De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 03/Article 2

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. 188-280).
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Chapitre III



ARTICLE SECOND.

Des Vers des intestins.



LES Vers des intestins sont de trois sortes, sçavoir : les ronds & longs, les ronds & courts, & les plats. Les ronds & longs, autrement appellés Strongles, du mot grec[1] Strongulos, qui signifie long & rond, s’engendrent dans les intestins grêles, & pour l’ordinaire dans celui de ces intestins que les Anatomistes nomment Duodenum, qui est le premier de tous. Si l’on considere à quel amas d’humeurs le Duodenum est exposé, l’on ne sera pas surpris qu’il puisse être ainsi sujet aux Vers. On peut voir là-dessus la sçavante Dissertation du docte Frideric Hofmann[2]. Ces Vers ressemblent à des Vers de terre pour la forme extérieure ; mais ils en sont fort différens pour les parties du dedans, ainsi que Edouard Tyson[3] & plusieurs autres Auteurs l’ont observé. Nous n’entrerons point ici dans l’examen de ces différences, ce n’en est pas le lieu ; les uns veulent que ces Vers, quoique différens en plusieurs choses, d’avec les Vers de terre, pour ce qui regarde les visceres, soient cependant hermaphrodites comme eux, & comme le sont les Sangsues, les Limaces nues, les Domiportes, ou Limaçons à coquilles, les Huitres, & quelques autres Animaux.

Parmi ces Vers Strongles, il y en a qui méritent une attention particulière. Tel est par exemple, celui de la planche suivante, rendu en 1701. le mois de Janvier par une fille de seize ans, que je traitois chez M. Lohel Perruquier au Carrefour des Barnabites à Paris. Cette fille étoit devenue muette il y avoit quinze jours, & depuis un mois, étoit tourmentée sans relâche, de violentes convulsions, qui lui causoient un rire involontaire, de la nature de celui que l’on appelle, Rire Sardonique. Ce Ver paroît différent des Strongles ordinaires, en ce qu’il est plein de rides & de plis, & a une espéce de gueule assez apparente. Je le fis sortir du corps de cette fille par le moyen de quelques prises d’eau de fougère que je lui ordonnai.

Les Vers Strongles sont quelquefois d’une longueur considérable. J’en conserve un qui a plus d’un tiers d’aulne, lequel est sorti le 22. de Juillet de l’année 1736. du corps d’une jeune Sœur du Monastere de l’Assomption, après lui avoir causé de grands tourmens, & l’avoir presque réduite à la mort. Les enfans, & surtout ceux que l’on sevre, rendent souvent beaucoup de ces Vers Strongles ; je dis, les enfans que l’on sevre ; car quoiqu’alors ils n’ayent ordinairement pas plus de Vers qu’ils en avoient auparavant, ils en rendent plus souvent & en plus grande quantité, parce que la nourriture solide que ces enfans qui ne tettent plus, commencent à prendre, étant moins propre à nourrir leurs Vers, que n’étoit le lait, oblige ces Insectes à chercher une autre demeure, au lieu qu’auparavant ils étoient tranquilles au milieu du lait dont ils se nourrissoient ; c’est ce qui est cause que la plûpart des enfans qui sortent de nourrice, sont si sujets à rendre des Vers.

Les peres & les meres voyant alors leurs enfans si malades de Vers, s’imaginent que ces Vers s’engendrent seulement alors ; & ils ne prennent pas garde que ce sont les mêmes Vers d’auparavant, qui étant devenus affamés faute d’une nourriture qui leur soit convenable, piquent & dévorent le lieu où ils sont.

Cette réflexion doit obliger les peres & les meres à tenir une conduite toute différente de celle qu’ils tiennent ordinairement dans cette occasion, car au lieu de refuser alors toute sorte de laitage à leurs enfans, ils doivent au contraire leur en accorder un peu, de temps en temps, afin d’amuser, pour ainsi dire, les Vers, & les empêcher de faire aux intestins tendres & délicats de ces pauvres enfans, des piquures qui causent quelquefois des convulsions mortelles. Cela soit dit en passant. Nous en parlerons plus en son lieu dans le Chapitre des remedes contre les Vers.

Les Vers de terre, comme nous avons dit, sont différens pour la structure intérieure, d’avec les Strongles du corps. Mais pour ce qui regarde le dehors, ils sont les uns & les autres tellement semblables, que si on avoit mêlé ensemble un Ver de terre & un Ver du corps, tous deux vivans, & qu’on donnât à deviner à quelqu’un quel est le Ver de terre, & celui du corps, il seroit difficile à la personne d’en faire la différence, que par le moyen suivant, à moins que de les disséquer. C’est de mettre un peu de lait dans deux petites tasses ; de jetter l’un de ces Vers dans l’une, & l’autre dans l’autre, & de les y laisser quelques heures ; car le Ver, de terre rendra des excrémens qui seront de la terre même, ce que ne fera pas l’autre. Cet expédient peut avoir lieu en quelques occasions, pour démêler certaines tromperies.

On voit souvent sous l’herbe, dans les jardins & à la campagne, de petits rouleaux de terre, moulés en façon de vis ; ce sont les excrémens des Vers de terre. Il y auroit bien des réflexions à faire là-dessus, par rapport à la conformation intérieure de leurs intestins, & à la mécanique de leurs mouvemens. Mais cela nous écarteroit.

Les Vers ronds et courts des intestins, se produisent dans l’intestin nommé Rectum, qui est le dernier de tous. On les nomme Ascarides, du mot grec Ascarisein, qui signifie, s’agiter ; parce que ces petits Vers sont dans une agitation continuelle. Il y a des personnes qui en rendent tous les jours à sec, des milliers par bas.

Le Ver plat ressemble à un grand ruban ; il se nourrit dans les menus intestins, & se nomme Tænia, du mot grec, Tænia, qui signifie un cordon plat & long. Il est plat, blanc, fort long, & a le corps tout articulé. Il y en a de deux especes ; celui de la premiere, a les articles fort éloignés les uns des autres, vers le milieu de son étendue, & fort serrés aux deux extrémités, principalement à celle où est la tête ; car ce Ver a une tête. Le col, où tient cette tête qui ressemble à un petit pois applati, mais qui n’en a au plus que le tiers du volume, est extrêmement délié & étroit. On remarque tout le long du corps de ce Ver, après chaque articulation, directement au milieu de la liziere, tout-à-fait au bord, un mammelon fort bien figuré, au bout duquel j’ai découvert une ouverture, dans laquelle se voit un vaisseau bleuâtre, qui, de cette ouverture traverse jusqu’à la moitié de la largeur du corps ; & c’est de ce Tænia que j’ai donné la figure dans la page 4. de la Préface. Ces mammelons & ce petit vaisseau y sont marqués fort distinctement à la lettre C.

L’autre Tænia, que je regarde comme une seconde espèce, & qui n’est venu à ma connoissance que plusieurs années après la première, a les articulations moins relevées, & beaucoup plus pressées les unes vers les autres ; il a des mammelons presque imperceptibles, & outre cela, une longue suite de nœuds, ou grains raboteux, qui s’étendent en forme d’épine, tout le long du milieu de son corps, en-dedans, depuis le commencement jusqu’à la fin, ainsi qu’on le voit représenté en cette planche. Je conserve avec plusieurs Tænia de la première espéce, un grand nombre de cette seconde, que j’ai fait sortir du corps de divers Malades.

Il y a donc deux espéces de Tænia, sçavoir, le Tænia sans épine, & le tænia à épine.

Les grains ou nœuds de l’épine dont il s’agit, ne sont pas toujours d’égale grosseur, comme ils sont représentés dans cette planche. Il y a des Tænia de cette espéce, dont les grains de l’épine sont d’une grosseur & d’une épaisseur différente.

Je conserve dans des phioles d’esprit de vin, plusieurs de ces Tænia de la seconde espéce. La planche qui suit, représente parfaitement les grains inégaux dont je parle ; & il n’y a rien à désirer sur cela pour l’exactitude. J’ai cru longtemps que le Tænia de la seconde espéce, que j’appelle autrement Tænia à épine, n’avoit point de mamelons. Mais un nouvel examen m’a convaincu du contraire ; il n’y a qu’à considérer le Ver de bien près ; & pour y mieux réussir, le suspendre dans une phiole pleine d’eau, & le regarder attentivement à travers la phiole. On y discernera des mammelons très-réels, & situés de la même maniére que dans le Tænia sans épine. Ils sont moins apparens, il est vrai ; mais c’est toute la différence qui s’y trouve. Dans quelques-uns de ces Tænia, les petits mammelons se laissent appercevoir sans peine ; j’en conserve un où ils sont fort visibles, en voici la figure qui le représente très-exactement. On y trouve une irrégularité digne d’attention ; c’est qu’il a par endroits, deux mammelons à chaque ventre, non l’un à côté de l’autre, comme dans quelques Tænia de la première espéce, & entre autres, dans celui de la planche d’après celle-ci ; ce qui n’est pas moins particulier ; mais situés à l’opposite l’un de l’autre, c’est-à-dire, l’un à côté d’un ventre, & l’autre à l’autre. J’entends ici par ventre, chaque espace contenu entre deux articulations. Voici donc la figure d’un Tænia à épine, lequel a des mammelons très-visibles ; & outre cela par intervalles, deux mammelons à l’opposite l’un de l’autre. Nous venons de dire en passant, que parmi les Tænia de la première espéce, c’est-à-dire, parmi ceux qui sont sans épine, il y en a qui ont à chaque ventre, deux mammelons à côté l’un de l’autre ; ce fait est assez remarquable pour mériter une planche exprès. En voici une où l’on verra, outre cela, plusieurs autres circonstances singulieres.

M. de la Solaye, rue S. Severin à Paris, a rendu les deux morceaux qui y sont marqués. Le premier qui est représenté figure 1. a par endroits, deux mammelons près l’un de l’autre. Voyez la lettre C. Il a, aussi-bien que celui de la Figure 2. une épaisseur & une consistance, que la plûpart des autres Tænia n’ont pas. Nous le conservons depuis plusieurs années. L’on y voit encore deux demi intersections qui paroissent être des déchirures qui se sont cicatrisées. Voyez les lettres BB, & une espéce de vaisseau ou conduit, disposé tout autrement que ceux que l’on remarque aux mammelons. Voyez la lettre D.

Ces espéces de cornes marquées d’une étoile * étant bien examinées, ne paroissent que des portions déchirées par quelque effort que le Ver a fait dans le corps du Malade, ou en en sortant. Il arrive aussi quelquefois de ces déchirures au Tænia de la seconde espèce ; ce qui a imposé à quelques-uns qui ont pris ces déchirures pour de véritables cornes, & l’extrémité où elles se trouvent, pour la tête du Ver.

Le morceau marqué figure 2. n’est pas moins singulier par les deux singularités E. & F.

Une autre singularité bien digne de remarque, c’est qu’il y a des Tænia de la premiere espéce ; sçavoir, de ceux sans épine, lesquels sont plats d’un côté & un peu voûtés & bossus de l’autre, ressemblans en cela à la Sole, à la Limande, au Carrelet, & à d’autres poissons plats, qui sont convexes d’un côté, & ne le sont point de l’autre.

Ces Tænia ainsi bossus d’un seul côté, sont très-rares ; & parmi le grand nombre de Tænia que je conserve, je n’en ai qu’un qui soit ainsi formé. Le même M. de la Solaye, dont nous avons déja parlé, l’a rendu le 27. Octobre 1700. Ce Ver est plat, de maniere qu’il a un ventre & un dos, ou, ce qui est la même chose, un dessus & un dessous, comme les Poissons que nous venons de nommer. Voyez la présente planche : Le côté bossu y est marqué par la lettre A, & le côté plat par la lettre B. Quant aux deux cornes notées de cette étoile*, ce ne sont que de simples déchirures, non plus que celles de la planche précédente. Voyez ce que nous avons dit de ces prétendues cornes dans l’explication de la même planche précédente.

Une autre singularité encore, mais qui regarde le Tænia à épine, ou de la seconde espéce, est ce qui se voit dans le Tænia suivant, rendu le 15. Juillet 1700. par une Demoiselle au Cimetière S. Jean, nommée Mademoiselle Boileau. Le cordon qui en partage la largeur est fait d’une façon depuis B, jusqu’à C, d’une autre depuis C, jusqu’à D, & d’une autre depuis D, jusqu’à E.


Ce Ver est précisément de la même dimension & de la même structure dont il est représenté ici. Ce cordon au reste, paroît avoir assez d’affinité avec celui du Tænia, rendu par une petite Chienne, auquel nous avons parlé ci-devant à la page 58 & 59.

Le Tænia, ainsi qu’on le voit par les planches ci-dessus, est tout articulé ; mais il arrive quelquefois que ces articulations ou intersections, au lieu d’être entieres comme elles le sont ordinairement, ne sont que des demi-articulations, ou comme on voudra, des demi-intersections ; la planche que voilà fera mieux entendre ce que c’est. Les demi-articulations dont il s’agit, sont marquées dans la première figure par la Lettre H. & la lettre I. & dans la seconde figure par les lettres A, B, C, D, E, F, G. L’endroit marqué L, n’est, à ce que je pense, qu’une déchirure.

Ce Ver, comme on voit, est le Tænia à épine, ou de la seconde espéce.

On trouve bien des irrégularités, dans la structure extérieure de ces Vers, tant de la première que de la seconde espéce. En voici une entre autres, dans un Tænia de la première, laquelle m’a paru mériter aussi une planche à part. Les figures de Tænia rapportées dans les pages précédentes, renferment de même, plusieurs irrégularités considérables : on peut y recourir, pour les confronter avec celle-ci. Ces examens scrupuleux ne sont point inutiles quand on veut connoître à fond, ce que c’est que le Tænia, Insecte des plus surprenans peut-être qui soient dans la nature.

Nous sommes persuadés que les Physiciens, & ceux qui aiment l’Histoire naturelle, ne nous sçauront pas mauvais gré d’entrer dans tous ces détails ; du moins c’est pour eux que nous y entrons.

L’irrégularité dont il s’agit, est marquée A. Quant à l’endroit marqué B, il y a toute apparence que c’est une déchirure.

Au reste, ce Ver, dans les premières éditions de ce Livre, est représenté avec une tête, & noué ; ce qui vient d’une méprise. Nous avons à cause de cette erreur retranché ici cette tête, & ces nœuds qui n’appartiennent qu’au Ver de la planche que l’on voit à la page V. de la Préface.

Le Tænia, ou Ver solitaire, se rompt aisément en sortant du corps ; & si, après s’être rompu, l’extrémité à laquelle tient la tête, vient à rentrer, cette extrémité rompue croît & repousse comme une plante. C’est pourquoi l’on voit des Malades rendre des portions de ce Ver pendant plusieurs années, jusqu’à ce que la tête soit sortie, & en rendre d’une longueur si extraordinaire, qu’il n’est pas vraisemblable qu’elles puissent tenir toutes ensemble dans les intestins. Quand le Ver est sorti, l’endroit où il a repoussé se reconnoît à un petit allongement coudé, ou à une espéce de cicatrice qui imite assez bien ce qu’on remarque quelquefois aux arbrisseaux dans les endroits où ils ont repousse après avoir été taillés. C’est ce qui se peut voir dans la planche ci-après, page 204. & dans celle de la page 205. aux lettres E, F.

Ce que je dis ici de la répullulation du Tænia après s’être rompu, demanderoit que l’on tentât l’expérience suivante ; ce seroit de traverser d’un fin cordon de soie, mêlé de cheveux pour résister à la corruption, le premier morceau de Ver qui se présenteroit, & de le traverser par le moyen d’une aiguille, le plus haut qu’il se pourroit, lorsque le Tænia, au lieu de continuer à sortir, commenceroit à rentrer, puis de faire au cordon, un nœud en forme de gance un peu large, comme on le voit représenté dans la planche ci-après, à la lettre A, sans attendre que le Ver se rompe, de le casser trois doigts au-dessous du cordon ; ensorte que la portion traversée par le fil, puisse rentrer dans le corps du Malade avec le cordon ; donner un mois après au Malade, quelque chose de propre contre ce Ver ; & lorsque l’Insecte sortiroit, examiner s’il sortiroit avec la portion percée du cordon ; & en cas que cela fût, bien considérer si après ce fil, le Ver auroit plus de longueur qu’il n’en avoit à ce bout-là, lorsqu’après avoir été cassé, on l’a laissé rentrer ; car si alors il a plus de longueur, ce sera une marque qu’il aura recru.

Mais pour que le Médecin soit bien sûr de la chose, il faudroit qu’il examinât lui-même le Ver au moment de sa sortie. Car les Malades, aussi bien que les Assistans, peuvent aisément manquer d’exactitude là-dessus, & dans leur récit donner souvent plus à l’imagination, qu’à la vérité, comme il est arrivé dans cette rencontre ; ensorte que si nous avions été plus scrupuleux à examiner la chose, nous n’aurions pas avancé ainsi que nous l’avons fait dans les éditions précédentes, en donnant la même planche dont il s’agit ici, que le Malade qui avoit rendu ce Ver, avoit fait l’expérience du cordon & qu’elle lui avoit réussi parfaitement ; aussi avons-nous soin à présent, de retrancher cet article.

Au reste le Ver gravé dans la présente figure, paroît s’être rompu à l’endroit marqué B.

Il y a deux espéces de Tænia, comme nous l’avons déja dit & redit ; les articulations de l’un & de l’autre, sont disposées du même sens que les écailles des poissons, c’est-à-dire, qu’en passant le doigt tout le long du Ver, & le repassant ensuite par un mouvement opposé, on sent la superficie du Ver glissante & unie d’un côté, & raboteuse de l’autre ; c’est par cet arrangement d’articulations, que lorsqu’un Malade rend un morceau de Tænia, sans que la tête y tienne, on peut d’abord connoître de quel côté étoit la tête. Ce Ver ressemble par ces articulations ou nœuds, à la plante nommée en latin Equisettum, en françois queue de Cheval, ou à ces roseaux dont le jet est interrompu par plusieurs nœuds, & dont les espaces contenus entre ces nœuds, sont emboettés les uns dans les autres par une de leurs extrémités. On peut le comparer encore au figuier d’Inde, dont chaque feuille en pousse une autre à son extrémité.

Les espaces contenus entre les nœuds du Ver de la premiere espéce, ont chacun à l’un des côtés, un petit mammelon fort visible, ainsi que nous l’avons déja remarqué ; mais ce n’est que dans les endroits où ce Ver a plus de largeur ; du moins on n’en remarque point au col ni à la queue. Ce petit mammelon paroît ouvert en dehors, comme nous l’avons encore remarqué, & on y discerne un petit conduit qui commence à quelques lignes de cette ouverture, & qui va jusqu’au milieu de l’espace. Il se perd là, & l’on ne voit point à quoi il communique. L’usage de ces petits mammelons, dont nous avons déja tant parlé jusqu’ici, n’est pas encore bien connu. Quelques Auteurs prétendent que ce sont autant de bouches ; d’autres, comme nous l’avons déja dit plus haut, autant de poumons ; d’autres enfin, ce que nous n’avons pas encore remarqué, autant d’Anus. Il est difficile de rien déterminer de certain sur ce sujet, non plus que sur les quatre ouvertures qui sont à la tête, lesquelles sont prises par quelques-uns pour des narines, par d’autres pour des yeux ; & par d’autres, pour de petites bouches par lesquelles il tire sa nourriture.

Nous venons de remarquer que les ventres ou espaces contenus entre les nœuds ou articles du Ver de la premiere espéce, ont chacun un petit mammelon fort visible ; mais nous avertissons ici que quelquefois ces mammelons sont doubles, en-sorte que dans un même ventre il s’en trouve deux ensemble du même côté, ainsi que nous le verrons plus bas dans une planche.

Au regard des articulations, elles sont, comme on vient de dire, disposées du même sens que les nœuds d’un roseau ; mais il est à remarquer que cela ne se trouve pas toujours vrai ; & le Ver qui est gravé dans la planche ci-devant, Ver que nous conservons avec les autres, laisse voir deux articulations opposées l’une à l’autre, lesquelles se regardent par leur côté raboteux ; ces deux articulations sont marquées par les lettres C. D, ce qui est aussi singulier, que si dans un roseau le même espace contenu entre deux nœuds, se trouvoit emboetté par l’une & par l’autre de ses extrémités, au lieu de ne l’être que par une seule.

Il faut donc bien remarquer dans cette figure le ventre C, qui est emboetté par ses deux extremités, & le ventre D, qui ne l’est ni par l’une, ni par l’autre, mais qui reçoit au contraire par l’une, celui qui le précéde, & par l’autre, celui qui le suit ; ce qui est très-extraordinaire, chaque ventre du Ver Taenia, étant régulièrement emboetté par une extrémité dans celui qui le précéde, & emboettant par l’autre, celui qui le suit. La singularité dont il s’agit, m’auroit échappée sans le Graveur, qui m’en fit appercevoir. Après que cette planche a été tirée, je me suis apperçu, en considérant de nouveau ce morceau de Ver, que la même irrégularité d’emboetture se trouve répétée quatre travers de doigts plus bas.

Ce Ver est sorti sans tête, quoique dans la précédente édition, le Dessinateur y en ait mis une par accompagnement, en se réglant sur la planche qui est à la page IV. de la Préface, où il y en a une, & où il en faut une effectivement ; au lieu qu’ici il n’en faut point, puisque le Ver dont il s’agit, est sorti sans cette partie.

Les deux endroits de cette planche, qui sont marqués E, F, sont encore très-dignes d’attention.

Quelques Auteurs admettent une autre sorte de Vers plats, qu’ils nomment cucurbitaires, lesquels sont forts courts. J’ai vu un grand nombre de ces prétendus Vers tout vivans, & j’en conserve plusieurs dans des phioles ; mais je puis certifier que ce ne sont que des morceaux du Tænia de la première espéce, comme je le ferai voir plus bas.

Ce Tænia de la premiere espéce a une tête bien formée, & on y remarque quatre ouvertures à l’opposite l’une de l’autre. Feu M. Méry, de l’Académie des Sciences, auquel je montrai celui que j’ai fait graver dans la premiere planche, page V. de la Préface, qui examina avec la loupe, les ouvertures dont il s’agit, que je prenois pour des yeux, fut d’un autre sentiment, & me dit qu’il les trouvoit fort ressemblantes à des naseaux ; mais ce qui me persuade que ce sont des yeux, c’est qu’avant que j’eusse mis l’insecte dans de l’eau-de-vie, ces parties que j’appelle des yeux, étoient connexes en dehors, au lieu que s’étant depuis desséchées, elles se sont enfoncées comme des trous de narines. En cas que ce soient des yeux, il ne faut pas s’étonner qu’il y en ait quatre, puisque l’Araignée vulgaire en a huit, qu’entre les Scorpions, les uns en ont quatre, les autres six, les autres autant que l’Araignée vulgaire, & que les Lithophages[4], qui sont des Vers qui rongent la pierre, desquels nous avons parlé plus haut, en ont jusqu’à dix. D’ailleurs si ce sont des narines, il y a autant de lieu de s’étonner qu’il y en ait quatre, puisqu’il semble que la plûpart des animaux soient autant fixés à deux narines, qu’à deux yeux.

Plusieurs Auteurs ont décrit la tête du Tænia de la premiere espèce, c’est-à-dire, du Tænia qui a des mammelons très-sensibles le long du corps ; car pour la seconde espéce, qui est le Tænia à épine, on n’y a point encore trouvé de tête. Quoi qu’il en soit, la description que divers Auteurs donnent de la tête du premier, se rapporte fort à ce que nous avons vu de nos propres yeux. L’Auteur du Traité de Partium Morbis & Sympt. Lib. VI. Cap. 10.[5] dit avoir vu à un Ver plat de six aulnes de long, rendu par un Soldat, une tête faite en forme de poirreau ou verrue. Cum capite Verrucoso. Il ajoute en avoir vu un autre de plus d’une aulne, lequel avoit à la tête de petites ouvertures en forme d’yeux.

Edouard Tyson, dans sa Dissertation Angloise sur le Ver plat, dit qu’à la tête de ce Ver, on ne voit nulle ouverture, pas même avec le microscope. Mais il ne parle de la sorte, que sur l’examen qu’il a fait des Vers plats des Chiens, où en effet, on ne voit point de tête. Mais pour nous qui avons observé des Vers plats sortis du corps de diverses personnes, & qui en avons avec la tête, tel que celui, par exemple, qui est représenté dans la planche qui se voit à la page IV. de la Préface, nous pouvons assurer qu’il y a à cette tête, quatre ouvertures bien distinctes & bien formées.

Au reste, ce Ver de la premiere planche, ainsi que nous l’avons dit, n’est pas sorti entier, & selon toutes les apparences, il auroit eu encore plusieurs aulnes, si le reste ne s’étoit pas rompu ; car comme la queue de ces sortes de Vers est fort mince & étroite, il est aisé de juger que l’endroit où celui-ci s’est rompu, étant assez large, il falloit qu’il y eût encore une grande étendue de-là jusqu’à la fin, étant vraisemblable que cette fin alloit en étrecissant peu à peu, avec la même proportion que le col. Je conserve ce Ver dans de l’eau-de-vie avec un grand nombre d’autres que j’ai fait sortir depuis. Son corps est tout articulé, ainsi que nous l’avons remarqué, c’est-à-dire, tout articulé d’espace en espace, comme un roseau, si ce n’est que le roseau est rond, & que le Ver est plat ; en sorte qu’on peut comparer les anneaux de ce Ver à ceux d’un roseau qui seroit applati. L’espace contenu depuis un anneau jusqu’à l’autre, est comme un petit ventre un peu enflé sur le milieu de la largeur. A chacun de ces ventres, il y a toujours un des bords auquel on remarque une éminence en forme de mammelon, ayant au bout une ouverture presque imperceptible, qui se discerne en approchant les yeux de près, & qui est le commencement d’un petit vaisseau bleuâtre qui se voit à travers le mammelon en dedans. Ces mammelons sont inégalement rangés, comme nous l’avons déjà observé dans notre premiere édition, y en ayant tantôt trois d’un côté, & deux de l’autre, tantôt un d’un côté, & deux ou trois de l’autre, & presque jamais autant d’un côté que de l’autre, ainsi qu’on le peut voir dans la planche qui est à la page V. de la Préface. Il y a apparence que ces mammelons sont autant de poumons qui reçoivent l’air par les petites ouvertures dont nous venons de parler, lesquelles par conséquent tout autant de trachées. Ce grand nombre de poumons dans un même animal, n’est point une chose extraordinaire, les personnes qui ont quelque connoissance de la structure des Vers, sçavent que plusieurs en ont un nombre considerable, & que souvent tout leur corps, depuis le commencement jusqu’à la fin, est une chaîne de poumons. Il faut voir ce qu’a écrit là-dessus M. Malpighi dans son Traité du Ver à Soye. La peau du Ver dont nous parlons, en fait presque toute la substance ; on peut le comparer en cela à certains arbres ; aux Saules, par exemple, qui, différens des autres arbres, n’ont presque que l’écorce, quoique d’ailleurs très-sains. Cette peau est fort dure, fort lisse, & extrêmement blanche. Elle est outre cela, transparente comme je l’ai déja dit. On voit au travers de cette même peau, bien distinctement, le petit vaisseau bleuâtre dont nous venons de parler, lequel s’étend jusqu’à la moitié de la largeur du corps ; on y apperçoit aussi dans chaque ventre, mais moins facilement, des ramifications faites en forme de peignes, desquelles nous parlerons plus bas.

Je croyois en ouvrant le Ver qui a donné occasion à ce Traité, que j’y découvrirois quelque organe, & pour cela, je priai M. Mery de l’Académie des Sciences, si habile pour les Dissections les plus fines & les plus délicates, de m’en dissequer une partie : nous en coupâmes un morceau que nous examinâmes soigneusement en présence de M. de Fermeluy, alors Docteur de la Faculté de Médecine de Montpellier, & depuis de celle de Paris, homme extrêmement versé dans la Physique & dans l’Anatomie : mais nous ne pûmes rien découvrir, & le secours des meilleurs microscopes nous fut inutile : le petit vaisseau bleuâtre, & les ramifications dont je viens de parler, ne furent pas plus visibles, parce que j’avois mis le Ver depuis plusieurs jours dans de l’eau-de-vie pour le conserver, & que l’eau-de-vie avoit fait disparoître ces parties tendres & délicates. Nous apperçûmes seulement dans toute l’étendue du Ver un amas infini de petits corps globuleux, resemblans à des grains de millet, mais très-ronds. Je ne sçaurois mieux comparer l’amas de ces petits globules, que j’ai regardés depuis avec un nouveau soin par le microscope, qu’à ces amas d’œufs, qui se trouvent dans les carpes. Ils paroissent entassés de la même maniere, tous distingués les uns des autres. Ils sont en si grand nombre dans ce Ver, que si on les touche avec la pointe d’une épingle, ce qui demeure attaché à l’épingle, ne fût-il pas plus gros que le plus petit grain de poussiere, paroît par le microscope un amas incroyable de petites boules. M. de Bellestre, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, & si éclairé dans la Physique, examina avec moi ces globules, & conjectura que c’étoient autant d’œufs. Les personnes qui ont ce Ver, rendent ordinairement dans leurs déjections, de ces petits corps cucurbitaires dont nous venons de parler. Ils sont ainsi nommés, parce qu’ils ressemblent en quelque sorte à des graines de Concombre ou de Cucurbite. Ils ont du mouvement, & M. de la Solaye, Avocat, dont j’ai déja parlé, en rendoit une si grande quantité, qu’il m’en apportoit quelquefois une grande tabatière toute pleine, où je les voyois s’agiter en plusieurs manières. J’ai dit dans ma premiére édition, que ces petites portions cucurbitaires n’étoient autre chose que les œufs du Tænia, lesquels grossissoient après être sortis du ventre du Ver ; mais un nouvel examen m’a fait changer de sentiment, comme je l’ai déjà dit dans l’Edition de 1714. Je suis depuis long-temps convaincu de ce qu’avance Hippocrate, lorsque parlant des prétendus Vers Cucurbitaires dont il s’agit, il dit que ce sont des portions qui se détachent du corps du Tænia ; en effet si l’on examine de quelle maniere ce Ver est construit, & que l’on compare ces petites portions cucurbitaires avec les espaces contenus entre les articulations ou anneaux, on verra qu’elles ne sont que des portions de ce Ver, lesquelles se sont rompues dans les endroits des articulations, à peu près de la même maniere que les pattes des Hannetons se rompent plus aisément dans les endroits des jointures qu’ailleurs. À chacune de ces portions est un petit mammelon, comme à celles du corps du Ver ; elles ont la même figure, la même couleur, la même consistance, la même épaisseur. Mais pour s’en convaincre davantage, il n’y a qu’à tirer assez fortement quelques portions du corps du Ver pour les détacher les unes des autres, & on verra, que ces espaces contenus entre les intersections ou articles, étant ainsi séparés, ne seront en rien différens des petites portions cucurbitaires dont il s’agit. Nous avons dans des phioles d’eau-de-vie, plusieurs de ces petites portions séparées, lesquelles ont été rendues par divers Malades attaqués du Ver dont il s’agit, & nous les avons examinées soigneusement, elles sortent souvent vivantes, & avec un mouvement très-sensible. Mais ce mouvement, quoique très sensible, n’est point tel que le décrit M. Barrés dans une[6] Dissertation imprimée à Paris en 1734. « Il n’y a pas long-temps, dit-il, qu’un de mes Malades de la campagne, rendit par bas, un grand nombre de petits Vers plats, de couleur blanche, de figure, quarrée, mais un peu convexe sur les côtés, & dont la grosseur répondoit au lobe d’une petite fève. Leur mouvement me parut singulier : tantôt ils s’élançoient, & faisoient de petits saults, tantôt ils se rouloient vigoureusement, pour tâcher de se rattraper & de se rejoindre. On en voyoit parmi ceux-ci, qui se tenant accrochés par leurs extrêmités, formoient une petite bande d’un demi-pied de long, où l’on pouvoit compter, par autant d’intersections assez sensibles, quantité de ces animaux, si fortement liés entr’eux, qu’on avoit beaucoup de peine à les séparer. En effet, à mesure que je tâchois moi-même, d’en venir à bout, leur peau s’étendoit & se prêtoit si fort, qu’elle étoit sur le point de se déchirer, & alors des mouvemens si violens, causant indubitablement de grands tourmens à cette traînée de Vers, n’a-t-on pas tout sujet de penser que la douleur démontoit leurs ressorts, & leur faisoit lâcher prise ? C’est aussi dans cet état, qu’on les remarquoit si irrités par des mouvemens violens & irréguliers, qui ne finissoient qu’après que ces animaux avoient repris la place d’où on les avoit arrachés.

» Cet exercice se fit pendant quelque peu de temps que la vigueur de ceux qu’on retenoit dans l’éloignement pour les empêcher de se reprendre, devenant insensiblement foible & languissante, se perdit bientôt avec la vie.

» Je remarquai avec surprise, le bon ordre que ces Vers sembloient garder dans leur arrangement : rien de plus merveilleux que de les voir autour de cette chaîne vermineuse, sans avoir de débat pour gagner leur poste, ceder, pour ainsi dire, tout le droit de se prendre le premier, à celui qui se trouvoit le plus à portée, dans le temps que les autres plus éloignés, attendoient que leur tour fût venu de se ranger de suite. Cependant le temps qui se passa dans cette opération fut de très-courte durée, puisque dans un petit instant le nombre de ceux qui se mirent de la partie, augmenta beaucoup la longueur de la chaîne. »

M. Barrés termine ce discours en disant que l’observation, dont il s’agit, a été faite le 16. d’Avril 1734. à Paulian, petite Ville du Diocèse de Beziers ; après quoi il s’écrie, comme transporté d’admiration : Que peut-on penser sur cette espéce de déférence qui regnoit parmi ces petits animaux ?

Nous ne ferons aucune réflexion sur cette prétendue histoire, racontée par M. Barrés, Docteur en Médecine de la Faculté de Montpellier ; c’est une puérilité qui ne mérite pas la moindre réfutation.

Quoi qu’il en soit, nous ne sçaurions mieux comparer le mouvement que nous avons vu faire aux petites portions cucurbitaires dont nous avons parlé, qu’à celui du col des Limaçons, lequel s’allonge, se racourcit, & se replie.

Ces petites portions sont représentées d’après nature, dans la planche suivante, & pour les faire dessiner bien exactement, nous avons profité de l’occasion que voici.

M. de la Solaye, dont il a été déja tant parlé, & que je traitois malade, rendoit par trentaines, de ces petits corps cucurbitaires, qu’il enfermoit quelquefois dans une petite boete. Le 30. Octobre 1700. il m’en apporta un grand nombre qu’il venoit de rendre, & qui étoient toutes vivantes. Je les portai sur le champ chez M. l’Evêque, Dessinateur & Graveur, rue S. Severin, lequel les dessina aussi-tôt en ma présence, & exprima au naturel les divers mouvemens qu’il leur vit faire ; après quoi il les grava, comme on les voit dans la planche suivante.


Le mouvement de semblables portions cucurbitaires, & plusieurs circonstances qui les regardent, sont très-bien exposés dans une Lettre qui m’a été écrite de Bayonne le 11. Juillet 1731. par M. Destandau, premier Médecin de la Reine premiere Douairiere d’Espagne.

Il s’agit ici de faits, qui, par rapport à ce qui concerne le Tænia, ne sçauroient être trop constatés. C’est pourquoi je rapporterai la Lettre même de ce sçavant Médecin.

« Un des principaux Officiers de cette Cour, me mande-t-il, jeune homme de trente-cinq à trente-six ans, d’un temperament pituiteux & sanguin, d’une complexion robuste, & adonné à toutes sortes d’exercices violens, se plaignit à moi, il y a plus d’un an ; 1o. qu’il sentoit de fréquens maux de tête, accompagnés de quelques affadissemens & foiblesses d’estomac, ou maux de cœur, sur-tout quand il restoit quelque temps sans manger.

» 2o. Qu’il rendoit par bas, certains pelottons blancs qui lui étoient inconnus. Je remarquai qu’il avoit beaucoup perdu de son embonpoint ordinaire, & de ses couleurs ; mais avant que de me déterminer à lui faire aucun remede, je voulus sçavoir au juste, ce que c’étoit que ces pelottons blancs ; il m’en fit voir trois ou quatre, que je reconnus être des Vers plats ou cucurbitaires. Instruit par votre Livre, & par ma propre expérience, je ne balançai pas à l’assurer qu’il avoit dans le corps le Ver Solitaire. Alors, sans perdre de temps, je mis le Malade dans l’usage des remedes propres à chasser ce Ver, & me servis pour cela, de purgatifs, de vomitifs, & de contrevers, dont j’avois vu déjà de bons effets en cas pareil, ayant fait rendre jusqu’ici quatre Vers de cette espéce.

» Il y a huit à neuf mois que le Malade rendit environ deux aulnes & demi de Ver plat, large de trois lignes, & épais de plus d’une demi-ligne. Ce Ver avoit des nœuds (à intervalles presque égaux) d’environ trois lignes, il me parut tout semblable à celui qui est gravé dans la premiere planche de votre Livre. Le Malade se trouva à merveille après avoir rendu cette portion de Ver, & fut près de six mois sans jetter aucun Ver Cucurbitaire. Il reprit ses couleurs & son embonpoint. Mais après quelques mois de calme, il s’apperçut qu’il recommençoit à rendre des Vers Cucurbitaires, & il me vint dire que son Ver travailloit, (c’étoit son expression) en effet ils commencerent à sortir en si grande abondance, qu’il en étoit incommodé, ces petits Vers Cucurbitaires avoient un mouvement sensible d’abord après être sortis. Ils se retrécissoient, ils se replioient en arc, & sembloient vouloir marcher. Bientôt après ils s’allongeoient, & demeuroient immobiles. Je fis d’abord recommencer les remedes au Malade, & après lui avoir fait user de quelques purgatifs, je le mis dans l’usage de la poudre de fougere, mêlée avec une préparation de mercure. Le secours que j’en tirai, fut qu’insensiblement le Malade ne rendit plus de Vers Cucurbitaires. Enfin, au commencement du Printemps, après lui avoir donné une bonne prise de tartre émetique, je le mis dans l’usage d’une tisanne purgative & vermifuge, dont je lui fis prendre deux verres par jour pendant 40. jours. Il rendit quelques légeres portions de Vers pendant l’usage de cette tisanne. Son Ver ne travailla plus, & le Malade recouvra son embonpoint & sa bonne mine. Je lui conseillai alors d’aller prendre des Eaux Minerales qui sont à trois lieues d’ici, & qui purgent assez bien ; je lui en fis continuer l’usage pendant un mois, & par le secours de ces Eaux, il a rendu à trois ou quatre reprises, environ douze aulnes de Ver, comme le précédent, avec cette différence, que les deux derniers morceaux qu’il a rendus, dont l’un est de trois aulnes & demie, & l’autre de deux aulnes, ont diminué de la moitié de la largeur ; en sorte que le bout du dernier morceau, est, à peu près, comme la fin de la pénultiéme branche de votre même planche.

» Au reste, toutes les fois que le Malade a rendu de ce Ver, il s’est apperçu d’un mouvement sensible dans la portion rompue ou coupée ; ce mouvement duroit tantôt plus, tantôt moins, & pendant que le Ver étoit encore entier, & qu’on tâchoit de le tirer doucement, on sentoit l’effort qu’il faisoit pour rentrer. La portion qui étoit en dehors racourcissoit beaucoup. Un jour qu’il y en avoit environ six aulnes dehors, & que cette longueur tenoit encore à ce qui étoit resté en dedans, le Malade fit faire un nœud coulant à ce qu’il y avoit de sorti. Il vit alors avec étonnement, que le Ver, à force de se travailler, défit le nœud.

» Depuis que le Malade a fini ses Eaux, il ne rend plus de Vers plats, il a repris son appetit & sa couleur naturelle. Il ne reste plus ni foiblesses, ni maux de cœur, lors même qu’il reste long-temps sans prendre d’alimens. Enfin il se trouve aussi leger, & aussi propre à toutes sortes d’exercices, qu’à l’âge de vingt-cinq ans. »

M. Destandau, après ce récit, qui n’est pas moins utile que curieux, par rapport à la Médecine, ajoute, avec grande raison, que le Ver dont il s’agit, a véritablement vie, quoiqu’en dise M. Lancisi. Je passe en faveur de la brieveté, mais avec regret, le reste de la Lettre de ce sçavant Médecin, pour venir à ce que m’ont écrit, sur un sujet semblable, deux autres témoins, dont l’autorité est ici d’autant plus grande, qu’ils sont eux-mêmes les Malades dont ils me parlent. Le premier est M. de Longchamp, homme de distinction, & Officier du Roy à Orbec.

« Vous prétendez, me dit-il, dans sa Lettre, (qui est du 7. Janvier mil sept cent trente-quatre) que les petits Vers plats que je rends depuis cinq ans, & sur lesquels je vous ai demandé votre avis, ne sont que des portions du Ver Solitaire, & que M. ***, Médecin de cette Ville s’est trompé de vouloir que ces portions fussent autant de Vers particuliers, quoiqu’il convienne cependant que les trois bouts articulés, & de huit à dix pouces de longueur, que les remedes m’ont fait rendre, soient effectivement des portions d’un grand Ver nommé Tænia. Ce Médecin m’engagea il y a quelques jours, de faire venir M. Dubois, Médecin de Lizieux, qui se trouvoit alors dans cette Ville : ce dernier examina, par le secours des loupes de verre, & des microscopes que j’ai, un de ces Vers, sur le papier, dans l’eau, & sur sa main, dont la chaleur le ranimoit, & alors il décida hardiment que cette prétendue portion (la voilà ici dessinée) étoit un Ver entier, que le bout qui paroît comme quarré, étoit la tête de ce Ver, & que l’autre bout qui paroît arrondi, en étoit la queue.

» Mes Vers Cucurbitaires sont très-plats, très-blancs, & d’une chair satinée, qui paroît huileuse quand ils sortent de mon corps ; c’est ce que j’ai trouvé après les avoir examinés mieux que jamais, avec ces Médecins, par le moyen de mes loupes & de mes microscopes.

J’ai reconnu par ce nouvel examen, qu’au bout marqué I. il y a quatre petites élevations rondes, & perlées avec quatre autres semblables par-dessous ; qu’entre ces deux rangs il regne un creux de 3. en 4. qui n’a de profondeur, que ce que lui en laissent les huit élevations qui le bordent.

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Ce bout n’est pas si épais, à beaucoup près. Je n’y ai rien vu de plus. M. Dubois, Médecin de Lizieux, veut donc que ce soit là la tête, & que de 1. à 2. ce soit un Ver entier. Il y a vu, à ce qu’il dit, deux yeux & deux cornes, & est même en doute, à l’égard des cornes, s’il n’y en a pas 4. Il a vu de plus, & nommé anatomiquement une trentaine de parties de ce Ver, tandis que pour moi, je n’y entendois & n’y voyois rien, si ce n’est un petit boyau noirâtre, comme en 5. Il conclud que c’est un Ver entier, organisé de toutes les parties qui lui sont propres & nécessaires, qu’il multiplie en moi, & qu’il n’a aucun rapport avec le Ver Solitaire. »

M. de Longchamp passe de ce récit, à ce qui concerne le mouvement de ces petits corps cucurbitaires, ce qu’il en dit étant comparé ; 1o. avec ce que j’ai marqué dans la planche qu’on vient de voir à la page 224. 2o. avec ce qui est dit sur le même sujet, dans la Lettre de M. Destandau, copiée ci-devant ; 3o. avec une autre Lettre que nous rapporterons de M. Pitois, Médecin de Beaune, peut beaucoup servir à éclaircir cette matiere. Voici donc comme M. de Longchamp s’explique sur les mouvemens qu’il a remarqués dans les petites portions cucurbitaires qu’il a rendues. Il n’y a pas un mot à perdre de ce qu’il dit sur cet article : « Quoique je défére tout-à-fait, me dit-il, à ce que vous pensez, je suis tellement dans l’usage de dire mes Vers, & non pas les bouts de mon Ver Solitaire ; que vous me passerez volontiers de suivre encore mon ancienne habitude à cet égard. Je vous dirai donc que dès que mes petits Vers sont sortis, le bout 2. s’éleve & remue de tout sens, comme cherchant un séjour qui lui soit propre, tel qu’étoit celui qu’il vient de quitter. Il s’allonge en s’étrécissant, ou se gonfle en s’élargissant ; & alors la matière qu’il a dans le corps, se rassemble dans son milieu, & paroît plus épaisse que quand il est allongé. Qu’on mette ce Ver dans l’eau, il prend une figure ovale, qui fait croire à M. ** Medecin de cette Ville, qu’il est de l’espece faite en forme de graine de courge. Après qu’il a été quelque temps dans l’eau, il s’y allonge ; mais il n’y est jamais si long ni si large, que lorsque je viens de le rendre. En cet état, ses bords sont ridés ; & ces rides ont été autant de parties fort curieuses pour mes Médecins, qui étoient charmés de les avoir découvertes ; tandis que de mon côté, j’avois la simplicité de croire qu’elles n’étoient que l’effet du raccourcissement de ce Ver. M. Dubois l’ayant mis sur sa main, il y reprit vigueur ; mais languissant, & après être revenu plusieurs fois à sa figure naturelle, il se gonfla successivement à ses extrémités. Je crus que ce n’étoit que des convulsions, & qu’il combattoit, pour ainsi dire, contre la mort ; mais ces mouvemens firent voir à ces Messieurs des cornes, des yeux, & une trompe, dont je ne vis pas la moindre apparence. »

M. De Longchamp par ces dernieres paroles fait assez entendre ce qu’il faut penser de ces cornes, de ces yeux, & de cette trompe, qui ne sont en effet rien de réel ; les portions cucurbitaires dont il s’agit, n’ont ni cornes, ni yeux, ni trompe ; mais voici, ainsi que nous avons déja remarqué dans les précédentes éditions, ce qui peut donner lieu là-dessus à la méprise.

Le corps du Tænia est tout articulé d’espace en espace. Chaque espace dans le Tænia de la premiere espéce, c’est-à-dire, dans celui sans épine, ressemble en quelque sorte par sa figure ovale, platte, un peu convexe en son milieu à la graine du fruit nommé Cucurbite, ou Courge.

Ces espaces, quand on les tire avec les doigts pour les déboetter, car ils sont tous emboettés les uns dans les autres par leurs extrémités, ne différent en rien des portions cucurbitaires dont il s’agit, lesquelles ne sont en effet que des détachés du Ver Solitaire ou Tænia, qui se rompt par endroits dans les corps où il habite.

Or voici ce qui se remarque quand on les sépare les uns des autres en les tirant avec les deux doigts : on voit dans la portion où l’autre est emboettée, un petit enfoncement au milieu de l’extrémité qui servoit d’emboetture. Cet enfoncement comme on le reconnoît en l’examinant, n’est qu’une petite fosse, que la portion détachée laisse dans l’endroit où elle tenoit ; à peu près comme la tige d’un œillet, lorsqu’on la casse dans les nœuds où elle est emboettée, laisse voir dans ces nœuds, une petite cavité, qui est le lieu de l’emboetture. Il arrive aussi quelquefois, comme nous l’avons encore remarqué dans les précédentes éditions, que cette extrémité emboettée étant dégagée de celle qui la recevoit, paroît avoir comme deux cornes vers les côtés, ce qui vient d’une déchirure qui se fait presque toujours en cette occasion. Voilà sans doute ce qui a imposé à ces Messieurs dont parle M. de Longchamp. Mais revenons au mouvement de ces portions cucurbitaires.

» J’ai examiné, continue tout de suite M. de Longchamp, un de ces Vers à la lueur d’une chandelle, & j’ai remarqué qu’en l’approchant de la lumiere, la chaleur le faisoit allonger de tout ce qu’il pouvoit. Sa peau au reste m’a paru alors très-unie & très-satinée dessus & dessous, comme à ses deux bords. Plus je le chauffois, plus il remuoit, & toujours du bout marqué chiffre 2. jusqu’à l’endroit marqué chiffre 5. Enfin je le mis si près de la lumiere, que la grande chaleur fit faire un mouvement au bout 1. que je n’avois jusques là, jamais vû remuer. L’autre bout s’y inclina, & la mort s’en suivit. Cette figure est celle que la trop grande chaleur lui fit prendre. »

Telles sont les Observations de M. de Longchamp sur le mouvement des portions cucurbitaires qu’il a rendues, Observations véritablement curieuses, & qui doivent être regardées comme un excellent supplément à la planche que j’ai mise page 224. Peut-on douter après cela, que les portions Cucurbitaires que rendent ceux qui ont le Tænia de la premiere espéce, ne soient des portions qui se détachent vivantes du corps du Ver ?

M. Pitois, sçavant Médecin de Beaune en Bourgogne, lequel étoit attaqué du Ver Solitaire, & qui rendoit de ces portions faites en forme de graines de citrouille, ou de cucurbite, m’écrivit là-dessus le 15. Mars 1736. d’une maniere toute conforme à ce que je viens de rapporter : voici sa lettre.


Monsieur,

» Je lisois, il y a environ deux ans, votre Traité de la Génération des Vers dans le corps de l’Homme. Je ne m’imaginois pas alors, être Hôte de la plus fâcheuse espéce de ces Insectes ; mais peu après je m’apperçus, que je rendois quelquefois de ces petits corps blancs en forme de graines de concombre, lesquels sembloient se mouvoir ; j’examinai ces corps avec soin, & je reconnus bientôt, que c’étoient des portions du Tænia ; je fis provision de racine de fougere femelle & de murier ; j’ai usé de ces remedes à différentes fois, de la maniere dont vous le prescrivez, & toujours avec succès ; c’est-à-dire, que toutes les fois que je me suis servi de ces racines, il est sorti une plus grande quantité de portions du Solitaire ; mais je n’ai point été aussi heureux que beaucoup d’autres personnes que j’ai traitées, selon votre méthode, & qui ont été délivrées totalement de ce monstrueux animal. La tête, & sans doute, une bonne partie du corps de celui que je loge, est restée opiniâtrément dans moi. L’eau de fougere dont vous vous êtes réservé la recette, acheveroit indubitablement la cure que j’ai commencée sous vos auspices. Ainsi j’espére que vous voudrez bien m’envoyer la quantité de cette eau que vous jugerez convenable, & y joindre un mémoire de la maniere de s’en servir. Voilà appliquées sur un morceau de verre, trois portions de Tænia que j’ai rendues après avoir pris un bol purgatif où j’avois mis le Mercure doux ; les ramifications des vaisseaux m’ont paru singulieres. Je suis,

MONSIEUR,
Votre, &c. »
À Beaune en Bourgogne, le 5. Mars 1736.


Telle est la lettre que M. Pitois m’écrivit du 15. Mars 1736. par laquelle il me prioit de lui envoyer de l’eau de fougere : je ne manquai point de lui en faire tenir, & voici sa réponse sur ce sujet.


À Beaune le 16. Juillet 1736.

Monsieur,

« J’ai commencé à prendre l’eau de fougere le 2. de ce mois. J’ai continué jusqu’à la fin de l’eau, & j’ai rendu par son action, cent quarante-huit portions du Tænia toutes mortes. Il y en avoit plusieurs de séparées. J’en ai aussi trouvé des morceaux de 25. à 30. articulations réunies ; j’ai remarqué bien distinctement sur quelques-unes, les rosettes & les mammelons figurés dans la planche que vous avez bien voulu m’envoyer. J’ai observé sur-tout, que toutes les parties étoient plus épaisses, plus charnues, plus larges, que celles que je rendois avant que d’avoir pris l’eau de fougere. Quoi qu’il en soit, la partie principale, j’entends la tête de cet animal, est restée dans mon corps ; pensez-vous qu’il soit à propos pour le détruire absolument que je prenne encore de l’eau de fougère ? Je suis, &c. »

Pitois

Les ramifications de vaisseaux & les rosettes dont parle M. Pitois dans ses deux lettres, sont choses qu’on ne sçauroit bien comprendre sans avoir auparavant consulté la planche que je lui envoyai, & qui est ci-après.

Ces ramifications & ces rosettes sont amplement décrites dans cette planche ; je m’abstiens d’en parler jusqu’à ce que nous soyions arrivés à l’Article où je la rapporte.

Le Solitaire se nourrit vers le pylore, c’est-à-dire, vers l’issue de l’estomac ; c’est-là qu’il tient sa tête : d’où il est facile de juger qu’il consume aisément la meilleure partie du chyle, parce qu’il prend cette liqueur avant qu’elle soit parvenue aux veines lactées.

Il trouve là un chyle qui n’est point encore mélangé de bile ; ce qui peut bien être la cause du séjour qu’il y fait : car plus bas la bile du foie se déchargeant dans le duodénum, qui est le premier des intestins, & se mêlant avec le chyle, donne à ce suc une amertume qui le rend moins propre à nourrir le Ver ; ce qui s’accorde avec le sentiment de quelques Modernes, & entre autres d’Hartman[7], qui dit que l’obstruction du foie est ce qui entretient les Vers plats. En effet on peut dire en général, que le fiel est contraire à tous les Vers ; & si quelques-uns de ces Insectes montent quelquefois des intestins dans l’estomac, cela n’arrive, comme le remarque Fabricius[8], qu’à ceux dans lesquels il y a obstruction au conduit de la bile.

Il est vrai qu’on a trouvé quelquefois des Vers dans la vessie du fiel ; mais il faut remarquer que c’étoit à des personnes mortes d’hydropisie, dans lesquelles cette vessie étoit plûtôt remplie de pituite que de fiel, ainsi que l’observe le même Auteur.

La plûpart des Insectes craignent le fiel. C’est ce qu’on peut reconnoître par plusieurs expériences, & entre autres en mettant des Sangsues dans une écuelle pleine d’eau, dont le dessus des bords soit frotté de fiel, car il n’en sortira pas une. Je ne prétends pas cependant conclurre absolument de-là, qu’à cet égard le plus grand nombre des Insectes soient comme les Sangsues. Nous avons dit plus haut, que quelquefois il y avoit des Vers dans le foie, jusques même dans la vessie de ce viscére ; & pour expliquer comment la chose pouvoit se faire, nous avons supposé que c’est qu’alors la bile étoit dégénérée, & n’avoit plus d’amertume ; mais nous ne donnons pas cette explication comme certaine. Il s’engendre des Vers sur l’absynthe comme sur les plantes les plus douces ; ainsi il pourroit bien s’en engendrer dans la bile, sans que pour cela elle eût dégénéré. On a vu des Perce-oreilles entrer dans l’oreille, y faire leur demeure, & y produire d’autres Perce-oreilles, sans qu’il y eût lieu de croire que l’oreille fût dépourvue de ce suc amer dont elle est naturellement enduite. Nous traiterons cet article dans le Chapitre des remedes contre les Vers, en parlant des remedes contre les Vers Auriculaires. Revenons au Tænia.

Quoique ce Ver ait son col & sa tête vers le pylore, il ne sort néanmoins presque jamais par la bouche. La raison en est que le reste du corps du Tænia est trop large & trop long pour pouvoir remonter par le pylore de l’estomac.

Ce que je viens de dire sur la maniere dont ce Ver consume le chyle, doit faire voir qu’il n’y a rien d’étonnant dans ce que nous avons avancé plus haut, que cet Insecte, ainsi que l’assure Spigelius[9], est ordinairement seul de son espéce, dans le corps où il habite.

Au reste ce ne sont point les Modernes qui ont observé les premiers, que ce Ver étoit ordinairement seul de son espéce dans les corps où il se trouvoit ; Hippocrate l’a reconnu ; & c’est un fait dont il doutoit si peu, que loin de le mettre en question, il le suppose comme indubitable ; car voulant prouver que ces portions cucurbitaires ne sont pas les œufs de ce Ver, il dit qu’il ne seroit pas possible que d’un seul animal, il pût sortir un si grand nombre de productions ; ce qu’il n’auroit pas dit sans doute, s’il eût pensé qu’il y eût eu plusieurs Vers de cette sorte dans un même corps.

Quelques Modernes, comme nous l’avons déjà insinué, croient que le Tænia n’est qu’un amas de petits Animaux à part, qui se tiennent quelquefois les uns aux autres comme les chaînons d’une chaîne. Fernel[10], Perdulcis[11], & plusieurs autres se le sont imaginé ; mais un peu d’examen suffit pour faire voir la vérité de ce que nous avons déja remarqué : sçavoir, que ce ne sont que des portions du Solitaire, lesquelles en se rompant se détachent du corps du Ver ; car le Tænia est si long, qu’il n’est pas possible qu’il ne se casse de temps en temps, sur-tout étant articulé comme il l’est. Car ces articles, ainsi que nous l’avons déja dit, se rompent avec la même facilité que ceux qui sont aux pattes des Hannetons.

Spigelius[12] & Sennert[13], reconnoissent que le Solium ou Solitaire, est un Animal unique, & non une chaîne de Vers. Quelques-uns, dit Sennert, s’imaginent que les interstices de ce Ver plat, sont autant de Vers, mais tous ces interstices ensemble ne composent qu’un seul Ver, lequel a plusieurs nœuds ou articles.

Benivenius dit avoir vu un de ces Vers plats, & il ajoute que c’étoit autant de Vers liés & unis ensemble ; mais Sennert se moque de ce sentiment, & soutient que ce Ver étoit unique & ne faisoit qu’un seul corps. Le même Sennert reprend Gabucinus de la même erreur : « Comme Gabucinus, dit-il, a vu que le mouvement de ce Ver étoit plus sensible dans les entrenœuds qu’ailleurs, il a cru que ce n’étoit pas un seul Ver qui remuait, mais que ce mouvement étoit celui de plusieurs Vers cucurbitaires joints ensemble. Cependant ces entrenœuds ne sont point des Vers particuliers, mais autant de portions d’un même Ver plat. » C’est ainsi que s’explique Sennert : nous ajouterons à cela que puisqu’il n’y a ici qu’une tête & un col, il faut nécessairement convenir que ce n’est qu’un même Animal. M. Valisnieri dans son Traité intitulé : Considerazioni el Espérienze, &c. prétend que le Tænia n’est point un seul Ver ; que c’est un amas de plusieurs Cucurbitaires qui se tiennent les uns aux autres, à peu près, dit-il, comme on voit que se tiennent les Singes quand ils passent une rivière. On peut là-dessus demander à M. Valisnieri, comment ces Vers Cucurbitaires sçavent se ranger ainsi avec tant d’ordre dans le Tænia. Car le col du Tænia, ou Solitaire, est très-mince & étroit, & va toujours en s’élargissant à mesure qu’il s’éloigne de la tête. Il faut donc supposer que ces prétendus Vers conviennent ensemble que les plus petits se mettront les premiers, puis ceux qui sont un peu plus grands & les autres successivement par étage. Si c’étoient plusieurs Vers unis, on n’y verrait pas une si grande proportion ; car ce Ver va en élargissant depuis la tête, avec une telle justesse, qu’il n’est pas possible de rien trouver de plus juste, & deux lignes qu’on auroit tirées avec la regle, ne pourroient pas être plus régulieres.

Si les portions du Tænia ou Solitaire, étoient autant d’Animaux attachés ensemble, il arriveroit, quand ces prétendus Animaux seroient morts, une chose qui n’arrive point. C’est qu’ils se déboetteroient les uns d’avec les autres, & cependant ils tiennent alors si fort ensemble, que lors même qu’on les tire, ils se rompent plutôt que de se détacher ; c’est ce que j’ai éprouvé plusieurs fois.

Le Tænia dont nous parlons, peut être, ainsi que nous l’avons déjà dit, comparé à la plante nommée Equisetum, ou queue de Cheval, laquelle est toute remplie de nœuds : on peut encore mieux la comparer au figuier d’Inde, qui est tout composé de portions ovales, plattes & ventrues, situées les unes sur les autres, & qui se tiennent bout à bout, comme on les voit représentées dans la figure ci-jointe.

Qui diroit que ces parties du figuier d’Inde, ainsi posées les unes sur les autres, sont autant de plantes à part, se tromperoit sans doute. Celui qui croit que les portions qui composent le Tænia, sont autant d’Animaux à part, est dans une erreur semblable. Enfin dire que les portions du Tænia contenues entre les nœuds ou articles de ce Ver, sont autant d’Animaux, c’est dire que les espaces contenus entre les nœuds d’un roseau, sont autant de roseaux, & ne composent pas ensemble un roseau unique. Mais voici un fait qui termine la question : c’est que dans le Ver Solitaire, il y a un vaisseau de communication qui s’étend tout le long du corps de ce Ver, sans être interrompu par les nœuds ou jointures dont le Ver paroît entrecoupé. Ce vaisseau consiste en un conduit uniforme très-délié & transparent, qui, par le moyen de la louppe paroît du diamètre d’une petite soie de Cochon. Il renferme une liqueur très-claire, semblable à celle qui se voit dans les vaisseaux sanguins des Limaces, des Limaçons & des Vers de terre. Quand on injecte dans ce vaisseau, par le moyen d’un tuyau extrêmement fin, une matiere coulante, on la voit enfiler en ligne droite, ce même conduit ou vaisseau, & l’enfiler tout le long du Ver, précisément entre les deux bords sous la membrane externe, sans être arrêtée par les nœuds ou jointures dont nous venons de parler.

Après une telle découverte, on ne doit plus douter que le Tænia ou Solitaire, ne soit un seul Ver, & non un amas de plusieurs Vers joints ensemble ; c’est au sçavant M. Winslow qu’est due cette découverte, ainsi qu’on le va voir par la lettre suivante qu’il m’a écrite sur ce sujet, en réponse à une autre qu’il avoit reçue de moi.


Monsieur,

« Le vaisseau de communication que j’ai découvert dans les Vers Solitaires que vous me donnâtes l’année derniere, & que je vis tout vivans chez vous, consiste, ainsi que je l’ai rapporté à l’Académie des Sciences, en un conduit uniforme très-délié & transparent, lequel, par le moyen de ma loupe, me parut du diamétre d’une petite soie de Cochon. Il contenoit une liqueur très-claire, pareille à celle que j’ai vue autrefois dans les vaisseaux sanguins des Limaçons, des Limaces, & même des Vers de terre. J’ai injecté dans ce vaisseau, par le moyen d’un tuyau extrêmement fin, & semblable à peu près, à ceux dont on se sert depuis quelque temps pour faire des injections médicamenteuses dans les points lacrymaux, une matiere très-coulante, dont je ferai part dans quelque temps à l’Académie des Sciences, & en poussant cette matière, je l’ai vue enfiler ce même conduit ou vaisseau, en ligne droite, tout le long du Ver, précisément entre les deux bords, sous la membrane externe, sans être arrêtée par les nœuds ou jointures, dont ce Ver paroît entrecoupé. Comme l’Académie, lorsque je lui rapportai le fait, me recommanda de suivre cette expérience, & qu’elle vient encore tout récemment de me le recommander, j’avois dessein de vous prier, comme il vous arrive souvent de faire sortir de ces Vers tout vivans, de vouloir bien m’avertir quand il vous en viendroit quelques-uns, afin que je puisse satisfaire à l’engagement que j’ai pris là-dessus avec l’Académie. Mais comme il faut un beau soleil pour faire l’expérience dont il s’agit, j’attendrai jusqu’au Printemps, où j’espere que vous voudrez bien m’accorder la grace que vous m’avez déja faite. Je suis, &c. »

MONSIEUR,
Votre, &c.
WINSLOW.
À Paris, ce 20. Décembre 1730.


Que répondront à ce témoignage de M. Winslow, ceux qui veulent que le Ver Solitaire soit, non un seul Ver, mais une chaîne de Vers, qui se tiennent attachés les uns aux autres ?

Lusitanus[14] rapporte l’histoire d’une Dame qui rendit un Ver assez semblable au Solitaire dont il s’agit : « Une Dame, dit-il, qui d’ailleurs se portoit bien, se sentit attaquée d’une petite toux, & peu après, rendit par la bouche un Ver tout vivant, mais si extraordinaire, poursuit-il, que je n’en avois jamais vu un pareil ; il étoit long de quatre coudées, large de la moitié de l’ongle, fort blanc, semblable à la substance des intestins, & ayant je ne sçai quoi, qui sembloit tenir de la dépouille d’une Couleuvre. Il avoit une tête en forme de poireau, & depuis cette tête, un corp tout plat, qui alloit en étrecissant vers la queue. Ce Ver, ajoute-t-il, n’étoit qu’un seul corps, ayant plusieurs articles, ce qui étoit compris entre ces articles, ressembloit à des graines de cucurbite. Ces portions en forme de graine de cucurbite, ne renfermoient rien au dedans, parce que le Ver est extrêmement plat. »

La peinture que fait ici Lusitanus, réprésente assez bien notre Ver, si dans lequel, à la réserve de ces petits corps en forme de globules, dont nous avons parlé plus haut, nous n’avons pu rien découvrir non plus. Celui-ci dont parle Amatus Lusitanus, sortit par la bouche, ce qui arrive rarement, car le Tænia sort presque toujours par bas.

Amatus Lusitanus ajoute que selon Hippocrate, le Ver dont il s’agit, ne sçauroit produire ces prétendus Vers Cucurbitaires, que quelques Médecins du temps de ce grand homme, assuroient être les productions du Ver plat. Hippocrate, continue-t-il, appuie son sentiment sur plusieurs raisons, dont deux principalement paroissent évidentes. La premiere, est que le Tænia se rompt par endroits, & que les portions qui s’en détachent, sont semblables à des graines de cucurbite ; ensorte qu’en comparant les unes avec les autres, on n’y apperçoit aucune différence : la seconde, que la capacité du corps de ce Ver est trop petite pour pouvoir contenir un si grand nombre de portions cucurbitaires. Voilà ce que dit Lusitanus, & qui est très-conforme à ce que les yeux découvrent. Rondelet[15] fait mention d’un Ver semblable, que la Femme d’un Soldat rendit étant au Camp de Perpignant, & qu’il fit sécher pour le conserver. Thaddæus Dunus écrit, qu’une jeune Femme ayant été malade[16] trois ans d’un Ver plat, lui en envoya un morceau qu’elle avoit rendu, lequel étoit de plus de cinq aulnes de long ; que cela lui fit d’autant plus de plaisir, qu’il n’avoit encore jamais vu de ces sortes de Vers. Il ajoute qu’en 1571. cette Femme mourut, & rendit quelques jours auparavant, un autre morceau de Ver qui avoit plus de 20. aulnes, qu’on le lui montra après l’avoir fait sécher dans un four, pour le conserver.

Gesner dit en avoir lui-même rendu deux qui avoient treize coudées de long[17]. Quinzius rapporte dans ses Observations, qu’ayant purgé un Gouteux par précaution, pour prévenir les douleurs de la Goute, il lui fit rendre un Ver plat, à la vue duquel il ne put s’empêcher d’admirer l’ignorance de certaine Médecins modernes, qui osent accuser Pline[18] de mensonge, pour avoir écrit qu’il s’étoit trouvé des Vers plats de trente pieds de long & davantage. M. Hartsoeker, comme je l’ai déja dit dans le Chapitre second, m’a mandé en avoir vu un à Amsterdam, qui avoit plus de 45. aulnes de France, ce qui justifie bien Pline. Il y a quelques années qu’à l’Hôtel de Soubize j’en fis sortir du corps d’un Gentilhomme nommé M. Coqueret, plus de vingt aulnes en trois ou quatre morceaux ; c’est de quoi toute la Maison fut témoin, & Monsieur le Prince de Soubize lui-même se fit un plaisir d’en garder un morceau pour le montrer. Il y a quelques années aussi que chez Monsieur l’Abbé Bignon, je délivrai d’un Ver Solitaire qui avoit plus de huit aulnes, M. le Marquis de Montendre, alors nouvellement arrivé des Indes. Ce Ver sortit avec la tête, & cette tête, qu’on laissa perdre, étoit comme celle que j’ai fait graver dans la première planche, pages IV. & V. de la Préface.

Je serois à charge aux Lecteurs si je voulois rapporter tous les exemples de cette nature dont j’ai été témoin. L’histoire d’un riche Marchand de Melun, nommé M. Benard, qui vint ici à Paris pour se faire délivrer d’un semblable Ver dont on le soupçonnoit malade, & à qui j’en fis rendre plus de 35. aulnes en quatre ou cinq morceaux, feroit ici un long article, par les circonstances singulieres dont cette maladie étoit accompagnée ; mais je supprime ce récit.

Quelques Auteurs en décrivant le Ver dont nous parlons, disent qu’il est Squameux, Squamosus, non qu’effectivement, il ait des écailles, mais c’est qu’il est tout articulé ; car ces articles sont disposés comme des espéces d’écailles. Aussi Thaddæus Danus, en parlant de cette sorte de Ver, dit qu’il est Squameux, ou plûtôt tout articulé[19]. Mercurial prétend que le Tænia n’est point un Ver, mais seulement une apparence de Ver[20]. Il est facile de voir combien cet Auteur se trompe, puisque le Ver dont parle Lusitanus, & le nôtre, ont une tête, qu’ils sont sortis vivans, que nous en avons vu plusieurs autres aussi vivans, & faire des mouvemens très-sensibles ; & ce que divers Auteurs attestent aussi avoir remarqué dans des Vers de cette même espéce, qu’ils assurent avoir vus.

Gabucinus fait mention d’un Tænia, ou Solitaire, qui vêcut un jour dans un chaudron plein d’eau[21], & Spigelius[22] rapporte qu’en 1608. au mois d’Août, une Dame Allemande ayant mangé à souper d’une Salade de Laitue, fut saisie d’un frisson violent, suivi de fièvre, & d’une grande colique : Que comme la Malade se pressoit le ventre avec les mains, à cause de la force du mal, il lui survint un cours de ventre, qui, avec quantité d’eau & de bile, entraîna un morceau de Ver plat, long de cinq coudées : Que cette Malade avoit auprès d’elle une Sœur, qui craignant que ce ne fût une portion des intestins, au lieu de tirer le Ver tout-à-fait, essaya de le faire rentrer, & à force de le violenter, le rompit ; Qu’on jetta sur le carreau ce qui s’étoit détaché ; qu’aussi-tôt ce morceau de Ver se tourna en plusieurs figures spirales ; qu’ensuite on le jetta dans de l’eau, où il se mit en cercle, & ne remua plus. Mouvemens qu’il n’auroit pu faire sans doute, s’il n’eût été animé.

On pourroit croire que Mercurial ne prétend parler que de quelque membrane, quand il dit que le Ver plat n’est pas un animal ; mais il se sert d’une autorité d’Hippocrate, par laquelle on voit évidemment qu’il parle du Ver, dont le même Hippocrate fait mention au quatrième Livre des Maladies, qui est celui que je nomme Solitaire, lequel est véritablement animé.

Ce prétendu Ver, écrit Mercurial, n’est point animé, mais quelque chose qui semble l’être, & comme l’a dit Hippocrate, poursuit-il, une matiere formée dans les intestins, laquelle représente en quelque façon la figure d’un animal.

Cet Auteur fait voir par ces paroles, bien peu d’exactitude dans sa citation ; Hippocrate ne dit point que c’est une matiere qui ressemble à un animal, mais au contraire, que c’est un animal qui ressemble à une peau blanche qui se seroit séparée des intestins ; ce qui est bien différent. Hippocrate appelle même ce Ver un animal d’une grandeur extraordinaire[23], après quoi il dit que le Ver dont il parle, ressemble à une peau blanche qui se seroit détachée des intestins. Voulant ensuite expliquer comment ce même Ver peut se former dans le fœtus, il dit que lorsque le lait & le sang de la mere viennent à se corrompre par la trop grande abondance, ils donnent lieu à la production de cet insecte.

On voit par là, comme il ne faut pas toujours se reposer sur les citations d’Hippocrate. Chaque Médecin le veut avoir pour soi, & comme si c’étoit un crime d’avouer qu’on est d’un autre sentiment que lui, on aime souvent mieux lui imputer ce qu’il n’a jamais pensé. Je dis ceci parce que Mercurial n’est pas le seul Auteur de Médecine qui en ait usé de la sorte.

Spigelius & Sennert pensent mieux sur ce point, que ne fait Mercurial, qui, pour le remarquer en passant, le contredit visiblement quelques Chapitres après. « On ne sçauroit douter[24], dit Sennert, que cette sorte de Tænia ne soit un animal, cela paroît par son mouvement, qui, quoique plus lent que celui qu’on remarque dans les Vers ordinaires, ne laisse pas d’être un véritable mouvement, ainsi que l’ont observé plusieurs Auteurs ; en a même vu quelquefois ce Ver tout en une boule, étant chassé par quelque médicament, & c’est sans doute en faveur de ce mouvement, que la nature lui a donné ces articulations, ces nœuds & ces interstices, par lesquels il est distingué en travers, à la maniere des autres insectes, & que certaines personnes se sont imaginées être autant de Vers à part.

Hippocrate a remarqué le mouvement de ce Ver ; « Si, dit-il, on traite un Malade qui ait le Ver plat, & qu’on lui donne quelque médicament pour l’en délivrer, le Ver se met quelquefois en rond, & sort tout en une boule, après quoi le Malade recouvre la santé. »

Schenckius dans le troisiéme Livre de ses Observations, au Traité des Lumbrics, dit en avoir vu un encore tout palpitant, qu’une Dame venoit de rendre par la bouche, lequel étoit ainsi tout en une boule. Il ajoute qu’on dévelopa ce Ver, & qu’il fut trouvé de trois aulnes de long.

Nous avons déjà rapporté plus haut, l’exemple d’un Tænia sorti par la bouche, ce qui est très-digne de remarque ; ce Ver, ainsi que nous l’avons observé, ne sortant presque jamais que par bas. Pour ce qui est de sortir en boule, ou en pelotton, la chose arrive quelquefois. On en trouve divers exemples chez les Auteurs, & on peut joindre le suivant à ceux que nous venons de rapporter là-dessus.

Henry Brechtfeld[25] écrit qu’éxerçant la Médecine à Hildesheim, il y vit un Vieillard de quatre-vingts ans, qui ayant été long-temps malade, fut guéri tout d’un coup, après avoir rendu un Ver plat, roulé en pelotton, & qui avoit sept aulnes. Voyez la planche qui est à la page 233.

C’est quelque chose de curieux que la structure intérieure du Tænia. Il y en a une espece où l’on remarque, comme nous l’avons déja dit, une forme d’épine qui s’étend tout de long de son corps. Mais nous observerons ici que cette épine est toute composée de petits grains raboteux anguleux, qui résistent au toucher comme de gros grains de sable. Pour bien voir ces grains, & en examiner la figure, il faut étendre le Ver sur un morceau de verre. Il s’y colle tout d’un coup de lui-même, & après qu’il s’y est séché, on y discerne cette épine, laquelle paroît élevée sur le corps du Ver, & laisse voir ces grains, dont chacun est composé de trois ou quatre autres, tous fort durs. Voyez la planche ci-jointe.

L’autre espéce de Tænia, qui est la premiere, n’a point d’épine le long du corps, comme nous l’avons assez répété, & la structure en est toute différente. Pour voir cette structure, il faut étendre tout de même sur un morceau de verre un lambeau du Ver, l’y laisser sécher, & ensuite l’examiner à travers le verre, qu’on expose perpendiculairement au grand jour. On y découvre alors dans chaque ventre ou espace contenu entre les articulations, certaines ramifications de vaisseaux, dont je ne sçaurois mieux comparer la disposition, qu’à celle des dents d’un peigne. Ces ramifications se terminent en une espéce de bouton fait en forme de rosette, lequel se trouve à l’une des extrémités de chaque ventre. On en jugera mieux par la planche inserée ici, page 266.

On peut, au lieu d’appliquer l’insecte sur un morceau de verre, le suspendre dans de l’eau où l’on aura fait dissoudre de l’alum. Car au bout de vingt-quatre heures, plus ou moins, l’alum ayant rongé la substance la plus tendre du Ver, laisse voir distinctement les vaisseaux dont je parle, parce que ces vaisseaux étant d’une consistance plus ferme & plus solide, résistent davantage à l’action de l’alum.

Le morceau de Ver représenté dans la planche suivante, est le même qui est représenté fig. 2. dans la Planche de la page 198. avec cette différence, que dans la planche de la page 198. on le voit comme il étoit dès qu’il fut sorti ; au lieu qu’ici il est représenté comme il a paru ensuite, alors que je l’eus suspendu dans une phiole pleine d’eau où j’avois mis de l’alum. L’endroit marqué D, & E, est celui, qui, dans la planche de la page 198. est marqué F, & l’endroit G. & H, le même, qui, dans cette planche-là, est marqué E.

Ce morceau de Ver a été rendu par M. de la Solaye, Avocat au Parlement, rue S. Severin. Je le fis dessiner par M. Simon, Peintre des Gobelins, demeurant alors rue du Foare ; puis graver par M. l’Evêque, même rue S. Severin. Après quoi l’ayant suspendu dans de l’eau d’alum, qui en fit paroître tous les vaisseaux, je le fis dessiner par M. Bonnard, rue S. Jacques, très-habile Dessinateur, qui le représenta au naturel, comme il paroissoit dans cette eau, & ensuite graver sur ce dessein par le même M. l’Evêque, rue S. Severin. On ne peut rien ajouter à l’exactitude avec laquelle il est représenté : il le faut supposer suspendu, & flottant dans la phiole pleine d’eau. L’arbre qui le soutient n’est que de la fantaisie du Dessinateur. Voici l’explication de la planche : A, vaisseaux disposés en forme de dents de peigne. B, intervalles entre les dents de ces peignes, vis-à-vis chaque mammelon. C, rosettes formées par le contour des vaisseaux. Les portions qui composent ce Ver, ont, comme dans tous les autres Vers de la même espéce, un côté qui reçoit la portion qui le suit, & un autre où il est emboetté lui-même dans la portion qui le précéde ; or ces rosettes ne se trouvent que du côté qui est emboetté, ce qu’il est important de remarquer, pour bien connoître la structure du Ver dont il s’agit.

D, inégalité coudée, où il y a lieu de croire que le Ver s’est rompu ; ensorte que cette inégalité est apparemment une cicatrice faite depuis à l’endroit rompu.

E, la même inégalité vue par-dessous.

F, mammelons naturellement ouverts.

G, portion plus évasée que les autres, & où l’on ne remarque point de vaisseaux.

H, fente dans le milieu de cette portion évasée.

Ce sont peut-être là de petites choses ; mais c’est souvent dans les plus petites choses que la nature paroît davantage.

M. Vieussens, Médecin de S. Lizier, en Conserans, & Docteur de la Faculté de Montpellier, a tâché d’expliquer la structure du Ver Solitaire dans une Brochure intitulée : Observation sur la Maladie de M. Manot de Bergerat, Bourgeois dans la Province de Languedoc. Cette Brochure est adressée à Monsieur Chycoineau, Conseiller en la Cour des Aides, Chancelier & Professeur en l’Université de Montpellier ; aujourd’hui premier Médecin du Roy.

M. Vieussens se propose d’y résoudre deux questions principales, dont nous avons suffisamment éclairci la premiere jusqu’ici. C’est, Si le Ver Solitaire est un seul Ver, ou si ce sont plusieurs Vers accrochés ensemble ? La seconde, D’où vient qu’il est plat, plutôt que rond ? C’est quelque chose de singulier que ce qu’il dit sur ces deux points. Voici d’abord comme il s’explique sur le premier, en écrivant à M. Chycoineau.

« Je suis aujourd’hui convaincu, par les différens examens que j’ai faits avec un bon microscope, que ce n’est qu’un seul Ver, & voici de quelle manière j’en ai fait la découverte. Je pris la partie la plus large, que j’ai regardée comme la tête de cet insecte, & je la fis renfermer entre les deux lévres d’un homme vigoureux, qui en expulsant l’air vers le corps de ce Ver Solitaire, forma un petit conduit ovale, d’un nœud à l’autre, & après différentes reprises, il se communiqua jusqu’à la distance d’une demi-aulne, avec beaucoup de peine, quoique l’air fût poussé avec vigueur ; d’où je conclus que ce conduit étoit interrompu par autant de soupapes qu’il y a de nœuds, & qui sont renfermés dans le corps de cette couverture relevée, qui a donné lieu de croire que c’étoient plusieurs Vers unis ensemble.

» Ce conduit est posé horisontalement au milieu du corps de cet insecte, & dans le temps qu’il se manifestoit, en tenant d’une main mon microscope fixe, j’en déchirai avec la pointe d’un canif la membrane, d’où il sortit une sérosité lymphatique ; ensuite je dissequai avec la même pointe de ce canif le corps du Ver, je ne pus découvrir qu’une infinité de membranes fort minces, nourries par la même sérosité lymphatique, unies les unes aux autres. Je voudrois que vous eussiez été témoin de l’exactitude avec laquelle je le dissequai. Ce conduit, suivant mon idée, ne peut être que le ventre de cet insecte, où les humeurs destinées pour sa nourriture & sa croissance, sont préparées ; ensorte que de là elles sont distribuées par la chaleur naturelle dans ce tissu de membranes qui forment le corps de ce Ver appellé Solitaire. »

Que de méprises dans ce discours de M. Vieussens ! Mais nous n’en rapporterons que deux. 1o. Il dit qu’il regarda comme la tête de ce Ver la partie la plus large. 2o. Il ajoute qu’il la fit enfermer entre les deux lévres d’un homme vigoureux pour y souffler de l’air.

Quant au premier point, nous remarquerons que la partie la plus large du Ver Solitaire, n’en fut jamais la tête, & qu’ainsi M. Vieussens s’est considérablement mépris là-dessus.

Quant au second point, il est difficile de comprendre comment quelque portion que ce puisse être de ce Ver, quand on la supposeroit de la plus grande largeur possible, pourroit tenir entre les lévres d’un homme qui voudroit y tourner de l’air, sur-tout entre celles d’un homme fort & robuste, lesquelles étant plus grosses, sont d’autant moins propres à embraser étroitement une portion si fine, si glissante, & si facile à s’échapper.

Quand M. Vieussens auroit parlé de l’embouchure d’une trompette, ou d’un cors de chasse, il ne se seroit pas autrement expliqué.

Si pour souffler de l’air dans une portion de ce Ver, il s’étoit servi de quelque chalumeau très fin, dont il eût introduit l’extrémité dans cette portion, & qu’il eût bien lié l’un à l’autre, on concevrait comment il auroit pu introduire cet air ; mais de tenir, ou de faire tenir par un autre homme la portion entre les lévres, pour y tourner de l’air, & cela sans qu’elle s’échappe des lévres, ou qu’elle s’y replie, & s’y mette même en bouillie, c’est un art que M. Vieussens auroit dû enseigner.

Il n’en demeure pas là, il entreprend d’expliquer d’où vient la forme platte du Ver Solitaire.

« J’attribue, dit-il, cette forme platte à la compression des matieres fécales & grossieres qui se trouvent d’ordinaire dans les boyaux ; de telle maniere que cet insecte est sans cesse comprimé, d’un côté par les fibres des boyaux qui sont dans un mouvement continuel, & de l’autre par les matieres contenues dans les boyaux, où il ne peut se distendre pour prendre une dimension en rond, à cause de la foiblesse de son temperament, s’il est permis de s’expliquer ainsi, dans le temps de sa croissance ; & les membranes dont il est composé, étant extrêmement délicates, sont ainsi obligées de se distendre en long & de conserver cette figure platte. Ce qui confirme cette hypothese, c’est que tout corps en mouvement s’éloigne de son centre, & c’est de cette maniere que les matieres fécales, grossieres de leur nature, & d’une surface large, agissant de concert avec les fibres des boyaux dans leur mouvement continuel, tantôt plus ou moins, donnent cette figure platte & longue au Ver Solitaire. »

Ce que M. Vieussens dit ici de la forme platte du Ver Solitaire ; sçavoir, qu’elle vient de la compression des boyaux, & des matieres qui y sont contenues, n’est pas moins singulier que ce qu’il a dit plus haut de la tête de ce Ver, & de la maniere d’y souffler de l’air. 1o. Si la compression des boyaux & des matieres qu’ils contiennent étoit ce qui donne au Ver Solitaire la forme platte, il s’ensuit qu’il ne devroit y avoir dans les intestins aucun Ver qui ne fût plat. 2o. On trouve des Vers Solitaires qui sont plus plats d’un côté que de l’autre ; ensorte qu’ils ont un dessus & un dessous, à peu près comme les Carrelets, les Limandes, & autres poissons plats, ainsi que nous l’avons marqué dans la planche de la page 199. ce qui paroît difficile à expliquer par la compression des boyaux. 3o. Les Bœufs sont sujets à avoir dans la vessie du fiel, certains Vers particuliers, qui sont tout plats ; on ne voit point quelle compression ces Vers peuvent souffrir en cet endroit. Mais la premiere raison que nous avons apportée ; sçavoir, que suivant l’explication de M. Vieussens, il ne devroit y avoir dans les intestins aucun Ver rond, est absolument sans replique.

Mais, demandera-t-on, d’où vient donc que le Ver Solitaire est plat ? Je répondrai à cette question, quand on m’aura expliqué d’où vient que le Carrelet, la Limande, la Sole, la Raye, & autres poissons de cette espéce sont plats.

Nous avons dit au commencement de ce Chapitre, que les Vers Strongles, comme les appelle Hippocrate, c’est-à-dire, les Vers ronds & longs, s’engendroient quelquefois dans l’estomac. Mais il y a des Médecins qui prétendent qu’il ne s’en produit jamais dans ce viscére. Ils citent sur cela l’autorité de Galien, lequel parlant des différentes maladies qui attaquent les différentes parties du corps, ne donne d’autre lieu aux Vers pour leur production, que les intestins. Il y a, dit-il[26], des maladies affectées à quelque partie seulement, comme la Pierre aux reins & à la vessie, la Cataracte aux yeux, & les Lumbrics aux intestins. Mais on peut entendre par intestins, tout ce conduit qui ne fait qu’un corps, continu depuis la bouche jusqu’à l’anus, & ainsi, avancer qu’il s’engendre des Vers dans l’estomac, sans nier pour cela ce que dit Galien. Cependant si l’on ne veut pas s’accommoder de cette explication, & qu’il soit vrai que Galien n’ait prétendu parler que de la portion de ce conduit, laquelle va de l’estomac jusqu’à l’anus ; il est à croire qu’il s’est expliqué de la sorte, parce que c’est dans les intestins que les Vers s’engendrent plus ordinairement ; ce qui suffit pour pouvoir parler comme il a fait ; car enfin jamais Galien n’a pensé qu’il ne s’engendrât des Vers que dans les intestins, & il faudroit n’avoir jamais lu cet Auteur pour lui attribuer une telle opinion. Je ne prétends pas supposer que Galien soit infaillible ; mais cela suffit-il pour le condamner, sans examiner ce qu’il a dit ? Certains Médecins scholastiques font une distinction entre les Vers & les Lumbrics, en disant, pour répondre à ce passage de Galien, qu’il n’y a que les Lumbrics qui s’engendrent dans les intestins, & que c’est de ceux-là dont Galien a prétendu parler ; mais cette réponse est une pure chicane d’Ecole.

Quelques-uns de ceux qui croyent qu’il ne s’engendre pas de Vers dans l’estomac, disent que c’est que dans l’estomac il n’y a point de matiere propre à la nourriture des Vers ; mais je leur demande si celle des intestins y est plus propre, mêlée, comme elle est, du fiel qui sort du foie ? C’est que, ajoutent-ils, il y a dans l’estomac un acide qui doit empêcher qu’il ne s’y produise des Vers. Je les prie de me dire si dans le vinaigre qui est si acide, il ne s’y en engendre pas ? Mais ce qui doit terminer la question, c’est l’expérience ; or l’expérience fait voir qu’il se produit des Vers dans l’estomac ; car on y en a découvert très-souvent, en faisant des dissections, & cela avec des circonstances qui ne permettent pas de douter qu’ils n’y eussent été produits[27].

Kerckring rapporte, qu’en disséquant un fœtus de six mois & demi, qui avoit l’estomac trois fois plus gros que ne l’ont ordinairement les fœtus de cet âge, il trouva dans cet estomac une membrane ou poche, dans laquelle étoient des Vers semblables à ceux que les enfans ont coûtume d’avoir[28].

Grafftius raconte sur ce sujet une histoire qui mérite attention. « Un enfant de douze ans, dans la Ville de Montpellier, fort sujet aux Vers, dit-il, mourut avec une tumeur au-dessus du pubis ; nous ouvrîmes le corps de cet enfant, & nous découvrîmes que la tumeur étoit causée par un amas d’alimens non digérés, mêlés de quelques Vers : ayant vu cela, & craignant que l’estomac ne fût endommagé, nous en fîmes l’ouverture. Nous y trouvâmes des pelottons de petits Vers, & au côté gauche près du fond, un trou à passer le doigt, que ces Vers avoient fait, & par lequel une partie des alimens, avant que d’être digérés, & quelques-uns de ces Vers étoient tombés vers la région du pubis, où ils avoient causés cette tumeur ; car nous visitâmes les intestins, & nous les trouvâmes sains & entiers[29]. »

Je passe plusieurs autres exemples, de peur d’être trop long sur un sujet que je n’ai dû traiter qu’en passant. Venons à présent, suivant notre projet, aux diverses formes que prennent les Vers dans le corps de l’homme.


  1. στρογγύλαι ἕλμινθες. Hipp. lib. IV. des Maladies. Art. 27.
  2. Frider. Hofmanni Dissertationum Physico-Medicar. selectior. Decas.
  3. Edouard Tyson, dans sa Dissertation sur les Vers plats, écrite en Anglois.
  4. Mot composé de Lithos, qui en Grec signifie Pierre, et de Fago, qui signifie je mange.
  5. D. Reinholdi Wagneri Observ.
  6. Dissertation de M. Barrés, Docteur en Médecine de la Faculté de Montpellier, sur la Nature du Ver Solitaire. A Paris, 1734. Mercure de France, mois de Décembre, chez Guillaume Cavelier, rue S. Jacques ; la Veuve Pissot, Quay de Conti ; Jean de Nulli, au Palais.
  7. Hartm. Pract. Chym. pag. 202.
  8. Guillelm. Fabric. centur. 2. Observ. 72.
  9. Spigel. de Lumbrico lato.
  10. Fernel. de Morb. intestinor. pathol. Lib. VI. Cap. 10.
  11. Perdul. univers. Medicin. Lib. XIII. Cap. 22.
  12. Spigel. de Lumbric. lato. Cap. III.
  13. Sennert, Lib. III. part. 2. sect. 1. Cap. 3.
  14. Amat. Lusitan. Curat. Medicin. Cent. 6. Curat. 74. p. 630. & 631.
  15. Rondelet, lib. Dignos. Morb. cap. 17.
  16. Thadd. Dunus, cap. 25 Miscell. Medic.
  17. Gesner. lib. III. Epist. ad Fabric.
  18. Plin. Hist. Nat. Lib. II. cap. 33.
  19. Squamosus, nisi restiùs geniculatus dicatur.
  20. Sed quidpiam animal referens, mercur. Lib. III. de morb. Pueror. cap. 1.
  21. Gabucinus, cap. 3. Comment. de Lumb.
  22. Spigel. de Lumb. lato.
  23. Ζῶον τοσοῦτον μεγέθει. Hipp. Liv. IV. des malad. chap. 27.
  24. Sennert Lib. III. Part. II. Sect. I. cap. 7.
  25. Thom. Barth. Act. Med. & Philosophica Hasn : cap. 22. v. 1.
  26. Galen. I. de locis affect. cap. 5.
  27. Petr. Aponens. Dissertat. 101. conciliat.
  28. Observ. Anatom. 79.
  29. Apud Guillelm. Fabric. Cent. 2. Observ. 71.