Description d’un parler irlandais de Kerry/6-2

Sixième partie, chapitre II. La phrase relative et complétive et ses dérivés.


CHAPITRE II
LA PHRASE RELATIVE ET COMPLÉTIVE ET SES DÉRIVÉS

§ 224. Pour articuler ensemble plusieurs phrases de façon à former une phrase complexe le parler dispose de deux procédés :

1º l’emploi de particules relatives ou complétives et de conjonctions introduisant des phrases nominales ou des phrases verbales à un mode personnel ;

2º l’emploi du substantif verbal et de la proposition infinitive.

Particules relatives et complétives.

§ 225. Il n’existe pas de pronom relatif. Deux particules, ə et go (pour les formes, voir § 216) permettent d’exprimer les rapports relatifs et complétifs. La répartition entre ces deux particules ne répond que partiellement à une distinction fonctionnelle ; la particule ə est employée principalement en fonction relative directe, l’antécédent étant sujet ou objet direct du verbe de la proposition relative. Les constructions où la relation exprimée par ə est indirecte sont limitées à un petit nombre de cas définis, et tendent dans le parler à s’éliminer au profit de la phrase avec go.

C’est en effet go que l’on a généralement en fonction relative indirecte, et toujours en fonction complétive.

La distinction entre la phrase en ə et la phrase en go disparaît dans la phrase négative ; la forme de la négation suffit alors à marquer la fonction relative, à l’exclusion de toute particule spéciale.

§ 226. La particule relative ə.

Il y a lieu de distinguer entre : 1º la particule ə, conservant cette forme au prétérit, aspirant l’initiale, commandant la forme absolue du verbe, et exprimant la fonction relative directe pure et simple, et : 2º la même particule, nasalisant l’initiale, mais susceptible de prendre la forme en r aspirant au prétérit, commandant la forme conjointe du verbe et exprimant la fonction relative indirecte ou de généralité.

1º B. O., III, 373 : an bhean a bhí bhuaig ni bhfaghadh sé í agus an bhean a gheódh ní phósfadh sé í « la femme qui lui convenait il ne l’aurait pas obtenue et la femme qu’il aurait obtenue il ne l’aurait pas épousée ». On a la forme ə même au prétérit : loc. cit., p. 376 : an fear a mhairbh mo dhriofár « l’homme qui a tué ma sœur ».

Le relatif tombe fréquemment dans le discours : loc. cit., p. 373 : is tu bhí bhuam anocht « c’est de toi que j’avais besoin ce soir ».

La phrase relative peut se passer d’antécédent lorsque la clarté n’en souffre pas, loc. cit., p. 373 : aon chluth ba órnáidí ná a bhí ar a chnámha san am san... « aucun costume plus magnifique que (celui) qui était sur sa carcasse à ce moment ».

§ 227. 2º On a la phrase relative nasalisante

α) quand la relation est indirecte, la particule étant alors régie par une préposition ; ce cas est assez rare dans le parler, qui préfère d’ordinaire la phrase avec go (voir § 229) ; le relatif se rencontre surtout combiné avec la préposition i « dans », sous la forme (i n‑a) ou avec la préposition do « de » sous la forme dɑ: (voir § suivant) ; ən kαˈʃlʹɑ:n o:rnɑ:dʹəχ nə rɑudər (an caisleán órnáideach i n‑a rabhadar) « le château magnifique dans lequel ils se trouvaient ». Les sujets âgés ont généralement dans ce cas la forme en ‑r au prétérit : mɑr jαul er ər hɑ:rləgʹ (mar gheall ar ar thárlaidh) « au sujet de ce qui s’est passé » ; Peig, p. 13 ; mar ar mhaireadar tamall sarar aistrigheadar « où ils demeurèrent un moment avant de déménager ».

§ 228. β) Avec valeur de généralité. La relation directe se rencontre assez rarement, l’antécédent étant alors d’ordinaire un nominal exprimant la généralité : is fʹi:r gɑχ ə nu:rtʹ ən tʹαnəvʹαn lʹαt (is fíor gach a ndubhairt an tseanabhean leat) « tout ce que la vieille femme t’a dit est vrai » ; et aussi (avec la forme en ‑r), B. O., III, p. 13 : do chaill sé ar bhain leis « il perdit tout ce qui le touchait », « tous les siens ».

Le plus souvent la phrase relative de généralité est introduite par la préposition do, prise au sens partitif : ʃαnəvʹαn dɑ: revʹ san ɑ:tʹ (seanbhean dá raibh san áit) « une vieille femme de l’endroit », litt. « de ce qui était dans l’endroit ». L’antécédent est d’ordinaire soit un superlatif, soit un nom déterminé par un nominal de généralité.

R. C., 49, 413 : an triúr leanbh... ba bhreághtha dá bhfeacaidh sé riamh « les trois enfants les plus beaux qu’il eut jamais vus », litt. « de tout ce qu’il avait jamais vu » ; χ ɑum dɑ: mʹi:χ ʃe fʹe:nʹ... e fʹiəχ (gach am dá mbíodh sé féin ag fiadhach) « chaque fois qu’il était lui-même à la chasse » ; χ ilʹə rœd dɑ: revʹ əgʹe (gach uile rud dá raibh aige) « chacune des choses qu’il possédait », litt. « chaque chose de tout ce qu’il possédait ».

Notez l’opposition entre mɑrə (mar a) « comme » introduisant une relative aspirée et mɑrə (mar a) « où » introduisant une relative nasalisée : fɑn mɑrə tɑ:n tu « reste comme tu es », fɑn mɑrə vʷil əgɑt « reste où tu es ».

§ 229. La particule go.

La phrase avec go a une double fonction : relative et complétive.

1º En dehors des quelques cas précis (§ 227, 228) où l’on a ə nasalisant, la relation indirecte est exprimée par go nasalisant (au prétérit gœr aspirant), suivi, là où il y a lieu, de la forme conjointe du verbe. Cette particule ne peut être précédée de préposition ; elle exprime un rapport circonstanciel non différencié, dont la nature est ensuite précisée par un adverbe ou par un pronom de renvoi. Il y a dissociation du rapport en deux éléments, un élément servant à la construction, et un élément adverbial concret : ən tʹe go mi:n ən ruh er mαdʹənʹ erʹ (an té go mbíonn an rathar maidin air), litt. « celui que la chance est sur lui au matin » ; is αtʹ ən mɑdr e er no:s ən tʹe gœr lʹeʃ e (is ait an madra é ar nós an te gur leis é) « c’est un drôle de chien, à la manière de son maître », litt. « de celui qu’il est à lui » ; αn go revʹ bʹert iˈnʹi:n əkʹi fʹe:nʹ (bean go raibh beirt inghean aici féin) « une femme qui avait elle-même deux filles », litt. « qu’étaient deux filles à elle-même ».

Le rapport relatif génitif est exprimé par le possessif : rɑkə go revʹ ə lʹαh ən o:r ɑgəs a lʹαh ən αrʹəgəd (raca go raibh a leath i n‑or agus a leath i n‑airgead), litt. « un peigne qu’était sa moitié en or et sa moitié en argent ».

Là où le sens de la phrase ne laisse place à aucune ambiguïté quant à la nature du rapport impliqué (ainsi dans le cas du rapport local après une indication de lieu) on se dispense de le préciser à l’aide d’un pronom de renvoi ou d’un possessif : χœr ʃe ə va:hərʹ sən lʹαbəgʹ go mʹi:χ ʃe fʹe:nʹ (chuir sé a mháthair insan leabaidh go mbíodh sé féin) litt. « il mit sa mère dans le lit qu’il était d’habitude » ; B. O., III, 9 : do ghaibh bean siubhail isteach ar an mbaile go raibh sí, litt. « une mendiante arriva dans le village qu’elle vivait ».

§ 230. 2º La particule go est par ailleurs employée chaque fois qu’on veut rattacher à un verbe une proposition qui en complète le sens ; ainsi après les verbes exprimant une opération des sens ou une opération intellectuelle, après les verbes déclaratifs, après les locutions impersonnelles signifiant « il est vraisemblable, possible, évident », etc., « il arrive que ». En l’absence d’un participe au sens propre du terme et sous réserve des emplois du substantif verbal signalés § 247 sq., go est la particule complétive à tout faire : çαp ʃe go revʹ klɑ:s bʹog i:dʹəh əgʹe (cheap se go raibh Clás Beag idighthe aige) « il pensa qu’il avait tué Petit Clas » ; do hɑ:rləgʹ gœr hug mɑk ən ri: fʹe nʹα (do thárlaidh gur thug mac an righ fe ndeara...) « il arriva que le fils du roi remarqua... ».

Une proposition complétive avec go peut se rattacher non à un verbe mais à un nom, pourvu que celui-ci implique la considération d’un état, d’un procès on d’une relation circonstancielle (causale, etc.) : er αgələ go gɑilʹfʷi: hu (ar eagla go gcaillfí thu) « de crainte que tu ne viennes à mourir » ; lʹe su:lʹ go... (le súil go...) « dans l’espoir que » ; ʃe ən çiαl go nʹinʹəχ je ən klʹαs sə... (’sé an chiall go ndeineadh sé an cleas so) « telle était la raison pourquoi il faisait ce tour... », etc.

§ 231. go peut avoir une valeur finale : « afin que », ou temporelle : « jusqu’à ce que » ; R. C. 49, 424 : tar chugham aníos go n‑íosaidh me thu « viens vers moi que je te mange » ; nʹi fadə go mʹe tu go mαh (ní fada go mbeidh tu go maith) « ce ne sera pas long jusqu’à ce que tu sois rétabli » ; on a plus souvent en ce dernier sens nu: go ou nu: go dʹi: go (nó go dtí go), en vertu de la tendance qui se fait sentir ailleurs dans le parler à donner plus de corps aux articulations de la phrase (cf. § 237) ; voir plus bas p. 197 do bhí sí ag tiubhal léi nó go dtí gur bhain sí amach... « elle marcha devant elle jusqu’à ce qu’elle arrivât à... » :

Pour le subjonctif dans la proposition finale ou temporelle avec go, voir § 159.

§ 232. Une utilisation remarquable de la particule go se rencontre dans les cas où celle-ci n’est pas nécessaire à la construction mais sert d’indice du discours indirect ; on a ainsi mɑr go avec le sens de mar « parce que », go ne formant pas avec mɑr une conjonction composée (voir § 237), mais rappelant une particule complétive précédente et servant à marquer que la proposition causale fait encore partie du discours indirect : du:rtʹ ən lʹαsva:hərʹ go revʹ ʃi nə kolə mɑr go revʹ ən tʹinʹəs kʹi:nʹ erʹh o vαdʹən (dubhairt an leasmháthair go raibh sí i n‑a codladh mar go raibh an tinneas cinn uirthi ó mhaidean) « la marâtre dit que (la jeune fille) dormait, car (dit-elle) elle avait mal à la tête depuis le matin » ; go met comme entre guillemets la proposition qui suit. De même avec nɑ:, forme négative de go : durtʹ ʃi go revʹ su:lʹ əkʹi nɑ: hetʹo:χ ʃe i mɑr nɑ:r etʹəgʹ ʃe riəv rimʹə ʃinʹ i (dubhairt sí go raibh súil aici na h‑eiteóchadh sé í, mar nár eitigh sé riamh roime sin í) « elle dit qu’elle espérait qu’il ne lui refuserait pas, car (dit-elle) il ne lui avait jamais rien refusé auparavant ».

§ 233 La phrase relative et complétive négative.

La négation relative nɑ:, nɑ:r‛ (voir § 216) répond pour l’emploi à la fois à ə et à go positifs : R. C, 49, 427 : rud nár chleachtuigheadar riamh go dtí sin « chose qu’ils n’avaient jamais pratiquée auparavant » ; do, p. 424 : dubhairt sé le n a bhean go raigheadh sé... agus ná fillfead sé... « il dit à sa femme qu’il irait... et qu’il ne reviendrait pas... », etc.

Lorsqu’une proposition complétive dépend d’un verbe négatif ou impliquant une idée négative la particule go est précédée de la négation nɑ:, le sens restant affirmatif, malgré cette contamination formelle de la subordonnée par la notion négative qui domine la principale : nʹi:lʹ è:n daut nɑ: gœr jinʹəʃ go hu:ntəχ (níl aon dabht ná gur dheinis go h‑iongantach) « il n’y a pas de doute que tu n’aies fait merveille » ; kɑ vʷis dom nɑ: gœr eirʹəgʹ rœd e:gʹənʹt do (cá bhfios dom ná gur eirigh rud éigin dó) « que sais-je s’il ne lui est pas arrivé quelque chose ».

La phrase relative et complétive est largement employée comme procédé de construction, soit pour modifier l’ordre normal de la phrase (emphase), soit combinée avec des interrogatifs, soit combinée avec des particules ou adverbes divers pour former des conjonctions. La plupart des phrases circonstancielles sont ainsi dérivées de la phrase relative.

§ 234. Le relatif d’emphase, On peut mettre en vedette un élément ou un groupe quelconque en le plaçant en tête et lui rattachant le reste de la phrase à l’aide de la construction relative (aspirée) : e:həχ ətɑ: ʃe eg i:nʹʃənʹtʹ (éitheach atá sé ag innsint) « c’est un mensonge qu’il dit » ; nʹi fad on ɑ:tʹ vʹi: ʃi nuerʹ (ní fada o’n áit bhí sí nuair...) « elle n’était pas loin de là lorsque... ».

Il peut par ailleurs y avoir mise en vedette par simple juxtaposition, le terme lancé en avant étant repris non plus par un relatif mais par un pronom de renvoi : an te ná fuil láidir ní foláir dó bheith glic « qui n’est pas fort, il lui faut être habile (prov.) ».

§ 235. La construction relative dans l’interrogation.

Toute phrase verbale interrogative qui n’est pas introduite par la particule ən (ou par sa forme négative) est une phrase relative (cf. § 84 et 93). L’interrogatif peut se comporter lui-même comme un relatif, ainsí de kɑ: (cá) « où » qui requiert la forme conjointe du verbe et nasalise l’initiale, ou bien le pronom ou l’adverbe interrogatif introduisent une phrase en ə (ou avec simple aspiration initiale, voir § 226) ou en go ; de toute façon la phrase interrogative est superposable à la phrase relative directe ou indirecte.

kɑ: vʷilʹ ʃe (cá bhfuil sé ?) « où est-il ? » ; knœs jinʹən tu e (connus a dheineann tu é ?) « comment fais-tu cela ? » ; kɑhinʹ a vʹe tu e tʹαχt (cathain a bheidh tu ag teacht ?) « quand viendras-tu ? » ; kɑ nə hè:v go vʷil fʹαrəg ort. kɑ nə hè:v nɑ: bʹeαχ (cad ’n‑a thaobh go bhfuil fearg ort ? cad n‑a thaobh ná beadh ?) « pourquoi es-tu fâché ? pourquoi ne le serais-je pas ? »

§ 236. Conjonctions composées de ə :

nuerʹ ə (nuair a) « lorsque » et fαdʹ ə (faid a) « aussi longtemps que » aspirent ; sɑr ə (sar a), au prétérit sɑr ər‛ (sarar), nasalise ; B. O. ; II, 275 : faid a mhairfeadh sé féin « aussi longtemps qu’il vivrait lui-même » ; sɑr ə mʹe ʃe ɑun (sar a mbeidh sé ann) « avant qu’il ne soit là » ; et voir mɑrə, § 227, 228.

§ 237. Conjonctions composées de go :

temporelles : nu: go, nu: go dʹi: go « jusqu’à ce que » (cf. § 231) ;

finales : dɑun is go (d’fhonn is go) « afin que », su:lʹ is go (súil is go) « dans l’espoir que » ;

consécutives et aussi finales : sə tʹlʹi: go (san tslighe go), ə dʹrʹo: go (i dtreó go) « en sorte que » ;

causales : tiʃgʹ go (toisc go), on uerʹ go (ó’n uair go), o:s rœd e go (ó’s rud é go), o hɑ:rləgʹ go (ó thárlaidh go) « du moment que », « parce que » ;

concessives : kʹe go (cé go) « quoique ».

çinʹəvʹ ʃe fʹe:nʹ e nu: gœr hɑ:nʹəgʹ ʃe əwαlʹə (chongaibh sé féin é nó gur tháinigh sé abhaile) « il le garda lui-même jusqu’à ce qu’il arrivât à la maison » ; bʹe:gʹənʹtʹ do vɑk ən ri: gʹe:lʹə kʹe gœr ro:jαkərʹ lʹeʃ e (b’éigint do mhac an righ géilleadh ce gur ródheacair leis é) « le fils du roi dut céder, quoique ce lui fût fort difficile ».

Certaines de ces formations tendent à supplanter d’anciennes conjonctions simples : ainsi de o:s rœd e go en face de o: (§ 243) ; on lend de même à préférer à mɑ:, dɑ: « si » des formules du type mɑ:s rœd e, dɑ: mo rœd e, go (má’s rud é, dá mbudh rud é go) « si le fait est, était, que » : mɑ:s rœd e go rαjəd er ə dʹi:rʹ əmɑrʹəχ (má’s rud é go raghad ar an dtír ambáireach) « si je vais à terre demain ». Formules très lourdes qui n’ajoutent rien au sens mais dont le développement répond à la fois au besoin de donner le plus de corps possible aux outils grammaticaux, et à la tendance générale à voir dans go la conjonction universelle.

Pour mɑr go, voir § 232.

§ 238. Discours indirect.

Le discours indirect, introduit par go (§ 230), n’est guère employé que dans des périodes courtes ; pour peu que le discours se prolonge la construction indirecte est abandonnée sans transition pour le discours direct.

On a vu (§ 209) que le parler ne possède pas de formes temporelles permettant d’exprimer l’antériorité relative. La correspondance des temps dans le discours indirect est donc limitée au cas du futur dans le passé, exprimé par le futur secondaire : du:rtʹ ən ri: lʹeʃ ən muəχəlʹ go gαχ ʃe ən çeʃtʹ ʃo ə rʹαgərtʹ (dubhairt an rí leis an mbuachaill go gcaithfeadh sé an cheist seo a fhreagairt) « le roi dit au garçon qu’il lui faudrait répondre à cette question » ; Peig. 76 : dubhairt na Giúdaigh le chéile go ndubhairt Mac an tSiúinéara nuair a bhi Sé’na bheathaidh go n‑éireóchadh Sé an treas lá, litt. « les Juifs se dirent entre eux que le Fils du Charpentier dit lorsqu’il était vivant qu’il ressusciterait... »