le complément de l’adjectif est ou un substantif précédé de préposition ou un adverbe : αtʹ ə n‑α çαun (ait i n‑a cheann) « bizarre dans sa tête, toqué » ; rœd dʹokərʹ lʹe: tiʃgʹənʹtʹ (rud deacair lé tuisgint) « une chose difficile à comprendre » ; rœd anəχruegʹ orəm (rud anachruaidh orm) « une chose très dure pour moi » ; R. O. I, 237 : bhí sé anaghearánach ar an aimsir « il se plaignait beaucoup du temps ».

§ 144. Complément de l’adjectif au comparatif.

L’équatif est exprimé par le degré positif précédé de la particule χo: ou ko: (voir § 59) ; lorsque le terme de comparaison est un substantif, celui-ci est introduit par la préposition lʹe : χo: ʃαundə lʹeʃ nə knikʹ (chómh seannda leis na cnuic) « aussi antique que les collines ».

C’est également avec lʹe que se construisent les adjectifs impliquant comparaison, comme kosu:lʹ (cosamhail) « semblable » ; dʹɑ:rhətəχ (deallratach) « ressemblant » ; R. O. Táim deárthatach lem báthair « je ressemble à ma mère ».

Quand le deuxième terme de comparaison est une phrase verbale ou nominale, celle-ci est simplement coordonnée par is, ɑgəs « et » : χo: lʹeʃgʹu:l ɑgəs is fʹe:dərʹ ə veh (chomh leisceamhail agus is féidir do bheith) « aussi paresseux qu’on peut l’être ».

Le terme de comparaison peut être représenté par un démonstratif : ko: lʹeʃgʹu:lʹ sən (chómh leisceamhail san) « si paresseux que cela » ou être omis, chomh ayant alors de valeur de « si », « tellement » : R. O. n’fheadar cáil sé ag dul chó moch ar maidin agus chómh h‑olc de ló « je me demande où il va, si tôt le matin et par si mauvais temps ».

Le complément de l’adjectif au comparatif est introduit par nɑ: (ná) suivi d’un cas direct, lorsque le terme de comparaison est un objet : nʹi:s o:gʹə nɑ: mʹiʃə (níos óige ná mise) « plus jeune que moi » ; quand le terme de comparaison est un état nɑ: est suivi d’une proposition commençant par mɑr (mar) « comme » : nʹi:sə tʹrʹeʃə nɑ: mɑr vʹi: ʃe riəv (níos treise ná mar bhí sé riamh) « plus robuste qu’il n’avait jamais été ».

Le complément du superlatif est introduit par une préposition de sens partitif, eg (ag) lorsque le régime est un pronom, do (do) lorsque le régime est un substantif, ou par ə (i) « dans » ; ə fʹαr is lɑ:dərʹə əku ou sə dɑun (an fear is láidre acu ou insan domhan) « l’homme le plus fort d’entre eux, au monde ». Lorsque le complément est une proposition relative celle-ci est introduite par dɑ: (da) ; voir § 228.