De l’influence des femmes sur la littérature française comme protectrices des lettres et comme auteurs/Texte entier

ŒUVRES

DE

MADAME DE GENLIS.
TOME SOIXANTE-ONZIÈME.
de l’imprimerie de a. henry,
Rue Gît-le-Cœur, n°8.
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AVERTISSEMENT.



On a donné au public plusieurs ouvrages volumineux, contenant l’histoire des femmes auteurs ; mais la plus grande partie de ces auteurs sont très-médiocres, ou même tout à fait dénués de talent, et les trois quarts de ces femmes célèbres portent les noms les plus obscurs et les plus oubliés. On a fait cet ouvrage sur un plan très-différent : on n’y parlera que des femmes qui ont eu quelqu’influence sur la littérature française, parce que cette recherche est par elle-même intéressante, curieuse et neuve, quelle ramenera souvent à la peinture des mœurs du temps où ces femmes ont écrit, et qu’enfin elle produira, surtout à cet égard, une foule d’observations nouvelles.

Les protectrices des lettres ne devoient pas être omises dans cet ouvrage, puisqu’elles ont eu nécessairement une grande influence sur la littérature, en encourageant, en récompensant des talens qui, faute d’appui, n’auroient pu souvent ni se développer, ni se perfectionner.

On ne parlera que des femmes qui n’existent plus. On a tâché d’offrir dans cet ouvrage, non un tableau, mais une esquisse légère de la littérature française, et des progrès de la décadence et de la renaissance du goût et des bons principes. On a indiqué l’origine et les causes du mauvais goût qui trop long-temps a obscurci l’éclat de cette brillante littérature, que tant de chefs-d’œuvre ont élevée si haut. Enfin cette histoire rapide est précédée par des réflexions sur les femmes en général, et particulièrement sur les femmes auteurs.




RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES
SUR LES FEMMES.



Les hommes de lettres ont sur les femmes auteurs une supériorité de fait qu’il est assurément impossible de méconnoître et de contester : tous les ouvrages de femmes rassemblés ne valent pas quelques belles pages de Bossuet, de Pascal, quelques scènes de Corneille, de Racine, de Molière, etc. ; mais il n’en faut pas conclure que l’organisation des femmes soit inférieure à celle des hommes. Le génie se compose de toutes les qualités qu’on ne leur conteste pas, et qu’elles peuvent posséder au plus haut degré ; l’imagination, la sensibilité, l’élévation de l’âme. Le manque d’études et l’éducation ayant dans tous les temps écarté les femmes de la carrière littéraire, elles ont montré leur grandeur d’âme, non en retraçant dans leurs écrits des faits historiques, ou en présentant d’ingénieuses fictions, mais par des actions réelles ; elles ont mieux fait que peindre, elles ont souvent, par leur conduite, fourni les modèles d’un sublime héroïsme. Nulle femme, dans ses écrits, n’a peint la grande âme de Cornélie ; qu’importe, puisque Cornélie elle-même n’est point un être imaginaire ? et n’avons-nous pas vu, de nos jours, durant les tempêtes révolutionnaires, des femmes égaler les héros par l’énergie de leur courage et par leur grandeur d’âme ? Les grandes pensées viennent du cœur[1], et de la même source doivent (quand rien ne s’y oppose) résulter les mêmes effets.

On répète, pour prouver l’infériorité des femmes, que nulle d’elles n’a fait un bonne tragédie, ou un beau poëme épique. Une multitude innombrable d’hommes de lettres ont fait des tragédies, et nous ne comptons que quatre grands poëtes tragiques, et c’est beaucoup ; nulle autre nation n’en peut compter autant. Nous n’avons qu’un seul poëme épique, et il faut avouer qu’il est extrêmement inférieur au Paradis perdu et à la Jérusalem délivrée. Cinq femmes seulement parmi nous ont essayé de faire des tragédies, et non-seulement aucune n’a éprouvé, comme tant d’auteurs, le chagrin d’une chute honteuse, mais toutes ces tragédies eurent un grand succès dans leur nouveauté[2]. Les jeunes gens au collége, nourris de la lecture des Grecs et des Latins, font presque tous des vers ; et pour peu qu’ils aient de talens, ils forment le désir ambitieux de travailler pour le théâtre. On doit convenir que ce n’est pas une idée qui puisse se présenter aussi naturellement à une pensionnaire de couvent, et à une jeune personne qui entre dans le monde. Dira-t-on que nul des rois, des grands capitaines, des hommes d’état, n’a eu de génie, parce qu’aucun d’eux n’a fait une tragédie, quoique néanmoins plusieurs d’entr’eux aient été poëtes ? Dira-t-on que les Suédois, les Danois, les Russes, les Polonais, les Hollandais, ces peuples si spirituels, si policés, ont une organisation inférieure à celle des Français, des Anglais, des Italiens, des Espagnols et des Allemands, parce qu’ils n’ont pas produit de grands poëtes dramatiques ? Nous ne pouvons exceller dans un art que lorsque cet art est généralement cultivé dans notre nation, et dans la classe où le ciel nous a placés. Le peuple le plus célèbre dans l’histoire, les Romains, n’ont point eu de bons poëtes tragiques. Des millions de porte-faix, et des milliers de religieuses et de mères de famille auroient pu, avec une éducation différente, et dans une autre situation, composer d’excellentes tragédies. La faculté de sentir et d’admirer ce qui est grand, ce qui est beau, et la puissance d’aimer, sont les mêmes dans les deux sexes : ainsi l’égalité morale est parfaite entr’eux.

Mais si trop peu de femmes (faute d’études et de hardiesse) ont fait des tragédies et des poëmes pour avoir pu s’égaler aux hommes à cet égard, elles les ont souvent surpassés dans plusieurs ouvrages d’un autre genre. Aucun homme n’a laissé un recueil de lettres familières que l’on puisse comparer aux Lettres de madame de Sévigné et à celles de madame de Maintenon ; la Princesse de Clèves, les Lettres Péruviennes, les Lettres de madame Riccoboni, les deux derniers romans de madame Cotin, sont infiniment supérieurs à tous ceux des romanciers français, sans en excepter ceux de Marivaux, et moins encore les ennuyeux et volumineux ouvrages de l’abbé Prévôt. Car Gilblas est un ouvrage d’un autre genre ; c’est la peinture des vices, des ridicules produits par l’ambition, la vanité, la cupidité, et non le développement des sentimens naturels du cœur ; l’amour, l’amitié, la jalousie, la piété filiale, etc. L’auteur, si spirituel et souvent si profond dans ses plaisanteries, n’avoit étudié, et ne connoissoit bien que les intrigans subalternes et les ridicules de l’orgueil ; quand il quitte son pinceau satirique, il devient commun ; tous les épisodes de Gilblas qu’il a voulu rendre intéressans et touchans, sont fades et mal écrits.

Madame Deshoulières n’a point de rivaux dans le genre de poésie dont elle a laissé de si charmans modèles. Les hommes qui assignent les rangs dans la littérature, puisqu’ils en dispensent les honneurs et en distribuent les places, dont toutes les femmes sont exclues, donnent souvent de la célébrité à des talens fort médiocres. Par exemple, si d’Alembert n’eût été ni géomètre, ni académicien, malgré son acharnement contre la religion, son mépris pour les rois et pour la France, ses écrits sont si froids, si dénués de grâces, de pensées et de naturel, qu’ils seroient oubliés déjà. Une femme qui auroit eu le malheur de composer la plupart de ses éloges académiques, ne paroîtroit à tous les yeux qu’une précieuse ridicule[3]. Cependant l’académie reçut d’Alembert comme le littérateur le plus distingué. Et l’auteur d’Ariane et du Comte d’Essex, frère du créateur parmi nous de la tragédie et de la comédie, ne fut élu qu’après la mort du grand Corneille ; mais on reçut le marquis de Saint-Aulaire pour un madrigal, tandis que le fils du grand Racine, auteur lui-même d’un beau poëme, ne fut jamais admis dans son sein ! Cette même académie fit la plus injuste critique du Cid, le premier chef-d’œuvre qui ait honoré la scène française, et elle prit le deuil à la mort de Voiture !…… S’il existoit une académie de femmes, on ose dire qu’elle pourroit sans peine se conduire mieux et juger plus sainement.

Il est difficile de concilier entr’eux les jugemens universellement portés sur les femmes ; car ils sont, ou contradictoires, ou vides de sens : on leur accorde une extrême sensibilité, on dit même qu’elle est plus vive que celle des hommes, et on leur refuse de l’énergie ; mais qu’est-ce qu’une extrême sensibilité sans énergie, c’est-à-dire une sensibilité qui ne rendroit pas capable de tous les sacrifices et d’un grand dévouement ? Et qu’est-ce que l’énergie, sinon cette force d’âme, cette puissance de volonté qui, bien ou mal employées, donnent une constance inébranlable pour arriver à son but, ou fait tout braver, les obstacles, les périls, la mort même, pour l’objet d’une passion dominante ? La ténacité de volonté des femmes pour tout ce qu’elles désirent ardemment, a passé en proverbe : ainsi donc on ne leur conteste pas ce genre d’énergie qui exige une extrême persévérance. Qui pourroit ne pas reconnoître en elles l’énergie qui demande un courage héroïque ? en manquoit-elle, cette princesse infortunée qui vient de se précipiter au milieu des flammes pour chercher sa fille ? — Et parmi tant de nobles victimes de la foi, parmi tant de martyrs qui ont persisté dans leur croyance avec une énergie si sublime, et malgré l’horreur des plus affreux supplices, ne compte-t-on pas autant de femmes que d’hommes ?…

On prétend que les femmes par leur organisation sont douées d’une délicatesse que les hommes ne peuvent avoir ; ce jugement favorable ne me paroît pas plus fondé que tous ceux qui leur sont désavantageux : plusieurs ouvrages faits par des gens de lettres, prouvent que ce mérite n’est nullement exclusif chez les femmes ; mais il est vrai que c’est un des caractères distinctifs de presque tous leurs écrits. Cela doit être, parce que l’éducation et la bienséance leur imposent la loi de contenir, de concentrer presque tous leurs sentimens, et d’en adoucir toujours l’expression : de là ces tournures délicates, cette finesse exercée à faire entendre ce que l’on n’ose expliquer ; ce n’est point de la dissimulation ; cet art en général n’est point de cacher ce qu’on éprouve ; sa perfection au contraire est de le faire bien connoître sans l’expliquer, sans employer des paroles que l’on puisse citer comme un aveu positif : l’amour surtout rend cette délicatesse ingénieuse ; il donne alors aux femmes un langage touchant et mystérieux, qui a quelque chose de céleste, car il n’est fait que pour le cœur et l’imagination ; les paroles articulées ne sont rien, le sens secret est tout, et ne peut être bien compris que par l’âme à laquelle il s’adresse. Indépendamment de tous les principes qui rendent la pudeur et la retenue si indispensables dans une femme, que de contrastes résultent de cette timidité d’un côté, et de cette audace, de cette ardeur de l’autre ! que de grâces dans une femme jeune et belle, lorsqu’elle est ce qu’elle doit être ! tout en elle est d’accord ; la délicatesse de ses traits, de ses formes et de ses discours ; la modestie de son maintien et de ses longs vêtemens ; la douceur de sa voix et de son caractère ; elle ne se déguise point, mais elle se voile toujours ; ce qu’elle dit d’affectueux est d’autant plus touchant, que loin d’exagérer ce qu’elle éprouve, elle doit l’exprimer sans véhémence ; sa sensibilité est plus profonde que celle d’un homme, parce qu’elle est plus contrainte ; elle se décèle et ne s’exhale point ; enfin, pour la bien connoître et pour l’entendre, il faut la deviner ; elle attire autant par l’attrait piquant de la curiosité que par ses charmes. Quel mauvais goût il faut avoir pour dévoiler tout ce mystère, pour anéantir toutes ces grâces, en présentant dans un roman, ou dans un ouvrage dramatique, une héroïne sans pudeur, s’exprimant avec tout l’emportement de l’amant le plus impétueux ! c’est cependant ce que nous avons souvent vu depuis quelques années. En transformant ainsi les femmes, on a cru leur donner de l’énergie, on s’est trompé : non-seulement on ne pouvoit les dépouiller de leurs grâces naturelles sans leur ôter toute leur dignité, mais ce langage véhément et passionné leur ôte encore tout ce qu’elles avoient de véritablement touchant.

Si l’on veut réfléchir aux situations et aux scènes qui, dans les ouvrages d’imagination et au théâtre, produisent le plus d’effet, on verra toujours que ces grands effets sont dus aux réticences et aux sentimens contraints, c’est-à-dire aux sentimens que l’on n’ose montrer ouvertement, ou que l’on voudroit cacher.

Lorsqu’Orosmane dit :

Je ne suis point jaloux ; si je l’étois jamais…

il fait frémir, parce qu’il parle à l’imagination qui se représente aussitôt à la fois et vaguement des vengeances terribles et des excès inouïs ; et si Orosmane eût déclaré qu’il seroit capable de tuer sa maîtresse, il n’auroit fait aucune impression.

Le beau vers de situation des Troyennes :

Ces farouches soldats, les laissez-vous ici ?

ne fait une si vive sensation que parce que cette mère tremblant pour son fils qu’elle vient de cacher, n’ose demander ouvertement qu’on éloigne ces soldats ; elle contraint sa frayeur pour ne pas trahir son secret, et l’on frémit avec elle ; car le spectateur qui connoît sa situation, croit lire dans son âme ; il y découvre une inquiétude déchirante que nul langage ne pourroit exprimer.

Quand, dans Bajazet, Roxane dit :

Écoutez, Bajazet, je sens que je vous aime,

elle fait infiniment plus d’effet que si elle employoit l’expression la plus passionnée. Si elle s’écrioit je t’adore, le spectateur resteroit froid ; mais on voit que, voulant intimider Bajazet, et redoutant de lui donner des armes contre elle, son dessein est de cacher sa passion, et que, même dans ce mouvement qui la décèle, elle en contraint l’expression : alors ce mot si simple, surtout dans une femme naturellement si emportée, si violente, je sens que je vous aime, est mille fois plus théâtral que ne pourroient l’être le retour et les transports d’amour les plus véhémens.

Dans Phèdre, l’intérêt de la belle scène entre Hippolyte et Thésée, n’est fondé que sur la contrainte que s’impose le jeune prince qui ne veut point se justifier en accusant Phèdre.

Une des plus belles scènes de Zaïre est celle dans laquelle Orosmane veut cacher à Zaïre sa jalousie et sa colère.

Il seroit facile de multiplier à l’infini ce genre de citations, qui prouvent que la contrainte et la retenue qui, dans mille occasions, donnent aux sentimens tant de délicatesse, leur peuvent donner aussi souvent beaucoup plus d’énergie que les expressions les plus fortes, et que le langage le plus passionné. Le caractère naturel des femmes offre toutes ces ressources, tous ces moyens dramatiques ; il présente de plus le contraste le plus agréable ou le plus touchant avec celui des hommes : c’est donc une grande maladresse de le dénaturer, et qui décèle une extrême ignorance de l’art d’émouvoir et de plaire. Aussi les anciens et les modernes du bon temps n’ont fait parler avec véhémence que des femmes capables de commettre des crimes[4] : Hermione, Phèdre, etc. Mais quel doux langage dans les situations les plus violentes, que celui d’Andromaque, d’Iphigénie, de Josabet, de Zaïre, etc. ! et comme elles savent aimer ! quelle profondeur dans leurs sentimens !… Josabet craint pour sa religion et pour l’enfant qu’elle aime uniquement ; mais quel contraste admirable perdu, si, dans ses discours, elle avoit la force et la véhémence du grand-prêtre !

On reviendra à la nature et à la vérité ; c’est toujours par un défaut de réflexion et de goût qu’on s’en écarte. Ici une objection se présente : Les femmes, parmi nous si différentes des sauvages, sont-elles réellement ce que la nature a voulu qu’elles fussent, et ce qu’elles doivent être ? Oui, parce que les sauvages ne sont que dans un état de dégradation et d’anarchie. Dieu qui n’a rien fait en vain, n’a pas donné à l’homme tant de facultés intellectuelles pour que ces facultés admirables restassent enfouies. Les développer, les étendre, c’est remplir le vœu de la nature. L’homme est évidemment fait pour vivre en société, pour avoir un culte, des lois, et pour cultiver les sciences et les arts. Chez les sauvages, toutes les lois de la nature sont outragées, tous les droits usurpés au hasard, parce qu’ils y sont méconnus : de profondes réflexions, l’expérience des siècles, l’accord unanime de tous les peuples civilisés, ont fixé les idées sur la véritable destination des femmes, et par conséquent leur état dans la société.

Les femmes, plus foibles physiquement que les hommes, et dépositaires des enfans, ne sont pas destinées par la nature à combattre, à porter les armes ; et qui ne peut défendre, n’est pas fait pour commander et pour régner. Par la même raison, elles ont droit à la protection ; la force généreuse doit les dédommager par les égards et toutes les déférences, du pouvoir que la raison leur refuse. Beaucoup de princesses ont gouverné avec génie, avec succès, mais elles auroient acquis plus de gloire encore si elles eussent été des hommes. Les grâces sont si nécessaires à un être dont le véritable empire est fondé sur l’amour, que ni la morale, ni la politique n’empêcheront les femmes d’attacher un grand prix à ce frivole avantage : on n’en trouveroit peut-être pas une seule de vingt ans[5], qui, possédant une éclatante beauté, consentît (si l’échange étoit possible) à la perdre, pour acquérir un trône. Et dans une souveraine, quels pernicieux résultats peut avoir cette frivolité ! Ce fut une rivalité de figure et d’agrément, qui décida Elisabeth, reine d’Angleterre, à violer tous les droits sacrés de l’hospitalité, de la justice et de la royauté, en faisant périr sur un échafaud, au bout de dix-neuf ans de captivité, la reine infortunée qui étoit venue volontairement se remettre entre ses mains et lui demander un asile.

Il faut donc convenir qu’en général les femmes ne sont faites ni pour gouverner, ni pour se mêler des graves intérêts de la politique. Doit-on en conclure qu’en elles la supériorité de l’esprit est un malheur ? Non ? sans doute, puisque, épouses et mères, elles peuvent en faire un utile usage par l’ascendant de l’amour, de l’amitié, et par l’autorité maternelle. Enfin, pourquoi leur seroit-il interdit d’écrire et de devenir auteurs ? Je connois tous les raisonnemens qu’on peut opposer à cette espèce d’ambition, je les ai moi-même employés jadis avec ce sentiment de justice qui fait souvent pousser l’impartialité jusqu’à l’exagération ; maintenant, à la fin de ma carrière, je puis à cet égard parler plus librement, parce que je me sens tout à fait désintéressée dans une cause que je ne regarde plus comme la mienne.

L’argument le moins profond, le plus vulgaire, mais le plus fort aux yeux de tout le monde contre les femmes auteurs est celui-ci : que le goût d’écrire et le désir de la célébrité leur donnent du dédain pour la simplicité des devoirs domestiques : comme ces devoirs, dans une maison bien ordonnée, ne peuvent jamais prendre plus d’une heure par jour, cette objection est absolument nulle. Dans le siècle où les gens de lettres mènent la vie la plus dissipée, dans le siècle où l’on voit si peu d’auteurs laborieux, on feint de croire que, pour cultiver la littérature, il faut écrire sans relâche depuis l’aurore jusqu’au milieu des nuits : les personnes actives et sages trouvent sans peine le moyen d’accorder leurs devoirs avec des goûts nobles et utiles. S’il faut qu’une femme, après avoir le matin réglé ses comptes, et donné ses ordres à ses gens, se concentre ensuite dans cette pensée pendant tout le reste du jour, il faut non-seulement lui défendre de cultiver les arts, mais lui interdire aussi la lecture. Ce ne sont pas des goûts sédentaires qui peuvent distraire les femmes de leurs devoirs ; laissons-les écrire, si elles sacrifient à cet amusement les spectacles, le jeu, les bals et les visites inutiles. Voilà les dissipations dangereuses qui empêchent de bien élever ses enfans, qui désunissent et qui ruinent les familles. L’abus d’une chose jette toujours dans l’extrémité opposée. On a voulu faire de toutes les jeunes personnes des artistes célèbres ; aujourd’hui l’on soutient qu’une ignorance absolue est tout ce qui leur convient. On doute que cette manière de simplifier l’éducation répande beaucoup de charmes dans l’intérieur des ménages ; les dons de la nature sont si précieux, qu’on ne doit en rejeter aucun : ainsi toutes dispositions véritables, toute aptitude non douteuse à un art, méritent d’être cultivées, parce qu’alors on a la certitude de donner un grand talent, c’est-à-dire la plus noble de toutes les ressources dans l’adversité, et l’amusement le plus agréable et le plus innocent dans toutes les situations de la vie. Qu’on ne donne de maîtres de chant et d’instrument qu’aux jeunes personnes qui ont de la voix, de l’oreille et le sentiment de la musique ; qu’on n’enseigne le dessin qu’à celles qui ont le goût de cet art, et le nombre des amateurs sera infiniment restreint, et l’on ne rencontrera plus cette foule de petits talens à grandes prétentions, qui jettent tant d’ennui dans la société. La même règle peut s’appliquer aux élèves qui annoncent un esprit très-distingué. On doit mettre un soin particulier à former, à orner leur mémoire, et même à leur enseigner les langues savantes. Celles-là, par la suite, deviendroient vraisemblablement auteurs, mais elles entreroient dans cette carrière avec l’avantage immense que peuvent donner de bonnes études. Les femmes ignorantes et sans talent n’oseroient lutter contre elles avec cette inégalité de fait : on ne les compare point aux hommes, elles bravent leur supériorité ; mais elles craindroient celle des personnes de leur sexe : de sorte que le nombre effrayant des femmes auteurs seroit excessivement réduit, et il n’y en auroit plus de ridicules. Mais il faut que les femmes sachent à quelles conditions il leur est permis de devenir auteurs. i°. Elles ne doivent jamais se presser de faire paroître leurs productions ; durant tout le temps de leur jeunesse, elles doivent craindre toute espèce d’éclat, et même le plus honorable ; 2°. toutes les bienséances leur prescrivent de montrer invariablement dans leurs écrits le plus profond respect pour la religion, et les principes d’une morale austère ; 3°. elles ne doivent répondre aux critiques que lorsqu’on fait une fausse citation, ou lorsque la censure est fondée sur un fait imaginaire. Une femme qui, dans ses réponses, prendroit le ton violent de la colère, ou qui se permettroit la moindre personnalité, auroit beaucoup plus de tort qu’un homme, parce que son sexe lui impose plus de délicatesse, de modestie et de douceur. Je n’exhorte point les femmes à jouer un rôle de victimes ; au contraire, je les invite à prendre un avantage immense sur la plus grande partie des critiques modernes, par un ton noble et sérieux quand l’ironie est déplacée, et par des égards et une bienséance qui seroient aujourd’hui très-remarquables dans les discussions littéraires.

Les femmes, par la finesse d’observation dont elles sont capables, par la grâce et la légèreté de leur style, seroient elles-mêmes (avec des études et de l’instruction) d’excellens critiques des ouvrages d’imagination : mais ce genre a des règles comme tous les autres ; il n’est pas inutile de les rappeler brièvement ici.

La critique aujourd’hui n’est qu’un éternel persifflage plus ou moins spirituel, et toujours plus ou moins usé ; car depuis les Lettres provinciales, création et chef-d’œuvre de ce genre de critique, les auteurs ont pris un tel goût pour la moquerie, qu’ils en ont adopté le ton, même dans leurs propres fictions. Voltaire et ses imitateurs ne savent conter qu’en se moquant de ce qu’ils disent, de leurs personnages, de leurs héros, de leurs propres principes. Cette manière peut avoir de la grâce dans une courte narration, mais cette continuelle ironie, dans une multitude de contes, y jette une monotonie que l’esprit seul de Voltaire pouvoit faire pardonner.

Comme il y auroit autant d’inconséquence que d’impolitesse à se moquer d’une personne qu’on estime, il n’est ni plus honnête, ni plus convenable de prendre ce ton insultant, en rendant compte d’un ouvrage estimable, et qu’on reconnoît pour tel. La censure alors doit être sérieuse ; la sévérité n’est point offensante, la raillerie l’est toujours dans cette occasion ; l’ironie, c’est-à-dire la moquerie, n’est bien placée que lorsque l’on critique un ouvrage ridiculement écrit, ou qui contient des principes dangereux, ou lorsque l’auteur, en parlant de lui-même, montre sans pudeur un orgueil révoltant. Car, comme le dit un ancien cité par Pascal : Rien n’est plus dû à la vanité que la risée ; hors ces trois cas, il est injuste, il est du mauvais goût de joindre de petites moqueries à des éloges mérités : mais on veut être toujours piquant, on n’a qu’une manière, et l’on est commun.

Après les injures, rien ne nuit à l’effet de la critique comme le ton de malveillance, et l’ironie le donne toujours. Plus la critique est délicate, polie, plus elle paroît ménagée, et plus elle porte coup. Le lecteur va beaucoup plus loin que le critique, s’il peut croire qu’il ménage celui qu’il censure. Une teinte d’exagération aux éloges mettroit le comble au poids des critiques ; ce soin de les contre-balancer les rendroit plus piquantes. Je ne propose point un art perfide, je propose d’adopter, dans les écrits, la grâce, l’urbanité, la politesse dont rien ne dispense dans la société et dans la conversation.

Il est étrange que dans une classe où l’éducation a été plus soignée, où les études ont été meilleures, des hommes bien nés, et distingués par leur esprit et leurs connoissances, se permettent, en écrivant, ce qu’ils rougiroient de se permettre dans de simples entretiens, et ce qui, en effet, ne pourroit être toléré en bonne compagnie. S’il existoit un état où l’on eût, impunément et sans conséquence, la liberté d’injurier publiquement ceux qu’on n’aime point, d’attaquer sans ménagement ceux dont on n’a point à se plaindre, et de manquer d’égards à tout le monde, cet état seroit bien méprisable ; heureusement il n’en est point de tel. L’état de journaliste, très-honorable et très-utile aux lettres, demande autant de qualités morales que de talens littéraires. Il est même nécessaire qu’un journaliste ait l’usage du monde, afin qu’il puisse contredire sans impertinence, décider sans prendre un ton doctoral, et critiquer sans offenser : celui-là réservera les traits piquans, pour ridiculiser le vice, le mauvais goût ; il emploiera la raillerie, la moquerie contre l’orgueil et les sots présomptueux, et il aura assez d’occasions d’en faire usage.

Le bon goût, les vrais principes de la littérature bien médités, suffiroient pour établir, parmi les gens de lettres, des égards, une délicatesse qui auroient une grande influence sur les sentimens ; le respect pour soi-même, l’intérêt personnelles emploieroient ; mais l’esprit, le talent y gagneroient, et même la morale et les mœurs. L’auteur, critiqué sans être outragé, seroit forcé de répondre sans humeur ; on ne verroit plus de ces querelles grossières, aussi ridicules que scandaleuses, qui font triompher les sots, toujours charmés de pouvoir se persuader qu’on manque de savoir-vivre et d’honnêteté dès qu’on se consacre à la littérature.

Chez toutes les nations civilisées, le pouvoir suprême des formes l’emporte presque toujours, dans la société, sur le fond des choses. Il semble que nos procédés, inspirés par l’exemple et par des principes reçus, nous appartiennent moins que nos manières qui nous sont propres. C’est ainsi que la reconnoissance et l’amitié naissent moins des bienfaits que des formes qui les accompagnent ; et de même, ce n’est pas la critique qui nous blesse et qui nous irrite, c’est la manière dont on la fait. N’oserois-je parler des égards particuliers que des gens de lettres, des Français, doivent aux femmes qui sont entrées dans la même carrière ? Pourquoi le craindrois-je ? On peut faire librement ces réflexions quand on écrit depuis trente-cinq ans. Je dois être accoutumée au ton de critique dont je suis l’objet. Je reconnois même avec plaisir que souvent j’ai eu lieu d’en être contente : ainsi je m’oublierai, sans aucun effort, dans l’examen que je vais faire.

J’ai lu dans un journal cette étrange sentence contre les femmes auteurs : qu’elles ne méritent aucun égard, parce qu’en de venant auteurs, elles abjurent leur sexe et renoncent à tous leurs droits, etc.

Cet arrêt est d’autant plus foudroyant, qu’il est formel, absolu, sans adoucissement, sans aucune exception… Quoi ! madame de la Fayette, madame de Lambert, madame de Graffigny, ces femmes charmantes, d’une conduite si irréprochable, d’un talent si distingué, abjurèrent leur sexe en devenant auteurs, et ne méritoient plus d’égards ! On ne pensoit pas ainsi dans le temps où elles ont vécu. À quoi doivent donc s’attendre les femmes auteurs qui n’ont ni ce rare mérite, ni cette considération personnelle ? Elles seront donc poursuivies, injuriées, bafouées impitoyablement et sans relâche ! Et celles qui auroient eu le malheur de faire de mauvais ouvrages, et d’y insérer des erreurs répréhensibles, quel seroit leur sort ? On les lapideroit apparemment.

Si l’on disoit que celui qui a prononcé une telle sentence contre les femmes, abjuroit dans ce moment son sexe et sa patrie, ce jugement rigoureux seroit approuvé de tous les Français.

Une femme qui n’a écrit que des ouvrages moraux ou utiles, et avec succès, mérite tous les égards dus à son sexe et tous ceux que l’on ne peut refuser aux auteurs estimables : celle que son imagination égareroit, et qui publieroit un ouvrage condamnable, en mériteroit moins sans doute ; mais il faudroit encore, en la critiquant, se rappeler toujours que l’auteur est une femme, elle n’auroit point abjuré son sexe ; un écart n’est point une abjuration.

Enfin, on veut au vrai nous persuader que, dès qu’une femme s’écarte de la route commune qui lui est naturellement tracée, alors même qu’elle ne fait que des choses glorieuses et qu’elle conserve toutes les vertus de son sexe, elle ne doit plus être regardée que comme un homme, et qu’elle n’a aucun droit à un respect particulier : par conséquent, madame Dacier, qui traduisit Homère avec une si profonde érudition ; la maréchale de Guébriant, qui remplit les fonctions d’ambassadeur, et qui en eut le titre, n’étoient au vrai que des espèces de monstres ! De toutes les carrières, celle qui convient le moins aux femmes est assurément celle des armes. Néanmoins les héros ont cru devoir se montrer plus magnanimes envers des femmes guerrières qu’avec des ennemis de leur sexe. Hercule, qui vainquit les Amazones, leur rendit les plus grands honneurs : dans les combats littéraires de nos jours, on ne voit rien de semblable ; les journalistes n’ont ni la massue d’Hercule, ni sa générosité.

Dans le siècle de Louis XIV, où l’on vit tant d’hommes d’un talent éminent, où l’on vit briller tous ces génies sublimes qui ont à jamais illustré la littérature française, dans ce siècle où les mœurs furent infiniment plus graves que les nôtres, il y eut une multitude de femmes auteurs dans tous les genres et dans toutes les classes ; et non-seulement les gens de lettres ne se déchaînèrent point contre elles, ne déclamèrent point contre les femmes auteurs, mais ils se plurent à les faire valoir et à leur rendre tous les hommages de l’estime et de la galanterie. Cette conduite, ces procédés n’ont rien qui doive surprendre. Alors nulle rivalité d’auteurs ne pouvoit raisonnablement exister entre les hommes et les femmes, et l’on sait que la supériorité incontestable est toujours indulgente, et que la force est toujours généreuse.



DE L’INFLUENCE
DES FEMMES
SUR
LA LITTÉRATURE FRANÇAISE,
COMME PROTECTRICES DES LETTRES
ET COMME AUTEURS.


RADEGONDE,
Femme de Clotaire Ier[6].


En faisant des recherches sur la vie des protectrices des savans et des gens de lettres, on voit ce qu’on ne pourroit trouver chez aucune autre nation, une suite non interrompue, depuis le commencement de la monarchie jusqu’à nos jours, de reines et de princesses qui ont encouragé, protégé tous les talens, et même cultivé la littérature avec succès : ainsi l’influence des femmes dans ce genre a dû être plus marquée et plus heureuse en France que partout ailleurs. La première reine, amie des muses, qui se présente, est Radegonde, fille de Berthaire, roi de Thuringe, née en 519 ; elle se trouva au nombre des prisonniers faits par Clotaire Ier, après la défaite des Thuringiens. Radegonde, encore enfant, fut élevée avec soin, par les ordres de Clotaire, dans le château d’Athiès, en Vermandois. Sa beauté toucha le cœur de ce roi barbare, qui fit périr ses enfans : Clotaire l’épousa[7]. Radegonde ne put se trouver heureuse sur un trône occupé par un prince féroce, meurtrier de son fils et de toute sa famille ; elle obtint la permission de se retirer dans un cloître, et prit le voile à Noyon, de la main de saint Médard : cet instituteur de la Rosière de Salency, qui posa sur la tête innocente d’une jeune vierge la première couronne de roses, prix champêtre de la vertu, fut appelé pour détacher le diadême du front d’une reine sa souveraine, et pour substituer à sa couronne royale l’humble bandeau de religieuse. Radegonde fonda à Poitiers le fameux monastère de Sainte-Croix ; loin d’y vouloir commander, elle y fit élire une abbesse, et y vécut simple religieuse jusqu’à sa mort. Elle eut le mérite, si rare dans ces temps de barbarie, d’aimer les sciences et la littérature ; elle écrivoit en latin. Elle protégea plusieurs savans, entr’autres Fortunat et Grégoire de Tours.

Clotaire avoit pour elle une telle estime, qu’il lui conserva toute sa confiance, malgré une séparation à laquelle il n’avoit consenti qu’avec un extrême regret. Radegonde ne se servit de son ascendant sur lui que pour adoucir sa férocité ; les malheureux trouvoient en elle une pitié tendre, active, et presque toujours une protection efficace. Ils devoient à ses sollicitations quelquefois leurs biens ou leur liberté, et même souvent la vie. Elle frémissoit dès qu’elle entendoit parler de guerres, ou de discordes entre les grands ; alors, elle mettoit tout en usage, lettres, vœux, prières, pour écarter ces fléaux. Elle écrivoit, dans ces occasions, au roi son époux, à ses ministres, aux évêques ; ange tutélaire d’un royaume malheureux, gouverné par une main foible et cruelle, et déchiré par l’ambition des grands, son âme élevée vers les cieux, ne se détachoit de cette douce et sublime contemplation que pour veiller sur le bonheur de la France : ayant renoncé à toutes les pompes du monde, elle voulait en ignorer les plaisirs et les joies trompeuses ; elle n’écoutoit que les récits de l’infortune, dans l’espoir de soulager le malheur ou de prévenir de grands désastres. Clotaire fournissoit avec générosité aux dépenses qu’exigeoit son immense charité. Son monastère devint le refuge des pauvres et de tous les êtres souffrans ; chaque douleur, chaque infortune y trouvoit des secours et des consolations. Le sentiment que Clotaire avoit pour elle, ressembloit à la foi religieuse ; il étoit forcé d’admirer ses vertus, de reconnoître la vérité, l’utilité des principes de cette femme angélique, quoique tout en elle fût en opposition avec ses penchans et son caractère. Cette princesse, qui honora également son sexe, le trône et le cloître, mourut vers 587. Elle a été canonisée.




GISELLE,

Sœur de Charlemagne.


Giselle, sœur de Charlemagne, seconda ce grand prince dans la protection qu’il accorda aux savans et aux gens de lettres, de concert avec Rotrude, fille aînée de Charlemagne. Elle engagea le célèbre Alcuin à composer divers ouvrages ; Alcuin dédia à ces deux princesses son Commentaire sur saint Jean. Giselle mourut vers l’an 810.




MARGUERITE DE PROVENCE,

Femme de saint Louis, roi de France.

Marguerite, fille aînée du comte de Provence, épousa saint Louis en 1234 ; elle fut l’une des plus belles princesses de son temps, et digne par ses mœurs, sa piété, ses vertus et son esprit, de partager le trône et de posséder le cœur d’un si grand roi. La reine Blanche, mère de Louis, ne vit pas sans jalousie la vive affection de son fils pour sa jeune épouse ; et Louis sut compatir à cette foiblesse maternelle. Il pensa avec raison qu’il n’est point de condescendance qu’un fils reconnoissant ne doive avoir pour celle qui lui a donné le jour, et Blanche étoit la meilleure des mères.

Le roi n’eut plus avec Marguerite que des entrevues mystérieuses : il avoit dressé un chien à l’avertir par ses aboiemens, lorsque Blanche survenoit inopinément chez la jeune reine ; alors Louis se sauvoit par une porte dérobée : ces craintes, ces précautions ingénieuses, contribuèrent à resserrer les nœuds sacrés d’une union si tendre. Ainsi l’amour le plus légitime et le plus pur s’accrut encore par les ménagemens touchans de la piété filiale.

On admiroit, à cette cour, un jeune roi d’une piété exemplaire, et deux princesses, Blanche et Marguerite, également célèbres par leur beauté, leurs vertus et leur sagesse. Aussi, à cette époque mémorable, si l’on eût voulu chercher le tableau enchanteur des mœurs de l’âge d’or, on ne l’eût trouvé parfait qu’à la cour. La vertu dans les champs et dans les chaumières est le fruit d’une habitude heureuse, et le résultat d’une vie obscure, exempte de tentations et de pièges dangereux ; mais ornée de la pourpre et du diadème, entourée de toutes les séductions humaines, il semble qu’elle soit personnifiée ; on la voit dans toute sa perfection, victorieuse au milieu de ses plus beaux triomphes, revêtue d’une puissance divine, et de tout l’éclat qui doit l’environner.

La cour de saint Louis offroit la réunion et le modèle de tous les sentimens les plus touchans, et de toutes les vertus les plus sublimes ; la tendresse maternelle, la piété filiale, l’amour conjugal, l’amitié fraternelle, la justice, la clémence, la bonté, la douce et populaire affabilité. Là les courtisans, toujours imitateurs, n’avoient qu’un noble moyen de parvenir aux honneurs et à la fortune, celui de conformer leurs mœurs à celles de leur souverain. Pour plaire à Louis, il falloit faire tout ce qui plaît à la Divinité ; son autorité se confondoit avec celle de la conscience.

Cette cour ne fut ni triste, ni même austère ; il y régnoit une noble liberté ; et les mémoires de Joinville nous font connoitre que Louis aimoit la conversation et les bons mots, qu’il en disoit souvent lui-même, et qu’une douce gaîté formoit le fond de son caractère. Blanche et Marguerite protégeoient les savans et les gens de lettres ; Marguerite, surtout, avoit beaucoup de goût pour la poésie : elle attira à la cour, et sut récompenser tous les auteurs célèbres de ce temps ; mais elle vouloit que leurs productions fussent chastes et pures comme les muses qu’ils iuvoquoient. Un poète provençal, avant osé lui dédier un poème dans lequel se trouvoient quelques vers licencieux, elle le fit exiler aux îles d’Hières.

Marguerite suivit Louis en Egypte, laissant sa fille Isabelle sous la garde de la reine-mére ; elle mit au jour, à Damiette, un fils qu’elle surnomma Tristan, parce qu’il vint au monde trois jours après la triste nouvelle de la captivité du roi. Le jour même de la naisssance de cet enfant, les troupes pisanes et génoises, qui étoient en garnison à Damiette, voulurent s’enfuir, sous prétexte qu’on ne les payoit pas. La reine fit venir au pied de son lit les principaux officiers, et leur parla avec tant de noblesse et de fermeté, qu’elle les fit renoncer à ce lâche dessein ; de telles troupes, défendant la place, ne dévoient pas inspirer une grande confiance : aussi la reine, pénétrée de terreur, en songeant avec quelle facilité les Sarrazins pouvoient s’emparer de Damiette, fit veiller dans sa chambre un brave et vieux chevalier de quatre-vingts ans. Un jour, elle le conjura de lui promettre qu’il lui couperoit la tête, si les Sarrazins se rendoient maîtres de la ville : Madame, répondit le chevalier, j’y avois pensé avant que vous m’en eussiez parlé.

Ce fut dans la Palestine qu’elle apprit la mort de la reine Blanche : quoiqu’elle n eût pas lieu de l’aimer, elle pleura beaucoup, et ce fut avec sincérité. Joinville qui vit couler ses larmes, lui dit avec sa liberté naïve, qu’on avoit bien raison de ne pas se fier aux pleurs des femmes. Sire de Joinville, répondit la reine avec autant de bonté que de franchise, ce n’est pas pour elle que je pleure, c’est parce que le roi est très-affligé, et que ma fille Isabelle est restée en la garde des hommes.

Marguerite survécut à Louis. Elle avoit une raison si supérieure et une telle réputation de droiture, que plusieurs fois des princes la prirent pour arbitre de leurs différends ; hommage que son époux avoit déjà obtenu, et de ses ennemis même.

Marguerite mourut à Paris, en 1285, à soixante-seize ans.


JEANNE DE FRANCE ET DE NAVARRE,
Femme de Philippe le Bel.

Cette princesse, aussi courageuse que spirituelle, étoit fille unique et héritière de Henri Ier, roi de Navarre et comte de Champagne. Le comte de Bar étant venu l’attaquer en Champagne, elle se mit à la tête d’une petite armée, le força de se rendre, et le retint long-temps en prison. Le titre de gloire le plus solide et le plus durable de cette princesse, est d’avoir fondé le fameux collège de Navarre. Cette maison offrit successivement, pendant plusieurs siècles, une suite d’élèves illustres. Pour éterniser la reconnoissance due au bienfait de cette fondation, il suffira de dire que Bossuet fut élevé dans ce collège[8].

Jeanne de Navarre mourut à Vincennes, le 2 avril 1305, à trente-trois ans.


MARGUERITE D’ÉCOSSE,
Première femme de Louis XI.

Marguerite d’Écosse ne fut point reine de France : elle mourut en 1445 à vingt-six ans ; Louis XI n’étoit pas encore sur le trône.

Marguerite aima la littérature avec passion ; et tant qu’elle vécut, ses Lienfaits attirèrent et fixèrent à la cour les gens de lettres et les savans. Son admiration pour Alain Chartier, grand politique, bon poète et moraliste, passa de beaucoup les bornes de celle qui peut honorer une princesse et même une femme, du moins s’il en faut croire les historiens, qui rapportent que, trouvant un jour Alain Chartier endormi sur une chaise, elle lui donna un baiser sur la bouche. Les seigneurs de sa suite, ajoutent les historiens, s’étonnant quelle eût appliqué sa bouche sur celle d’un homme aussi laid (quoique la beauté, dans ce cas, n’eût pas rendu l’action moins surprenante), la princesse répondit qu’elle n’avoit pas baisé l’homme, mais la bouche de laquelle étoient sorties tant de belles choses !

Dans aucun temps, une telle action d’une jeune princesse n’a pu paroître excusable. Nous voyons, dans des histoires beaucoup plus modernes, tant d’anecdotes fausses, qu’il est bien permis de révoquer en doute un trait aussi bizarre.

C’est par une protection sage, éclairée, que les princesses peuvent honorer les lettres, et non par un enthousiasme indécent et ridicule. Au reste, cette princesse eut à cet égard une heureuse influence sur son siècle ; elle inspira au sombre et farouche Louis XI le goût des sciences et de la littérature : ce prince, oppresseur des nobles et du peuple, protégea toujours avec éclat les artistes, les négocians industrieux, les savans et les poètes. Il fît recueillir les Cent Nouvelles nouvelles ; il paya les imprimeurs allemands que le prieur de Sorbonne avoit fait venir de Mayence ; il établit des manufactures et les postes aux lettres, jusqu’alors inconnues en France ; il fonda des universités : ce fut sous son règne que se fit la première opération de l’extraction de la pierre sur un archer condamné à mort, auquel il accorda sa grâce, à condition qu’il subiroit l’opération, qui réussit parfaitement. Voilà de grandes choses ; mais que sont-elles dans un roi, sans la justice et la bonté ?


ANNE DE BRETAGNE,

Cette princesse, fille unique et héritière de François II, dernier duc de Bretagne, naquit a Nantes, le 26 janvier 1467 ; son éducation fut confiée à Françoise de Dinant, dame de Laval, qui eut la gloire de former en elle une princesse accomplie, recherchée par tous les princes de l’Europe. Anne épousa Charles VIII, roi de France. Elle eut le mérite de maintenir à la cour le goût des lettres durant le règne de Charles VIII, prince très-insouciant à cet égard. Anne étoit spirituelle, éloquente ; elle savoit le latin ; elle répondoit avec grâce et facilité à ceux qui la haranguoient ; elle combla de bienfaits les savans et les poètes. Jean Marot, père de Clément, prenoit la qualité de poëte de la magnifique reine Anne de Bretagne. Elle fut aussi recommandable par sa piété et par la pureté de ses mœurs, que par son esprit. Elle fit un grand nombre de fondations charitables. Charles, en partant pour aller faire la conquête du royaume de Naples, osa confier les rênes de l’état à la jeune reine, a peine âgée de dix-huit ans ; et cette confiance de l’amour auroit pu être l’effet du discernement le plus sûr. Anne, durant l’absence de son époux, gouverna avec une sagesse parfaite. Charles VIII mourut en 1498. La première épouse de Louis XII, Jeanne de France, fille de Louis XI, victime auguste d’un amour légitime, s’immolant au bien de l’état et au bonheur de l’époux qu’elle adoroit, consentit à son divorce avec Louis XII, et s’ensevelit dans un cloître, et Louis XII épousa Anne de Bretagne. Ce prince, si justement surnommé le père du peuple, partagea le noble goût de son épouse pour les sciences et les beaux-arts : il appela auprès de lui les plus savans hommes d’Italie, leur donna des pensions, les combla d’honneurs, et en éleva plusieurs aux premières places. Ce fut sous ce règne mémorable et paternel que l’on commença à enseigner le grec dans l’université. Enfin, Louis XII prépara en partie tout ce que son successeur fit avec plus d’éclat pour les lettres. Anne mourut au château de Blois, le 9 janvier 1514.


LA DUCHESSE D’ANGOULÊME.

Il est bien juste de placer à la tête des protectrices les plus illustres et les plus utiles des gens de lettres, la princesse qui fut mère et institutrice de François Ier, le restaurateur de la littérature et des beaux-arts. Ce fut elle qui inspira à son fils ce goût brillant qui répandit tant d’éclat sur un règne si malheureux. La duchesse remplit tous les devoirs d’épouse, de mère et de régente. Devenue veuve dans la fleur de l’âge, elle se consacra entièrement à l’éducation de ses enfans : tant que ses soins leur furent nécessaires, l’amour maternel la préserva de toutes les passions ; durant tout cet espace de temps, une affection dominante, et non des principes raisonnes, la retint dans la route heureuse de la vertu. Quand son fils monta sur le trône, sa vie remplie d’innocence étoit exempte de tout reproche, sans que son âme fût affermie dans la vertu. N’ayant fait jusqu’alors que suivre le penchant de son cœur, elle n’avoit pu contracter la salutaire habitude d’en combattre les mouvemens. Et comment l’acquérir au faîte delà grandeur, lorsqu’avec un caractère impérieux, on n’a jamais cherché à réprimer ses défauts, qu’on est tout à coup environnée de toutes les séductions réunies, et que venant de quitter un genre de vie sédentaire, dont tous les instans étoient occupés par l’exercice des plus doux devoirs, on se trouve subitement transportée au milieu d’une cour trompeuse, et livrée à tous les dangers de la flatterie et de l’oisiveté ? Le désœuvrement la jeta dans l’intrigue ; d’ailleurs, elle se fit de la juste reconnoissance du roi, un droit de gouverner ; elle n’avoit eu jusqu’à ce moment qu’une ambition relative, la seule qui convienne à une femme ; elle en prit une personnelle, et bientôt le sentiment le plus violent et le plus malheureux acheva de dénaturer son caractère : son funeste penchant pour le connétable de Bourbon priva la France d’un grand homme, et causa tous les désastres de ce règne. On n’outrage pas une jeune personne en ne partageant point ses sentimens ; mais l’amour déçu d’une femme de quarante-cinq ans est toujours un amour méprisé ; le ressentiment est la suite ordinaire d’une passion extravagante et ridicule à tous les yeux. Celui de la duchesse d’Angoulême fut atroce : une persécution inouïe jeta l’infortuné connétable dans une révolte qui lui ravit sans retour sa patrie, sa vertu, sa gloire et le repos.

La mort tragique de Semblançai est encore une tache ineffaçable dans la vie de la duchesse. D’ailleurs cette princesse ne pouvoit manquer de seconder le roi dans la protection qu’il accordoit aux arts, puisqu’elle lui en avoit inspiré le goût. Elle fut excessivement louée par les poëtes ; mais les plus beaux vers n’immortalisent point les princes quand leurs actions les contredisent. La duchesse d’Angoulême mourut, en

1532, à cinquante-cinq ans[9].
MARGUERITE DE VALOIS,
Reine de Navarre, sœur de François Ier.

Marguerite de Valois, reine de Navarre, sœur de François Ier, et fille de Charles d’Orléans, duc d’Angoulême, et de Louise de Savoie, naquit à Angoulême, en 1492. Elle épousa en premières noces Charles, dernier duc d Alençon, premier prince du sang, et connétable de France, après la défection du malheureux Bourbon. Le duc d’Alençon, prince sans caractère, fut l’ennemi du connétable de Bourbon : il mourut à Lyon, en 1525, après la bataille de Pavie, où il se conduisit lâ- chement. Marguerite épousa en secondes noces Henri d Albret, roi de Navarre ; Jeanne d’Àlbret, mère de Henri le Grand, fut l’heureux fruit de cet hymen.

Marguerite non-seulement aima et protégea les lettres, mais elle les cultiva. Elle écrivoit en vers et en prose ; elle excelloit, dit-on, dans l’art de faire des devises, et les mit à la mode dans cette cour galante et frivole. Il est sans doute désirable que les princes ayent assez le goût des lettres pour être en état de les protéger avec discernement ; mais ce goût, lorsqu’il est passionné, est rempli d’inconvéniens pour eux. Les princes alors attachent trop de prix aux simples productions de l’esprit ; ils peuvent trop facilement se laisser séduire par des sophismes ingénieux et par des opinions dangereuses, soutenues avec éloquence. La manie du bel-esprit fait souvent admirer des bons mots répréhensibles, des productions condamnables ; elle rend superficiel, parce qu’elle ne s’attache qu’à l’écorce, et que des formes agréables et spirituelles lui font tout excuser. Le vrai génie des princes est beaucoup moins dans l’imagination que dans la parfaite justesse des idées ; il n est pas nécessaire qu’il soit brillant, il faut surtout qu’il soit solide.

Marguerite eut des mœurs très-pures, quoique les ouvrages qui nous restent d’elle semblent prouver le contraire. On ne conçoit pas que la main d’une femme, d’une princesse, ait pu écrire des contes si licencieux ; mais le désir de montrer de l’esprit et de l’imagination lui fit oublier toutes les bienséances de son sexe et de son rang.

Cette manie égara Marguerite dune manière beaucoup plus coupable ; elle fit un petit ouvrage sur la religion, intitulé : Le Miroir de lame pécheresse, qui fut censuré par la Sorbonne. Cette condamnation la révolta, et l’amour-propre d’auteur, profondément Liesse, lui fit adopter en secret les nouvelles opinions ; elle eut des conférences avec des théologiens protestans ; et tandis que le roi son frère, avec un zèle odieux que l’évangile réprouve, poursuivoit inhumainement les protestans, Marguerite, qui n’auroit dû que les protéger contre une persécution barbare, se livroit à leurs erreurs. Cependant, sur la fin de sa vie, elle ouvrit les yeux, et revint sincèrement à la vérité. La même prétention à l’esprit lui fit aussi pousser beaucoup trop loin la complaisance que peut avoir une sœur, une amie. Ce fut elle qui, à la prière de François Ier, composa toutes les devises d’amour des bagues et des bijoux dont ce prince fit présent à la comtesse de Châteaubriant. Par la suite, la duchesse d’Etampes, nouvelle favorite, voulut avoir ces belles devises, devenues célèbres à la cour, et le galant François Ier eut la cruauté de les faire demander à la comtesse : celle-ci s’engagea à les rendre le lendemain ; elle fit fondre tous ces bijoux, sans respect pour les jlevises que l’inconstance destinoit à sa fivale, et elle n’envoya au roi qu’un lingot d’or.

François Ier acquit aussi le talent de faire des vers : on dit que, se trouvant un jour dans le château d’Arthus Gouflier de Boissy, autrefois son gouverneur, il s’amusa à feuilleter un livre sans lequel madame de Boissy avoit dessiné les portraits de plusieurs personnes illustres. Le roi fit des devises pour chaque portrait, et il composa et écrivit sous celui d’Agnès Sorel ces vers si connus :

Gentille Agnès, plus d’honneur tu mérite,
La cause étant de France recouvrer,
Que ce que peut dedans un cloître ouvrer,
Close nonain ou bien dévot hermite.

Cette cour si brillante par la galanterie, la bravoure chevaleresque et la gaîté, en attirant en France les savans, les poètes et les artistes étrangers, répandit le goût des arts, des fêtes et des plaisirs de l’esprit, et commença à former le caractère national. L’exemple d’une reine jeune et charmante eut une grande influence sur les femmes qui, depuis cette époque, cultivèrent davantage leur esprit. L’Europe entière convint que la cour de François I er effaçoit toutes les autres par sa politesse ei ses agrémens, et que le peuple français étoit le plus aimable de la terre ; le ca-f ractère loyal et généreux, les saillies y la gaîté et les exploits de Henri le Grancï contribuèrent à affermir cette opinion i que la fin du règne de Louis XIII et le règne entier de Louis XIV achevèrent de fixer. François Ier et Marguérite, sa sœur, commencèrent à donner aux Français cette réputation de grâce et d’agrément qu’on ne leur à jamais contestée depuis ; mais ils leur donnèrent aussi celle d’une extrême frivolité, Henri IV, par sa droiture, et ce mélange à la fois admirable et piquant de vaillance et de bonté, de clémence et de justice, d’héroïsme, de gaité et de popularité, donna au caractère national quelque chose d’aimable et de généreux qui distingue particulièrement les Français. L’un eut plus d’influence sur les manières et sur la cour ; l’autre en eut davantage sur le peuple et sur la nation entière.

Une femme célèbre par ses vastes connoissances et sa profonde piété, Claudine de Bectoz, abbesse du monastère de Saint-Honoré de Tarascon, vivoit sous ce règne : Marguerite et François Ier l’honorèrent d’une protection particulière. Cette religieuse savoit parfaitement le latin, et publia plusieurs ouvrages français et latins en vers et en prose. François Ier lui ordonna de lui écrire ; il faisoit tant de cas de ses lettres, qu’il les portoit souvent, dit-on, sur lui, et qu’il les montroit aux dames de sa cour comme des modèles dans ce genre d’écrire. Étant à Avignon, il alla à Tarascon avec sa sœur Marguerite, uniquement pourvoir cette religieuse et s’entretenir avec elle.

Marguerite eut pour son frère une affection touchante : lorsqu’il fut prisonnier en Espagne, elle alla à Madrid et contribua beaucoup à sa délivrance. Cette princesse mourut avec beaucoup de piété, le 2 décembre 1549, à cinquante-sept ans.




MARGUERITE DE FRANCE.

Une fille de François Ier devoit aimer les lettres : aussi cette princesse, à l’exemple du roi son père, répandit-elle ses bienfaits sur les savans et sur les gens de lettres. Elle épousa, en 1559, Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, Elle fit fleurir les arts à sa cour. Cette princesse savoit le grec et le latin ; elle fut aussi pieuse que spirituelle et savante, et ce qui vaut mieux que tous les éloges des poëtes, elle se fit adorer de ses sujets qui la surnommèrent la Mère du peuple. Elle mourut en 1574, à cinquante un ans



JEANNE D’ALBRET.

Cette princesse, fille de Henri d’Albret, roi de Navarre, fut mariée à Moulins, le 20 octobre 1548, à Antoine de Bourbon. Jeanne d’Albret développa, dans tout le cours de sa vie , un caractère plein de courage et d’énergie. Elle eut la gloire d’élever soi fils Henri IV, de choisir ses instituteurs de diriger son éducation, et de forme ; l’esprit et le cœur de ce grand prince Jeanne embrassa le parti des huguenots par haine contre le pape qui avoit enlevé à son père le royaume de Navarre, en publiant une bulle appuyée des armes de l’Espagne. Jeanne se distingua dans ce parti par sa fermeté, et dans toute l’Europe par son goût pour les lettres. Elle mourut deux mois avant le massacre de la Saint-Barthélemi, en 1572.

La princesse de Navarre, Catherine de Bourbon, fille de Jeanne d’Albret et sœur de Henri IV, eut aussi beaucoup de mérite et d’esprit : elle faisoit, dit-on, des vers, dès l’âge de douze ans. Henri IV la maria, en 1 599, au duc de Bar. On prétend que ce fut contre l’inclination de la princesse, qui aimoit le comte de Soissons. Cette anecdote a fourni à mademoiselle de la Force le sujet d’un roman historique.



CATHERINE DE MÉDICIS.

C’est à regret que l’on place parmi tant de noms illustres, un nom déshonoré par la plus honteuse superstition, et par une politique artificieuse et sanguinaire. Catherine, indifférente à toutes les religions, excita de sang-froid toutes les fureurs du fanatisme : sans Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/96 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/97 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/98 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/99 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/100 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/101 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/102 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/103 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/104 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/105 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/106 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/107 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/108 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/109 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/110


LOUISE DE LORRAINE,
Princesse de Conti.

Louise, princesse de Conti, étoit fille du duc de Guise surnommé le Balafré. Elle naquit en 1574, et mourut en 1631. On lui doit les Amours du grand Alcandre : c’est une histoire satirique des amours de Henri IV. Cette princesse aima la littérature, et protégea avec discernement ceux qui la cultivoient.




MARIE DE MÉDICIS.

Fille de François II de Médicis, grand-duc de Toscane, et femme de Henri le Grand, Marie de Médicis naquit à Florence l’an 1573 ; son mariage avec Henri IV fut célébré en 1600. Le caractère impérieux, jaloux, et l’ambition de Marie causèrent tous ses malheurs ; avec un esprit plus étendu, elle auroit pu jouer un grand rôle après la mort de Henri le Grand ; elle avoit Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/112 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/113 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/114 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/115 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/116 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/117 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/118 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/119 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/120 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/121

Marie aimoit les devises ; elle avoit pris, en 1608, celle-ci : Une Junon appuyée sur son paon, avec ces mots : Viro partuque beata. Après la mort de Henri, elle prit un pélican s’ouvrant le sein pour ses petits, et ces paroles : Tegit virtute minores.

Cette princesse avoit les passions si violentes, que sa colère alloit jusqu’à la fureur ; on dit qu’elle pleuroit avec tant de véhémence, que ses larmes ne coûtaient pas : elle les dardoit d’une manière effrayante.




LA DUCHESSE D’AIGUILLON, Nièce du cardinal de Richelieu.

Cette duchesse d’Aiguillon fut la première femme de la cour dont la maison ait été ouverte à tous les gens de lettres. Il étoit naturel que ces derniers fussent accueillis ainsi par la nièce du fondateur de l’Académie française. Là, tous les académiciens, et tous ceux Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/123 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/124 étendoit son immense charité jusque sur les fous et les galériens. Le commandeur de Sillery, qui avoit été ambassadeur à Rome, vendoit son hôtel, ses tableaux, ses meubles, ses bijoux, pour employer tout cet argent aux établissemens formés par saint Vincent de Paule ; en outre, il avoit renvoyé tous ses gens avec des pensions, s’étoit réduit au plus strict nécessaire, afin de donner tout son revenu, durant tout le reste de sa vie, à l’Hôtel-Dieu. Tels étoientles fruits de la charité chrétienne. Que citera-t-on de comparable de la bienfaisance philosophique ? La duchesse d’Aiguillon mourut en 1675.



ANNE D’AUTRICHE, Épouse de Louis XIII et mère de Louis le Grand.

Louis XIII, mauvais fils, mauvais frère, ami foible et peu sûr, fut un époux sévère, farouche et défiant. Il Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/126 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/127 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/128 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/129 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/130 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/131 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/132 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/133 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/134 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/135 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/136 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/137 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/138 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/139 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/140 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/141 mœurs, on doit encore moins les encourager, afin de les rendre aux travaux du ménage ; car on sent combien il seroit avantageux à la société de décider une femme qui auroit fait un beau poëme, à tricoter le reste de sa vie, au lieu d’écrire. Ainsi l’injustice à leur égard, dans ce genre, n’est jamais qu’une louable austérité de principes ; c’est pourquoi le nom de mademoiselle de Calage est resté dans une telle obscurité. Si un homme eût fait ce poëme de Judith, il seroit certainement très-connu.



LA MARQUISE DE RAMBOUILLET.

La postérité, toujours équitable dans l’estime qu’elle accorde aux ouvrages anciens, est quelquefois injuste dans ses censures ; on n’usurpe point son admiration, mais on peut craindre d’elle un jugement trop sévère. Tel est celui qui nous est transmis sur ce fameux hôtel de Rambouillet, que plusieurs lettres préPage:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/143 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/144 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/145 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/146 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/147 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/148 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/149 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/150 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/151 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/152 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/153 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/154 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/155 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/156 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/157 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/158 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/159 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/160 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/161 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/162 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/163 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/164 effroyable ! où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette nouvelle accablante, Madame se meurt. Madame est morte !…… », toute la cour fondit en larmes.

Cette princesse fut universellement regrettée et digne de l’être.



MADEMOISELLE DE MONTPENSIER

Comme protectrice des lettres et comme auteur, on doit mettre mademoiselle de Montpensier au premier rang des princesses qui ont aimé et cultivé la littérature. Fille de Gaston, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, elle naquit en 1627 ; elle joua, dans les guerres de la fronde, un rôle célèbre, qui ne fut celui ni d’une femme ni d’une princesse du sang ; on la vit à la fois amazone, et rebelle à l’autorité royale. Elle fut entraînée dans le parti de la fronde par son admiration pour le grand Condé ; elle rendit à ce prince Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/166 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/167 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/168 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/169 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/170 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/171 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/172 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/173 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/174 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/175 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/176 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/177 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/178 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/179 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/180 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/181 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/182 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/183 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/184 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/185 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/186 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/187 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/188 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/189 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/190 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/191 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/192 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/193 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/194 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/195 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/196 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/197 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/198 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/199 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/200 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/201 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/202 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/203 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/204 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/205 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/206 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/207 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/208 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/209 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/210 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/211 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/212 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/213 le cardinal Mazarin, le chancelier Boucherat, lui firent des pensions. Le célèbre Nanteuil la peignit en pastel ; elle l’en remercia par ces vers :

Nanteuil, en traçant mon image,
À de son art divin signalé le pouvoir ;
Je hais mes traits dans mon miroir,
Je les aime dans son ouvrage.



MADAME DE LA FAYETTE.

Il n’est pas possible de croire que l’on ait méprisé les lettres et le titre d’auteur, dans un siècle où l’on a tant aimé la littérature, tant honoré les littérateurs ; dans un siècle où l’académie française venoit d’être fondée ; dans un siècle enfin où les plus grands seigneurs de la cour briguoient des places à l’académie, et l’honneur d’être admis, sans aucune distinction de rang et de naissance, dans cette société de gens de lettres. Ainsi la modestie seule pouvoit engager à taire son nom, en publiant Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/215 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/216 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/217 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/218 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/219 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/220 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/221 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/222 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/223 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/224 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/225 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/226 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/227 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/228 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/229 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/230 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/231 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/232 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/233 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/234 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/235 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/236 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/237 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/238 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/239 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/240 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/241 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/242 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/243 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/244 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/245 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/246 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/247 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/248 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/249 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/250 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/251 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/252 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/253 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/254 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/255 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/256 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/257 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/258 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/259 roient mauvais et répréhensibles dans un ouvrage de morale, sont naturels et vrais dans la bouche d’une femme qui veut céder au penchant qui la domine. Ce ton d’humeur contre tout ce qui s’oppose à l’amour, rend cette idylle plus poétique : madame Deshoulières a dû le prendre ; c’est une espèce de fiction qui ne fait aucun tort au caractère de l’auteur ; elle n’a point eu le projet de faire parler une personne raisonnable : toutes ses idylles ne sont que des rêveries d’un cœur foible et sensible.

Voici encore quelques vers de madame Deshoulières, aussi beaux, et d’une morale irréprochable :

    Pourquoi s’applaudir d’être belle ?
Quelle erreur fait compter la beauté pour un bien !
    À l’examiner, il n’est rien
    Qui cause autant de chagrin qu’elle.
Je sais que sur les cœurs ses droits sont absolus,
    Que tant qu’on est belle on fait naître
Des désirs, des transports et des soins assidus ;
    Mais on a peu de temps à l’être,
    Et long-temps à ne l’être plus.

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de Descartes, en vers et en prose ; il y a de fort beaux détails dans cet ouvrage. L’auteur dit que la nature, irritée que Descartes eût osé lever le voile qui la couvre, hâta sa mort pour s’en venger ; voici comment elle exprima cette idée ingénieuse et poétique :

………………… La nature étonnée,
Se sentant découvrir, en parut indignée.
Téméraire mortel, esprit audacieux,
Apprends qu’impunément on ne voit point les dieux !
Telle que dans un bain, fière et belle Diane,
Vous parûtes aux yeux d’un trop hardi profane,
Quand cet heureux témoin de vos divins appas,
Paya ce beau moment par un si prompt trépas,
Telle aux yeux de René, se voyant découverte,
La nature s’irrite et conjure sa perte, etc.


Mademoiselle Bernard, amie de Fontenelle, a fait quelques romans, loués à l’excès par Fontenelle ; le meilleur est Éléonore d’Yvrée. Mademoiselle Bernard fit jouer Laodamie, sa première tragédie, pièce très-foible d’invention et de style, mais qui eut cependant vingt représentations. Mademoiselle Bernard montra beaucoup plus de talent dans Brutus, sa seconde tragédie, qui eut vingt-cinq représentations. Il y a dans cette pièce, comme dans le Brutus de Voltaire, un envoyé de Tarquin, qui parle dans le sénat avec beaucoup de hardiesse et de noblesse ; cette tirade finit ainsi :

Les Romains sont en proie à leur aveuglement,
Ils ne consultent plus les lois, ni la justice,
Un caprice détruit ce qu’a fait un caprice.
Le peuple, en ne suivant que sa légèreté,
Se flatte d’exercer sa fausse liberté,
Et par cette cette licence impunément soufferte,
Triomphe de pouvoir travailler à sa perte.

Le plus grand mérite de cette pièce est d’avoir donné à Voltaire l’idée d’en faire une sur le même sujet. Brutus est peut-être la meilleure tragédie de ce grand poëte, qui n’a pas dédaigné de prendre dans la tragédie de mademoiselle Bernard, un mot d’une très-grande beauté. Voici les deux passages :

BRUTUS.

… N’achève pas ; dans l’horreur qui m’accable,

Ah ! laisse encor douter à mon esprit confus,
S’il me demeure an fils, ou si je n’en ai plus.

TITUS.

Non, vous n’en avez point……

Dans la pièce de Voltaire, Brutus dit :

De deux fils que j’aimois les dieux m’avoient fait père,
J’ai perdu l’un ; que dis-je ? ah ! malheureux Titus !

TITUS.

Non, vous n’en avez plus.

Mademoiselle Bernard a laissé beaucoup de jolies pièces fugitives en vers ; on cite entr’autres celle qui a pour titre : L’Imagination et le Bonheur.

Mademoiselle de la Force, auteur de plusieurs romans ; le plus agréable est la Reine de Navarre.

Madame de Villedieu, qui a fait une multitude de romans.

Madame de Saint-Ange, poëte aimable, dont plusieurs jolies chansons ont passé jusqu’à nous.

Madame la comtesse d’Aulnoy, à la Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/274 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/275 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/276 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/277 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/278 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/279 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t1.djvu/280 jusqu’à la mort. C’étoit un moyen certain de maudire à toute heure les inventions du luxe et de la coquetterie. Elle mourut aux bains de Bourbon, en 1707, âgée de soixante-six ans.

Marie-Madeleine-Gabrielle, sa sœur, abbesse de Fontevrault, eut un mérite supérieur ; elle savoit le grec et le latin, elle laissa un grand nombre de manuscrits. Elle mourut à cinquante-neuf ans, en 1704.

L’esprit étoit héréditaire dans cette famille ; le maréchal de Vivonne, frère de madame de Montespan, fut très-célèbre par ses bons mots.


FIN DU TOME PREMIER.
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DE L’INFLUENCE DES FEMMES SUR LA LITTÉRATURE FRANÇAISE, COMME PROTECTRICES DES LETTRES ET COMME AUTEURS.


MADAME DE MAINTENON.


J’ai donné au public, il y a cinq ans, un ouvrage, dans lequel j’avois rassemblé avec beaucoup de soins, de temps et de recherches, tout ce que l’histoire et les mémoires du temps, même ceux de Dangeau, qui sont manuscrits, peuvent offrir de relatif à madame de Maintenon ; les particularités de sa vie, qui ne pouvoient entrer avec agrément dans un roman, étoient placées dans des notes à la fin du volume ; rien n’étoit omis de ce qui la concerne ; ainsi je ne puis présenter dans l’article qu’on va lire, qu’un extrait et un résumé de cet ouvrage, et dans lequel j’insérerai seulement quelques réflexions nouvelles : Peu de mois après la publication de Madame de Maintenon, on fit paroître une nouvelle édition de ses Lettres. On rendit compte de ces Lettres dans le Journal de l’Empire, d’une manière si ingénieuse, et en même temps si honorable à la mémoire de madame de Maintenon, que j’insérai ce morceau dans la préface de la troisième édition de Madame de Maintenon, qui paroissoit dans ce moment. Je vais le donner encore ici, non parce qu’il renferme un suffrage flatteur pour moi, mais parce qu’il contient sur madame de Maintenon des réflexions remplies de finesse et de solidité. L’auteur, après avoir annoncé les Lettres de madame de Maintenon, continue ainsi :

« Ce recueil de lettres est un monument à la fois historique et littéraire, Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/13 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/14 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/15 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/16 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/17 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/18 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/19 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/20 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/21 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/22 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/23 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/24 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/25 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/26 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/27 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/28 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/29 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/30 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/31 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/32 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/33 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/34 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/35 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/36 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/37 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/38 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/39 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/40 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/41 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/42 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/43 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/44 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/45 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/46 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/47 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/48 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/49 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/50 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/51 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/52 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/53 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/54 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/55 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/56 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/57 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/58 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/59 absolument nécessaire pour nourrir le nombre de personnes dont elle sera composée, Cette règle étant invariable, les nobles ne pourront faire d’acquisition sur les pauvres. Tous auront des terres, mais chacun en aura fort peu. » Liv. XII.

« Mentor établit des magistrats, à qui les marchands rendoient compte de leurs affaires, de leurs profits, de leurs dépenses, de leurs entreprises. Ilne leur étoit j jamais pecmis de xis- gner le bien d’autrui,.êt ils ne pour voient même. Hisquer Lo Ja. maité du lepr, » Jhi..

Avec tous ces comptes rendus, ces délais, ces retards, cette impossibilité de.hasarder et de profiter d’une heureuse occasion, avec de telles entraves, il n’y auroit point de commerce.

« L’auteur dit que Mentor, « régla les habits, la nourriture, les meubles, la grandeur et l’ornement des maisons pour toutes les conditions difféPage:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/61 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/62 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/63 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/64 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/65 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/66 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/67 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/68 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/69 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/70 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/71 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/72 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/73 Page:Genlis - 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MADAME NECKER.


Il est curieux de rechercher commien il est possible, avec beaucoup d’esprit et d’instruction, de la pénétration, de la finesse, une belle âme, de la raison, un caractère sage, réfléchi, et les meilleurs principes ; comment, dis-je, il est possible qu’une personne, avec tant de dons naturels et tant de qualités acquises, mûries et perfectionnées par une étude constante et par l’expérience, n’ait jamais pu écrire deux pages de suite ou très-agréables, ou parfaitement raisonnables.

Il y a pour les écrivains deux genres de prétentions, si fatigantes l’une et l’autre, que jusqu’ici on ne Les a point encore vues réunies :  ! l’une ; de soigner tellement son style ; qu’il soit non-seulement toujours pur, harmonieux (ce que tout style doit être, du moins en général), mais qu’il soit absolument Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/178 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/179 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/180 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/181 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/182 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/183 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/184 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/185 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/186 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/187 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/188 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/189 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/190 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/191 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/192 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/193 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/194 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/195 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/196 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/197 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/198 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/199 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/200 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/201 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/202 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/203 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/204 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/205 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/206 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/207 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/208 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/209 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/210 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/211 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/212 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/213 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/214 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/215 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/216 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/217 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/218 son, l’Émile, le Siècle de Louis XIV, l’Histoire de Charles XII[10], le Voyage d’Anacharsis, etc. Ces écrivains moururent ; la révolution vint, l’éloquence des tribunes acheva de tout brouiller et de tout gâter. Aux yeux des nouveaux littérateurs qui s’élevèrent en foule, l’emportement ou l’exagération furent les seuls caractères de la sensibilité, le galimatias fut appelé de la profondeur, et l’on ne trouva du génie que dans la bizarrerie et l’extravagance. Ce déplorable état de la littérature, loin d’avoir produit une véritable décadence, : ne fut qu’une crise salutaire. Les excès politiques de la révolution ont servi à faire mieux sentir le prix inestimable d’un gouvernement ferme, équitable et paternel ; les excès littéraires dont on vient de parler ont ouvert les yeux sur le danger Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/220 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/221 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/222 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/223 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/224 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/225 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/226 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/227 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/228 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/229 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/230 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/231 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/232 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/233 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/234 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/235 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/236 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/237 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/238 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/239 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/240 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/241 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/242 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/243 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/244 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/245 Page:Genlis - De l influence des femmes sur la litterature t2.djvu/246 pas la guerre, parce qu’elle gâte la conversation. »

Cet ouvrage ne contenant que des anecdotes connues ou sans aucun sel, et l’auteur n’ayant nullement le talent de conter, on ne citera que le trait suivant :

« Voltaire lié avec Piron, et le rencontrant un jour dans la galerie de Versailles, adieu, mon cœur, lui dit-il. Ah ! répondit Piron, appelle-moi ton esprit et non pas ton cœur. »




MADAME COTIN.


Il seroit fort difficile de parler d’un auteur célèbre mort depuis peu de temps, et dont les partisans et tous les amis existent, si l’on manquoit de droiture ou de courage, si l’on n’étoit pas capable de louer non-seulement avec sincérité, mais avec plaisir, ou si l’on avoit la foiblesse de craindre de ridicules interprétations et d’injustes ressenti- mens. Dans tout ce qui tient à la morale, tous les ménagemens que ne prescrivent pas la bienséance et le devoir, sont des lâchetés. On n’en aura point dans cet article ; on doit juger avec sévérité des ouvrages qui méritent d’être lus ; une critique réfléchie est un hommage ; elle suppose une sorte de méditation qui seule est une marque d’estime, et la critique même ajoute au poids des éloges.

Madame Cotin, en la jugeant d’après ses ouvrages, étoit née avec une âme sensible, élevée, un esprit juste et une raison supérieure. Si rien n’eût combattu ces grandes qualités, si elle en eût suivi la pente naturelle, aucune des taches qui déparent ses romans ne s’y trouveroit ; on sent en la lisant que ses défauts ne peuvent lui appartenir ; le véritable esprit est toujours uni à la raison ; des idées étrangères, des exemples corrupteurs peuvent l’égarer momentanément ; mais il revient sans effort à la vérité, chaque réflexion l’y ramène, c’est avec ravissement qu’il la découvre, elle le met à l’aise, elle accorde toutes ses pensées, elle lui épargne les vaines subtilités qu’il faut employer pour déguiser les contradictions de l’erreur, elle développe ses facultés, elle perfectionne toutes ses productions.

Madame Cotin composa malheureusement son premier ouvrage à Paris vers la fin du règne de Robespierre, c’est-à-dire, dans un temps où les tyrans avoient proscrit le bon goût ainsi que les bonnes mœurs, dans un temps où tout fut détruit ou métamorphosé. On créa un autre langage, une autre poétique, une autre morale. L’amour même ne fut pas épargné, on en fit un dieu digne d’être adoré sous l’empire de la terreur, un dieu féroce qui n’inspiroit que des emportemens frénétiques, et qui commandoit toujours le meurtre et le suicide ; les écrivains, dans un style barbare, dénaturèrent tous les mouvemens de l’âme. Leurs plumes de fer trempées dans du sang ne tracèrent plus que de fausses, d’effrayantes peintures ; la démence usurpa le nom de la sensibilité ; la douce et vague mélancolie ne fut plus qu’une sombre fureur et qu’un désespoir impie.

Au milieu de ce bouleversement universel, madame Cotin, très-jeune encore, fut excusable de prendre (dans ce moment) la manière d’écrire à la mode : cependant loin de l’exégérer, elle en adoucit le ridicule ; mais ce fut elle qui composa le premier roman dans le genre passionné. Claire d’Albe eut beaucoup de succès, et servit de modèle à tous ceux dont on enrichit depuis la littérature républicaine. Ce roman est à tous égards un mauvais ouvrage, sans intérêt, sans imagination, sans vraisemblance et d’une immoralité révoltante ; mais comme il a eu le triste honneur de former une nouvelle école de romanciers, qu’il est le premier où l’on ait représenté l’amour délirant, furieux et féroce, et une héroïne vertueuse, religieuse, angélique, et se livrant sans mesure et sans pudeur à tous les emportemens d’un amour effréné et criminel, il est impossible de le passer sous silence et de ne pas entrer dans quelques détails à cet égard.

L’auteur dit dans sa préface qu’elle a fait ce roman en moins de quinze jours : elle ajoute : Il fera bien (le public) de dire du mal de mon ouvrage s’il l’ennuie ; mais s’il m’ennuyoit encore plus de le corriger, j’ai bien fait de le laisser tel qu’il est. Ce n’est là ni un bon style ni un bon ton. Cet ouvrage est en lettres, et c’est toujours l’héroïne qui écrit[11]. Cette manière qui sauve la difficulté de varier le style suivant les personnages, est la plus aisée, mais par cela même la moins agréable. Claire d’Albe, mariée à un homme de cinquante ans, est représentée dans les deux premières lettres comme une femme raisonnable et vertueuse ; et dans la troisième, en parlant du printemps qu’elle appelle le premier-né de la nature, elle ajoute : « Déjà j’éprouve ses douces influences, tout mon sang se porte vers mon cœur qui bat plus violemment à l’approche du printemps : à cette sorte de création nouvelle tout s’éveille et s’anime ; le désir naît, parcourt l’univers et effleure tous les êtres de son aile légère, tous sont atteints et le suivent ; il leur ouvré la route du plaisir ; tous enchantés s’y précipitent… »

Quel langage ! quelle lettre d’une jeune femme vertueuse à son amie !

M. d’Albe est chef d’une manufacture ; un jeune parent (Frédéric) dont il est le bienfaiteur, vient l’aider dans ses travaux, il lui fait promettre de ne plus le quitter ; le jeune Frédéric en présence de Claire d’Albe, épouse de son protecteur, répond avec véhémence en mettant un genou en terre : « Je le jure à la face de ce ciel que ma bouche ne souilla jamais par un mensonge[12], et au nom de cette femme plus angélique que lui. »

Plus angélique que le ciel !…

Claire, en faisant le portrait de Frédéric, prétend « qu’on retrouve en lui ces touches larges et vigoureuses dont l’homme dut être formé en sortant des mains de la divinité ; on y pressent ces nobles et grandes passions qui peuvent égarer sans doute, mais qui seules élèvent à la gloire et à la vertu : loin de lui ces petits caractères sans vie et sans couleur, qui ne savent agir et penser que comme les autres… et qui ne sont pas même capables d’une grande faute[13]. »

Claire se passionne pour Frédéric, et elle dit de l’amitié : « Je l’écouterai dans les sons que je rendrai ; leur vibration aura son écho dans mon cœur… Amitié ! tu es tout ; la feuille qui voltige, la romance que je chante, la rose que je cueille, le parfum qu’elle exhale… »

L’amitié qui est la feuille qui voltige ! etc. Mais on entendoit cela alors.

Frédéric lui déclare son amour, et elle dit à son amie : « Je respirois son souffle, j’en étois embrasée… ».

Frédéric lui dit : Perdu d’amour et de tendresse, je sens que tout moi s’élance vers toi

Néanmoins Claire se jette aux genoux de Frédéric (chose encore indispensable dans ces romans), elle le conjure de la contempler prosternée, humiliée à ses pieds

C’est surtout cette action et ces expressions qui constituent une héroïne passionnée : voilà de l’énergie et les touches larges et vigoureuses, dont la femme dut être formée en sortent des mains du Créateur.

La main d’une femme, de quelqu’âge qu’elle puisse être, ne peut copier les scènes cyniques de cet amour adultère, telles qu’on a osé les décrire dans ce roman ; la fausseté des sentimens peut seule en égaler l’indécence.

Cependant Claire, qui a conservé toute sa vertu, ordonne à Frédéric de s’éloigner, afin qu’il soit le plus grand des hommes, et qu’elle puisse l’aimer sans remords ; elle ajoute, pour le décider à fuir :

« Si tu es tout pour moi, mon univers, mon bonheur, le Dieu que j’adore…… si c’est par toi seul que j’existe, et pour toi seul que je respire[14] ; si ce cri de mon cœur qu’il ne m’est plus permis de retenir, t’apprend une foible partie du sentiment qui m’entraine, je ne suis point coupable ; ai-je pu l’empêcher de naître ? suis-je maîtresse de l’anéantir ? dépend-il de moi d’éteindre ce qu’une puissance supérieure allume dans mon sein ? »

On a trouvé ce raisonnement si fort, qu’on l’a employé depuis dans d’autres romans ; on a dit :

…… « Toutes les affections véritables viennent du ciel : peut-il condamner ce qu’il inspire ? »

Que répondre à cela ! Car, dès qu’il est prouvé que c’est le ciel qui inspire un amour adultère, il veut qu’on s’y livre ; il y auroit de l’impiété à repousser ses inspirations. On ne sauroit donc pas pourqüoi Claire voudroit se séparer de Frédéric, si elle n’en donnoit pas une raison : elle a vu des larmes dans les yeux de M. d’Albe

Quand Frédéric est parti, Claire entend sonner l’horloge ; elle dit : « Pauvre Frédéric ! chaque coup t’éloigne de moi[15], chaque instant qui s’écoule repousse vers le passé l’instant où je te voyois encore. »

Qui concevra qu’on puisse dire qu’un instant qui s’écoule repousse un autre instant passé vers le passé ? Frédéric arrive chez la cousine de Claire, il sourit en l’abordant ; mais ses artères comprimées par la violence de la douleur se brisent, et en un instant il est tout couvert de sang. Voilà dans les romans de ce nouveau genre une preuve d’amour absolument nécessaire ; il faut du sang et des fureurs mutuelles dans l’amour réciproque, et de l’aliénation de tête. C’est ainsi que Claire dit à son amie :

« Où est donc la verdure des arbres ? Les oiseaux ne chantent plus, l’eau murmure-t-elle encore ?… »

Voilà les questions que l’on faisoit alors à sa confidente dans l’absence de son amant !

On dit de Claire : Cette femme, dont chaque pensée étoit une vertu, et chaque mouvement un exemple. On a vu dans les Mélanges de madame Necker cette même phrase si ridicule appliquée par madame Necker à M. Thomas. Et l’ouvrage posthume de madame Necker n’a paru que long-temps après Claire d’Albe : voilà une singulière rencontre, si c’en est une.

Claire dans son desespoir s’écrie :

« Mais quand la nuit a laissé tomber son obscur rideau, je crois voir l’ombre du bras de l’Éternel étendu vers moi. »

Ceci est pillé des Nuits d’Young, seulement on a retranché ce qui donne du prix à cette figure hardie ; voici le passage de l’auteur anglais, traduction de M. Letourneur :

« Quand la nuit a laissé tomber son obscur rideau, je crois voir l’ombre du bras de l’Éternel étendu entre l’homme et les vains objets qu’il veut lui cacher[16]. »

M. d’Albe, qui savoit tout sans en rien témoigner, s’entend avec sa cousine pour persuader à Frédéric que Claire ne l’aime plus ; Frédéric à promis de ne pas se tuer, mais il tombe dans une langueur qui le réduit à l’extrémité ; Claire de son côté est mourante, mais toujours très-dévote, elle attend tout de la bonté de Dieu ; c’est là, dit-elle, le manteau dont les malheureux doivent réchauffer leurs cœurs[17]. Enfin Frédéric apprend qu’on le trompe, et que Claire meurt d’amour pour lui ; alors il s’échappe, on veut en vain le retenir ; dans son féroce délire, il écrase tout ce qui s’oppose à sa fuite… Il retourne chez Claire, il la trouve expirante sur le tombeau de son père ; il est lui-même mourant, pâle, éperdu, couvert de sueur et de poussière. Ils sont tous les deux si changés qu’ils ont peine à se reconnoître ; et c’est dans cet état et sur une tombe que le vertueux jeune homme s’écrie, et sur-le-champ : « Ô mon âme ! livre-toi à ton amant, partage ses transports ; et sur les bornes de la vie où nous touchons l’un et l’autre, goûtons avant de la quitter, cette félicité suprême qui nous attend dans l’éternité. » Frédéric dit : et saisissant Claire… Il est impossible de ne pas supprimer ici huit lignes… Claire, palpitante et à demi-vaincue ; lui dit : La responsabilité de mon crime retombera sur ta tête. Eh bien ! je l’accepte, interrompit-il d’une voix terrible ; il n’est aucun prix dont je ne veuille acheter la possession de Claire ; qu’elle m’appartienne un instant sur la terre, et que le ciel m’écrase pendant l’éternité…

Il faut s’arrêter… Non-seulement une femme, mais un homme qui auroit quelque respect pour le public, n’oseroit transcrire la page infâme et dégoûtante qui suit ce discours, dont l’extravagance et l’impiété font toute l’énergie… Conçoit-on qu’une femme expirante, faisant sa dernière prière sur les cendres d’un père révéré, soit capable dans cet instant, de souiller la vie qu’elle va quitter, et de profaner la mort en se livrant aux emportemens féroces d’un frénétique ? Conçoit-on mieux qu’un amant, mourant lui-même, puisse éprouver ces terribles transports, en revoyant sa maîtresse sur le bord de la tombe ! Mais ce qu’il y a de plus incompréhensible, c’est que ce récit qui n’est plus en lettres) est tiré d’un manuscrit écrit, après la mort de Claire, par son amie, la sage et prudente Élise, qui a décrit cette scène : pour l’irstruction de la jeune Laure, fille de Claire, afin de la lui faire lire un jour quand elle sera sortie de l’enfance !…

Claire, après s’être déshonorée, rentre chez elle, on la met au lit ; elle dit à son époux que ses sens égarés l’ont trahie, et qu’il est des crimes que le pardon ne peut atteindre. M. d’Albe, consterné, lui répond : Claire, votre faute est grande sans doute, mais il vous reste encore assez de vertus pour faire mon bonheur.

Voilà un mari bien calme et bien généreux | mais c’est l’usage dans tous ces romans, les maris sont aussi flegmatiques que les amans sont furieux.

Cependant l’auteur, dans l’avant-dernière page de cette coupable et misérable production, consultant enfin sa conscience et ses lumières, fait dire à son héroïne expirante ces belles paroles qu’elle adresse à son amie, en lui recommandant sa fille : « Qu’elle sache que ce qui m’a perdue est d’avoir coloré le vice du charme de la vertu ; dis-lui bien que celui qui la déguise est plus coupable encore que celui qui la méconnoît… ? »

Mais à quoi servent quelques lignes raisonnables, lorsque, dans le cours de l’ouvrage, on n’a cherché qu’à colorer le vice du charme de la vertu ? D’ailleurs, ce qui gâte un peu cette conversion, c’est que cette femme repentante, après avoir reçu la bénédiction de son mari, expire en prononçant le nom de Frédéric :

L’enterrement de Claire termine ce oman : Frédéric apparoît à cette lugubre cérémonie ; il s’approche de la fosse ; et dit ces mots : À présent je suis libre, tu n’y seras pas long-temps seule. Ainsi le lecteur sait qu’il se tuera.

Comme on l’a dit, toutes les règles invariables du roman passionné se trouvent dans celui-ci : incorrection de style, phrases : inintelligibles, impropriété d’expressions, fureurs d’amour ; un jeune homme vertueux forcené ; une femme céleste s’humiliant, se prosternant dans la poussière aux pieds de son amant ; des adultères parlant tou jours du ciel, de la vertu, de Teternite ; tous les confidens « t les sages dii roman admirant avec enthousiasme ces deux personnages ; les passions divinis ^es, alors m^me qu’elles font commeltre des crimes, et enfin le suicide attribu^ au h^ros et comme une grande action ! VoilJi ce qui compose Claire’ iTAlbe, premier modele du genre qui a produit tant d’autres romans, dans lesquels on a servilement copi^ toutes ces extravagances. Que dire de ceux qui, n’^tant point egares par leur propre imagination, c’est-^-dire, nlnventant rien, ont eu le double mauvais gout d*admirer de telles choses et de les imi-^ ter (i) ? C’estici oiiTon doit reconnoitre ^) Les Alleumnds ne peuvent pas s’attribuer rhonneur d’avoir cre^ ce genre ; lis n^ont invent^ qae le galimatias m^lancolique, * suivi du suicide ; mais lis ont repr^sent^ les femmes nobles et modestes, leurs heroines n^ont rien de commun avec Claire d Alhe et ses imitafrices. la supériorité de l’esprit de madame Cotin. Son roman eut un grand succès ; nulle critique ne l’avertit de la monstruosité de cet ouvrage, elle ne fut point enivrée de tant de louanges, toujours si séduisantes quand on débute ; elle ne se pressa point de donner un second ouvrage, elle réfléchit, se jugea, et quitta la fausse route qu’elle avoit frayée, sans contradictions, sans aucune censure : se corriger soi-même au milieu d’un triomphe, est un trait de caractère qui prouve autant de profondeur de discernement que de force d’âme. Quelques années après elle donna Malvina ; le fond de cet ouvrage est entièrement pris d’un autre romanErreur de référence : Paramètre invalide dans la balise <ref>, mais les détails et beaucoup de scènes intéressantes appartiennent à madame Cotin, et font le plus grand honneur à son talent. Le style manque souvent de correction et quelquefois de naturel, mais en général l’ouvrage est écrit avec grâces, il est rempli de pensées délicates, de descriptions charmantes. Dans son troisième ouvrage (Amélie de Mansfield), l’auteur, par un caprice malheureux, retombe dans le genre créé par elle, l’héroïne est passionnée jusqu’à la fureur la plus extravagante ; cet ouvrage est souillé par deux lettres qu’une femme auteur n’auroit jamais dû composer ; le dénoûment est révoltant, l’héroïne qui porte dans son sein le fruit de sa foiblesse, se jette dans le Danube ; son amant se précipite aussi dans le fleuve, mais pour la chercher ; il la trouve, la retire ; elle vit quelques jours, et meurt sans montrer ni remords de son suicide, ni regrets sur l’enfant qu’elle portoit dans son sein, et qu’elle a tué. Son amant se jette sur son cadavre, et au bout de trois heures il expire dans cette attitude, en maudissant quiconque le séparera de sa maîtresse. On met ces amans, entrelacés dans les bras l’un de l’autre, dans le même cercueil que viennent en pompe prendre des prêtres. (Quels prêtres pourroient consentir à faire un tel enterrement !) Le seul bon goût devroit apprendre qu’il ne faut mêler au tableau solennel de la mort que des images chastes et pures. Ces conceptions entraînent toujours dans des écarts inconcevables de style ; c’est ainsi que l’héroïne dit : « Tandis que l’air que je respire, la place que j’occupe, les objets que je touche m’entourent de son souvenir, et me pressent de sa puissance…

» La musique qui réveille toutes les idées sensibles, et dispose au regret du bonheur » (disposer à un tel regret, n’est ni merveilleux ni difficile), « et même au regret de la peine. » (Ceci est singulier ! que signifient de telles phrases ?)

Voici dans ce roman comment un amant qui attend dans un rendez-vous sa maîtresse, doit sentir et s’exprimer, même avant que l’heure du rendes vous soit passée :

« Agenoux devant la porte d’Amélie, mordant la pierre sur laquelle reposoit ma tête, dans ma rage impatiente, je déchirois mes mains en les appuyant de toute ma force sur le sable, et ce mal physique que je ne sentois pas, adoucissoit pourtant mes tourmens L’horloge alors a sonné minuit, chaque coup entroit dans ma poitrine comme un fer aigu et brûlant ; si cette situation eût duré une heure de plus, Amélie m’eût trouvé sans vie à sa porte.  »

Amélie arrive, et le trouve presqu’évanoui et tout en sang. Combien un sentiment exprimé avec profons deur est préférable à toutes « es : pantomimes de fureur ! Est-ce là peindre l’amour ? Non, c’est peindre la rage ln plus insensée, ou, pour mieux dire, cette peinture est ridicule et glaciale, parce qu’elle manque absolument de vérité. Lorsqu’on représente un amant dans un tel état causé par l’attente de l’heure d’un rendez-vous, que lui fera-t-on faire lorsqu’il est forcé de quitter sa maîtresse ou qu’il la croit infidèle ? On s’ôte tous les moyens de montrer de l’énergie lorsqu’il en faut réellement, en prodiguant ainsi les démonstrations de fureur et de désespoir. Osons le dire, les amans dans ces romans paroissent très-livrés à un mal physique qui leur donne une rage semblable à celle que les animaux féroces éprouvent dans une certaine saison de l’année… Cette Amélie, égarée deux fois par de criminelles amours, est admirée de tous les personnages pour sa vertu et son innocence, et même après son suicide. C’est elle qui dit à son amant : « Ne me dis pas que je ne suis pas coupable, il m’est doux de l’être pour toi : … te livrer mon innocence, perdre peut-être l’estime publique, voilà les sacrifices que j’aime à te faire… Je suis coupable, il est vrai, mais non pas malheureuse ; et à quelque honte que je sois réservée, je la supporterai même avec joie, puisqu’elle sera la preuve de mon amour. »

On pensoit autrefois que le véritable amour élevoit l’âme. Eh ! quel grand sentiment peut inspirer le goût de l’ignominie ? quel effet pourroient produire de telles pensées sur l’esprit d’une jeune personne qui auroit le malheur de les admirer ? Voici encore un passage plus répréhensible, parceque c’est un homme vertueux, et même austère, qui parle :

« J’avoue que j’avois cru long-temps qu’il n’y avoit point de passions qu’un grand courage ne pût vaincre ; mais depuis que je suis ici, mon opinion s’est ébranlée ; je sens qu’on ne dompte pas son cœur comme on le voudroit, et qu’il est tel sacrifice dont la vertu même ne consoleroit peut-être pas. »

Et c’est un homme sans passions un observateur de sang-froid que l’on fait parler ainsi !… Puisse le jeune homme passionné, flottant entre le vice et la vertu, ne jamais lire ce passage !…[18]

Madame Cotin commence ainsi l’avertissement de cet ouvrage :

« J’ai dit dans Malvina, qu’une femme étoit répréhensible lorsqu’elle faisoit imprimer ses productions. »

Si l’auteur n’eût dit que cela, on eût pu lui répondre que cette sentence est étrange dans la bouche d’une femme auteur ; que d’ailleurs on n’est répréhensible, en publiant ses productions, que lorsqu’oubliant les vrais principes de la morale, où a le projet de représenter comme des êtres sublimes et célestes des personnages souillés par des égaremens déplorables, et des héroïnes qui, n’ayant pour tout sentiment qu’un amour effréné, finissent par se tuer.

Mais madame Cotin a fait une satire des femmes auteurs beaucoup plus amère ; elle ajoute que se faire imprimer est pour les femmes un tort et un ridicule[19] ; qu’une femme qui se jette dans cette carrière ne sera jamais qu’une pédante, qu’il semble que le temps quelle donne au public soit toujours pris sur ses devoirs. Ce morceau, fort extraordinaire lorsqu’il est fait par une femme qui a consacré toute sa vie à écrire des romans, est terminé par une critique plus dure encore contre les femmes qui ont écrit sur l’éducation : tout cela est singulier. Au reste, ce roman d’Amélie, malgré des défauts inexcusables, contient plusieurs lettres aussi morales qu’intéressantes, et des détails pleins de charmes. Mathilde est le meilleur ouvrage de madame Cotin. On y rencontre des réminiscences et plusieurs imitations d’autres romans, mais on y trouve aussi des scènes délicieuses, des sentimens nobles, délicats, généreux, et des beautés de détail qui placent cet ouvrage au rang des meilleures productions en ce genre. Il est en général (à l’exception d’un petit nombre de phrases) bien écrit, avec goût et pureté. Elisabeth ou les Exilés de Sibérie doit ajouter encore à la réputation de l’auteur ; les sentimens les plus purs, l’amour maternel, l’amour filial y sont exprimés d’une manière touchante. Cependant l’esprit trop souvent y remplace la sensibilité, et de trop jolies phrases trop multipliées affoiblissent l’intérêt, ôtent du naturel, et jettent de la froideur sur l’ensemble de ce petit ouvrage, dont on ne peut trop admirer les nobles sentimens et l’excellente morale. Le début de ce roman commence par une description des déserts de la Siberie. Cette description est de la plus grande beauté, elle a un ton sévère parfaitement assorti au sujet ; l’auteur est véritablement original dans ce beau morceau ; il n’emploie aucun ornement superflu, aucune expression pompeuse ; tout est simple, mais grand et d’une telle vérité, que l’on croiroit que le tableau est fait d’après nature. On peut donner les mêmes éloges à toutes les descriptions contenues dans ce roman, entr’autres à celle d’une tempête dans une forêt. Toute cette parti e descriptive est admirable.

Madame Cotin manquoit d’invention et d’imagination, elle a trop souvent emprunté les idées des autres ; mais elle avoit de la sensibilité, de la délicatesse et le talent de peindre. Comme il est plus facile, avec une belle âme et beaucoup d’esprit, de renoncer à des erreurs dangereuses que de corriger un style déjà formé, madame Cotin, en épurant sa manière d’écrire, a néanmoins toujours conservé trop de recherche et de prétention ; on ne trouve que dans son premier ouvrage des phrases ridicules, mais on en rencontre beaucoup dans les autres que le goût voudroit réformer, parce qu’elles manquent de naturel et de vérité.

Beaucoup d’autres femmes, dans le siècle qui vient de s’écouler, ont fait honneur à la littérature française : madame du Bocage qui, belle et poëte, et poëte épique et tragique[20], reçut les plus éclatans hommages, n’essuya point de critiques et n’eut point d’ennemis. Ne seroit-ce point parce que ses vers n’étoient ni ridicules ni supérieurs ?

Fontenelle fit ceux-ci pour son portrait :

 Autour de ce portrait consacré pour la gloire,
     Je vois voltiger les Amours,
 Et le temple de Guide et celui de Mémoire
     Se la disputeront toujours.

Elle alla à Ferney, et Voltaire, en disant qu’il manquoit quelque chose à sa coiffure, y plaça une couronne de laurier.

D’autres femmes qui ont eu moins d’éclat, ont eu plus de talent pour la poésie, et surtout madame de Bourdic. Parmi celles qui ont fait des romans, on peut nommer avec éloge mademoiselle de Lussan, madame la comtesse de Fontaine, auteur de deux romans : La Comtesse de Savoie et Aménophis, princesse de Lybie. Voltaire a pris de la Comtesse de Savoie le sujet de la tragédie de Tancrède. Il adressa à madame de Fontaine une épître, dont

voici quelques vers.

    … Quel dieu, charmant auteur,
  Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur,
    La force et la délicatesse,
    La simplicité, la noblesse,
    Que Fénelon seul avoit joint ;
Ce naturel aisé dont l’art n’approche point ! etc.

On ne pourroit rien dire de plus pour un chef-d’œuvre, et cet éloge est fait par le meilleur juge, par l’homme le plus célèbre : cependant bien peu de lecteurs connoissent et l’ouvrage et le nom de l’auteur. Ceux qui entrent dans la carrière littéraire ne se donneroient pas tant de peine pour obtenir l’approbation des littérateurs célèbres, s’ils étoient bien persuadés de cette vérité, qu’une seule chose peut fonder une réputation durable, le suffrage du public.

M’étant imposé la loi de garder le silence sur les auteurs qui existent, je regrette de ne pouvoir rendre hommage aux talens de plusieurs femmes qui honorent à la fois leur sexe et la littérature : il en est une surtout dont il me seroit doux de parler !… C’est une muse sage, modeste et solitaire, qui, en cultivant l’art dont elle a le génie, n’a songé qu’à se soustraire à la célébrité ; elle n’a jamais envisagé de la gloire des poëtes que les dangers et le bruit qui l’effraient. Au sein d’une famille chérie, dans une retraite paisible, elle a su préparer le bonheur à la renommée. Ses ouvrages, aussi purs que son cœur, immortaliseront un jour son nom et n’auront point troublé sa vie. Son travail utile et charmant est fait dans l’obscurité, le silence, comme celui de l’insecte précieux qu’elle a chanté[21]… Je m’arrête ; je dois respecter une modestie si rare et si touchante, mais je devois citer un exemple si sage et si vertueux.

Je terminerai cet ouvrage par une remarque qui fait honneur à toutes les femmes auteurs françaises, c’est que toutes ont montré dans leurs ouvrages l’amour de la patrie. Dans ce nombre infini, il n’en est point qui ait eu assez peu d’élévation d’âme pour louer une nation étrangère aux dépens de la sienne. Toute nation est respectable, parce qu’aucune ne peut subsister sans lois, sans police, sans morale et sans vertus. Attaquer, fronder un peuple entier, fut-il l’ennemi de notre pays, est dans les gens de lettres un manque intolérable de bienséance. Si l’on doit de tels égards à des nations étrangères, que ne doit-on pas à la sienne ! Henri IV disoit : S’en prendre à mon peuple, c’est s’en prendre à moi. En effet, dépriser sa nation, c’est insulter son souverain, dont la principale gloire est de régner sur un peuple généreux, capable d’exécuter de grandes choses et d’obéir avec zèle tout ce qui peut l’élever. Cependant presque tous les auteurs célèbres du siècle dernier se sont plu à rabaisser la gloire nationale, et surtout Voltaire et d’Alembert ; ils ne parloient que de la frivolité de cette France qui a produit néanmoins plus de savans dans tous les genres, plus de profonds moralistes, de jurisconsultes célébres, d’hommes d’état, de grands capitaines, qu’aucune autre nation. Il est vrai qu’elle a excellé de même dans la littérature et dans les arts ; il est vrai que les étrangers même avouent tous qu’elle est aussi la plus aimable de l’Europe ; mais tous ces dons brillans, cet agrément, ces grâces, loin d’affoiblir le mérite des qualités solides possédées au même degré, n’en rehaussent-elles pas la gloire ? ne la rendent-elles pas plus éclatante et plus extraordinaire ? Le seul orgueil qui soit permis est l’orgueil national, et c’est le seul que les philosophes du siècle dernier n’aient pas montré. Leur humilité, comme Français, égaloit leur arrogance comme auteurs. Les femmes n’ont jamais eu cette honteuse manie ; toutes celles qui ont écrit sont irréprochables à cet égard. Il m’est doux de terminer leur histoire par un éloge, et par l’un des plus honorables que l’on puisse donner à un écrivain.


FIN.


TABLE DES MATIÈRES.



TOME Ier.


Giselle, sœur de Charlemagne 
 6
Marguerite de Provence, femme de saint Louis 
 7
Jeanne de France et de Navarre, femme de Philippe le Bel 
 13
Marguerite d’Écosse, femme de Louis XI 
 4
Anne de Bretagne, femme de Louis XII. 
 17
La duchesse d’Angoulême, mère de François Ier 
 20
— Louise Labbe.
Marguerite de Valois, reine de Navarre, sœur de François Ier 
 24
— Claudine de Bectoz, religieuse.
Marguerite de France, fille de François Ier 
 31
Jeanne d’Albret, et Catherine de Bourbon, sa fille 
 32
Marguerite de France, première femme de Henri IV 
 46
Louise de Lorraine, princesse de Conti. 
 49
Marie de Médicis, seconde femme de Henri IV 
 Ibid
La Duchesse d’Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu 
 60
Anne d’Autriche, femme de Louis XIII 
 63
— Mademoiselle de Calage, poëte toulousaine. 
La marquise de Rambouillet 
 80
La duchesse de Longueville, sœur du grand Condé 
 86
La princesse be Conti, fille de Louis XIV 
 98
Madame Henriette d’Angleterre 
 99
Mademoiselle de Montpensier 
 103
Mademoiselle de Scudéri 
 118
— Mademoiselle de la Vigne, — Mademoiselle l’Héritier de Villandon. — Mademoiselle de Louvencourt. — Madame de la Roque-Montroune
Madame de la Fayette 
 152
Madame be Sévigné 
 178
— Ninon-Lenclos. — Madame de Grignan. 
Madame be la Sablière 
 192
Madame Deshoulières 
 194
— Mademoiselle Deshoulières, — Madame de la Suze. — Madame de Brégi. — Ma-
dame de Murat. — Madame de Saint-Onge. — Mademoiselle Chéron. — Mademoiselle Descartes. — Mademoiselle Bernard. — Mademoiselle de la Force. — Madame de Villedieu. — Madame de Saint-Ange. — Madame d’Aulnoy. — Madame de Caylus. — Mesdemoiselles de la Charce. — Les duchesses de la Valière et de Nemours. — Madame de Motteville. — La marquise de Villars. — Marie-Éléonore de Rohan. — Mademoiselle de Razilly
Madame de Montespan 
 214


TOME II.
Madame de Maintenon 
 1
La duchesse du Maine 
 106
La marquise de Lambert 
 115
Madame Dacier 
 118
La marquise de Tibergeau 
 129
Marie Leczinska, épouse de Louis XV 
 131
Madame de Graffigny 
 140
Madame Leprince de Beaumont 
 145
Madame de Tencin 
 147
Madame Riccoboni 
 151
Madame la marquise du Deffant 
 156
Madame Geoffrin 
 162
— Madame de Bourdic. — Mademoiselle de Lussan. — Madame la comtesse de Fontaine


FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

    coupable aux yeux de son mari. Malvina apprend que son amant se meurt, elle vole près de lui, le trouve en délire, et lui sert de garde-malade, ce qui offre un tableau peu décent. Constance apprend que son mari se meurt : exilée par lui, elle revient, le trouve en délire, et lui sert de garde-malade, Dans Malvina, une vieille paysanne et une enfant, dont Malvina prend soin, produisent des scènes intéressantes. Dans les Vœux téméraires, une vieille paysanne et une enfant, dont Constance prend soin, produisent des scènes absolument du même genre, etc. Je crois qu’on ne s’est jamais permis de piller un ouvrage avec plus de détails et moins de déguisement ; j’avois déjà fait ces rapprochemens, dans une nouvelle édition du Petit La Bruyère, au moment où Malvina parut. L’auteur vivoit, et n’essaya pas de se justifier.

  1. Vauvenargues.
  2. Arrie et Petus, de mademoiselle Barbier, eut seize représentations ; toutes ses autres pièces furent de même reçues avec de grands applaudissemens. Laodamie, de mademoiselle Bernard, eut vingt représentations ; Brutus, de la même, en eut vingt-cinq. Les Amazones, de madame du Bocage, eurent aussi un grand nombre de représentations. Son poëme épique, la Colombiade, eut beaucoup de succès, et fut traduit en plusieurs langues.
  3. Voyez la note à la fin des Réflexions préliminaires.
    Quand on s’expose à scandaliser les foibles, il faut prouver par des faits l’opinion qu’on énonce. Quelle est la femme auteur, quel est même l’admirateur des écrits de M. d’Alembert, qui voulût avoir écrit le morceau suivant, morceau important, médité avec soin, fait avec grande prétention, enfin un parallèle de trois grands écrivains (Racine, Boileau, Voltaire) ? On a dû employer toutes les ressources de son imagination et tout son talent pour composer un tel morceau ; le voici :
    « Ne seroit-il pas possible de comparer ensemble nos trois grands maîtres en poésie, Despréaux, Racine et Voltaire ? Ne pourroit-on pas dire, pour exprimer les différences qui les caractérisent, que Despréaux frappe et fabrique très-heureusement ses vers ; que Racine jette les siens dans une espèce de moule parfait, qui décèle la main de l’artiste, sans en conserver l’empreinte ; et que Voltaire, laissant comme échapper des vers qui coulent de source, semble parler sans art et sans étude sa langue naturelle ? Ne pourroit-on pas observer, qu’en lisant Despréaux, on conclut et on sent le travail ; que dans Racine on le conclut sans le sentir, parce que, si d’un côté la facilité continue en écarte l’apparence, de l’autre la perfection continue en rappelle sans cesse l’idée au lecteur ; qu’enfin, dans Voltaire le travail ne peut ni se sentir, ni se conclure, parce que les vers moins soignés qui lui échappent par intervalles, laissent croire que les beaux vers qui précèdent et qui suivent n’ont pas coûté davantage au poète ? Enfin, ne pourroit-on pas ajouter, en cherchant dans les chefs-d’œuvre des beaux-arts un objet sensible de comparaison entre ces trois grands écrivains, que la manière de Despréaux, correcte, ferme et nerveuse, est assez bien représentée par la belle statue du Gladiateur ; celle de Racine, aussi correcte, mais plus moelleuse et plus arrondie, par la Vénus de Médicis ; et celle de Voltaire, aisée, svelte et toujours noble, par l’Apollon du Belvédère ? » — Éloge de Despréaux. Il est inutile d’insister sur le ridicule inoui de cet étrange galimatias, qui nous apprend que Racine jette ses vers dans une espèce de moule parfait ; qu’en lisant Despréaux, on sent et on conclut le travail ; que dans Racine, on le conclut sans le sentir ; que dans Voltaire, on ne peut ni le sentir, ni le conclure ; qu’enfin, la manière de Despréaux ressemble à la statue du Gladiateur ; celle de Racine, plus arrondie, à la J^ènus de Médicis ; celle de Voltaire, plus svelte, à l’Apollon du Belvédère. D’Alembert, dans ce même éloge, dit que dans la partie du sentiment, il manquoit à Despréaux une espèce de sens. Car, ajoute l’orateur, si l’imagination y qui est pour le poe’ie comme le sens de la vue, doit lui représenter vivement les objets et les revêtir de ce coloris brillant dont il anime ses tableaux, la sensibilité, espèce d’odorat d’une finesse exquise, va chercher profondément dans la substance de tout ce qui s’offre à elle, ces émotions fugitives, mais délicieuses, dont la douce impression ne se fait sentir qu’aux âmes dignes de l’é*prouver ; c’est-à-dire, que cette espèce d’odorat qui, dans toutes les substances, cherche profondément ce qui s’offre à elle, la sensibilité, ne se fait sentir qu’aux âmes sensibles. Voilà un beau raisonnement, et une définition bien claire et bien éloquente ! On l’a dit souvent, et il est toujours utile de le répéter, on peut trouver dans les ouvrages d’un bon écrivain des pages foibles, d’un style froid et négligé ; on y peut trouver des incorrections, des longueurs, mais on n’y trouvera jamais des galimatias aussi absurdes et aussi ridicules, et les éloges de M. d’Alembert en sont remplis, Quelle femme ( parmi celles qu’on peut citer) voudroit avoir montré dans ses écrits aussi peu de goût et de raison ? S il en est auxquelles on a pu reprocher le manque de naturel et de clarté, du moins il y a toujours dans les passages défectueux de leurs livres de l’esprit, ou quelque chose de brillant qui peut séduire ; mais les galimatias de 31. d Alembert sont aussi insipides qu’incompréhensibles, et il y a de plus dans tous ses éloges un ton doctoral, une pédanterie, un mélange d hypocrisie et d’insolence, et une haine pour la Fiance, un acharnement à dépriser son pays, qui les rend véritablement odieux. Quand on connoît toutes les déclamations des philosophes modernes contre 1 intolérance du gouvernement, on ne revient pas de son étonnement en lisant ces éloges, en se représentant M. d’Alembert disant dans une séance publique :
    « Que la place de censeur royal est proprement un emploi de commis à la douane des pensées. Que celle place n’est guère plus agréable, soit pour ceux qui l’exercent, soit pour ceux qui en souffrent, que le métier de commis à la douane des fermes. Un censeur royal doit se regarder comme une espèce d’inquisiteur subalterne, qui se trouve à tout moment dans la nécessité ou de se rendre odieux aux auteurs qu’il mutile, ou de se compromettre par son indulgence. » — Éloge de Cousin.
    Ces inquisiteurs n’étoient pourtant pas bien dangereux, puisqu’on pouvoit en public montrer un tel mépris pour eux, et parler ainsi d’un emploi nommé par le roi, et portant par cette raison le surnom de royal.
    C’est ce même d’Alembert qui, dans une autre séance publique, en parlant des grands globes de Coronelli, offerts jadis à Louis XIV, et qu’on venoit de placer récemment dans la Bibliothèque du roi, dit : « On ajoute que le malheur des circonstances avoit empêché de faire les dépenses nécessaires pour placer ces globes dans un lieu où la nation et les étrangers désiroient de les voir. Gémissons d’une si fâcheuse excuse ; mais respectons-la dans notre douleur, si le malheur des circonstances n’a pas permis des dépenses plus onéreuses et plus inutiles. » — Éloge du cardinal d’Estrées, En se récriant sur la barbarie du langage gothique de nos édits, d’Alembert fait cette réflexion : « C’est bien assez que nos lois soient quelquefois atroces et absurdes, sans leur prêter un jargon inintelligible, comme si l’on vouloit joindre la barbarie de la forme à celle du fond. » Dans quel pays permet-on et peut-on permettre ces injures, proférées publiquement contre le gouvernement et les lois de son pays ? et néanmoins l’auteur vécut paisible, heureux, et même honoré dans cette patrie qu’il méprisoit si ouvertement. On formeroit plusieurs volumes de citations de cette espèce, tirées des ouvrages de cet auteur, surtout si l’on y ajoutoit toutes les invectives contre les rois, les nobles, les ministres, tous les gens en place, et contre la France en particulier. Mais l’auteur ne se regardoit pas comme Français ; aussi dit-il dans ses lettres : « Je renoncerois sans regret à une patrie qui ne veut pas l’être. » De quoi donc avoit-il à se plaindre ? non-seulement il n’a jamais été persécuté ni dans sa personne, ni dans ses ouvrages ; mais il fut admis dans toutes les académies du royaume, il eut des pensions du gouvernement, il ne reçut du public que des témoignages de bienveillance ; d’où viennent donc cette morosité, ce mécontentement, qui percent dans tous ses écrits, et cette haine envenimée contre sa patrie ? Grâce au ciel, aucune femme auteur jusqu’ici n’a montré dans ses ouvrages cette odieuse inconséquence et cette basse ingratitude.
  4. Ou nées chez des barbares, ou peu civilisées encore.
  5. À l’exception des recluses.
  6. On place au nombre des femmes françaises, celles qui le sont devenues par adoption, en épousant des princes français. On a dû les mettre dans cette classe, afin de parler des plus illustres protectrices des gens de lettres, car presque toutes les reines de France furent des princesses étrangères.
  7. On vit encore, depuis, un second exemple d’une captive élevée sur le trône de France. Bathilde, esclave saxonne, fut achetée par Archambaud, un seigneur français, qui voulut l’épouser : désirant se consacrer à Dieu, elle refusa sa main ; la Providence la destinoit à une plus haute élévation. Elle épousa Clovis ; deux ans après la mort de ce prince, elle devint régente, et gouverna avec sagesse durant la minorité orageuse de Clotaire III, son fils. Elle abolit l’usage d’avoir des esclaves, réprima la simonie et fit plusieurs lois bienfaisantes. Elle fonda l’abbaye de Corbie et celle de Chelles ; elle se retira dans ce dernier monastère, et s’y fit religieuse. Elle mourut en 680. Cette sage et vertueuse princesse fut canonisée par le pape Nicolas Ier.
  8. Les femmes, dans tous les temps, et dans tous les pays, ont formé des établissemens de ce genre : en France encore, madame de Maintenon fonda Saint-Cyr. Presque tous les colléges d’Oxford, en Angleterre, sont fondés par des femmes ; beaucoup de colléges en Irlande le sont aussi par elles. En Russie, l’impératrice Catherine II a fondé des maisons pour l’éducation des jeunes personnes ; et depuis sa mort, ces écoles impériales ont encore été perfectionnées par les soins bienfaisans de l’impératrice-mère. En Autriche, l’impératrice Marie-Thérèse a fondé beaucoup d’écoles d’éducation. Une infinité de princesses et de femmes ont eu la gloire d’être les seules institutrices de leurs enfans, devenus par la suite de grands hommes. L’impératrice romaine Julie Mammée donna elle-même une excellente éducation à son fils Alexandre- Sévère. En Angleterre, Alfred le Grand fut élevé par sa mère, ainsi que notre roi saint Louis et Philippe-Auguste. Saint Ambroise, saint Augustin et saint Bernard, ces éloquens pères de l’église, durent aussi leur éducation à leurs mères. Le fameux don Juan d’Autriche, fils naturel de Charles-Quint, fut élevé à la campagne par la femme de Louis Quiada. Jeanne d’Albret dirigea seule l’éducation de Henri IV. Leibnitz perdit son père dans sa première enfance, et fut élevé par sa mère qui, par son esprit, ses vertus et son érudition, étoit digne de former un tel disciple.
  9. Sous le règne de François Ier, vivoit Louise Labbé, qui épousa un riche cordier de Lyon, ce qui la fit surnommer la belle Cordière. Elle fut célèbre par son humeur belliqueuse, sa beauté et ses vers. A peine âgée de seize ans, elle suivit son père au siège de Perpignan, déguisée en homme ; elle y combattit et y montra un courage intrépide. Elle a fait beaucoup de vers, très-bons pour ce temps ; mais sa plus ingénieuse composition est celle qui a pour titre : Le débat de folie et d’amour ; cette pièce est en prose. La Fontaine en a pris le sujet d’une de ses plus jolies fables, et le Bon homme se garda bien d’avouer ce larcin. Quelles que soient la bonhomie et la candeur d’un auteur, il sait que, par une loi tacite, mais universelle, il est toujours dispensé de convenir qu’il doit à une femme une idée heureuse. Dans ce cas seulement, le plagiat et le silence sont également légitimes.
  10. On ne cite ces ouvrages comme d’excellens modèles ; que relativement au style.
  11. À l’exception de quelques lettres à la fin du roman.
  12. Un mensonge souille la bouche qui le profère, mais on ne souille point le ciel.
  13. Ainsi point de vertu sans de grandes passions, et tout homme incapable de faire une grande faute est un homme méprisable ; en effet, dans ce temps on voyoit les passions violentes élever à une si haute vertu, et les grandes fautes produire de si belles choses, que cette doctrine devoit paroître bien séduisante.
  14. Cette sensible Claire a des enfans.
  15. Ce qui ne signifie rien ; mais cela est plus neuf que cette phrase usée, chague pas t’éloigne, etc. Et voilà avec quel art on rajeunit, de vieilles expressions ! etc.
  16. Madame Cotin s’est souvent permis, non-seulement de s’approprier les idées des autres, mais de prendre des passages entiers. C’est ainsi que, dans sa Mathilde, elle a inséré des morceaux littéralement copiés d’un ouvrage intitule : L’Étude du cœur humain.
  17. Voilà une pensée religieuse toute neuve ; car on n’a jamais dit que la bonté divine est un manteau qui réchauffe les cœurs.
  18. On avoit fait paroître dans la Bibliothèque des Romans, une partie de ces critiques, lorsque madame Cotin donna cet ouvrage ; elle fit depuis une seconde édition de ce roman, peut-être a-t-elle corrigé quelques passages. On n’a point lu cette seconde édition.
  19. Oui, un tort bien grave quand on veut renverser tous les principes sacrés de la morale, et un ridicule bien grand quand on écrit de certaines phrases.
  20. Le poëme intitulé : La Colombiade, et les Amazones : cette tragédie eut onze représentations.
  21. Elle a fait un poëme sur les vers à soie.