De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 03

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. 37-66).
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CHAPITRE III.

Des différentes espéces de Vers qui s’engendrent dans le corps de l’homme, & par occasion, de quelques-unes de celles qui s’engendrent dans les minéraux, dans les végétaux & dans les animaux.



ON voit tant d’espéces différentes parmi les Vers, qu’on peut dire qu’il n’y a pas de genre d’animaux où l’on en remarque un si grand nombre. Il s’en engendre de plusieurs sortes dans les animaux, dans les végétaux & dans les minéraux. Je ne parle point de ceux que les Anciens ont cru qui naissoient & qui se nourrissoient dans le feu, qui voloient à travers la flamme sans se brûler, & qu’ils ont appellés pour ce sujet Pyraustes, d’un nom grec qui signifie à l’épreuve du feu, car ce fait est une fable ; il n’y a point d’autres Pyraustes que ces petits Vermisseaux ailés, qu’on voit voltiger souvent autour des bougies & des chandelles allumées, dont ils traversent quelquefois la flamme, à laquelle ils se brulent le plus souvent.

Ce sont sans doute ces animaux, qui ont donné occasion à Aristote & à Pline de dire, que dans l’Isle de Chipre on voit aux fourneaux des forgerons, des Insectes volans, gros comme de grosses mouches, lesquels sont engendrés du feu, & meurent sitôt qu’ils s’en éloignent ; parce qu’en effet, dès que ces petits animaux ont brûlé l’extrémité de leurs aîles, ils tombent auprès de l’endroit où ils se sont brulés.

Je ne parle point non plus, de ceux que le même Pline dit qui s’engendrent dans la neige ; on trouve quelquefois des Vers sous la neige, comme on y trouve de petites herbes verdoyantes ; mais il ne s’ensuit pas que ces Vers soient engendrés de la neige. On lit dans le Journal des Sçavans, du Lundi 13. Décembre 1677. que le 20. Novembre de la même année, il tomba avec de la neige, une si prodigieuse quantité de dix ou douze espéces de Vers, que tout le pays en fut allarmé. Monsieur l’Abbé Galois, alors Auteur du Journal, donne la figure de huit espèces de ces Vers. On y peut recourir.

J’ai dit qu’il s’engendroit des Vers dans les minéraux, dans les végétaux & dans les animaux. Quant aux minéraux, on voit des Vers qui rongent les pierres mêmes ; ces derniers sont longs d’environ deux lignes, larges de trois quarts de lignes, enfermés dans une coque grisâtre, ayant une tête fort grosse, des yeux noirs & ronds, quatre espèces de mâchoires disposées en croix, qu’ils remuent continuellement, lesquelles s’ouvrent & se ferment comme un compas à quatre branches[1], & trois pieds de chaque côté vers la tête.

Le mortier est aussi mangé par une infinité de petits Vers, gros comme des mites de fromage ; ils ont quatre pieds assez longs de chaque côté comme les mites, & deux yeux.

Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des Vers qui puissent ronger la pierre, puisque le vinaigre la ronge, & que les eaux-fortes rongent les métaux ; car le vinaigre, par exemple, pour nous en tenir-là, comment ronge-t-il la pierre, si ce n’est par le mouvement de plusieurs petites parties aigues dont il est composé, lesquelles heurtant contre la pierre, & étant d’une figure proportionnée aux pores de ce corps, s’introduisent dedans, comme feroient de petites aiguilles, & en séparent les parcelles ? Or quelle raison y aurait-il pour ne pas vouloir que ce que les petites aiguilles du vinaigre font sur un corps dur, les dents fines & pointues d’un Ver, l’y puissent faire ? Qu’y a-t-il de plus foible, en apparence, qu’une petite goutte de liqueur à l’égard d’un corps solide comme la pierre ? Or pourquoi ce qu’une goutte de liqueur, par le mouvement de ses particules tranchantes, est capable de faire sur un corps solide, une petite machine animée comme le Ver, ne l’y pourra-t-elle pas faire, supposé que cette machine ait des dents d’une finesse, & d’une figure propre à s’insinuer entre les parties de ces corps ? ajoutons que la plûpart des Insectes ont une salive corrosive, qu’ils répandent sur tout ce qu’ils touchent, & par le moyen de laquelle ils viennent à bout de résoudre des matières extrêmement dures, jusques-là même, qu’à la Chine (c’est un fait avéré)[2] il y a des Fourmis, qui percent en une nuit des portes de cabinets & d’armoires, & qui rongent même le cuivre, l’argent, & le fer, sur quoi on discerne quelquefois les traces de leurs petites dents, ce qu’on ne peut attribuer qu’à la qualité particuliere de leur salive, qui est comme une espéce d’eau-forte.

Pour ce qui est des végétaux, il n’y a guère de plante qui n’ait son Ver, sa Chenille, son Papillon. On remarque que l’arbre qui produit la Cochenille, nourrit en même temps dans cette coque de petits Vermisseaux d’une espéce particulière, lesquels en sortent en forme de Moucherons quand elle est séche, & qui lui ont fait donner le nom de Vermillon.

Cette coque est formée du suc même de la plante par la piquure d’un Ver, comme il arrive au Kermes[3] ; sur quoi il ne sera pas inutile de remarquer qu’un Ver de pareille nature, en piquant les feuilles de chêne, & s’enfermant dans le suc qui en sort, donne occasion aux fausses noix de galle qu’on y trouve : que ce qu’on appelle pommes de chêne, se forme aussi du suc que jettent les petites branches que des Vers ont piquées ; que la même cause produit le Bedeguar Arabum, ou l’éponge de l’Eglantier, & cette excroissance qui vient aux chardons parmi les avoines, laquelle on porte sur soi comme un préservatif contre les hémorrhoïdes ; que le lierre terrestre est souvent chargé de tubercules semblables, dans lesquels, comme dans tous les précédens, on trouve des Vers, ou les trous par lesquels ils sont sortis, quand l’endroit piqué, lequel se cicatrise à la fin, n’a plus fourni à ces Vers le suc qu’ils tiroient.

On trouve des Vers à la pimprenelle, à l’absynthe, & à plusieurs autres herbes, lesquels sont tous différens ; & parmi ces Vers qui viennent aux plantes, les uns sont particuliers à la tige ; les autres aux feuilles ; les autres, à la fleur ; les autres, à la racine ; les autres, à la graine, & sont tous autant d’espéces à part. J’ai observé à Plombières, où le Doronic à feuilles de Plantain croît en abondance, qu’il n’y a pas une fleur de cette plante, dans le fond de laquelle on ne trouve cinq à six Vers fort vifs. Ces Vers sont blancs, longs & ronds, & quand ils ont demeuré quelques jours dans la fleur ils deviennent féves. Ces féves ou coques sont noires, & après plusieurs jours il en sort de chacune une Mouche, dont les ailes sont marquées de taches jaunes, leurs têtes sont assez grosses, & ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’on voit ces têtes s’allonger, se raccourcir, diminuer & grossir comme une vessie dans laquelle on introduiroit du vent, & d’où ensuite on le retireroit, ce qu’on observe très-sensiblement avec le microscope. Quand cette Mouche sort de sa féve, elle tire d’abord sa tête dehors, ensuite deux jambes, puis les autres avec les aîles & le reste du corps. C’est quelque chose de curieux que les efforts qu’elle fait pour se dégager de sa prison. Elle est bien deux heures dans ce travail, & j’ai eu la patience de m’en donner le spectacle. La féve ou coque, comme j’ai dit, est noire en dehors, mais le dedans est revêtu d’une membrane blanche. Cette membrane qui est comme une espéce de satin doux, se sépare de la coque par parties, à mesure que la Mouche sort, & quelquefois l’animal en entraîne avec soi une portion, de laquelle il a de la peine à se debarrasser. J’ai souvent vû dans le poivre long, de petits Vers blanchâtres qui ont comme un museau de Cochon, le corps reluisant, six pattes & la tête comme une petite perle d’ambre : pour les trouver il faut prendre du poivre entier, qui soit un peu vieux, & le casser en travers, on y voit alors ces Vers enfermés dans des niches, où ils sont pliés comme en rond. Louis Hannemannus dit avoir vu du poivre[4] tout rongé de Vers ; il décrit ces Vers, & dit qu’ils ont la tête rouge & le corps tout blanc[5].

J’en ai vû dans de la Rhubarbe, qui ressembloient à des Hannetons : Il y a quelques années qu’étant aux Eaux de Plombieres avec M. le Duc de S. Simon, le Gardien des Capucins de ce lieu-là vint me consulter sur une indisposition qu’il avoit ; je lui conseillai de se purger avec de la Rhubarbe ; il me dit qu’il en avoit de bonne ; je la voulus voir, & l’ayant examinée, je lui annonçai qu’il alloit trouver des Vers dans cette Rhubarbe s’il la coupoit, ou s’il la rompoit. Il la fendit aussi-tôt en divers endroits, & il vit avec surprise, la vérité de ce que je lui avois dit. Ces Vers avoient des aîles comme des Hannetons. Il en tira plus de douze, qu’en ma présence il enferma par curiosité dans une boëte.

Au Brésil, les cannes à sucre sont souvent endommagées par un petit Ver qui en mange les racines, & qui par-là fait sécher sur pied toute la plante. Les Brasiliens appellent ce Ver Guirapeacoia, les Portugais Pao de Galinha.

L’Auteur qui rapporte ce fait dit que l’insecte dont il s’agit, est une espéce de Grillon, & qu’il en a vu de deux sortes, l’un qui a des aîles, & l’autre qui rampe ; il ajoute qu’il en avoit nourri un de chaque sorte l’espace d’un mois, avec du sucre brute, dans lequel on les lui avoit envoyés des Indes. Ce Ver, à ce qu’il remarque, étant mis dans du ris, en fait aussi sa pâture, le sucre brute lui convient mieux que le raffiné. Ce dernier à cause de la forte lessive par laquelle il a passé & qui l’a rendu blanc, est trop chaud & trop âcre pour le pouvoir nourrir long-temps[6].

Les sucs des fruits, comme le vin, le vinaigre, le cidre, sont quelquefois si pleins de Vers, qu’en y en découvre des milliers avec le microscope, tous différens en espéces selon la diversité des sucs où ils s’engendrent.

Le bois le plus dur est aussi mangé de Vers, & il s’en produit dans les planches des Navires de plus gros que des Vers à soye ; ils sont tendres & reluisans, ils ont la tête noire & dure, & trouent les piéces de bois les plus épaisses, ce qui met en grand danger les Vaisseaux. Il y a dans le Journal des Sçavans de 1666. par M. l’Abbé Gallois, l’extrait d’une lettre écrite d’Amsterdam, dans laquelle on marque que les Vers dont il s’agit, trouent tellement les œuvres vives des Vaisseaux qui viennent des Indes dans ce Port-là, que les Vaisseaux prennent eau de tous côtés ; & qu’on ne sçait comment prévenir un si grand mal. On a cru d’abord y réussir, en doublant de lames de fer blanc ou de plomb, les œuvres vives des Vaisseaux, mais cela n’a servi de rien. On s’est ensuite avisé d’y attacher des têtes de cloux si proche les unes des autres, qu’il n’y eût point d’espace entre deux. Ce moyen a été aussi inutile que le premier, soit que les Vers se soient percés des routes inconnues, soit qu’en mettant les cloux dont il s’agit, on ait enfermé ces Vers ou leurs œufs sous les planches & sous les cloux, comme des Loups dans la Bergerie. Un troisième moyen a été mis en usage ; ç’a été de revêtir d’ais de sapin, ces œuvres vives, & de mettre entre les aix du bordage, & ceux du doublage, beaucoup de bourre, de cendre, de chaux, de mousse & de charbon, mais cet expédient n’a pas empêché les Vers de pénétrer jusqu’au corps du vaisseau. C’est en général quelque chose d’incroyable que la sagacité des Vers à éluder tous les obstacles qu’on leur oppose, & ce que font ici les Vers des vaisseaux, est une image naturelle de ce que font dans les intestins & dans d’autres parties, les Vers du corps. On a beau employer toutes sortes de remedes, pour s’en garantir, ou pour s’en délivrer, on n’en vient à bout qu’à peine, & à moins de quelques remedes spécifiques, tels que nous en indiquerons dans ce Traité, c’est toujours à recommencer.

Les Vers des vaisseaux sont mollasses & très-tendres ; mais comme ils ont à ronger un bois très-dur, la nature semble avoir voulu pourvoir sur cela à leurs besoins, en leur donnant une tête très-dure, armée de deux coquilles pointues par le bout comme le fer d’un villebrequin de Menuisier, & garnies chacune d’un croc, par le moyen de quoi ils s’attachent aux planches & les percent. Ces coquilles, selon la remarque de M. Deslandes, Commissaire[7] & Controlleur de la Marine, lequel a examiné plusieurs de ces Vers, ont le double avantage de pouvoir jouer séparément & différemment l’une de l’autre. Tout le travail du Ver, tout ce qui peut lui procurer & le logement & la nourriture, dépend de ces deux coquilles, & de la manière dont elles se meuvent, si par hazard leurs pointes viennent à s’émousser, le Ver meurt, parce qu’il ne peut plus se creuser de logement faute d’outils convenables, ni se préparer une nouvelle nourriture[8].

Il y a une autre espéce de Vers qui rongent le bois des vaisseaux ; ceux-là ont une infinité de pattes armées de crochets. M. Deslandes que nous venons de citer, conjecture que ces pattes leur servent pour se cramponer aux fibres du bois, afin qu’étant bien appuyés, ils puissent travailler avec plus de force.

Il y en a une troisième espéce, qui n’ont ni jambes, ni crochets, mais qui suppléent à ce défaut par une liqueur gluante avec laquelle ils se collent aux fibres du bois. Cette liqueur est non seulement gluante, mais pierreuse, ce qui fait que le chemin que se trace chaque Ver de cette espéce, paroît revêtu d’un conduit pierreux, & de la même nature que les coquilles de leur tête.

En voilà assez pour ce qui concerne les Végétaux.

Quant aux Animaux, il n’en est presque point où il ne se trouve des Vers, & tous d’autant d’espéces différentes que les Animaux où ils naissent, sont différens. Il y en a dans presque tous les poissons, & on en découvre dans les Huîtres de brillans ou lumineux, qui sont d’un rouge blanchâtre, longs de cinq à six lignes, & gros comme de petits fers d’aiguillettes. Ils ont cinquante pattes, vingt-cinq de chaque côté, & le dos comme une anguille écorchée.

Les Tanches sont fort sujettes aux Vers : on y en trouve de plats qui sont fort longs, & qui ressemblent au Tænia ou Solitaire de l’homme pour la longueur, pour la largeur, & pour la couleur. Ils ne sont point articulés comme le Tænia de l’homme ; mais ils ont une espéce de sillon ou de pli tout le long du milieu du corps, depuis une extrémité jusqu’à l’autre ; l’une de ces extrémités est moussue & assez large, l’autre plus pointue & étroite. Tout le corps du Ver est assez épais, & un peu plus ordinairement, que le plus épais Tænia de l’homme. J’en ai conservé quatre pendant plusieurs années dans de l’eau-de-vie. Si-tôt que je les eus, j’en fis graver deux, qui sont ceux qu’on voit dans la planche suivante.

Monsieur Rongeard, Médecin à Laigle en Normandie, homme curieux & sçavant, ayant lu cette Observation dans la derniere édition de mon Traité, a ouvert & fait ouvrir un grand nombre de Tanches, dans la plupart desquelles se sont trouvés effectivement des Vers tels que ceux-là ; ce qui lui a donné lieu de faire des Observations qui ne sont pas indifférentes, & qu’il m’a communiquées.

« Je vous envoye, me mande-t-il, un Ver de l’espéce de ceux que le Carême dernier, l’on trouvoit en ce pays, dans la capacité du ventre de la plûpart des Tanches qui se vendoient dans notre poissonnerie ; car j’en fis ouvrir une fort grande quantité. Ces Vers ne sont point renfermés dans les boyaux du poisson, ils sont dehors & flottent avec eux dans la capacité du ventre. J’ai même marqué qu’ils ne tiennent à rien. Ils sont minces comme des rubans. Celui-ci, quand il fut tiré, étoit large d’un demi-pouce, & avoit près d’un pied de long. Il y en avoit dans quelques autres Tanches, de plus & de moins larges, comme aussi de plus longs & de plus courts. Ils étoient tous très-blancs, & remuaient encore trois ou quatre heures après avoir été enlevés du corps du poisson. » Rongeard ajoûte une remarque qui ne sert pas peu à autoriser le nom de Solitaire que j’ai donné au Tænia, c’est qu’il n’a jamais trouvé qu’un de ces Vers dans chaque Tanche, « en sorte, dit-il, qu’on pourroit à juste titre appeller ce Ver, le Solitaire des Tanches, & peut-être aussi le Solitaire des Lapins, s’il est vrai, comme l’assurent quelques personnes, qu’il y en ait de tout semblables à ceux-là, dans les Lapins. »

M. Rongeard a cherché avec soin, par où l’Insecte en question pouvoit prendre sa nourriture dans la Tanche ; mais il assure n’avoir pu y découvrir aucun conduit. Il pense que ce Ver de la Tanche se nourrit des humidités dont est arrosée la membrane qui revêt le dedans des viscéres de ce poisson ; humidité qui peut s’insinuer par les pores imperceptibles du corps de l’Insecte.

Quand ce Ver, qui étoit un peu plus court dans la Tanche avant qu’il mourût, eut été mis dans une phiole par M. Rongeard pour m’être envoyé, il étoit plus mince, dit M. Rongeard, & tomba au fond de la bouteille en un petit tapon, sans aucun mouvement ; mais si-tôt qu’on y eut versé de l’eau-de-vie pour le conserver le Ver, qui depuis 24. heures paroissoit tout-à-fait mort, commença à se mouvoir, & s’étendit en formant deux demi cercles, après quoi il mourut dans la même situation.

Comme ces Vers sont fort communs dans les Tanches qui se trouvent à Laigle, M. Rongeard me promet de faire de nouvelles recherches là-dessus, & s’il trouve quelque chose de nouveau, de m’en informer soigneusement.

Si l’on fait réfléxion qu’il n’y a guère de poissons qui se plaisent plus dans l’eau bourbeuse, que la Tanche, & dont la chair abonde davantage en sucs visqueux, on n’aura pas de peine à comprendre comment ce poisson peut être sujet au Solitaire, puisqu’on remarque que le Ver solitaire de l’homme ne subsiste que dans les corps où regnent des humeurs de cette nature.

La Tanche est un poisson si visqueux, qu’à raison de cette viscosité, quelques Auteurs ont cru qu’il n’avoit d’autre origine que le limon même. Cette opinion est tout-à-fait contraire à la bonne Physique, & il est surprenant que Schroder, Gontier & quelques autres Médecins très-éclairés d’ailleurs, ayent pu donner dans cette imagination. Le premier prétend que la Tanche a quelquefois père & mère ; mais que quelquefois aussi elle se produit d’elle-même. Tinca, dit-il[9], piscis est mucosus excrementitius, amans aquæs palustres, cænosas, lutosas, vivens cæno. Generatur tum ex traduce, tum sponte.

Cette erreur a été aveuglément suivie par quelques Naturalistes, qui prétendent que les Tanches où l’on trouve des Vers, sont celles qui ont pris naissance du limon, & que celles où l’on n’en trouve pas ont été produites par mâle & femelle.

Gontier[10] pousse l’erreur plus loin ; il croit qu’il n’y a point de Tanche qui ne vienne du limon seul : Cænosis quippe locis & limosis sponte proveniunt Tincæ.

Ce poisson étant donc si visqueux, que quelques Médecins même se sont persuadés que ce ne pouvoit être qu’un limon animé, on ne doit pas s’étonner qu’il soit sujet à celui de tous les Vers dont la substance est aussi la plus visqueuse. Comme peu de gens ont connoissance de ce Ver, la plupart de ceux qui en mangeant des Tanches viennent à le rencontrer, ne font point difficulté de le manger, le prenant pour la laite du poisson.

Des deux Vers représentés dans la planche ci-devant, le second est tout-à-fait semblable à celui que m’a envoyé M. Rongeard. Ils sont dessinés selon la longueur qu’ils ont prise en mourant, car ces sortes de Vers, aussi bien que les autres s’allongent toujours alors de quelques lignes.

Nous avons fait toutes ces remarques dans le Journal des Sçavans du Lundi 15. Février 1723. Nous ne faisons que les rappeller ici.

Les coquillages même les plus durs sont percés de Vers ; il s’en produit d’une espéce sur le corps des animaux, d’une autre au-dedans de leur corps, & entre ces derniers, les uns s’engendrent dans une partie, les autres dans une autre, & sont autant d’espèces particulières. Il en naît dans les intestins, dans le foye, dans les reins & ailleurs.

Les Chiens en rendent quelquefois de tout semblables au Tænia de l’homme, comme on le va voir par l’exemple suivant.

De l’eau de fougere que je donnai par essai à une petite Chienne le 12. Février 1701. lui fit rendre le Ver représenté dans la planche suivante. Mademoiselle de Goello tante de M. le Prince de Soubise, & à qui cette petite Chienne appartenoit, m’envoya le Ver le lendemain avec ce billet. « Je vous envoye, Monsieur, un Ver que ma petite Chienne a rendu, qui me paroît extraordinaire ; c’est par l’effet de votre eau, j’espère qu’elle lui aura sauvé la vie. Je vous donne le bon jour. Goello. 13. Février 1701. »

Si-tôt que j’eus ce Ver, qui est un véritable Tænia, je le fis graver tel qu’on le voit ici représenté ; il est dessiné au naturel.

Le 26. Janvier 1738. un domestique m’a cassé la phiole où étoit le Ver, & l’a écrasé par mégarde : je le conservois dans de l’esprit de vin. Il avoit plus de demi-aulne, je n’y ai point vu de tête, non qu’il n’en eût une, mais c’est qu’elle s’est séparée sans doute, lorsqu’il a été rendu, elle devoit être du côté marqué A, suivant la structure du Ver. Ce qui rend cet Insecte plus singulier, est la différente conformation de ses parties ; les unes sont rondes & font une ligne entiere, C ; les autres sont longues & sont une ligne que les rondes interrompent en B D ; les rondes sont égales par-tout, & les longues plus étendues au milieu du Ver qu’ailleurs, ainsi qu’il paroît en E : tout le Ver étoit plat, blanc, mince & transparent comme du parchemin. Les portions sont liées, unies & disposées de manière, que la pointe de chacune regarde le côté A. C’est par cette disposition qu’on peut juger du côté où étoit la tête. Il y a de l’apparence que la queue n’est pas toute entière, & qu’elle s’est rompue en F.

M. Rédi donne la figure d’un Tænia, ou Ver Solitaire sorti du corps d’un Chien, laquelle est différente de celle-ci. Il donne aussi celle d’un Tænia sorti du corps d’un Chat, laquelle n’est pas moins différente ; les voici dans la planche suivante, on les peut confronter.

Le même M. Rédi dit avoir trouvé une infinité de Vers dans les intestins d’un Serpent à deux têtes qu’il ouvrit vivant[11] : la plûpart de ces Vers étoient très-blancs : une chose extraordinaire, c’est qu’il n’y en avoit aucun qui ne fût vivant, quoique le Serpent eût été trois semaines sans manger.

On trouve des Vers dans l’estomac & dans les intestins de presque toutes les Vipéres. On en trouve aussi dans les Lézards. Les poumons des Hérissons de terre, ceux des Renards, des Belettes, en sont quelquefois tout remplis ; & M. Redi ouvrant un jour un de ces Hérissons, y trouva dans les bronches de la trachée artére, plus de quarante Vers. Il y en a quelquefois beaucoup dans les intestins des Tortues ; & le même M. Rédi assure en avoir vu une qui en avoit de fort petits, dont le nombre alloit à plus de soixante & douze mille, comme il le reconnut par un calcul qu’il eut la patience de faire, & qu’il rapporte dans son Livre.

On trouve quelquefois un grand nombre de Vers dans les intestins des Veaux, & ces Vers donnent à la chair de ces animaux une fort mauvaise odeur, en sorte que quand on la mange, elle a un goût très-désagréable. Ils sont ronds & longs comme les strongles de l’homme[12], mais plus minces. M. Valisnieri a donné une ample description de leurs organes dans une Lettre Italienne écrite sur ce sujet à M. Lancisi, & rapportée en Latin par M. le Clerc, dans son Histoire des Vers larges, Ch., XIII. p. 222. vol. in-quarto.

Il y a dans le foie de quelques Moutons, une sorte de Vers assez singuliers, dont il est fait mention dans le Journal des Sçavans de 1668. On a observé que ces Vers ne se trouvent que dans les Moutons qui ont brouté d’une certaine herbe, appellée par les Botanistes, Sideritis glabra arvensis, qui est une espèce de Crapaudine. Mais une observation encore plus curieuse, c’est que les Vers dont il s’agit, sont tout-à-fait semblables pour la forme, à la feuille de cette herbe, tant plats & d’une figure ovale un peu pointue vers l’une des extrémités, ayant la tête à l’autre extrémité qui s’avance un peu, & qui représente la queue de la feuille. Ils sont blanchâtres sous le ventre, & semés sur le dos de plusieurs taches & filets d’un gris obscur. La tête a un bec percé d’un petit trou, comme on voit dans les figures suivantes, gravées d’après le Journal que nous venons de citer.

La premiere figure représente le Ver tourné sur le dos ; la seconde le représente couché sur le ventre ; & la troisiéme est la figure de la feuille de Sideritis, telle qu’elle est dans l’Histoire des Plantes de Bauhin.

Pour les reins, ce sont dans tous les animaux, des parties assez sujettes aux Vers. Feu M. Meri de l’Academie des Sciences, m’en a fait voir un de demi aulne de long, & de la grosseur du petit doigt, qui avoit été tiré du rein d’un Chien. Kerckring[13] dit qu’en disséquant un Chien de chasse, il y trouva dans un des reins, un Ver d’une aulne & un quart. Georg. Wolff Wédelins, Professeur d’Anatomie à Jêne, disséquant, en 1675. le 23 Février, un gros Chien, lui trouva dans le rein gauche, un Ver long de plus d’un pied, & de la grosseur du petit doigt.

Ce qu’il y a ici de singulier, c’est que la substance du rein étoit absolument consumée, & que ce Ver étoit rempli d’autres Vers tout vivans[14].

Mathiole a remarqué qu’il y a des Vers dans la tête de tous les Cerfs, & que ces Vers s’y engendrent ordinairement sous la langue, & qu’ils sont comme les plus gros de ceux que produisent les chairs pourries[15].

Au reste, ce n’est pas seulement dans les Mineraux, dans les Végétaux, & dans les Animaux qu’il y a des Vers. L’air en est encore tout rempli, comme nous l’avons remarqué plus haut. Je ne sçaurois être cependant de l’opinion d’un Auteur moderne, qui croit que ces feux qu’on voit quelquefois voltiger dans l’air pendant la nuit, & qu’on appelle Feux follets, ne sont que de petits Vers luisans attroupés, lesquels ont des aîles, & volent autour des Passans[16]. Cet Auteur croit aussi que le bois pourri qui brille la nuit, n’est lumineux que parce qu’il renferme plusieurs petits phosphores vivans, qui lui ont été fournis par l’air.

Mais revenons à notre sujet, c’est-à-dire, aux Vers de l’Homme. De tous les Estres vivans, c’est celui qui est le plus attaqué de Vers. Il n’y a presque pas de partie dans son corps qui n’en soit la proye. Ensorte que celui qui commande aux Bêtes les plus énormes en grosseur, celui qui assujettit à ses usages, le Cheval, le Chameau, l’Eléphant, celui qui dompte la férocité du Lion & du Tigre, se trouve souvent réduit à périr par les dents, ou par le venin d’un petit Insecte, dont il ne peut se défendre.

Les Vers du corps humain naissent, ou dans les intestins, entre lesquels je comprends l’estomac, ou hors des intestins. Nous parlerons premièrement de ceux qui naissent hors des intestins ; puis de ceux qui viennent dans les intestins, & comme les uns & les autres prennent quelquefois en vieillissant des figures différentes, nous traiterons dans un article à part, des différentes métamorphoses de ces Vers. Ce qui fera en tout trois articles.



  1. Journal des Sçavans de 1666.
  2. Mémoire du Pere le Comte Jésuite, sur l’état présent de la Chine.
  3. L’origine du Kermés par la piquure d’un Ver, est une découverte due à M. Fagon, premier Médecin de louis XIV.
  4. Thom. Barthol. Acta Medica & Philosoph. Hasniensia. Cap. III. vol. 2.
  5. Piperata acria Vermium generationi resistere creduntur : contrarium autem expertus sum, dum etenim anse dies aliquot in schedam aliquam inciderim, in quæ piper conservatum, reperi albos vermes, capitibus rubris, qui non solum arreserunt piper, sed & in pollinem redigerant. Joh. Lud. Hanneman, apud Thoma. Barthol. Act. Med. & Philosoph. Hasniensis. Vol. II. cap. CXI.
  6. Marc. Gravius. lib. 2. Histor. Bras. cap. 16. Th. Barth. acta Med. & Philos. Hasniensis. lib. 4.
  7. Recueil de différens Traités de Physique.
  8. Ibidem.
  9. Schrod.
  10. Petr. Gont.
  11. Franc. Redi de Animal. quæ in corporib. animal. vivorum reperiuntur.
  12. Strongles, c’est-à-dire, comme nous le verrons plus bas, ronds & longs.
  13. Kerckring. Observation LVII
  14. Thom. Barth. Acta. Med. & Philosoph. Asniensia, Tom III. Chap. LVIII. Ex Litteris D. Georg. Wolff. Wedelii, Professoris Medici Jenensis, Jenæ, 23. Febr. 1675.

    Nuper in canis sinistro Rene Vermis magnus pedem fere superans, minimi digiti crassitie, repertus fuit, nullo ibi de Renis substantiâ, seu parenchymate, conspicuo vestigio ; solâ tantum tunicâ adiposâ superstite cumque integente. Ipse vero repletus erat infinitis aliis Vermiculis vivis.

  15. Vermes cervi omnes continent i capite vivos, qui nasci solent sub linguâ, in concavo, circiter vertebram quâ cervici innectitur caput, magnitudine haud minores iis, quos maximos carnes putres ediderint. Gigni universi atque contigui solent numero adeò circiter viginti. Mathiol. Comment. in Libr. secundum Dioscoridis. Cap. LIII. p. 290. l. 11.
  16. Christ. Francisc. Paulini Disquisitio curiosa, an mors naturalis plerumque sit substantia Verminosa ?