Description d’un parler irlandais de Kerry/6-3

Sixième partie, chapitre III. La phrase conditionnelle et circonstancielle non relative


CHAPITRE III
LA PHRASE CONDITIONNELLE ET CIRCONSTANCIELLE NON RELATIVE

§ 239. Il y a deux conjonctions conditionnelles : mɑ:‛ (má), aspirant (forme absolue), et dɑ:ⁿ (dá), nasalisant (forme conjointe). Elles s’opposent, dans l’ensemble, comme la conjonction du potentiel à la conjonction de l’irréel. Aux deux conjonctions de la phrase affirmative répond ici, comme dans la phrase relative (§ 233), une seule conjonction négative : mɑrəⁿ (mara), nasalisant (forme conjointe).

§ 240. mɑ: introduit une condition dont la réalisation n’est pas a priori exclue ; quand la condition se réfère à l’avenir, il y a indétermination objective quant à sa réalisation, et mɑ: exprime l’éventualité ; quand la condition se réfère au présent ou au passé, l’indétermination est subjective, l’hypothèse étant réalisée ou controuvée au moment où l’on parle, quoique nous l’ignorions ou prétendions l’ignorer : mɑ: introduit alors une supposition, valeur d’où dérive l’emploi concessif.

Dans la période avec mɑ: on peut avoir n’importe quel temps ou mode à l’apodose ; à la protase on a le prétérit quand la supposition se rapporte au passé : mɑ: hitʹ vʷiʃə go gαhədsə ə ǥɑ:lʹtʹ hɑr nαʃ (má thuit mhuise go gcaitheadsa a fhagháil thar n‑ais) « s’il est tombé, il faudra bien, ma foi, que je le retrouve » ; quand la supposition se rapporte au moment actuel on a le présent II, d’actualité (§ 205) : mɑ: tɑ: bʹrʹi:αg ɑun bʹi:χ (má tá bréag ann, bíodh !) « s’il y a là-dedans un mensonge, qu’il y reste (conclusion fréquente des contes) ».

Quand l’hypothèse se rapporte à un temps hypothétique indéterminé (éventualité), on a le présent I ; quand elle se rapporte à l’avenir on a le présent I ou le futur, celui-ci plutôt dans la phrase négative (voir § 203).

mɑ: concessif : B. O., II, 373 ; má taoin tu beag féin, ta gníomh ionat « même si tu es petit, tu es puissant » ; cf. aussi le tour fréquent : vʹi: ʃe er ə ji:həl ɑχ mɑ: vʹi: (ou mɑ: vʹi: fʹe:nʹ) nʹi:rv è:n vαhəs do e (bhí sé ar a dhicheall ach má bhí níorbh aon mhaitheas do é) « il faisait de son mieux », mais quoiqu’il le fit (litt. « s’il le fusait ») cela ne lui servait à rien ».

§ 241. dɑ: (dá) introduit une hypothèse irréelle ou irréalisable ; le verbe de l’apodose est au conditionnel ; le verbe de la protase est généralement au conditionnel, mais il subsiste des traces de l’imparfait, du moins dans la langue des récits traditionnels :

Peig, 13 : dá mbeadh fhios agam go mbeadh a leath... i ndán dom ní bheadh mo chroidhe... chomh haereach... is do bhí « si j’avais su que j’étais destinée à subir la moitié de cela, mon cœur n’aurait pas été aussi léger qu’il était ». Mais dans un conte : dɑ: vʹekʹtɑ: e: do χʷirʹhəχ ʃe u:n ort (dá bhfeicteá é do chuirfeadh se iongnadh ort) « si tu l’avais vu, cela t’aurait rempli de stupeur », avec l’imparfait, auquel succède d’ailleurs immédiatement le conditionnel : ɑgəs is mo: nɑ: sən dʹu:n ə χʷirʹhəχ ʃe ort, dɑ: vʹekʹfɑ: (agus is mó ná san d’iongnadh a chuirfeadh sé ort dá bhfeicfeá) « et ta stupeur aurait été plus grande encore si tu avais vu... » ; l’imparfait (archaïque) marque une recherche de style, et le conditionnel, le retour au parler usuel.

dɑ: se rencontre, concurremment à mɑ: introduisant une hypothèse en l’air, même si elle n’est pas irréalisable en soi : B. O. II, 377 : dá bhfiaródh duine dhíot... cá bhfuairis é « si quelqu’un venait à te demander où tu l’as trouvé ».

§ 242. Phrase conditionnelle négative.

mɑrə (mara), au prétérit mɑrər (marar), commande la forme conjointe du verbe, et les mêmes temps et modes que mɑ: ou que dɑ:, selon le sens ; ainsi dans la « scie » suivante : tabhair dom deoch mara bhfuil sé istigh agus má tá ná tabhair », « tá », arsan bhean, « agus mara mbeadh go bhfuil gheóbhfá ach ó tá ní gheóbhair ». « Donne-moi à boire s’il (ton mari) n’est pas là ; s’il y est ne me le donne pas ». « Il est là », dit la femme « et s’il n’y était pas tu l’aurais, mais puisqu’il y est tu ne l’a auras pas ». Le premier mara correspond à un positif, et prend donc le présent ; le deuxième équivaudrait à un positif et prend le conditionnel.

§ 243. Autres conjonctions :

o: (ó) « depuis que, dès que » ; prend la forme absolue du verbe et relative de la négation : voir ó tá dans l’exemple cité au paragraphe précédent ; généralement supplanté par des tours du type on uerʹ go, voir § 237.

o:rʹ (óir) « du moment que, parce que » appartient à la langue des récits traditionnels : dʹinʹ ən rœd kʹi:αnə lʹumsə əniʃ o:rʹ nʹi: bʹo: mʹe tər e:ʃ bɑ:ʃ mo vrɑ:rʹhə (dein an rud céadna liom-sa anois óir ní beó mé tar éis báis mo bhráithre) « fais-moi subir le même sort maintenant, car je ne suis plus vivante après la mort de mes frères » ; l’emploi de la forme bráithre au sens de « frère par le sang » trahit le caractère artificiel de la langue.

mɑr (mar) « car, parce que » ; R. C., 49, 424 : mar is fada o d’ith mé... etc. « car il y a longtemps que je n’aie mangé... etc. » ; mɑr, fʹe:nʹ mɑr (fé’n mar) « comme, comme si ».