De l’influence des femmes sur la littérature française comme protectrices des lettres et comme auteurs/Radegonde


DE L’INFLUENCE
DES FEMMES
SUR
LA LITTÉRATURE FRANÇAISE,
COMME PROTECTRICES DES LETTRES
ET COMME AUTEURS.


RADEGONDE,
Femme de Clotaire Ier[1].


En faisant des recherches sur la vie des protectrices des savans et des gens de lettres, on voit ce qu’on ne pourroit trouver chez aucune autre nation, une suite non interrompue, depuis le commencement de la monarchie jusqu’à nos jours, de reines et de princesses qui ont encouragé, protégé tous les talens, et même cultivé la littérature avec succès : ainsi l’influence des femmes dans ce genre a dû être plus marquée et plus heureuse en France que partout ailleurs. La première reine, amie des muses, qui se présente, est Radegonde, fille de Berthaire, roi de Thuringe, née en 519 ; elle se trouva au nombre des prisonniers faits par Clotaire Ier, après la défaite des Thuringiens. Radegonde, encore enfant, fut élevée avec soin, par les ordres de Clotaire, dans le château d’Athiès, en Vermandois. Sa beauté toucha le cœur de ce roi barbare, qui fit périr ses enfans : Clotaire l’épousa[2]. Radegonde ne put se trouver heureuse sur un trône occupé par un prince féroce, meurtrier de son fils et de toute sa famille ; elle obtint la permission de se retirer dans un cloître, et prit le voile à Noyon, de la main de saint Médard : cet instituteur de la Rosière de Salency, qui posa sur la tête innocente d’une jeune vierge la première couronne de roses, prix champêtre de la vertu, fut appelé pour détacher le diadême du front d’une reine sa souveraine, et pour substituer à sa couronne royale l’humble bandeau de religieuse. Radegonde fonda à Poitiers le fameux monastère de Sainte-Croix ; loin d’y vouloir commander, elle y fit élire une abbesse, et y vécut simple religieuse jusqu’à sa mort. Elle eut le mérite, si rare dans ces temps de barbarie, d’aimer les sciences et la littérature ; elle écrivoit en latin. Elle protégea plusieurs savans, entr’autres Fortunat et Grégoire de Tours.

Clotaire avoit pour elle une telle estime, qu’il lui conserva toute sa confiance, malgré une séparation à laquelle il n’avoit consenti qu’avec un extrême regret. Radegonde ne se servit de son ascendant sur lui que pour adoucir sa férocité ; les malheureux trouvoient en elle une pitié tendre, active, et presque toujours une protection efficace. Ils devoient à ses sollicitations quelquefois leurs biens ou leur liberté, et même souvent la vie. Elle frémissoit dès qu’elle entendoit parler de guerres, ou de discordes entre les grands ; alors, elle mettoit tout en usage, lettres, vœux, prières, pour écarter ces fléaux. Elle écrivoit, dans ces occasions, au roi son époux, à ses ministres, aux évêques ; ange tutélaire d’un royaume malheureux, gouverné par une main foible et cruelle, et déchiré par l’ambition des grands, son âme élevée vers les cieux, ne se détachoit de cette douce et sublime contemplation que pour veiller sur le bonheur de la France : ayant renoncé à toutes les pompes du monde, elle voulait en ignorer les plaisirs et les joies trompeuses ; elle n’écoutoit que les récits de l’infortune, dans l’espoir de soulager le malheur ou de prévenir de grands désastres. Clotaire fournissoit avec générosité aux dépenses qu’exigeoit son immense charité. Son monastère devint le refuge des pauvres et de tous les êtres souffrans ; chaque douleur, chaque infortune y trouvoit des secours et des consolations. Le sentiment que Clotaire avoit pour elle, ressembloit à la foi religieuse ; il étoit forcé d’admirer ses vertus, de reconnoître la vérité, l’utilité des principes de cette femme angélique, quoique tout en elle fût en opposition avec ses penchans et son caractère. Cette princesse, qui honora également son sexe, le trône et le cloître, mourut vers 587. Elle a été canonisée.



  1. On place au nombre des femmes françaises, celles qui le sont devenues par adoption, en épousant des princes français. On a dû les mettre dans cette classe, afin de parler des plus illustres protectrices des gens de lettres, car presque toutes les reines de France furent des princesses étrangères.
  2. On vit encore, depuis, un second exemple d’une captive élevée sur le trône de France. Bathilde, esclave saxonne, fut achetée par Archambaud, un seigneur français, qui voulut l’épouser : désirant se consacrer à Dieu, elle refusa sa main ; la Providence la destinoit à une plus haute élévation. Elle épousa Clovis ; deux ans après la mort de ce prince, elle devint régente, et gouverna avec sagesse durant la minorité orageuse de Clotaire III, son fils. Elle abolit l’usage d’avoir des esclaves, réprima la simonie et fit plusieurs lois bienfaisantes. Elle fonda l’abbaye de Corbie et celle de Chelles ; elle se retira dans ce dernier monastère, et s’y fit religieuse. Elle mourut en 680. Cette sage et vertueuse princesse fut canonisée par le pape Nicolas Ier.