De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 03/Article 3

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. 281-290).
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Chapitre III



ARTICLE TROISIÉME.

Des différentes formes que prennent les Vers.



LES Vers qui s’engendrent dans le corps de l’homme, tant ceux des intestins, que ceux qui viennent aux autres parties, prennent, souvent en vieillissant, des figures extraordinaires ; les uns deviennent comme des Grenouilles ; les autres comme des Scorpions, les autres comme des Lesards. Aux uns il pousse des cornes, aux autres il vient une queue fourchue, aux autres une espéce de bec comme à des Oiseaux, d’autres se couvrent de poils, & deviennent tout velus, d’autres se couvrent d’écailles & ressemblent à des espèces de Poissons.

Divers Auteurs rapportent des exemples de ces Vers monstrueux, comme Wierus[1], Montuus[2], Benivenius, Rulandus, Gabucinus[3], Monardus[4], Benivenius[5], Rhodius[6], Panarolus[7], Marcellus, Donatus[8], Gesner[9], Dodonée[10], Hollier[11], Borelli, &c.

Cornelius Gemma entre autres, parle d’une fille de quinze ans, qui en rendit un comme une Anguille, à cela près qu’il avoit la queue panachée & toute velue. On en voit la figure dans Aldrovandus, p. 764. de son Livre des Insectes. Nous l’avons mise ici.

Ces sortes de Vers monstrueux se divisent en plusieurs classes ; sçavoir, les Grenouilles, les Lézards, les Serpens, les Anguilles, les Vers à queue fourchue, ceux à cent pieds, les Escarbots, les Chenilles, les Scorpions, les Poissons. Non que ces Vers soient effectivement les Scorpions, des Grenouilles, &c. Mais c’est qu’ils ont une apparence qui à l’aide de l’imagination de ceux qui les voyent, les fait ressembler en quelque chose à ces Animaux.

Or toutes ces différentes métamorphoses, ainsi que je viens de le dire, leur arrivent quand ils vieillissent ; & comme la barbe ne sort à l’homme qu’à un certain âge, que les cornes ne poussent à plusieurs Animaux que quelque temps après leur naissance, que les Fourmis prennent des ailes avec le temps, que les vieilles Chenilles se changent en Papillons, que le Ver à soie subit un grand nombre de changement que tout le monde connoît ; il n’y a pas lieu de s’étonner que les Vers du corps puissent prendre au bout d’un certain temps, toutes ces figures extraordinaires qu’on y remarque quelquefois.

Au reste il ne faut point comprendre ici ces Animaux qui peuvent entrer par la bouche dans le corps, puisqu’ils ne sont point engendrés en nous.

Hippocrate[12] rapporte l’exemple d’un jeune homme, qui étant yvre, s’endormit (apparemment sur l’herbe) & dans la bouche duquel il entra pendant le sommeil un Serpent qui lui alla jusques dans l’estomac, & qui le fit mourir avec de grandes convulsions. On trouve plusieurs faits semblables dans les Livres des Médecins ; mais ces sortes de faits doivent être bien examinés. Il y a quelquefois des gens, qui croyant avoir avalé des Insectes, qu’ils n’ont cependant point avalés, & venant en-suite à s’exciter au vomissement pour les rendre, prennent aisément pour sortis de leurs corps, des Insectes qu’ils voyent par hasard mêlés dans ce qu’ils viennent de rendre, quoique ces Insectes fussent déja dans l’endroit où ils croyent les avoir jettés de leur estomac.

Voici une planche où sont gravées deux Couleuvres, qui dans le recueil des planches de la derniere Edition de ce Livre, sont représentées comme étant sorties de l’estomac d’une fille qui s’étoit endormie sur l’herbe, & les avoit avalées. Celle qui est marquée A, dit-on dans l’explication de cette planche, est sortie vivante, & se traînant sur le plancher de la chambre, fut tuée par la mere de la Malade, qui, avec une pelle à feu, la partagea par la moitié, & lui écrasa la tête.

Nous aurions pû retrancher ici cette planche, qui se trouve parmi celles qui ont été imprimées en 1718. in-4o. dans un recueil à part ; car ces Couleuvres n’étoient point entrées dans le corps, & un examen sérieux que nous avons fait de la chose, nous oblige à donner cet avertissement. Nous conservons depuis plusieurs années dans de l’eau-de-vie ces deux petits Serpens, mais nous sçavons certainement qu’ils ne sont sortis du corps de personne, non plus que cette Ecrevisse, dont nous avons rapporté l’histoire dans la préface, pages xvi & suiv. & qu’on prétendoit être sortie du corps d’une petite fille.

Les Malades sont souvent les premiers trompés dans ces sortes de cas, & croyent avoir rendu ce qu’ils n’ont point rendu. Voici sur ce sujet, un exemple qui mérite d’être rapporté.

Une personne de considération : (M. de Sommerive) m’étant venu consulter sur des Vers, que par erreur, il croyoit avoir rendus ; il me les apporta dans une boette, & je les trouvai tout semblables à ceux qui se trouvent ordinairement dans la vieille farine. La chose me parut extraordinaire aussi-bien qu’à lui ; mais le hasard peu de jours après, découvrit l’erreur, comme on va voir par la lettre suivante que la personne m’écrivit aussi-tôt avec une grande sur-prise.

« Je ne doute point, Monsieur que vous ne soyiez aussi surpris que moi, d’apprendre que je n’ai point jetté de Vers, ayant cru fermement moi-même en avoir jettés. Voici le dénouement & la preuve de la chose. Me sentant étouffé la nuit du Lundi au Mardi comme à mon ordinaire, sans cependant avoir eu les tressaillemens que j’avois éprouvés la derniere fois, je résolus de faire comme j’ai de coutume, dans la crainte que je ne les eusse ; & d’ailleurs lorsque je m’endors avec les oppressions, c’est un sommeil très-tourmentant & très-mauvais. Je résolus donc de vomir, ce que je fis ; je considerai cela attentivement pour voir s’il y avoit des Vers, & je n’en trouvai aucun. Le matin, mon Laquais mit sur ce que j’avois vomi, une poussière ramassée & formée par la poudre qui tombe dans l’endroit où il accommode ma perruque. Vers les 10. heures Mme de Sommerive trouve comme la premiere fois, mon vomissement plein de Vers, & me le dit comme elle me l’avoit assuré l’autre.

» Je réfléchis qu’ayant examiné le vomissement dès le matin à huit heures, & qu’il n’y avoit alors point de Vers, il ne se pouvoit pas qu’il y en eût à dix & pour m’en convaincre mieux, j’allai chercher moi-même de cette poussière formée par la poudre, & je vis les mêmes Vers que je croyois avoir jettés, & pareils à ceux que je vous ai portés. Ainsi je n’en ai point rendus, &c. Je suis Monsieur,

Votre, &c. Sommerive,
rue Beaubourg, à l’Hôtel
d’Elbeuf. ce 21. Av. 1726.


En voilà assez sur ce sujet ; revenons aux différens changemens que prennent les Vers dans le corps humain. Quand ils subissent ces changemens, cela n’arrive que par un simple accroissement de parties, qui forcent & rompent la peau dont l’Insecte est couvert, & que les Naturalistes appellent Nymphe. Malpighi & Svammerdam, ont été les premiers après André Libavius, qui ont rejetté la transformation Chimérique de la Chenille en Papillon, & de quelques autres semblables, & ont fait voir que toutes les parties du Papillon étoient renfermées sous la nymphe de la Chenille. En effet, le changement qui arrive aux Insectes, ne differe en rien de celui des plantes ; l’Insecte est renfermé dans la nymphe comme une fleur dans son bouton.

Tout ce que nous venons de dire peut servir à faire voir ce qu’il faut juger de certaines histoires qu’on nous fait d’Animaux extraordinaires, comme de Serpens & de Dragons, engendrés dans le corps de l’homme : par exemple, de ce que nous lisons dans Plutarque[13], que les Gardes qui veilloient le corps de Cléomene attaché à la potence, virent un Serpent qui sortoit de son corps, & qui faisoit plusieurs circonvolutions sur la tête du mort, & en couvroit tout le visage ; que Ptolomée, à qui la chose fut rapportée, s’étant imaginé que c’étoit un prodige qui marquoit que le mort étoit cher aux Dieux, & d’une nature au-dessus de celle des autres hommes, les Sages qui furent consultés, le tirerent de son erreur, en lui disant, que comme les cadavres de certains Animaux produisent des Guêpes, d’autres des Escarbots, d’autres des Abeilles, de même le propre de celui de l’homme étoit de produire quelquefois des Serpens. Nous pouvons aussi de la même maniere juger de ce qu’on nous raconte de ces Serpens qui furent trouvés dans le tombeau de Charles Martel, & qui, dit-on, s’étoient engendrés de son corps.

Presque tous les Vers qui se produisent dans l’Homme vivant, le rendent sujet à diverses maladies ; nous allons examiner les effets qu’ils produisent.


  1. Wierus, Lib. IV. Cap. 16. de præstig. Damaric.
  2. Mentuus, Lib. IV. Cap. 19. Anat. morb.
  3. Gabucin. Comment. de Lumbric. Cap. 13.
  4. Monard. Lib. III. de simplic. medicam. ex nov. orb. delatis.
  5. Beniv. de abdit. Cap. 2.
  6. Rhod. Cent. 3. Observ. 19.
  7. Panar. Pentocost. 5. Observ. 13.
  8. Marcell. Donat Hist. mirab. Lib. IV. Cap. 26.
  9. Gesner, Lib. VIII. Epist. p. 94.
  10. Dodon. Annot. ad Cap. 58.
  11. Holl. Lib. I. de morb. intern. 1.
  12. Hipp. des Malad. Epid. Liv. V.
  13. Plut. in Eleam.