De l’égalité des races humaines/Chapitre 9

CHAPITRE IX.

L’Égypte et la civilisation.


L’Égypte est toute d’Afrique et non d’Asie. (Champollion).

I.

LES ANCIENS ÉGYPTIENS ÉTAIENT D’ORIGINE ÉTHIOPIENNE.


La vérité est éternelle. Elle doit se maintenir entière à travers les temps et les lieux, sans quoi la logique lui refuse toute sanction. Est tata in toto, tota in qualibet parte, disaient les scolastiques. En déclarant donc que la race noire est inférieure à toutes les autres, il a fallu prouver ; que le fait est actuel et perpétuel : c’est-à-dire que non il seulement il en est ainsi de nos jours, mais que dans tout le cours de l’histoire, on n’a jamais connu un état de choses différent et qui serait en contradiction flagrante avec la forme dogmatique dont se servent les anthropologistes ou les érudits dans leur prétentieuse assertion.

L’esprit de système et l’orgueil du sang caucasien ne furent jamais mis à plus terrible épreuve. Néanmoins ils ne s’intimidèrent nullement devant l’énormité de la tâche. Contredits mollement par des adversaires qui n’avaient pour les combattre qu’un intérêt platonique, le seul amour de la vérité, ils ont pu se maintenir debout, malgré l’inconsistance réelle du terrain où ils se sont placés.

Avant de procéder à aucune démonstration tendant à prouver que l’infériorité actuelle de la race noire, comparativement aux races blanche et mongolique, n’est pas un fait naturel, général susceptible d’être érigé en doctrine ou loi scientifique, nous allons chercher si parmi les peuples qui ont le plus contribué à l’évolution de l’espèce humaine, aux époques les plus reculées de l’histoire, il ne se — rencontre pas des nations d’origine nigritique, dans une région quelconque de la terre. L’existence d’un tel fait, quelle que soit l’époque de sa manifestation, ne suffirait-elle pas pour renverser entièrement la théorie de l’inégalité des races ? Ne serait-ce pas une réfutation des plus accablantes, si l’on pouvait montrer une période historique où les fiers Européens étaient absolument sauvages, tandis que des hommes de sang noir tenaient le flambeau de la civilisation naissante ? Ouvrons donc les annales de l’humanité, interrogeons le passé, en étudiant les vestiges antiques : ils sont pleins d’enseignements et nous pouvons compter qu’ils projetteront sur tout le débat une lumière vive et pénétrante, une nouvelle confirmation de la vérité !

Au seuil de l’histoire, nous rencontrons d’abord un peuple dont la civilisation précède celle de tous les autres : c’est l’ancienne population de l’Égypte. Ces hommes qui ont été les initiateurs incontestés de toutes les nations blanches occidentales dans le développement de la science et de l’art, ont fondé à eux seuls, sur les bords du Nil dont les eaux sablonneuses et douces parcourent de si vastes régions, le plus bel édifice social qu’une agglomération humaine ait jamais conçu. Leur réputation resta longtemps dans l’ombre ; mais vers la fin du siècle dernier, le monde savant, longtemps dédaigneux de tout ce qui n’était pas européen, eut l’idée de retourner ses regards vers cette terre noire d’Égypte, vers l’antique Kémie. Entraînés par le jeune héros de l’Italie, toute une légion d’hommes de science s’y dirigèrent. À mesure qu’on pénétrait à l’intérieur de ce pays merveilleux, on tombait de surprise en surprise.

Là, tout prend un cachet grandiose, colossal. Il semble que cette race chamitique, dans son premier élan, voulait lutter de grandeur avec la sereine majesté de la nature, en imaginant des œuvres gigantesques, capables de défier le temps. Partout on ne rencontre que des constructions titaniques, des statues qui sont découpées dans le roc des montagnes, des fûts de colonnes qui ressemblent à des blocs erratiques, des pyramides qui font penser aux géants, des pylones aux hiéroglyphes mystérieux qui précèdent des temples comparables à des villes.

La grande dimension des monuments est encore enjolivée par des peintures qui ont résisté à la désintégration de plus de cinq mille ans ; les sculptures où la diorite même a été soumise aux plus capricieux dessins des artistes prouvent que la persévérance de ce peuple n’a été égalée que par son habileté. Tout cela brille, reluit, flamboie sous un soleil dont l’éclat incomparable y jette une splendeur magique ; tandis que les rayons lumineux que projette le reflet des montagnes rocailleuses, couvertes de lichens orangés ou rouges, semblent les semer d’une fine poussière d’or[1]. Mais ce qui étonne davantage, c’est la précocité avec laquelle s’est développée cette civilisation dont les ruines imposantes impressionnent encore les regards éblouis de l’Europe moderne si enflée de ses progrès, si orgueilleuse de ses œuvres comparativement chétives et mesquines. Lorsqu’il s’agit des monuments, des sculptures et des inscriptions de la cinquième dynastie, nous sommes transportés, dit Lepsius, à une époque de florissante civilisation qui a devance l’ère chrétienne de quatre mille ans. On ne saurait trop se rappeler à soi-même cette date jusqu’ici jugée incroyable[2].

Quel était l’état de l’Europe et des Européens à la même époque et même fort tard après ? Quels étaient leurs titres et quel rang occupaient-ils dans la liste des nations ? « À peu près au temps où naissait Moïse, dit M. Beauregard, quand Cécrops le Saïte, fondait Athènes, que Deucalion régnait en Lycorie, environ huit cents ans avant la fondation de Rome, plus de mille ans avant que les Phocéens construisissent Marseille, près de six ans avant qu’une colonie de Phéniciens donnât naissance à Gades (Cadix), le peuple de la vallée du Nil, déjà policé par les bienfaits d’une civilisation de quarante siècles, jouissait des avantages d’une industrie fort avancée et satisfaisant d’ailleurs à toutes les exigences de la vie en commun chez ce peuple désormais éveillé aux délicatesses d’une sociabilité raffinée. À cette époque, tous les arts de la paix lui étaient en effet familiers, et depuis longtemps il avait fait éprouver à ses voisins de l’Asie et de l’Afrique la puissance de ses armes. Mais nous (les Européens) ne lui étions connus que comme des êtres sauvages, tatoués et vêtus de peaux de bêtes.

« Nous étions à cette époque là pour les Égyptiens ce que sont pour nous aujourd’hui les naturels de la Nouvelle-Calédonie.[3] »

Eh bien, si on parvenait à prouver, avec le progrès des connaissances historiques, que ce peuple Égyptien n’était pas de race blanche comme l’esprit de système et un orgueil rétrospectif l’ont continuellement affirmé, depuis que les études égyptologiques ont fait voir quelle importance a eue cette nation antique, que pourra-t-on, alléguer pour sauver la doctrine de l’inégalité des races ? Aucun argument. Anthropologistes et savants de l’école inégalitaire l’ont si bien senti que toutes les subtilités imaginables ont été mises en jeu, toutes les arguties ont été érigées en raisons convaincantes, toutes les divagations érudites ont été acceptées comme de sérieuses probabilités, afin de faire admettre que les anciens Égyptiens étaient des blancs.

La présomption caucasienne n’a pu souffrir l’idée que, dans la première éclosion du progrès, une race que l’Européen considère comme radicalement inférieure fût capable de produire une nation à laquelle l’Europe actuelle doit tout, puisque c’est à elle que l’on est redevable des premières conquêtes intellectuelles et morales qui sont les bases de la civilisation moderne. Cependant la lumière se fait aujourd’hui sur toutes les questions, particulièrement dans le domaine de l’égyptologie. Les savants de tous les grands pays y ont dirigé leurs investigations avec une ardeur, un esprit d’émulation et même de rivalité, dont la science n’a qu’à se louer. Il devient donc impossible de résister à l’évidence des faits, en se renfermant encore dans les théories surannées qui ont fait leur temps.

Il faut rendre cet hommage au génie de Champollion. Non-seulement il a eu la gloire immortelle d’avoir révélé l’Égypte ancienne au monde européen, en découvrant le sens caché des hiéroglyphes, mais il a déclaré, en outre, des le premier coup d’œil, avec ce sens profond dont il était doué, que les peuples égyptien et éthiopien ne formaient qu’une seule et même race, ayant la communauté du langage comme celle de la couleur et de la physionomie. « Les anciens Égyptiens, dit-il, appartiennent à une race d’homme tout à fait semblable aux Kennous ou Barabras, habitants actuels de la Nubie. On ne retrouve chez les Coptes de l’Égypte _ aucun des traits caractéristiques de l’ancienne population égyptienne. Les Coptes sont le résultat du mélange confus de toutes les nations qui successivement ont dominé sur l’Égypte. On a tort de vouloir retrouver en eux les traits de la vieille race[4]. » Les termes ne sauraient être plus précis. Longtemps avant lui, d’ailleurs, un des plus grands noms de l’érudition française, s’était inscrit en faveur de cette même opinion. Volney dans son Voyage en Égypte et en Syrie, publié des l’année 1787, s’exprime dans les termes suivants, en parlant d’un sphinx célèbre. « En voyant cette tête caractérisée nègre dans tous ses traits, je me rappelai ce passage remarquable d’Hérodote où il dit : « Pour moi, j’estime que les Colches sont une colonie des Égyptiens, parce que, comme eux, ils ont la peau noire et les cheveux crépus ; » c’est-à-dire que les anciens Égyptiens étaient de vrais nègres de l’espèce de tous les naturels d’Afrique ; et dès lors, on s’explique comment leur sang, allié depuis plusieurs siècles à celui des Romains et des Grecs, a dû perdre l’intensité de sa couleur, en conservant cependant l’empreinte de son moule original. »

Ces lignes qui ont déjà soulevé les plus grandes controverses, depuis que la meilleure partie des égyptologues ont voulu, malgré l’évidence, distraire les anciens Égyptiens de la race éthiopique pour en faire un rameau de la race caucasique, présenteront éternellement un double défi à leurs contradicteurs. Plus tard, il est vrai, Volney se trouvant aux États-Unis d’Amérique et étudiant le Nègre sous le régime de l’esclavage, a conçu quelques doutes sur sa première opinion. Mais il ne s’agit pas uniquement de cette opinion. En supposant, comme on a essayé de l’expliquer, que la face du sphinx de Gizeh, auquel faisait allusion l’auteur des Ruines, a été mutilée, il reste à réfuter les paroles si claires et si précises d’Hérodote. Celui-ci avait vu les Retous sur les lieux. Toutes les descriptions qu’il fait des peuples qu’il a visités, touchant leurs mœurs, leur couleur et leur physionomie, ont toujours été trouvées exactes. Les progrès de l’érudition moderne ne font constamment que mettre en lumière la grande véracité de ses assertions. Comment pourrait-il se tromper sur un point aussi matériel et saisissant que celui de se rappeler la leur et la chevelure des anciens Égyptiens qu’il a vus et examinés ? Pour tenter seulement une telle supposition, il ne fallait-il pas des motifs d’une influence puissante, des dispositions d’esprit particulières ? Cependant le courant il d’idées qui dominait la science, vers le milieu de ce siècle, explique parfaitement bien ce qui pourrait nous paraître incompréhensible.

Après la mort de Champollion, les études égyptologiques on dût subir un arrêt sensible. Non-seulement ses disciples n’ont pu immédiatement continuer ses travaux, mais des savants d’une haute valeur, tels que Klaproth et Thomas Young, montrèrent une incrédulité obstinée devant le résultat acquis par les travaux du grand érudit. Quand F. Lenormant, Nestor L’hôte, en France, Rosellini, en Italie, et Lepsius, en Allemagne, reprirent la chaîne de ces études un moment interrompues, il ne fut plus question de l’ancienne race égyptienne.

L’américain Morton, le même qui soutint avec tant de persévérance la théorie du polygénisme dont il était le maître, fut aussi le premier à ériger en doctrine scientifique l’opinion erronée qui rapporte à la race blanche les anciennes populations de l’Égypte. Dans ses Crania ethnica, il s’ingénia à démontrer que l’étude de la conformation cranienne des momies prouve que les Retous ressemblaient beaucoup plus au type blanc qu’au type noir. Son immense érudition, une méthode prestigieuse et surtout la tendance générale des Européens à n’attribuer qu’à leur seule race tout ce qui a été fait de grand et de beau sur la terre, firent accepter ses idées sans discussion aucune.

Mais ne fallait-il pas une bonne volonté excessive pour concilier cette doctrine avec les monuments, le témoignage authentique du Père de l’histoire, et de tant d’autres anciens Grecs mieux autorisés pour en parler que tous les modernes ? Plus rationnelle et beaucoup plus véridique était la conclusion de l’éminent naturaliste de Gœttingue. « Blumenbach, dit M. Louis Figuier, par l’examen d’un grand nombre de momies et par leur comparaison avec le produit de l’art ancien, est arrivé à établir trois types principaux auxquels se rapporteraient avec plus ou moins de déviations, les figures individuelles : le type éthiopien, le type indien et le berbère. Le premier est caractérisé par des machoires saillantes, aux lèvres épaisses, par un nez large et plat, par des yeux saillants. Ce type coïncide avec des descriptions données par Hérodote et d’autres auteurs grecs qui accordent aux Égyptiens un teint noir et des cheveux laineux. »

Où est la vérité, où est l’erreur ?

Comme à dessein, on a toujours embrouillé la question. D’une part, les anthropologistes, qui n’ont d’autres moyens pour l’élucider que les procédés craniométriques dont nous avons déjà vu l’insignitiance dans la classification des races humaines, se sont constamment étayés des conjectures historiques et archéologiques pour justifier le résultat de leurs investigations. D’autre part, les érudits, qui se sont enrôlés sous la bannière de Morton, ne trouvent rien de mieux que de s’appuyer sur l’anatomie comparée, c’est-à-dire sur ces mêmes résultats anthropométriques qui se réclament de leurs travaux, pour affirmer que les anciens Égyptiens appartenaient à la race caucasique. C’est une pure plaisanterie où les uns reçoivent des autres la rhubarbe et leur passent le séné.

La science ne peut se complaire dans un tel cercle vicieux, car elle a horreur de l’équivoque.

Il faut donc en revenir aux faits et les examiner plus consciencieusement. Si les anciens Égyptiens appartenaient à une race blanche, comment se fait-il que les plus beaux types, rencontrés ça et là parmi leurs monuments, aient un cachet, une physionomie générale si différente des types caucasiens ? Pour répondre on a souvent cité les traits réguliers que présente la tête de Râ-mes-sou II (colosse de Memphis). Encore que dans une pareille question quelques têtes isolées, surtout des têtes de rois, ne suffisent nullement pour donner une idée de la conformation générale d’une race, je crois nécessaire d’offrir aux yeux du lecteur une figure de Râ-mes-sou II, d’après gravure publiée dans j’Histoire ancienne de l’Orient de François Lenormant.

Chacun peut voir que cette beauté originale dont je suis le premier à convenir, est une beauté qui se rapproche plutôt du type noir, que du blanc. En Haïti dans nos mornes comme dans nos villes, on rencontre journellement des types noirs aussi beaux et souvent plus beaux. Il faudrait aussi ajouter que l’artiste tend toujours à embellir son modèle et combien plus n’a-t-il pas dû le flatter, quand il s’agissait d’un Pharaon ! La même réflexion doit être faite pour ce qui a trait à la figure des Éthiopiens représentés comme vaincus dans les bas-reliefs égyptiens. Ici, c’est la charge, la caricature qui domine. Le fait est si vrai que, toutes les fois que l’on voit dans les peintures égyptiennes ces mêmes Éthiopiens figurés non comme des ennemis, le type en est parfaitement beau. D’ailleurs, malgré la décadence actuelle de cette race, les Abyssins et les Nubiens ne présentent nullement ce caractère de laideur niaise qu’on leur donne dans certains bas-reliefs des monuments de l’Égypte.

Il faut aussi reconnaître que querelle d’Égyptiens et d’Éthiopiens, c’était plutôt querelle de famille. On s’alliait, on se séparait, on s’attaquait ; mais on se rejoignait dans tous les moments difficiles. Tel est le fait qui ressort de l’étude de toute l’histoire de ces deux peuples que l’on ne peut diviser. Qu’on se rappelle aussi que lorsque les Égyptiens faisaient la guerre à une nation étrangère, c’était par droit de conquête qu’ils comptaient s’emparer de leur territoire ; tandis que les Pharaons réclamaient toujours l’Éthiopie comme une portion de leur domaine dynastique et considéraient les Éthiopiens comme des rebelles ! D’autre part l’Égypte s’est toujours fait remarquer par son éloignement de tous les peuples de race blanche, jusqu’à la dynastie des rois Saïtes où l’influence grecque envahit le pays et fut la principale cause de la décomposition et de la décadence rapide de ce grand empire. Comment mettre d’accord de telles incompatibilités avec la théorie qui admet une communauté de race entre les Égyptiens et les anciens peuples blancs de l’Europe et de l’Asie ? Ces difficultés donnèrent à réfléchir. Mais comme, malgré Homère, Hérodote, Diodore de Sicile et une foule d’autres Grecs, on ne voulait pas admettre que la race noire fût capable de produire une civilisation supérieure, on se rabattit sur des arguments d’un nouvel ordre, afin de fortifier les preuves insuffisantes qu’on avait vainement essayé de tirer de la craniologie et de l’archéologie.


II

CONTROVERSES ET RÉFUTATIONS.


Vers 1840, la vogue était aux études linguistiques. On prétendait, comme il a été déjà dit, qu’elles étaient plus propres qu’aucun autre moyen d’investigation à déterminer le caractère ethnique de chaque ; peuple et à lui fixer un rang dans la classification ethnologique. Benfey[5], suivi de Bunsen[6], soutint que l’ancienne langue égyptienne doit être groupée parmi les langues d’origine semitique. On en conclut immédiatement que le peuple des Pharaons avait dû émigrer, à une époque quelconque, d’Asie en Afrique. Malgré le peu de consistance qu’offre une telle théorie, elle fut complaisamment adoptée par les savants qui s’accrochent à toutes les branches, plutôt que de reconnaître qu’un peuple de race noire a pu s’élever à la grande culture intellectuelle et sociale dont les Égyptiens ont fait preuve.

M. de Gobineau n’alla pas si loin, mais il imagina que c’est un peuple blanc de l’Asie qui est venu civiliser les Égyptiens, en leur infusant la vertu et l’influence régénératrice du sang caucasique. Mais ce sang serait-il resté inefficace dans toutes les nations blanches d’alors, pour ne produire ses résultats que là où il a été contaminé par la race maudite de Cham ? Je serais curieux de savoir la réponse qu’on peut faire à une question aussi simple, mais aussi embarrassante pour le système de hiérarchisation des races humaines. Toujours advint-il que l’opinion d’une origine asiatique des anciens Égyptiens, formulée d’après la linguistique, prit place dans le cerveau de plus d’un savant. M. Maspero, un des plus remarquables égyptologues de notre époque, n’en démord pas jusqu’ici[7].

Cependant, avec le sens supérieur dont M. Renan fait preuve dans toutes les questions de linguistique, il ne tarda pas à mettre en doute cette parenté spéciale entre l’ancien idiome de l’Égypte et les langues sémitiques.

Peut-être la théorie de Benfey eut-elle pu garder un certain caractère de probabilité dans l’application qu’on en faisait à l’égard de l’origine des Rétous ; mais la linguistique continuant à progresser, s’est enfin aventurée dans l’étude des autres langues parlées chez des peuples de race incontestablement nigritique. Or, la plupart des ressemblances glottologiques qu’on a rencontrées entre l’égyptien et l’hébreu ou l’arabe, se rencontrent également dans le galla, le bedja, le somali. En réalité, l’égyptien bien étudié, autant qu’on puisse le faire en s’aidant du copte, présente le cas d’une grammaire mixte, comme l’a savamment observé M. Renan[8]. « L’égyptien, dit aussi M. de Charency, est surtout curieux au point de vue qui nous occupe, parce que chez lui les éléments africains et sémitiques se rencontrent pour ainsi dire juxtaposés et ne sont pas encore complètement fondus l’un avec l’autre. Ainsi, à côté de féminins formés comme en arabe, au moyen d’une désinence faible, ou une mutation interne de la voyelle, il en possédera d’autres marqués uniquement par l’adjonction d’un mot signifiant femme, femelle. C’est ce dernier procédé qu’emploient presque tous les peuples noire, chez lesquels il n’existe pas de formes génériques. En copte, le pluriel se distingue du singulier quelquefois aussi par un changement interne de la voyelle, mais plus souvent par la seule préfixe dont il est muni, ce qui nous rappelle la formation de ce nombre dans beaucoup d’idiomes centro-africains[9]. »

Il faut ajouter l’opinion de M. Alfred Maury dont l’autorité est si grande dans une pareille question. « L’égyptien, dit-il, reconnaît deux articles, deux genres, deux nombres. Son système de conjugaison rappelle celui de la plupart des langues africaines. On y reconnaît la tendance agglutinative qui appartient à toute cette famille. Par le bichari la langue égyptienne se rattache au danakil et conséquemment à tout le groupe nilotique ; certaines particularités la lient étroitement au kanouri parlé au Burnou et qui porte les marques d’une culture ancienne[10]. »

En face de telles preuves, je crois qu’il est permis de déclarer que ceux qui veulent encore admettre que les anciens Égyptiens appartenaient à la race blanche de l’Asie antérieure, n’ont aucun droit de s’autoriser de la linguistique pour consolider leur opinion. Il faut y renoncer et chercher une autre source d’arguments. Mais les anciens riverains du Nil n’ont-ils laissé aucun moyen d’examiner le problème et de reconnaître la race à laquelle ils ont appartenu ? En étudiant, avec l’esprit dégagé de tout parti pris, les monuments historiques ou les objets d’art qui nous viennent des Retous, ne pourrions-nous pas nous rapprocher sensiblement de la vérité ? C’est ce qu’il faut essayer.

Bien que M. Maspero soit d’une opinion diamétralement opposée à la thèse que je soutiens ici, personne ne saurait nier sa haute compétence dans toutes les études concernant l’archéoiogie égyptienne. On peut différer d’opinion avec un savant, tout en s’inclinant devant sa science profonde : le plus souvent c’est de cette science même qu’on tire les lumières qui amènent ces divergences de vue si nécessaires à la réalisation du progrès. Aussi serait-ce pour moi un bonheur incomparable que de trouver dans les ouvrages mêmes de cet éminent égyptologue des faits qui corroborent ma manière de voir. Est-il possible d’en rencontrer de tels dans la savante exposition qu’il a faite de la première époque de la civilisation égyptienne ? Je le crois positivement. Il suffira pour cela, de faire quelques rapprochements absolument logiques que l’auteur a négligés, volontairement ou non, et qui pourraient l’induire a changer complètement d’avis dans la question en débat.

En parlant de la description ou de la représentation que les anciens Égyptiens faisaient de la divinité, M. Maspero cite les paroles suivantes : en Dieu est un, unique, multiple de bras… Enfin les hommes sortent de ses deux yeux et se répandent sur la surface de la terre, « troupeau de Râ » divisé en quatre races, les Égyptiens (Retou), les hommes par excellence et les Nègres (Nahsi) qui sont sous le patronage d’Hor ; les Asiatiques (Aamoû) et les peuples du Nord à peau blanche sur lesquels Sekhet, la déesse à tête de lionne, étend sa protection[11]. »

Un fait positif nous apparaît de prime abord. C’est que les anciens Égyptiens se rangeaient à côté des Nègres (Nahsi ou Na’hasiou) sous la protection d’Hor qui est, pour ainsi dire, la divinité ethnique de l’Afrique Opposée au reste du monde. « Dans la légende d’Osiris, dit M. Beauregard, il figure comme le génie du bien en opposition à Seth, le génie du mal ; c’est en ce sens qu’il est représenté aux prises avec des crocodiles, des lions et des scorpions, et qu’on le rencontre armé d’un javelot dont il frappe l’énorme serpent Apophis, etc.[12]. » Cependant ils mettaient ensemble les Asiatiques (Aamoû) et les peuples du Nord à peau blanche (Tamahoû ou Tahennoû). Cette division n’est-elle pas significative ? N’indique-t-elle pas qu’ils se reconnaissaient de même origine que les autres noirs de l’Afrique et qu’à tort ou à raison, ils supposaient une origine commune aux blancs d’Asie et aux blancs d’Europe ? On s’étonne qu’un homme de la sagacité de M. Maspero n’ait pas réfléchi sur ces faits avant d’affirmer que les Retous sont de la même race que les peuples blancs de l’Asie antérieure. Ce qui a peut-être égaré son intelligence et qui l’a fait rester dans ses anciennes opinions, tout en touchant aux documents les mieux faits pour l’éclairer, c’est une certaine confusion jetée dans les esprits par cette dénomination de Retou que se donnaient les anciens Égyptiens et qui semblait les distinguer des Nahsi ou Na’hasiou.

M. Maspero et beaucoup d’autres se sont habitués à donner au mot Retou, le sens de « homme par excellence ». On s’est alors dit que le peuple des Pharaons reconnaissait une distinction entre lui et les autres races éthiopiques, puisqu’il s’est dénommé à part. Certains égyptologues s’empressèrent immédiatement de comparer Retou à Loudim ; car les lettres r et l, t et d se permutant facilement en égyptien, comme dans la plupart des langues indo-européennes, on peut bien changer Retou en Ledou ; de Ledou à Loudim il n’y a aucune différence, quand on connaît l’instabilité des voyelles phoniques dans les langues sémitiques et chamitiques.

Mais l’équivoque n’est plus permise aujourd’hui. On sait, en effet, que le mot Retou ne signifie rien autre chose que « le regnicole », « le natif de l’Égypte » ; quant à leur nom national, les anciens Égyptiens se nommaient plutôt Khêmi[13], mot qui signifie « visage brûlé », tout comme Αιθιοπες.

En tout cas, il ne faudrait nullement croire, comme l’ont affirmé plusieurs, d’après quelques inscriptions où l’orgueil national tâche toujours de rabaisser les peuples avec lesquels on est en rivalité, que les Égyptiens tenaient en grand mépris les autres Noirs de l’Afrique. Brusch, dans une dernière édition de son histoire d’Égypte, dit que dans un papyrus de Boulacq, découvert par Mariette, il est question de la grande sociabilité des Na’hasiou et de la facilité avec laquelle ils apprenaient la langue de l’Égypte[14]. Pour que les Retous, alors les seuls représentants de la civilisation dans les régions méditerranéennes, aient pu faire une telle remarque, il faut qu’ils aient trouvé dans ces Na’hasiou, des dispositions bien supérieures aux autres peuples qu’ils avaient aussi vus de près.

François Lenormant dont les derniers travaux ont été la refonte de son Histoire ancienne de l’Orient, mise absolument au courant des dernières acquisitions de la science, affirme que les Éthiopiens ressemblaient tellement aux Égyptiens qu’on peut les regarder comme formant la même race[15].

Encore que l’illustre assyriologue, pour ne pas rompre ouvertement avec l’orthodoxie, ait continue à parler des Éthiopiens comme de peuples non-nègres, il faut prendre note de son affirmation principale qui seule nous intéresse ici. Il n’est, d’ailleurs, ni le seul ni le premier à proclamer cette parfaite ressemblance que le parti pris seul empêche la plupart d’avouer. Ce qu’il voyait par la comparaison des types représentés sur les monuments, d’autres l’ont vu en examinant en personne la physionomie actuelle des peuples qui représentent ces anciennes races dans les parages du Haut-Nil. « Plus on remonte le Nil, dit J.-J. Ampère, — qui n’était aucunement un négrophile, — plus on trouve de ressemblance entre les populations qui vivent aujourd’hui sur ses bords et la race antique, telle que les monuments la représentent et que les momies l’ont conservée. M. Caillaud, en voyageant dans la Haute-Nubie était à chaque instant frappé de cette ressemblance. Larrey a trouvé les crânes des momies fort semblables à ceux des Nubiens actuels. Ceci tendrait à confirmer l’opinion généralement établie d’après laquelle la race égyptienne serait descendue de l’Éthiopie en suivant le cours du Nil[16]. » Aussi dans un élan de poétique érudition, a-t-il écrit ces vers que je cite pour prouver que cette remarque l’avait particulièrement frappé :

Les cheveux noirs nattés, les femmes nubiennes,
Traînant leurs amples vêtements,
Ressemblent aux Égyptiennes
Qui décorent les monuments[17].

Revenant à l’opinion qui fait descendre les Égyptiens de l’Éthiopie, opinion d’autant plus rationnelle que nous savons par l’histoire générale des migrations ethniques, que les nations suivent toujours les cours des fleuves dans le développement de leur civilisation et les remontent rarement, il faut citer un passage de Diodore de Sicile. « Les Éthiopiens, dit-il, affirment que l’Égypte est une de leurs colonies. Il y a des ressemblances frappantes entre les usages et les lois des deux pays : on donne aux rois le titre de dieux ; les funérailles sont l’objet de beaucoup de soins ; les écritures en usage dans l’Éthiopie sont celles même de l’Égypte, et la connaissance des caractères sacrés réservée aux prêtres seuls de l’Égypte était familière a tous les Éthiopiens[18] »

C’est d’une telle clarté et le raisonnement est si juste qu’il faudrait y avoir un intérêt bien ardent, pour continuer à nier ce qui paraît ici avec une telle évidence. L’opinion de M. Ollivier Beauregard, quoique plus large, se rapproche positivement des passages précités, relativement à l’origine des anciens Égyptiens. « Assise entre deux mers, dit-il, flanquée de déserts de sable et de collines arides, fermée au Midi par des montagnes inhospitalières, elle (l’Égypte) n’a pu avoir pour premiers habitants que des Aborigènes, ou quelques peuplades autochthones de la Nubie que le fleuve « le Nil » a portées chez elle, ou bien encore les peuplades autochthones de la Lybie que le fleuve « le Nil », dont alors ces peuplades voyaient périodiquement passer une partie des eaux chez elles, devait nécessairement attirer vers la vallée du Nil[19]. »

Ces suppositions tendent toutes à rattacher les Retous ou anciens Égyptiens à une souche de type nigritique. Il semble fort difficile maintenant de revenir à l’opinion de Morton. Aussi, malgré ses premières hésitations, Lepsius a-t-il fini par reconnaître au moins que la race autochthone de l’ancienne Égypte était noire[20] Incapables de nier ce double fait, — la communauté de race entre les Éthiopiens et les Égyptiens, ainsi que la couleur noire de ces deux peuples, — on imagina pendant quelque temps un nouveau moyen de retirer encore à la race noire africaine la gloire d’avoir produit la civilisation antique qui a fleuri sur les bords du Nil.

« Les Éthiopiens, dit M. Jules Soury, n’habitèrent pas toujours l’Abyssinie ; ils n’y ont passé qu’assez tard par le détroit de Bad-el-Mandeb[21]. » Cette opinion est plus ancienne que fondée. Euzèbe, évêque de Césarée, l’Hérodote de l’histoire ecclésiastique, avait déjà écrit : Ethiopes ab Indo flumine consurgentes, juxta Égyptem consederunt, en faisant des anciens habitants de l’Éthiopie et de l’Égypte une colonie hindoue. D’autres savants modernes, tels que le baron d’Eckstein et Wilkinson, ont semblé s’y rallier ; mais non-seulement rien n’autorise sérieusement de telles conjectures, il faut encore se demander si les Indiens noirs sont des blancs ? Sans nous y arrêter maintenant, qu’il me suffise de citer l’opinion de l’un des plus savants visiteurs de l’Afrique à l’égard des liens ethnologiques qui existent entre les anciens Égyptiens et les autres peuples du continent noir.

« Les Rétus égyptiens qui, après la Chute de leur immense empire, ont eu à supporter tant d’invasions étrangères, dit Hartmann, se sont mêlés, après la conquête musulmane, sous Amr Ibn-el-Asi, avec les Perses, les Grecs, les Syro-Arabes et même les Osmanlis. Ces croisements de races continuent aujourd’hui avec l’adjonction de l’élément nigritien. Ainsi le type primitif de la population s’est sensiblement transformé ; mais le sang des Rétus s’y est conservé à un degré considérable., Le type des Rétus se retrouve chez les Berabras, les Bedjas et les Nigritiens ; il est enraciné dans la race africaine[22]. »

Sans doute, on pourrait s’arrêter ici et s’étayer de tant d’autorités pour affirmer que les anciens Égyptiens, les vrais Retous étaient des Africains noirs, tout comme les autres Nigritiens. Mais cette question, qui n’offre aucune matière à discussion, tant la vérité paraît y être claire, évidente, ne saurait trop occuper notre attention. Je la considère, pour ma part, comme un point capital contre la doctrine de l’inégalité des races ; car il suffirait qu’on convînt de l’origine éthiopique des anciens civilisateurs de l’Égypte, pour qu’on reconnaisse forcément l’aptitude générale de toutes les races au développement du génie et de l’intelligence. Aussi passerai-je sans aucune fatigue à un autre ordre de faits qui militent hautement en faveur de la tradition historique qui fait descendre les Égyptiens du fond de l’Éthiopie.


III

FLORE ET FAUNE DE L’ÉGYPTE ANCIENNE.


On sait que pour certaines espèces animales ou végétales, surtout les dernières, les aires géographiques sont restreintes en des milieux déterminés ou les individus prospèrent naturellement. Lorsqu’ils sont transportés dans une autre zone, ils languissent et meurent, s’ils ne sont pas l’objet de soins particuliers.

Étant l’objet d’attentions soutenues, ces espèces peuvent s’acclimater et développer dans un nouveau milieu la même exubérance dont elles sont douées dans leur milieu d’origine. Mais pour cela, il faut que par une cause ou par une autre, elles fassent nécessité a l’homme lequel les il surveille et les protège spécialement, dans les premiers temps, et continue à le faire sans y penser, dans la suite. Sans quoi, ne pouvant plus lutter contre les difficultés du milieu, en outre à d’autres espèces mieux adaptées ou plus protégées, elles cèdent peu à peu le terrain et disparaissent enfin, vaincues dans le grand combat pour la vie dont Darwin a si savamment analysé les poignantes péripéties.

D’autre part, on peut faire une observation tout aussi importante. Dans les commencements de la civilisation, à l’époque où l’on n’avait point encore les facilités et les moyens qui font la grande puissance des temps modernes, on ne se servait que des choses qu’on trouvait sous la main. Quand les peuples primitifs ont procédé à leurs premières inventions, ils ne pouvaient donc employer que les objets qu’ils trouvaient naturellement à leur portée. Ainsi pour les besoins matériels, ainsi pour le reste.

Or, en étudiant la faune et la flore africaines, on s’aperçoit bientôt que la plupart des végétaux ou des animaux qui servaient principalement au culte des Égyptiens ou aux besoins les plus urgents de leur vie quotidienne, sont originaires de l’Éthiopie. N’est-il pas naturel de supposer qu’on a commencé à s’en servir tout d’abord dans cette dernière contrée et que, de là, ils furent transportés en Égypte, où ils ne se fixèrent que par la culture ? Si on admet cette supposition, il faut convenir que les Égyptiens sont réellement sortis de l’Éthiopie avec ces différentes espèces de végétaux ou animaux, sinon qu’ils ont eu des rapports tellement étroits avec les Éthiopiens et subissaient à ce point leurs influences, qu’ils adoptèrent toutes leurs pratiques. Cette conclusion tomberait en parfaite conformité avec la remarque de Diodore de Sicile, à l’égard des écritures sacrées généralement connues dans l’Éthiopie et réservées aux seuls grands prêtres de l’Égypte.

Commençons par le papyrus qui est un produit d’une grande importance, étant le principal moyen employé pour fixer l’écriture dans le commerce usuel et habituel des hommes de l’Égypte et du pays de Koub. « Le papyrus (cyperis papigerifera) si célèbre pour la fabrication du papier, dit Hoefer, est aujourd’hui très rare en Égypte. Jadis si abondant dans le Delta, il se trouve maintenant relégué aux bords de quelques lacs ou rivières de la Nubie, de l’Abyssinie ou du Soudan[23]. »

On ne sait au juste depuis quelle époque cet état de choses a commencé d’exister. Peut-·être pourrait-on attribuer le refoulement vers le midi de cette espèce de souchet à un changement climatérique. Mais cette hypothèse ne peut longtemps se soutenir, quand on pense que le papyrus se peut rencontrer encore aux environs de Syracuse, en Sicile, île située beaucoup plus au nord que l’Égypte. Tout autorise donc à croire que le papyrus antiquorum fut introduit en Égypte par les Éthiopiens et que la plante n’a pu s’y conserver qu’autant qu’on s’en est spécialement occupé. Le jour qu’elle eut perdu son importance et qu’elle fut négligée, elle fut du même coup condamnée à disparaître. Cependant tout aussi négligée dans la Nubie, l’Abyssinie et la partie orientale du Soudan, pays qui forment l’ancienne Éthiopie, elle vit et prospère, étant dans son domaine naturel.

Le Lebka que les anciens confondaient avec le Persea et qui, suivant Delisle[24], doit être rapporté au genre ximenia œgyptiaca de la famille des Oléacinées, est un arbre qui servait, pour la meilleure partie, à la nourriture des anciens Égyptiens. Déjà rare à l’époque où Abd-Allatif voyagea en Égypte (XIIe siècle), il y est aujourd’hui presque introuvable. On le retrouve pourtant dans la Nubie et l’Abyssinie[25].

Le lévrier antique (canis leporarius œgypticus), tel que le représentent les monuments, s’est propagé jusqu’à nos jours. Rare dans la Basse-Égypte, on le rencontre assez fréquemment dans la Haute-Égypte, en Nubie, au Sanaar et en d’autres contrées de l’Afrique centrale et orientale. Remarque curieuse ! les habitants de ces régions ont conservé la coutume de lui couper la queue et les oreilles, comme on en voit l’image dans les peintures égyptiennes[26].

Tous ces faits prouvent surabondamment que l’Égypte ancienne, encore qu’elle se soit toujours et systématiquement isolée des peuples de l’Asie antérieure et de l’Europe méridionale, n’a pas observé le même éloignement pour les populations africaines avec lesquelles elle a eu mille traits communs, tant pour les mœurs et la religion populaire[27], que pour les particularités linguistiques. Le même ordre de faits a dû attirer l’attention de César Cantu. « Certains objets adoptés pour le culte égyptien sont, dit-il, originaires de Nubie, comme la marjolaine[28] consacrée à Ixis et l’ibis[29] qui ne descend de ces parages que lors du débordement du Nil[30]. » « M. Caillaud, fait aussi observer Ampère, n’a rencontré qu’en Nubie l’ibis noir et le scarabée sacré[31], objet du culte des anciens Égyptiens[32]. »

On sent, à chaque pas que l’on fait dans ces investigations historiques, que la vérité prend un éclat nouveau, fait pour éclairer l’esprit le plus incrédule. C’est ainsi que dans une intéressante étude qu’a faite M. Hamy sur Les chevets des anciens Égyptiens, le savant conservateur du musée d’ethnographie du Trocadéro, conclut à l’origine éthiopienne de la civilisation de l’ancienne Égypte. Qu’il me soit permis de citer ses propres expressions. · « Le chevet est donc essentiellement chamitique ou si l’on aime mieux éthiopien, dit-il, et son emploi chez les anciens habitants de l’Égypte apporte, comme tant d’autres faits ethnographiques qu’il serait impossible d’énumérer ici, une démonstration très péremptoire à l’appui de l’origine chamitique ou éthiopienne de la civilisation égyptienne[33]. »

La parole de M. Hamy a une autorité que nul ne peut méconnaître et je me considère infiniment heureux d’avoir pu l’enregistrer en faveur de ma thèse, sans m’arrêter à examiner si l’anthropologîste classique continue systématiquement à distinguer les Éthiopiens de ce qu’il appelle les « véritables nègres ». Mais quelle que soit la somme des preuves que nous avons déjà offertes en faveur de notre thèse, nous continuerons encore à étudier cette question tant discutée, la considérant sous toutes ses faces, afin de démontrer que notre investigation ne manque rien de ce qu’il faut pour implanter dans chaque intelligence une conviction solide et sûre.


IV

ÉTUDE DES MONUMENTS ÉGYPTIENS.


En abordant un autre ordre d’arguments, on peut, en étudiant les produits de l’art égyptien, tels que des savants archéologues sont parvenus à les classer, trouver des indices précieux pour parvenir à l’élucidation de la controverse existant sur l’origine des Rétous. Plus on remonte vers l’antiquité, plus on est convaincu de l’identité du type ethnologique de tous les riverains du Nil. En descendant le cours de l’histoire, on voit l’ancienne race égyptienne, avec la marche de la civilisation, se transformer et devenir de plus en plus belle. Mais ce fait, à part même les croisements inévitables qui ont pu se faire entre elles et les peuples d’une race étrangère, n’a rien qui doive nous étonner, quand on sait que d’après la théorie de l’évolution, qui est devenue la base même de la philosophie scientifique de notre époque, toutes les races humaines tendent invinciblement à modifier et transformer leur type physique. Cette transformation va de la dolichocéphalie à la brachycéphalie, du prognathisme à l’orthognathisme, c’est-à-dire vers le perfectionnement et l’embellissement. Tout le temps qu’on se figurera que les races ont une physionomie qui reste invariable à travers les siècles, comme une empreinte ineffaçable de la main du créateur, ces phénomènes resteront incompréhensibles. Mais toute étude suivie sur l’ethnographie d’un peuple, pendant une période considérable, montre que les types varient continuellement en s’améliorant sans cesse. Je crois avoir suffisamment indiqué ce fait biologique, lorsqu’il s’est agit d’étudier la réalisation de la beauté dans les diverses races humaines. Cette évolution qui s’effectue dans tous les groupes de l’humanité avec les conquêtes de la civilisation, stimulant le cerveau et le faisant réagir sur l’organisme entier, a produit aussi son effet dans la conformation anthropologique des anciens Égyptiens. À l’origine, le type du Rétou était lourd et massif ; cependant il s’affina avec le temps et prit enfin ces belles formes que l’on ne rencontre encore que rarement en Égypte, mais dont les échantillons sont si communs parmi les Abyssins. « Le caractère propre des figures, tant dans les statues que dans les bas-reliefs des premiers temps, consiste, dit de Rougé, dans l’imitation d’un type plus fort et plus trapu. Il semble que, dans la suite des siècles, la race se soit amaigrie et élancée sous l’action du climat[34]. » Plus sûrement que l’action du climat, les différents exercices auxquels se livraient habituellement les anciens Égyptiens ont dû agir salutairement sur leurs formes plastiques.

Mais c’est là un simple détail. Il y a deux gravures (Lenorm., Hist. anc., t. II. 83 et 85), représentant, l’une, la statue en diorite de Kha-f-Râ, roi de la IVe dynastie égyptienne ; l’autre, la statue de bois du musée de Boulaq que Mariette a découverte dans le village de Saqquarah et que ses ouvriers ont baptisée du nom de Scheikh-el-beled, tant elle ressemblait au maire de l’endroit. Le type africain est si bien caractérisé dans ces deux figures, nullement repoussantes d’ailleurs, qu’il faut vouloir fermer les yeux à l’évidence pour ne pas en convenir. Ayant pu obtenir la seconde gravure je l’offre volontiers à l’examen du lecteur (voir la gravure ci-contre). Il en ressort une déduction toute naturelle et d’une visible application, c’est qu’on s’est placé à tort au point de vue anatomique pour déclarer que la race antique de l’Égypte appartenait au type caucasique. Rien ne confirme une telle assertion. Il faut donc reconnaître que l’autorité ne s’en est maintenue que par une connivence générale de tous ceux qui sont tacitement ou délibérément endoctrinés dans la théorie de l’inégalité des races.

Pour ce qui a trait à la couleur, les artistes égyptiens semblent avoir pris un soin particulier de ne pas se laisser confondre avec les blancs. Dès la première manifestation des arts plastiques, vers l’époque de la troisième dynastie, ils ont eu l’idée de fixer, même sur les statues, la nuance

dont étaient colorés leurs modèles. Mais pouvaient-ils y parvenir du premier coup ? Par combien de tâtonnements n’a-t-on pas passé avant de réussir à tirer du mélange des couleurs fondamentales, qui sont les plus communes et les plus simples, ces mille nuances qu’un Titien sait détacher de sa palette magique ? Mille fois plus grande a dû être la difficulté pour les anciens Égyptiens qui firent les premiers essais, avant d’avoir eu aucune notion positive ni de la chimie, ni de la physique. On sait combien peu les plus grands artistes modernes réussissent, même aujourd’hui, à figurer les différentes nuances de la carnation des races humaines ; la nuance la plus difficile à rendre est surtout celle du noir rougeâtre, que l’on appelle vulgairement marabout. Cette teinte est bien connue dans la meilleure partie des populations africaines ; car c’est aujourd’hui un fait notoire que les nations d’un noir très foncé, telles que les Yolofs, les plus beaux des Nigritiens, les Aschantis et les habitants du Haoussa, ne forment qu’une minime portion des peuples de l’Afrique. Tout semble indiquer que l’ancienne population de l’Égypte était cette couleur noir rougeâtre que les égyptologues nomment rouge foncé, rouge brique, se rapportant littéralement aux nuances figurées sur les monuments.

Les artistes des premiers temps, s’apercevant de l’imperfection de leurs palettes, ont imaginé un moyen ingénieux de faire remarquer conventionnellement la couleur sombre qu’ils voulaient donner à leurs peintures, en mettant une bande d’un vert très foncé sur les yeux des statues ou des figures dessinées et peintes sur les bas-reliefs des monuments. Le plus souvent la couleur en est franchement noire. C’est même un fait digne de remarque : cette couleur noire est celle avec laquelle sont représentés les principales divinités et la plupart des Pharaons. Quand on ne l’emploie pas, on se sert du bleu d’azur qui s’en approche le plus et qui se confond avec elle, toutes les fois qu’une lumière vive n’aide point les yeux à les distinguer l’un de l’autre·

Lorsque le progrès eut permis aux peintres égyptiens d’obtenir des nuances plus complexes par le mélange de certaines couleurs fondamentales, ils sont parvenus à imiter assez fidèlement la teinte du noir violacé que l’on appelle chocolat, faute d’un terme plus précis. Je fus étonné, en visitant le musée égyptien du Louvre, de voir dans la salle funéraire les couvercles de deux boîtes de momie ou cette nuance est rendue avec une habileté remarquable. Dans les contours du visage, on constate des traits réguliers, mais restant africains pour toutes les grandes lignes de la physionomie. C’est en considérant ce type égyptien transformé, embelli, qu’il vint sans doute à l’esprit de plusieurs savants de supposer une communauté d’origine entre le Rétou et le type indien, dont il diffère d’une manière assez sensible, d’ailleurs. Mme  Clémence Royer y a porté sa vive et intelligente attention. « Examinons les monuments, dit-elle. Ceux de la XIIe et de la XVIIIe dynastie qui se rattachent en général à de grandes époques, nous montrent des types de nuance chocolat[35]. » Sans partager toutes les idées de la savante femme, je prends note de ces judicieuses remarques, et je suis positivement d’accord avec elle lorsqu’elle convient de ce fait : « En Égypte, on ne trouve nulle part, en majorité, un type qui se rapproche en quoi que ce soit du type européen[36]. »

Pour ce qui s’agit des types de nuance claire que l’on rencontre sur les monuments de la Ve et de la VIe dynastie il y a une remarque fort importante à faire. À part quelques rares exceptions, telles que le scribe accroupi que l’on voit au milieu de la salle civile du musée égyptien du Louvre, on ne rencontre que des femmes avec cette couleur qui tourne au jaune lavé. Cela s’explique assez facilement. Parvenus à une certaine période de leur développement national, les Égyptiens ont du naturellement contracter les habitudes de l’exogamie, lesquelles consistent à rechercher ses femmes parmi une autre tribu ou même une autre race. En lisant John Lubbock[37], Tylor[38], ou Herbert Spencer[39], nous voyons comment se produisent régulièrement ces phénomènes sociologiques dans l’évolution de la plupart des agglomérations humaines. L’enlèvement des Sabines, si célèbre dans l’histoire romaine, est un fait caractéristique qui s’est effectué moins bruyamment peut-être, mais généralement dans la vie de chaque société grandissante. De là vient sans doute un autre fait que tout le monde connaît, c’est que primitivement l’institution du mariage a été une sorte de servage de la femme. N’est-ce pas une chose fort naturelle et simple quand on se rappelle la grossièreté des hommes encore impolicés ?

Nec commune bonum poterant spectare, neque ullis
Moribus inter se scibant, nec legibus uti[40].

Ce n’est pas qu’à l’époque où nous examinons les Rétous, ils fussent encore à cet état primitif auquel fait allusion le poète latin. Mais ce fait de ne rencontrer parmi eux que des femmes, comme spécimen d’une race étrangère, nous paraît, à l’aide de ces rapprochements, comme la simple continuation d’une ancienne habitude. La présence d’un tel cas constaté en signes palpables sur les monuments de l’antique Égypte, confirme donc positivement ma thèse, à savoir que les anciens Égyptiens étaient de race noire. En effet, c’était le peuple supérieur en force et en civilisation qui ravissait les femmes du peuple moins puissant et les gardait. Il sera peut-être intéressant de s’arrêter un moment devant une gravure que j’ai tirée de l’Égypte d’Ebers et qui représente deux statues peintes du temps de la Ve ou de la VIe dynastie. Elles ont été découvertes à Meïdoum et sont déposées au musée de Boulaq.



Le mari, franchement noir, s’appelait Râ-hotpou ; sa femme, du nom de Nofri-t, est claire et se rapproche évidemment du type syrien. Dans l’homme, on distingue, au premier coup d’œil, un ton de grande fierté : ce n’est pas cette fierté farouche qui caractérise le Peau-Rouge, mais celle un peu vantarde de l’Africain. Il regarde devant lui avec un air superbe ; et l’artiste y a mis toute la somme de vie dont une œuvre d’art est susceptible. Le regard de la femme décèle plutôt la timidité. On sent qu’elle est humble et soumise ; on la dirait tremblante sous l’influence du respect qu’impose la présence de son seigneur et maître !

Pour terminer notre course à travers les monuments égyptiens, nous renverrons le lecteur à l’ouvrage de François Lenormant. Il y trouvera une gravure reproduisant les traits de la reine Nofri-t-ari, laquelle est toujours représentée avec la chair peinte en noir. C’est une Éthiopienne, mais quelles belles formes ! Une autre gravure non moins intéressante est celle d’un bas-relief de Medinet-Abou ; elle représente Râ-mes-sou III, rentrant vainqueur de sa dernière guerre contre les Lybiens. Quoique moins foncé que Nofri-t-ari, le Pharaon est encore peint en nuance noire et tous les détails de son profil sont rendus avec la plus vive expression. Ce bas-relief est un véritable chef-d’œuvre.

En Somme, on ne visite jamais un musée égyptien, on ne parcourt jamais un recueil de monuments de l’antique Égypte, sans en sortir avec la conviction invincible qu’on s’est trouvé en face d’un peuple de race noire. Il faut toute l’obstination du parti pris ou toute la puissance de l’illusion pour inspirer une idée contraire,

« L’Égypte est toute d’Afrique et non d’Asie. »

Ainsi s’est exprimé l’illustre Champollion, et il ne se trompait pas. Il aimait trop passionnément ce monde qu’il a révélé à la science moderne pour le mal regarder et ne pas y voir clair.

Partout, en effet, c’est la couleur noire, les teintes sombres qui dominent dans la physionomie générale de l’Égypte. On n’a pour s’en convaincre immédiatement qu’à se promener quelques instants dans la section égyptienne du musée du Louvre, après en avoir parcouru d’autres, telles que le musée des anciens Assyriens, par exemple.

Pour les Rétous, le Nil c’était toute l’Égypte. Ampère y fait la réflexion suivante qui est catégorique : « Presque tous les noms que le Nil a reçus a différentes époques expriment l’idée de noir ou de bleu, deux couleurs que, dans différentes langues on confond volontiers. Cette dénomination ne peut provenir de la teinte des eaux du fleuve, plutôt jaune que noir ou bleu. Je crois donc plutôt y voir une allusion à la couleur des habitants d’une partie de ses rives qui étaient noirs, ainsi qu’on nomme Niger un autre fleuve, parce qu’il coule à travers le pays des nègres[41]. » Il faut rapprocher de cette observation les paroles suivantes. « Les Égyptiens, dit Bouillet, ont eu de tout temps pour le Nil un respect religieux ; ils le regardaient comme un fleuve sacré. Dans l’antiquité, à l’époque où le Nil sortait de son lit, on célébrait en l’honneur de ce fleuve une fête pendant laquelle on lui immolait des taureaux noirs. Il y avait à Nilopolis un temple magnifique avec une statue en marbre noir qui le représentait sous la forme d’un dieu gigantesque couronné de lauriers et d’épis et s’appuyant sur un sphinx[42]. »

Qu’on parle sincèrement ! Dans quelle autre partie du monde asiatique ou européen, ancien ou moderne, trouve-t-on l’adoption de la couleur noire si générale et si constante qu’en Égypte ? N’est-ce pas une preuve évidente que le peuple des Pharaons, loin d’être distinct du reste des Nigritiens, représentait éminemment dans son aspect, comme dans ses conceptions artistiques, l’idéal du continent noir ? Peut-on rationnellement continuer a isoler les anciens Égyptiens de la race de l’Éthiopie et de ses rameaux soudaniens ? Si les égyptologues et les anthropologistes persévèrent dans leur doctrine systématique, des preuves tirées d’une autre source viendront encore les confondre. Car, pour étouffer la vérité, il faudrait éteindre toutes les lumières de l’érudition et effacer tous les vestiges de la littérature et de l’histoire anciennes. La tâche est au-dessus de la puissance de quelques hommes. Toutes les précautions resteront donc vaines et quand bien même personne ne voudrait dévoiler un secret si bien gardé, les roseaux même crieraient, en dénonçant les oreilles de Midas.


V

MYTHE D’IO, LA SULAMITE, LES ROIS ÉTHIOPIENS, ET CONCLUSION.


Les preuves abondent pour la soutenance de notre thèse. Il y a dans la littérature ancienne un drame, le plus grandiose, le plus émouvant que le génie humain ait jamais pu concevoir. C’est le Prométhée enchaîné, bribe superbe de la grande trilogie d’Eschyle. Les égyptologues ne le citent jamais, en parlant de l’ethnographie des anciens habitants des bords du Nil ; mais peut-être, avant Hérodote, avait-il déjà indiqué l’origine éthiopique du peuple des Pharaons.

Après tant et de si savants littérateurs qui ont analysé le drame d’Eschyle avec une érudition si large, une finesse si merveilleuse, au point de vue classique, je serais fort mal venu à recommencer cette tâche ingrate ou l’on est si obligé de glaner péniblement, là où d’autres ont abondamment récolté. Qu’il me soit donc permis de ne point m’arrêter sur la grandeur sublime qui fait du mythe de Prométhée la légende la plus glorieuse de l’humanité et d’aller droit au passage qui nous intéresse plus particulièrement ici.

L’épisode qui frappe surtout notre imagination et inspire l’intérêt le plus vif dans le drame eschylien, c’est l’apparition d’Io sur la scène sauvage et magnifique ou se déroule l’action poignante et superbe. Les malheurs d’Io, sa candeur, la persécution irritée de Junon, tout en fait un type qui réveille immédiatement notre sympathie. Je me figure les Athéniens, au goût délicat et fin, l’oreille tendue et l’œil anxieux, curieux d’apprendre le terme que le destin doit mettre aux courses fatales de la fille d’Inachus et le sort réservé à sa postérité. Io interroge le dieu, à la fois héros, martyre et prophète. Un long silence. Tout prend un air solennel et Prométhée commence à développer toute la trame de la destinée de la malheureuse Inachide. Après lui avoir rappelé les péripéties du passé, il lui indique les perspectives de l’avenir. Suivons ces péripéties.

Io, comme le Nil, sort des confins de l’Éthiopie, là où se trouvent les sources de la chaleur, dit le poète, et parcourt toutes les régions africaines qui sont décrites avec une complaisance remarquable. Mais c’est en Égypte que doit prendre fin sa course tragique. Voici comment M. Patin traduit les paroles de Prométhée :

« Aux bords de l’Égypte, près des bouches mêmes et des atterrissements du Nil, est la ville de Canope. C’est là que, te flattant d’une main caressante, Jupiter, par son seul toucher, te rendra la raison.

« De toi naîtra un fils dont le nom rappellera l’attouchement du dieu, le noir Epaphus qui moissonnera dans toutes les plaines que baigne le Nil dans son tong cours[43]. »

Les savants ont longtemps discuté sur l’interprétation qu’il faut donner, tant a la longue course d’Io qu’à la prédiction de Prométhée. Chacun a expliqué le mythe et la conception du grand tragique selon le point de vue qui agrée le plus à son imagination ou à sa conviction. Pour moi, sans m’arroger nullement le droit de trancher une question où les Patin, les Welcker, les Guignault, les Schlegel, les Quinet et tant d’autres érudits n’ont pu se mettre d’accord, je ne puis voir dans cette partie, la meilleure et la plus sublimement touchante de la tragédie d’Eschyle, qu’une esquisse géographique de l’Éthiopie et de l’Égypte, telles que les connaissaient les anciens Grecs, avant Hérodote. Eschyle aura voulu surtout, dans cette longue course d’Io, décrire l’exode du peuple égyptien que la tradition hellénique fait généralement sortir du fond de l’Afrique équatoriale, pour atteindre les bouches du Nil où il devait jeter les premières assises de la civilisation antique.

Cette description est d’autant mieux placée ici, que l’on est parfaitement autorisé à voir dans le mythe de Prométhée une allégorie poétique, symbolisant les combats de la civilisation en lutte contre les entraves du passé représentées par les dieux de l’Olympe. Cela n’a rien qui fût une cause de scandale parmi les Athéniens et s’adapte très bien avec les idées de l’antiquité.

Le noir Epaphus personnifiant le peuple Égyptien est, dans la conception du poète, le canal par lequel la civilisation devait pénétrer dans toutes les branches de l’humanité. Par la légende des Danaïdes, il ramène l’intérêt de l’action dramatique aux origines mêmes de la nation grecque et donne a tout cet épisode un caractère hautement national et même religieux, dans la belle acception que les anciens donnaient à ce dernier mot. Ainsi, tout s’explique merveilleusement. L’idée principale du grand tragique devient claire, limpide, lumineuse ; un nouveau cachet de grandeur semble reluire sur le génie immortel d’Eschyle. Car la partie qu’on serait tenté de croire inutile au déroulement de l’action dramatique est plutôt la plus grande preuve de l’unité de conception qui fait du Prométhée enchaîné la production la plus remarquable du théâtre grec : une légende historique, philosophique et poétique, unique en son genre !

Et remarquons-le bien. Le nom même d’Io signifie, en grec, violet, couleur sombre si approchante du noir. D’ailleurs, on trouve dans le glossaire grec ιολος, avec la signification de noir. « Io, dit Ampère, un des archéologues les plus considérables de ce siècle, Io fut probablement une forme grecque d’Isis. » — On peut aussi comparer ιολος à Iolof[44], nom des habitants du Haoussa, les plus noirs et les plus beaux de l’Afrique. En supposant qu’on ne trouve pas dans l’interprétation que je donne du Prométhée enchaîné la preuve catégorique de la couleur noire des anciens Égyptiens, représentés par le noir Epaphus destiné à moissonner dans toutes les plaines que baigne le Ni], nous pouvons découvrir dans un autre drame d’Eschyle un témoignage encore plus précis du fait que je soutiens avec une conviction inébranlable. Ouvrons Les Suppliantes. En décrivant les marins égyptiens, voilà comment s’exprime l’immortel tragique :

Apparaissent les matelots reconnaissables à leurs membres noirs qui ressortent de leurs vêtements blancs[45].

Nonobstant ces arguments nombreux et d’une valeur incontestable, deux autres faits, d’une importance capitale dans l’histoire de l’ancienne Égypte, prouvent encore que les Rétous, au lieu d’appartenir à la race blanche, comme on s’est obstiné à le répéter, par ignorance ou parti pris, étaient plutôt de la même origine que les Éthiopiens et tous les peuples autochthones de l’Afrique soudanienne. Le premier est le mouvement opéré par les Égyptiens du Delta lors de l’invasion des Hicsos. Ils refluèrent spontanément vers la haute Égypte, jusqu’aux limites de la Thébaïde où, ayant rencontré l’appui des Éthiopiens, leurs alliés naturels et au milieu desquels ils s’étaient retrempés pendant près de quatre cents ans, ils purent prendre l’offensive contre leurs envahisseurs, qui furent alors battus, expulsés de la terre des Pharaons ou réduits en esclavage. Depuis cette époque la civilisation éthiopienne était en pleine floraison ; la princesse Nofri-t-ari, qui fut mariée à Ah-mès, afin de solenniser l’alliance faite avec le roi d’Ethiopie, en donne une suffisante idée.

À propos de ce mariage, il me vient encore à l’esprit un fait qu’on passe ordinairement sous silence dans les dissertations écourtées qu’on fait sur l’origine ethnique des anciens Égyptiens. Tout le monde sait que Salomon (le Sheloum des Arabes ou le Shelomoh des Hébreux) avait épousé une fille du roi d’Égypte P-siou-n-Kha II. Le Cantique des cantiques, composé par le royal époux, est un épithalame destiné à célébrer cet hyménée. C’est aujourd’hui l’opinion de tous les savants de France, de Hollande, d’Angleterre et d’Allemagne. Eh bien, comment s’exprime la Sulamite ? Sum nigra, sed formosa, « Je suis noire, mais belle, dit-elle. » Et comme pour ne laisser aucun doute sur l’origine de la royale épouse, le poète lui fait dire encore : « Ô Filles de Jérusalem… ne considérez pas si je suis noire, car le soleil m’a brûlée…[46]. » Que veut-on avoir de plus positif pour qu’on se convainque de la couleur noire des anciens Égyptiens ?

Mais passons au deuxième fait historique. C’est l’émigration en masse de deux cent quarante mille soldats de l’armée égyptienne qui défilèrent en groupes compactes vers l’Éthiopie, lorsque la politique de Psaméthik Ier, roi de la dynastie saïte, sembla donner un trop grand accès aux Grecs, peuple de race blanche, que l’incompatibilité d’humeur empêchait les Rétous d’admettre dans leur société nationale. Comment expliquer la direction des Égyptiens, sinon par l’identité de race entre ces émigrants, fuyant l’élément blanc, et le peuplé sous le drapeau duquel ils sont allés se ranger d’eux-mêmes ? L’esprit de race aura été plus fort ici que l’esprit de nationalité. Rien ne me paraît plus clair. Mais ne voulant pas être désabusé, on ne s’est jamais inquiété d’expliquer ce grand fait historique, sans précédent dans les annales des nations.

Plusieurs écrivains, afin de mieux établir l’infériorité radicale de la race noire qu’on prétend incapable de rien édifier par sa propre initiative, affirment que l’Éthiopie n’a été civilisée que par cette émigration égyptienne, préalablement supposée blanche. Mais ne se rappelle-t-on jamais que, plus de cent ans avant la restauration de la dynastie saïte, Pi-ânkhi-Meri-Amoun, roi éthiopien de Napata, avait conquis tout le pays qui s’étend de Thèbes aux bouches du Nil ? Et comment se conduit-il en Égypte ? « Le roi éthiopien impose des tributs tant au profit de son trésor royal que pour enrichir les temples d’Amon thébain. Il fait procéder, à Memphis et à Héliopolis, à la célébration de tous les rites usités pour le couronnement des Pharaons, se comportant dans tout le détail, s’il faut en croire le récit de Barkal, non comme un conquérant étranger[47], mais comme un souverain légitime qui ménage ses sujets et se contente de châtier les rebelles[48]. »

Shabaka, en obtenant une victoire décisive sur Bokhoris, établit sans conteste la domination de l’Éthiopie sur l’Égypte soumise. « Rien n’indique, dit de Rougé, que Sabacon ait eu quelque combat à soutenir contre les Thébains pour monter sur le trône ; mais l’histoire nous apprend qu’il emporta de haute lutte la souveraineté de Memphis et qu’il fit mourir Bokhoris, après l’avoir vaincu. Il ne faut pas conclure cependant de cette vengeance que les Éthiopiens eussent des mœurs féroces, ou fussent alors moins civilisés que leurs nouveaux sujets. Tous les détails de leurs monuments prouvent au contraire qu’ils voulaient justifier aux yeux des peuples leur prétention hautement proclamée de représenter le sacerdoce d’Amon[49]. »

Il est temps que prenne fin la doctrine par laquelle on a voulu faire des anciens Éthiopiens un amas de barbares, incapables de s’élever à la civilisation, rien que parce qu’ils étaient de la race noire. À la lumière de la science moderne, cette doctrine ne peut plus subsister. Noire comme les Éthiopiens était la population de l’Égypte, et civilisés comme les Égyptiens étaient les habitants de l’Éthiopie. La différence qui existe entre la renommée des deux peuples, l’éclat supérieur que semble avoir eu la splendide civilisation de l’Égypte, provient uniquement de la situation géographique des pays du Bas-Nil, naturellement en communication avec toutes les nations qui fréquentaient la mer intérieure, c’est-à-dire toutes les côtes de l’Europe méridionale, de l’Afrique septentrionale et toutes les parties de l’Asie antérieure.

Aussi peut-on affirmer que jusque dans les derniers temps du moyen âge, les hommes d’érudition croyaient généralement à l’origine nigritique des Rétous[50]. Malgré les assertions contraires de la plupart des écrivains modernes, dont pas un ne s’est donné la peine d’étudier profondément la question, ne semble-t-il pas que chaque progrès de l’archéologie égyptienne nous ramène invinciblement à la tradition grecque, la seule rationnelle ? Il faut donc se résoudre à rompre avec les enseignements des anthropologistes prévenus et des savants fantaisistes qui ont si longtemps prêché l’erreur contre la vérité. Il faut cesser de répéter avec tant d’illogique complaisance que les anciens fils du soleil, les adorateurs d’Amon, étaient des blancs, quand tous les faits historiques, et toutes les données ethnologiques nous indiquent l’absurdité d’une telle opinion. On devra plutôt admettre avec le docteur Samuel Birch, le plus savant égyptologue que l’Angleterre ait eu, que « le peuple égyptien est issu d’une race africaine qui s’est développée par des circonstances inconnues pour atteindre au plus haut degré auquel soit jamais parvenue la civilisation de l’ancien monde[51]. »

Mais pour résumer cette longue dissertation sur l’origine des anciens Égyptiens et leur communauté de race avec les autres peuples de l’Afrique, je ne puis mieux faire que de citer les belles et éloquentes paroles de M. Élisée Reclus.

« L’orgueil de race, duquel les historiens ne se défient pas assez, dit l’éminent géographe, a donné naissance à ce préjugé très répandu, que les Africains n’ont eu, pour ainsi dire, aucune part dans l’œuvre générale de la civilisation. Le premier exemple qui se présente à l’esprit est celui du roi de Dahomey célébrant la « grande coutume » par un égorgement en masse et le remplissage d’un lac de sang ; ou bien on voit apparaître l’image de ces hordes armées de Monbouttou qui se précipitent à la bataille en grinçant des dents et en criant : « Viande ! viande ! » Mais ces tableaux affreux ne résument pas l’histoire de l’Afrique. Bien au contraire, l’étude de nos propres progrès ne nous ramène-t-elle pas forcément vers le bassin du Nil, sur la terre africaine ? En regardant la longue perspective du passé, bien au-delà des temps héroïques de la Grèce où naquit notre culture spécialement européenne, nous remontons de siècle en siècle, jusqu’aux ages où s’élevèrent les pyramides, jusqu’à ceux ou la première charrue laboura les terres grasses délaissées par le Nil. C’est en Égypte que nous retrouvons les plus anciens documents de l’histoire précise. Les droits des riverains du grand fleuve à la primauté comme civilisateurs étaient si bien etablis que les Hellènes eux-mêmes voyaient dans la terre nilotique le berceau commun des hommes. Quelle que soit la part des éléments qui ont formé le peuple auquel nous faisons remonter nos origines intellectuelles, il est certain que la civilisation est bien d’origine africaine ; elle est née dans l’étroite et féconde vallée du Nil, entre l’aride rocher et le sable plus aride encore…

« Même pour l’industrie, l’Afrique a contribué pour une certaine part à l’avoir commun de l’humanité. Les monuments de l’Égypte, ses routes, ses travaux de canalisation et d’endiguement, ses riches étoffes, ses meubles et ses bijoux, ses bois et ses métaux ouvrés, les mille objets qu’on a trouvés dans sa nécropole ne sont pas l’œuvre des seuls Rétous, ces Africains civilisés, voisins des Sémites ; dans les produits de l’antique industrie égyptienne, on reconnaît aussi fréquemment des formes que l’on retrouve en Nubie, en Abyssinie, et jusque dans le Soudan[52]. »

À ces constatations affirmées par le plus savant des géographes contemporains je pourrais ajouter bien des faits de nature a consolider encore ma thèse. Ainsi, l’existence de certaines cérémonies, de certains insignes conservés parmi les Africains, ne peuvent s’expliquer que par les traditions ou les réminiscences de l’Égypte ancienne. Munsa, roi des Monbouttous[53] est représenté, d’après Schweinfurth, assis sur son trône, tenant le harpé qui était un signe de la royauté et même de la puissance divine parmi les anciens Égyptiens, et c’est ainsi que sont représentés souvent les lus rands Pharaons ; il a de plus une coiffure qui imite passablement le pschent, sans omettre une pièce ornementale qui ressemblerait bien à l’urœus, si elle n’avait pas deux têtes en forme de cornes. Kitété[54], chef des Mpungus, est aussi représenté, d’après Stanley, avec une impériale démesurément longue, soigneusement tressée et simulant parfaitement la barbe des rois, si bien connue des égyptologues. Sont-ce là des coïncidences involontaires ? N’est-ce pas plutôt la preuve incontestable des relations anciennes de ces peuples avec les Retous ? Mais à quoi bon toutes ces questions ? La vérité brille maintenant avec tant d’évidence ; les dernières paroles que j’ai citées de M. Élisée Reclus, et qui sont aussi les derniers mots de la science, portent dans l’esprit une conviction si profonde, qu’elles me dispensent d’une plus longue insistance. Quoi qu’on veuille dire encore, le coup mortel est porté à l’école de Morton, à la doctrine de M, Maspéro, aux théories des anthropologistes systématiques. L’Égypte était un pays de Nigritiens, de noirs africains. La race noire a été l’aînée de toutes les autres races dans la carrière de la civilisation ; c’est à elle qu’on doit le premier éclair de la pensée, le premier éveil de l’intelligence dans l’espèce humaine. Désormais quand on parlera aux noirs de leur infériorité, aux Saxons comme aux Celtes, aux Ligures comme aux Ibériens, ils pourront simplement répondre : « Ingrats ! » Cette laconique réponse suffira. Car les vieux monuments de la flamboyante et chaude Égypte, depuis Memphis jusqu’à Méroë, parleront. Les Hellènes viendront leur rendre hommage, les Romains rendront hommage aux Hellènes et toute l’Europe saluera !



  1. Voir C. Pelletan, L’Égypte, articles de la Jeune France. — E, Reclus, Géogr. universelle, etc.
  2. Rich. Lepsius, Briefe aus Ægypten und Æthiapen, p. 36.
  3. Ollivier Beauregard, Les divinités égyptiennes, p. 46-47.
  4. Champollion, Grammaire égyptienne, introduction.
  5. Th. Benfey, Ueber das Verhaltniss der œgyptischen Sprache zum semitischen Sprachtmann, 1844.
  6. Bunsen, Ægyptens Sœlle in der Weltgeschichte, 1845-1857.
  7. Voir G. Maspero, Hist. anc. des peuples de l’Orient.
  8. Renan, Hist. générale des langues sémitiques.
  9. H. de Charency : Lettre à M. Léon de Rosny, dans la Revue orientale et américaine, t. VIII, chron. 61.
  10. Alfred Maury, La terre et l’homme.
  11. G. Maspero, Hist. ancienne des peuples de l’Orient. C. f. Lepsius, Denkmœler, III, CXXXV—CXXXVI.
  12. O. Beauregard, loco citato, p. 183.
  13. Léon de Rosny, Congrès intern. des sciences ethnogr., tenu à Paris, 1878, note 3 de la page 174.
  14. H. Brusch, Histoire d’Égypte. Leipzig, 1875.
  15. F. Lenormant, loco citato, tome I, p. 266.
  16. J.-J. Ampère, Voyage en Égypte et en Nubie, p. 55.
  17. J. J. Ampère, Heures de poésie.
  18. Diod. de Sicile, livre III, ch. VIII.
  19. Rich. Lepsius, Zeitschrift der deuthschen. morgendlœndischen Gesellschaft. 1870, p, 92.
  20. Oll. Beauregard, loco citato, p. 596-597.
  21. Jules Soury, Études historiques.
  22. Hartmann, Les peuples de l’Afrique, p. 16 et 63.
  23. Ferd. Hoefer, Hist. de la Botanique.
  24. Delisle, Mémoires de l’Académie des sciences, 1818.
  25. Hoëfer, ouvrage cité.
  26. Idem, Histoire de la zoologie.
  27. Le culte des animaux est encore très commun en Afrique. Bosman a remarqué ce fait que les serpents sont adorés à Fida, dans la Guinée, tenus dans une enceinte à part, comme faisaient les anciens Égyptiens. Voyez Bosman, An essay on the superstitions, customs and art, commons to the ancient Egyptians, Abyslinians und the Aschantees.
  28. Origamum majorana.
  29. Numenius Ibis de Cuvier.
  30. César Cantu, ouvrage cité.
  31. Scarabeus ateuchus.
  32. Ampère, loco cit., p. 336.
  33. Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, tome VIII, 3e série, p. 293.
  34. Emm. de Rougé, Notice sommaire des monuments égyptiens du musée du Louvre.
  35. Congrès intern. des sciences ethn., tenu à Paris en 1878, p. 665.
  36. Ibidem.
  37. Les origines de la civilisation.
  38. La civilisation primitive.
  39. Principes de sociologie.
  40. Lucrèce, De natura rerum, liv. V, vers 955 et 956.
  41. J.-J. Ampère, Voyage en Égypte et en Nubie, p. 298-299.
  42. Bouillet, Dictionn. d’histoire et de géograph, au mot Nil.
  43. Εστιν πολις…
    Επωγυμον δε των Διος γεννηματων
    τεξεις χελαινον Επαφον, ος χαρπωσεται
    οσην πλατυρρους Νειλος αρδευει χθονα.

    (Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 838-844.)

  44. La comparaison sera d’autant plus facile que la différence du σ et de la lettre f, se concilie par la lettre intermédiaire h, qui se change tantôt en f, tantôt en s. C.f. Homo et fœmina ; le grec αλς et le latin sal.
  45. Πρεπουσι δ’ανδρες νηιοι μελαγχριμοις
    γυιοισι λευχων εχ πεπλωματων ιδειν.

    (Eschyle, Les Suppliantes, v. 719-720).
  46. Cantique des Cantiques, chap I, v 1 3.
  47. Cela ne pourrait-il pas signifier que le monarque éthiopien considérait tout le pays comme appartenant à une seule famille de peuples ? Le véritable nom du Nil est le nom même de l’Égypte. On a longtemps discuté, afin d’arriver à découvrir l’étymologie du mot grec Αἰγύπτυς, et adhuc sub judice lis est. Je crois qu’il ne signifie pas autre chose que « fleuve de Nubie et de Ptah ». — Suivant la forme agglutinative qui domine dans la glottologie africaine, ce serait tout d’abord ; « Hapi-Kub-Ptah ». — En égyptien Hapi signifie le fleuve ; Kub (Kippik ou koub) est le nom de la Nubie ; Ptah ou Phtah, est le nom indigène du Delta. De Hapi, l’orthographe grecque a vite fait Api ; par une espèce de crase ou par corruption, on aura ensuite contracté Api en Α’ι, transformé finalement en la diphtongue Aἰ, soit : Aἰ Kub Ptah. Connaissant la permutation fréquente qui existe entre le ϰ et le γ, muettes de même ordre, c’est-à-dire deux gutturales, on explique facilement Αἰ-γub-Ptah. Cette dernière forme, pour être définitivement grecque, n’a besoin que d’obéir à la règle flexionnelle de l’attraction littérale, qui fait permuter le b de γub en π, par l’influence du π de Πtah ; on éliminerait enfin l’un des π, à cause que trois muettes de même ordre ne peuvent se suivre dans un mot. Cette dernière transformation nous donne Αἰγυπτ-ah. En changeant la terminaison égyptienne ah, qui ne se retrouve pas en grec, en la forme ne qui semble être plus ancienne que ος dans les noms propres de la deuxième déclinaison grecque, on a Αἰγύπτυς, mot où l’esprit doux et l’accent tonique viennent merveilleusement indiquer la contraction de Api en Αἰ et l’élimination du b permuté en π de Kub.

    Cette transformation linguistique me semble très correcte. Elle ne paraît nullement forcée, quand on pense qu’il s’agit du passage d’un mot d’une langue agglutinante dans une langue infléchie. Mais alors le nom même de l’Égypte n’indiquerait-il pas la communauté des deux races de Koub et de Ptah, des Éthiopiens et des Rétous ?

  48. Progrès des études relatives à l’Égypte et à l’Orient, p. 32. Paris, 1867.
  49. De Rougé, De quelques monuments du règne de Tahraka, (cité ` dans la Notice somm. des monuments Égyptiens, etc., p. 23. Paris, 1879.
  50. Eustathius de Constantinople, dans ses Commentaires sur l’Odyssée, et à propos de ces mots : ϰαὶ Αἰγυπτὶους επαλητέις (Δ, vers 83), assure qu’on employait la locution αἰγυπτιάσαι τὴν ϰροάν, pour signifier être brûlé par le soleil, « c’est-à-dire devenir noir, brunir. »
  51. Voir : Compte-rendu du Congrès international des Orientalistes, 1re  session. Paris, 1873, tome II, p. 61.
  52. Élisée Reclus, loco citato, p. 32 et 34.
  53. Voir Hartmaun, loco citato, p. 42.
  54. Hartm., loco citato, p. 43. — Le nom de Kitété semble être un surnom destiné a indiquer qu’il était un orateur ou un guerrier de sa tribu ; car en cafre ku-teta signifie parler et en suahih, se battre (Kraff, Von der Afrikanischen Ostkuste, in Zeztsch. der deutck. morg. Gesellschaft, t.III, p. 317.