De l’égalité des races humaines/Chapitre 18

CHAPITRE XVIII.

Légendes religieuses et opinions des anciens.
Oportet hœreses esse.
(Saint-Paul.)

I.

ANGE ET DIABLE.


Si les causes d’erreur, qui ont été jusqu’ici signalées comme pouvant influer sur l’intelligence de l’Européen dans l’opinion erronée de l’infériorité de la race noire, sont d’une importance incontestable, il s’en trouve d’autres de beaucoup plus agissantes et plus influentes. Telles sont celles qui prennent naissance dans l’aberration des croyances religieuses ou dans un jugement à priori, facilement établi par le vulgaire, confondant les apparences extérieures et la nature même des choses. Dans cet ordre d’idées il faut tout d’abord étudier l’influence que les doctrines théologiques ont exercée dans la vulgarisation de la théorie inégalitaire.

Nul n’ignore combien la foi religieuse est puissante sur l’évolution des esprits qui se sont développés à son ombre. Le fidèle qui reçoit de la bouche du prêtre, savant théologien, une parole vague ou précise, ne se contente pas de la simple conception de l’idée qu’on lui suggère. Il la tourne et retourne, cherchant à en saisir les sens les plus cachés comme les plus pratiques ; dans son âme en peine, il n’obtient de repos que lorsqu’il parvient à réduire la pensée abstraite en une forme concrète ou à prêter à la tradition, si c’en est une, la réalité actuelle qui l’aide à se la figurer matériellement. C’est par cette tendance que s’infiltrent goutte à goutte, dans toute religion, des légendes burlesques, voire des superstitions. Elles finissent par s’y adapter tellement bien qu’on ne peut les séparer, sans retirer à cette religion qu’on veut épurer ce qui fait sa principale force ou son principal attrait aux yeux de la multitude.

Bien entendu, il s’agit du commun des fidèles ; car pour ceux qui, doués d’une sensibilité exquise, sont ineffablement imprégnés des effluves de la grâce et ne vivent que de la vision des choses célestes, ils trouvent tout leur bonheur à s’abîmer en Dieu, sans érailler leur esprit aux angles de la contingence. C’est à l’aide de cette contemplation perpétuelle des vérités divines que l’âme se purifie et se transforme. Aussi les théologiens la définissent-ils en des termes quintescenciés et troublants. C’est « une vue de Dieu ou des choses divines, simple, pénétrante, certaine, qui procède de l’amour et tend à l’amour. » Mais il n’est point question ici de cet état de grâce à la fois prévenante et efficace. Toutes ces subtilités solennelles et fort respectables n’ont jamais effleuré la tête du vulgaire, lequel laisse aux Saint Anselme, aux Saint Thomas d’Aquin et aux Sainte Thérèse le soin de dogmatiser et d’expérimenter dans la science par excellence, scientia Dei, hominis et mundi.

Pour la foule, il faut des emblèmes qu’on peut voir et toucher. Dans tout ce qu’on lui prêche ou qu’on lui explique, il lui faut aboutir à cette matérialisation de l’idée ou tomber dans la plus complète indifférence. De là, l’universalité de l’anthropomorphisme dans tous les systèmes religieux. C’est l’action de l’homme rapetissant instinctivement la divinité à des proportions humaines, pour en mieux saisir le concept. Les faiseurs de religions, qui sont toujours de fins politiques, ne le savent que trop ; et leurs ministres suivent imperturbablement les mêmes procédés. Dans toutes leurs prédications, ils se servent de figures et d’images délicatement appropriées à la propagation de la foi. Le tout est mené avec une prudence de colombe ; sans rien avancer de manière à compromettre le prestige de la parole révélée, mais usant de tous les à-propos pour la rendre saisissante et fructueuse dans la récolte des âmes !

C’est ainsi que dès la première époque du christianisme, on inventa mille combinaisons propres à frapper les esprits et à diriger leur attention sur les choses de la religion chrétienne. Tous les peuples européens, au milieu desquels devait se répandre la foi, avaient des superstitions qu’il fallait respecter jusqu’à un certain point. Il y eut donc des accommodements ; car il y en a toujours avec le ciel. De toutes les inventions de la propagande ecclésiastique, celle du diable était la plus ingénieuse et la moins négligeable. En dehors du courant d’idées que soufflèrent sur le monde catholique les doctrines de Manès, savant hérésiarque qui eut l’idée de fondre avec le christianisme les principes du mazdéisme, le principal dogme de la religion du Christ, celui du péché originel et de la rédemption, devait infailliblement conduire les théologiens à la conception d’un mauvais génie, un démon représentant l’esprit du mal. Aussi, suivant la tradition biblique, le mythe du diable prend-il naissance avec la genèse même de l’humanité. Dès que Dieu eut créé l’homme, le seul être capable de lui rendre témoignage, à ne considérer que notre globe terraqué, le diable apparaît dans l’éden, berceau de linnocence et du bonheur pur, et commence sa malfaisante besogne contre la destinée humaine. Il agit surtout en haine du Tout-Puissant et inspiré par un orgueil infernal.

He trusted to have equalled the Most-High,
If he opposed
[1].

Job en est obsédé ; Jésus en est encore tenté. L’Apocalypse lui fait une place tellement saillante dans le jugement dernier, qu’on se demande parfois s’il ne joue pas dans ce drame suprême un rôle aussi grandiose, aussi puissant, sinon aussi attrayant que celui du divin agneau. Partout où le Dieu chrétien se manifeste pour la réalisation d’un bien quelconque, Satan s’érige, invincible, avec une volonté indomptable, une persévérance infatigable de détruire l’œuvre de son éternel antagoniste et de le remplacer par le mal. Les deux principes, ou, si l’on veut mieux, les deux forces subsistent l’une à côté de l’autre, dans une lutte qui ne finira pas. Le sacrifice du calvaire, en ouvrant une voie vers le ciel, n’a point ruiné l’influence du tentateur sur la terre qui reste toujours livrée à l’abomination de la désolation. En dehors du petit nombre des élus, auxquels un rayon de la grâce a été communiqué d’en haut, tous les mortels sont exposés à ses attaques !

On conçoit la répulsion et la détestation qu’un tel être inspire naturellement aux chrétiens. Ils doivent observer une vigilance incessante, afin de lui fermer tout accès dans leur cœur et même dans la nature entière. Le grand triomphe de l’Église serait de briser à jamais la trame du mal, afin de ravoir ici-bas le bonheur que nos premiers parents avaient connu, avant qu’Ève se fût montrée si friande de la fameuse pomme. Mais au prix de quelle lutte ! Le baptême chrétien ne se donne qu’au préalable on ait renoncé à Satan ; les exorcismes de l’église sont encore l’expression de l’empire qu’on lui suppose. Il n’y a pas un seul vrai fidèle qui, sentant un frisson étrange lui agacer la chair, ne s’empresse de crier : vade retro Satanas !

L’idée de l’existence du diable est donc une partie intégrante de la religion catholique. Mais pour que le mythe s’adaptât si bien à l’esprit de la foule et devînt à ce point populaire, il fallait qu’il fût présenté sous une forme matérielle. Il en fut ainsi.

La majeure partie des gentils, parmi lesquels la religion chrétienne devait se propager, conservaient obstinément leurs habitudes idolâtriques. Afin de rendre Jésus aimable, on en avait fait un portrait idéalisé, où l’anthropomorphisme grec se prêta merveilleusement aux aspirations naturalistes des chrétiens encore barbares. En effet, la figure classique de Jésus est le symbole de la douceur, de la résignation et de la bonté infinies ; toutes ces vertus que le christianisme avait mission de répandre sur la terre, afin d’acheminer les hommes dans la voie du salut. Comme, dans la race caucasique, le blond répond parfaitement à ce caractère d’agneau sans tâche, on fît Jésus généralement blond, avec une physionomie pleine de vague onction, encore que toutes les probabilités laissent à croire qu’il était plutôt brun et avait les traits fortement accusés qui caractérisent la race sémitique[2].

Au type blanc de Jésus, sur le front duquel se reflètent

  1. Milton, The paradise lost.
  2. « La population de Galilée était fort mêlée, comme le nom même du pays l’indiquait *, dit M. Renan. Cette province comptait parmi ses habitants, au temps de Jésus, beaucoup de non-juifs (Phéniciens, Syriens, Arabes et même Grecs). Les conversions au judaïsme n’étaient point rares dans ces sortes de pays mixtes. Il est donc impossible de soulever ici une question de race et de rechercher quel sang coulait dans les veines de celui qui a le plus contribué à effacer dans l’humanité les distinctions de sang. » (Vie de Jésus).

    Il ressort clairement de ce passage que de toutes les branches ethniques de l’humanité représentées à Galilée, au temps de Jésus, il n’y en a aucune qui ait eu pour caractère commun le type blond. C’étaient plutôt des bruns et même des peuples assez foncés, à l’exception des Grecs dont la personnalité de Jésus s’écarte positivement par sa complexion intellectuelle et morale. — C’est encore une erreur de croire que la religion du Christ a contribué à effacer les distinctions de sang parmi les races humaines. Les préoccupations de la couleur ne se sont jamais mieux développées qu’avec la civilisation moderne.

* Gelil haggoyan « cercle des gentils ». l’intelligence calme et sereine, la morale douce et avenante,

dont l’ensemble concourt à former je ne sais quel charme de divine beauté, il en fut opposé un autre, ayant tous les contraires de ce qui plaît et attire dans l’image du Sauveur. Le diable est le symbole de la brutalité, de l’esprit de révolte et de la perversité. Pour mettre en relief l’opposition tranchée, profonde, inconciliable, qui existe entre les deux symboles, on pensa naturellement à faire du diable un nègre.

« De sa large bouche et de ses narines sortaient la flamme et une fumée sulfureuse. Par son noir visage, il ressemblait à un Éthiopien féroce : ses cheveux et sa barbe se hérissaient, tordus comme des serpents ; ses yeux rouges comme le feu lançaient des éclairs. »

Les traits et la couleur sous lesquels je présente ici Satan, et qui lui font une physionomie bien peu flatteuse, j’en conviens, ne sont pas une fantaisie imaginée pour le besoin de ma thèse, comme on serait tenté de le croire. Je ne fais que reproduire autant qu’il m’a été possible, une description du diable faite par un certain Blasius Melanès, qui vivait, je crois, vers le commencement du moyen âge. Son nom, peu cité et même absent dans les meilleurs dictionnaires d’histoire, me fait croire que nous avons affaire à un pseudonyme. En tous cas, il fait bon de voir le texte de ce Blasius, latin quelque peu barbare, mais qu’on ne s’étonne guère de rencontrer dans cette époque de décadence, ou la langue de Cicéron fut si maltraitée par les cuistres de haute et basse volée. Il dépeint ainsi le diable :

Cui visus ore vastum, flammam naribus, fumum fundens sulfureum… ferociens in specie nigerrimi Ethiopes ; capilli et barba stillabat quasi piscem callidam et liquidam, oculi ferum ignitum et structuras scintillans[1].

Cette image du diable transformé en nègre aux cheveux crépus, aux yeux rouges, aux narines ouvertes comme des forges qui lancent des flammes, à la bouche énorme, est devenue la physionomie même sous laquelle tous les gens du peuple, en Europe, se figurent encore les hommes de race éthiopienne. Aussi quand ils voient un Noir avec des traits plus ou moins réguliers, ils le regardent avec une curiosité qui frise la naïveté ou l’ignorance. Pour eux, le nègre a hérité de la couleur du diable ; or, son prototype a été présenté à tout le moyen age sous les formes les plus hideuses tant par la peinture que par la sculpture :

Si horrible et si lez
Que très tous cels qui le veaient
Sur leur serement affirmoieht
C’onques mès laide figure
Ne en taille, ne en peincture
N’avoient à nul jour veue[2].

Mais ce qui caractérisait surtout le diable traditionnel, c’était sa couleur noire. Cela se rattache encore à l’observation que nous avons faite de l’impression profonde que produit sur l’esprit du vulgaire et même des gens instruits qui n’y sont pas habitués la différence tranchée qui existe entre le Caucasien et le Nigritien, eu égard à la couleur du visage. Aussi, toutes les fois qu’on voulait comparer la noirceur d’un objet, choisissait-on la couleur du diable !

Li fust (bois) était et li fer
Plus noirs que diable d’enfer.

dit le Roman de la Rose[3].

Cette tradition eut la plus malheureuse influence sur l’esprit des Européens. La guerre des Croisades ne fit que raviver le fanatisme religieux, en donnant une popularité plus grande à ces distinctions et, je dirais même à ces oppositions de couleur. Pour le moyen âge, tous les Musulmans étaient des Sarrasins ; et qui disait Sarrasin disait Maure ou noir. Par sa couleur, le Maure faisait à l’Européen la même impression que le diable. L’expression naïve de cette vérité se retrouve encore dans le Roman de la Rose :

Par icelui Dieu qui ne ment
Si vous jamès parlés à li
Vous aurez le vis (visage) pali
Voires certes plus noir que More.

D’ailleurs, le mot more est resté synonyme de « noir » dans la majeure partie des langues européennes. Témoin : l’allemand Mohr ; l’espagnol moreno ; l’italien, moretto, signifiant tous « noir » « nègre » ou « négrillon ». Plus la foi catholique devint fervente et agissante, durant les différentes croisades, plus les peuples chrétiens de race blanche s’habituèrent à ne voir dans l’homme noir qu’un être réprouvé, un fils de Satan, dont le seul contact, le seul aspect lui causait la plus profonde horreur. De telles impressions jettent dans les âmes des traces durables, fort difficiles à s’effacer. Longtemps après qu’il n’y eut plus de Musulmans à combattre, la terre sainte, ne pouvant plus être disputée aux Turcs qui avaient étendu leur domination jusqu’en Europe et placé leur capitale à Constantinople, sur la ruine définitive de la dynastie des Paléologues, l’on conservait encore la légende du noir Sarrasin. Il faisait toujours peur aux hommes du peuple ou aux clercs superstitieux, sous sa peau d’ébène. L’Occident avait renoncé à la lutte contre l’Orient ; mais le mythe ne fut point oublié. Jusqu’en plein XIXe siècle, la légende populaire, qui fait représenter Dieu par le blanc et le diable par le nègre, continue encore à inspirer les meilleurs peintres et les plus grands poètes.

Dans le salon de peinture du Louvre, après avoir traversé le musée de la Marine, on arrive à une salle supplémentaire, où la meilleure toile et la plus belle est peut-être un tableau du peintre Ary Scheffer, fait en 1856 et représentant la Tentation du Christ. Le célèbre artiste, obéissant à la grande légende du moyen âge perpétuée jusqu’à nos jours, fait du diable un nègre et de Jésus un blanc !

Victor Hugo, le poète le plus sympathique, le cœur le moins disposé à la haine ou au mépris de l’homme d’une race quelconque, n’a pu s’empêcher de sacrifier à cette fiction populaire. Dans une de ces poésies apocalyptiques et pleines d’une sombre grandeur, dont la muse de la Légende des siècles connaît seule le secret, Hugo met en scène les deux principes, celui du bien et celui du mal. C’est un dialogue superbe et dramatique au plus haut point !

Les acteurs sont, d’une part, Zénith placé dans les hauteurs culminantes, dominant le monde qu’il éclaire de son rayonnement moral et auquel il ouvre les sentiers de l’idéal ; de l’autre, Nadir rivé en bas, dans les ornières infectes, ne concevant que ce qui est abject et vil, génie de l’ombre et de l’opprobre. Eh bien, Nadir, c’est le nègre : y d’où il faut conclure, pour compléter l’antithèse chère au poète des Contemplations, que Zénith est le blanc.

Celui-ci dit :

« Pudeur ! le lis t’adore et le ramier candide
T’aime et l’aube te rit, virginité splendide,
Neige ou se posera le pied blanc de l’amour ! »

À quoi Nadir répond :

À bas la vierge ! à bas le lis ! à bas le jour !
Toute blancheur est fade et bête.

Zénith.
Tais-toi, nègre !
Nadir.

Est-ce ma faute, à moi ? L’ange ! tu deviens aigre
Le nez en l’air, au fond de toute chose assis,
Où tu vois des géants, je vois des raccourcis.
Ce que tu vois monter, moi je le vois descendre.
Tu vois la flamme aux fronts, je vois aux pieds la cendre.
Tout tient à la façon dont nous sommes placés.

J’avoue que lorsque j’eus ouvert pour la première fois Les quatre vents de l’esprit, ouvrage où se trouve la pièce dont j’ai extrait ces vers d’Hugo, j’éprouvai involontairement un malaise profond devant cette personnification fantaisiste du « maître ». Oui ce « Tais-toi, nègre ! » m’a sonné douloureusement au cœur. N’est-ce pas ainsi que les calomniateurs et les bourreaux de la race noire se sont toujours exprimes, toutes les fois que l’Éthiopien, certainement moins ridicule que le nègre Nadir, a voulu réclamer son droit et en appeler à la conscience humaine ? N’est-ce pas avec ces termes méprisants et sommaires qu’on lui a toujours fermé la bouche ? Par quelle mystérieuse coïncidence cette étrange réminiscence est-elle venue au grand penseur, au moment où dans une sublime inspiration, il croyait écouter « deux voix dans le ciel » ?… Mais à quoi bon questionner ! Le poète est un être privilégié ; il lui est permis de créer les images et les situations les plus capricieuses, sans qu’on puisse s’en prendre à sa raison ou à son cœur. Ici surtout, Victor Hugo est irrépréhensible. Poète, il est l’incarnation multiple de l’esprit populaire de sa race : il le reflète dans ses traditions comme dans ses convictions. À l’ange, la croyance vulgaire, conforme en cela aux dogmes théologiques, n’a jamais opposé que le diable. Or, le nègre, nous l’avons vu, c’est pour elle la fidèle image du diable. Aussi dans un autre vers, un peu plus loin, le barde immortel fait-il dire à Nadir :

« Monsieur, je suis un diable et vous êtes un ange. »

Tout s’explique ainsi. Victor Hugo restera l’ami de la race noire qui l’aime et qui se rappellera éternellement son indignation généreuse, à la nouvelle de la mort de John Brown. Pourtant, dans son inconscience et son irresponsabilité de poète, nous aura-t-il laissé la preuve la plus éloquente de cette opinion populaire, issue de l’éducation théologique, d’après laquelle toute l’Europe du moyen âge et la majeure partie de l’Europe contemporaine, beaucoup plus ignorante que ne l’avoue l’orgueil caucasique, n’ont jamais pu voir autre chose dans l’homme noir que le diable en personne !

Mais, diront les casuistes, si la légende incontestable qui a fait de l’Éthiopien un être repoussant, méchant et malfaisant, un diable enfin, rend compte de la frayeur et de l’horreur que l’Européen ignorant éprouve à la vue des hommes noirs, comment expliquer l’opinion si généralement répandue de l’infériorité native de ces hommes et de leur subalternité naturelle vis-à-vis des blancs ?

C’est la une question qui se rattache intimement à la précédente. Il est certain que les faits et les croyances, qui en découlent, proviennent des mêmes idées théologiques si persistantes et si influentes sur l’esprit humain. Nous pourrons facilement le constater.

II.

LA LÉGENDE DE CHAM.

En choisissant le facies du noir éthiopien, enlaidi à plaisir, pour figurer l’esprit immonde, selon l’expression de la langue sacrée, les théologiens n’avaient fait que mettre à contribution une des traditions les plus populaires de la Bible, celle d’après laquelle la race noire avait été maudite par Noé dans la personne de Cham. Or Noé, ayant été le plus ancien patriarche, doit être considéré comme l’organe même de Dieu, au point de vue de l’orthodoxie.

D’autres ont prétendu voir dans les Nigritiens la descendance de Caïn, lequel Dieu avait marqué d’un signe. Cette marque serait cause que le frère d’Abel devint tout noir après être né blanc ; et sa postérité aurait généralement hérité de cette malédiction physiologique. Mais cette dernière opinion n’eut jamais beaucoup d’accès parmi les théologiens. Après l’avoir discutée, Bergier ajoute : « Il y aurait donc moins dinconvénients à dire que la noirceur des nègres vient de la malédiction prononcée par Noé contre Cham, son fils, dont la postérité a peuplé l’Afrique (G. ch. 10, v. 13). Mais selon l’écriture, la malédiction de Noé ne tomba pas sur Cham, mais sur Chanaan, fils de Cham (G. ch. 9, v. 13) ; or l’Afrique n’a jamais été peuplée par la race de Chanaan mais par celle de Phut[4]. »

Il s’agit ici spécialement de la couleur noire des Africains et l’habile théologien, qui défend la doctrine de l’unité de l’espèce humaine, tâche de ne pas laisser à l’hétérodoxie polygéniste une arme quelconque contre l’opinion que la foi et la tradition biblique ont généralement adoptée sur l’unité d’origine de l’espèce humaine. D’autres, dans un but absolument opposé, ont fait la même remarque et la même distinction des deux passages également obscurs de la Genèse. Ce serait trop long de s’arrêter ici à chercher s’iln’y a pas en tout cela une ancienne altération des textes de la Bible, ou si l’interprétation vulgaire qu’on a longtemps faite de la légende de Cham n’est pas l’effet d’une erreur volontaire. Toutes ces questions d’exégèse sont en elles-mêmes trop complexes et difficiles pour que nous ayons la chance d’y faire la lumière, pour ainsi dire, en courant. Mais qu’on passe à l’article Cham, dans le même ouvrage, on verra Bergier s’exprimer avec une parfaite netteté à l’égard du résultat de la malédiction de Noé. « Cham, fils de Noé, dit-il, ayant vu son père ivre et endormi dans une posture indécente, en fit une dérision et fut maudit dans sa postérité pour cette insolence. Il eut un grand nombre d’enfants et de petits-fils qui peuplèrent l’Afrique. Pour lui, on croit qu’il demeura en Égypte[5] ; mais il n’est pas certain que les Lybiens aient eu l’intention de l’adorer sous le nom de Jupiter-Ammon[6], comme l’ont cru plusieurs mythologues…

« Il est bon d’observer, ajoute Bergier, que la prédiction de Noé s’exécute encore aujourd’hui par l’asservissement de l’Égypte sous des souverains étrangers et par l’esclavage des nègres. »

Le célèbre théologien, n’ayant pas ici les mêmes préoccupations que celles d’auparavant, ne cherche aucunement à contredire la tradition ; il voit, sans hésitation, dans les Africains asservis et non dans les Chanaans, les fils de Cham sur lesquels s’est accomplie et s’accomplit encore la malédiction de Noé. C’est peut-être un fait digne d’attention que le sans-gêne avec lequel les hommes d’Église disent oui et non sur un même fait, dans le même ouvrage. Mais la parole de Dieu ne saurait avoir été prononcée en vain ; il a donc fallu prouver que la prédiction de Noé, faite dans une forme tellement précise et saisissante, s’est réalisée et se réalise encore. Sans cela, la Bible, qui est la source de toutes les doctrines chrétiennes, perdrait toute son autorité et n’exercerait plus le prestige qu’elle doit avoir sur l’intelligence du fidèle, comme la vérité révélée par Dieu, au moyen de l’inspiration accordée à Moïse, aux prophètes et aux apôtres.

Au reste, il faut répéter que c’est la dernière interprétation qui a été la plus généralement acceptée. « Noa’h, dit François Lenormant, maudit son fils ’Ham pour lui avoir manqué de respect dans son ivresse et pour avoir tourné en dérision la nudité paternelle. « Tu seras le serviteur de Schem et de Yapheth », lui avait-il dit. Cette malédiction s’accomplit dans sa plénitude[7] !…

N’est-ce pas visiblement la source de l’opinion vulgaire, d’après laquelle on continue à voir dans les noirs une race inférieure « faite pour servir aux grandes choses voulues et conçues par le blanc ? » M. Renan, en écrivant ces paroles a-t-il fait autre chose que de céder à une vague réminiscence de son éducation théologique ? Qui contestera les déductions qu’on peut tirer en démontrant la concordance qu’il y a entre l’opinion de tous ceux qui soutiennent la doctrine de l’inégalité des races avec cette vieille tradition biblique, si bien confinée dans un coin du cerveau européen ? Tous ceux qui répètent que les noirs sont inférieurs aux blancs ne font donc qu’offrir une preuve patente de l’influence qu’exerce encore sur eux l’héritage intellectuel et moral d’un autre âge. Leurs esprits sont comme rivés aux erreurs qui constituaient le fonds commun des croyances de leurs leurs ancêtres ; et ils en fournissent involontairement l’exemple.

Vers la fin du XVIIIe siècle, tout ce qui contrariait la marche des choses était mis au compte des philosophes. Avait-on commis une erreur ou causé un désordre ? c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau, disaient les gens d’Église. C’étaient les derniers efforts de l’esprit théologique, voulant barrer la voie à l’encyclopédie et défier la conjuration voltairienne qui prêchait si obstinément l’écrasement de l’infâme. Aujourd’hui les choses sont bien changées. Les idées révolutionnaires ont fait de tels progrès dans les esprits, que c’est la théologie qui est devenue la bête noire ! Les fils de Voltaire et de Rousseau ont tout envahi. Ils se sont emparés de toutes les prérogatives et font la loi en tout. On pourrait donc penser qu’en dénonçant les croyances théologiques, comme une des sources d’erreur les plus vives dans le maintien de la doctrine de l’inégalité des races, je veux purement et simplement exploiter le discrédit où sont tombées les choses de la foi antique, afin d’agir plus facilement sur les intelligences et de les convaincre sans difficulté. Mais loin de la ma pensée ! Je crois qu’il faut toujours rendre hommage à la vérité, sans se préoccuper aucunement de celui qui en profite.

Les théologiens, tout en admettant que les hommes noirs, les descendants de Cham, justifient la parole biblique par l’état d’esclavage où ils gémissent, n’ont jamais fait autre chose que d’user de l’avantage que leur offraient les faits pour consolider l’autorité des dogmes catholiques et maintenir l’infaillibilité de la révélation. Dans la pratique sacerdotale et dans les institutions canoniques, ils n’ont jamais admis théoriquement la doctrine de l’inégalité. En effet, au point de vue de la théologie dogmatique, en acceptant même que les descendants de Cham aient été maudits par le saint patriarche et subalternisés vis-à-vis de la postérité de Schem et de Japheth, la vertu de cette malédiction, qui avait toute son efficacité sous le règne de la loi mosaïque, disparaît avec l’avénement du Christ. Là commence le règne de la grâce destiné à régénérer l’espèce humaine entière. C’est à ce point de vue de la théologie spéculative que l’on dit ordinairement que Jésus est venu effacer la distinction de sang et des races parmi les hommes. Tous les hommes ont été rachetés par le mystère de la sainte passion : telle est l’orthodoxie appuyée tant sur les évangiles que sur les prophètes[8].

Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer l’absence de distinction de races que l’on constate dans toutes les prescriptions théologiques ou canoniques. Tout y est considéré d’une façon vraiment catholique, c’est-à-dire universelle, embrassant l’humanité entière. La plus grande dignité dont le chrétien puisse être revêtu aux yeux de l’Église est celle du sacerdoce, qui le retire en effet du commun des mortels pour le placer dans une sphère absolument supérieure. Consacré comme l’intermédiaire visible entre l’homme et Dieu, il appartient encore à l’église militante, puisqu’il vit sur terre, ignorant les angoisses de l’église souffrante comme les béatitudes de l’église triomphante ; mais il est devenu un prince de la foi. Il s’établit entre lui et les fidèles une démarcation profonde. Tandis que les autres membres de la chrétienté composent l’église enseignée, obéissante, incapable de se diriger seule dans l’interprétation des choses divines[9], il représente, lui, l’église enseignante : dispensateur des grâces spirituelles, il a le droit de lier et de délier, de condamner ou d’absoudre, au nom de Dieu, de qui seul il est justiciable de l’usage qu’il fait de son saint ministère !

Si la théologie reconnaissait théoriquement un signe d’infériorité quelconque dans le caractère ethnique de l’Africain, elle lui aurait certainement interdit le sacrement suréminent de l’ordre. Pourtant un Africain peut être ordonné prêtre et il y a beaucoup de prêtres noirs.

Bonal (Institutiones theologicœ) et Craisson (Elementa juris canonici) passent en revue toutes les infirmités corporelles ou intellectuelles qui peuvent faire interdire la dignité sacerdotale à ceux qui en sont affectés. La couleur ou la race n’y entre pour rien. Suivant Collet, il n’y avait même aucun empêchement résultant des défauts du corps, avant le Ve siècle[10]. Cependant les impedimenta sont nombreux et même d’une recherche trop minutieuse, au point de vue démocratique et philosophique où l’on pourrait se placer pour en apprécier les motifs.

Dans tous les pays où les hommes noirs se sont trouvés avec l’Européen, rarement ils pouvaient exercer le sacerdoce ; c’est que la condition sine qua non de l’ordination consiste en ce que le candidat soit un homme libre. Or parmi les chrétiens européens, pendant fort longtemps, on ne rencontrait les noirs qu’à l’état d’esclaves. Cette irrégularité ne s’applique qu’à l’état civil ; cela est si vrai que les hommes de toutes les couleurs, tombés en esclavage, se trouvent identiquement dans le même cas, qu’ils soient Géorgiens ou Éthiopiens. Les esclaves sont exceptés de ceux qui ont qualité d’être revêtus de la dignité sacerdotale, parce que celui qui ne jouit pas de son droit propre, mais relève de la puissance d’autrui, ne peut se dédier au culte divin[11].

L’abbé Bonal laisse à entendre, par argument à contrario, que les esclaves mêmes pourraient recevoir l’ordination avec le consentement exprès ou tacite de leurs maîtres[12] ; mais d’après l’opinion de Craisson, absolument conforme au catéchisme du Concile de Trente, ils restent inhabiles jusqu’à ce qu’ils aient recouvré leur pleine liberté[13].

Il est donc certain que dans le haut enseignement théologique, dont la science profonde et délicate mérite encore notre respect, malgré ses subtilités et les opinions surannées qu’elle tâche de maintenir comme des vérités éternelles, l’homme noir n’a jamais été considéré comme un être naturellement inférieur, mais bien comme l’égal de tous les autres membres de l’Église, quelle que soit leur race.

Ce sont là des contradictions qui choquent la logique et embrouillent l’intelligence. Cependant, en observant le prêtre, on trouve toujours en lui deux hommes bien distincts. Il est tantôt l’homme pratique, exploitant les faiblesses humaines pour fasciner les esprits et les dominer ensuite ; il est tantôt l’homme de théorie, le théologien subtil, versé dans la connaissance spéciale du droit naturel, lequel se laisse rarement surprendre dans la sanction d’un abus quelconque provenant du droit de la force. Malheureusement, c’est l’homme pratique qui domine en lui. Malgré tout, c’est l’intérêt matériel de la religion qu’il a le plus souvent en vue. Peu lui importent les moyens par lesquels il entraîne les incroyants sous la bannière de la foi : l’essentiel est qu’ils soient entraînés, quand bien même ce serait au détriment de leur intelligence et voire de leur moralité.

Afin de captiver l’esprit de l’ignorant, il lui présentera Dieu comme un blanc et le diable comme un nègre, s’il a affaire à un Caucasien ; transporté parmi les peuples noirs encore sauvages, il ne manquera pas de faire peindre en noir l’image du même Dieu : s’il n’était pas blanc lui-même il donnerait cette couleur au diable ! C’est par ainsi qu’il s’insinue partout, en caressant toutes les passions, au lieu de les combattre. Son triomphe, c’est la captation des âmes par les voies souterraines. Mais là ou il a laissé l’empreinte de ses pas, il faut des siècles et surtout l’effort d’une science incorruptible pour l’effacer complètement. En effet, pour combien de temps ne verrons-nous pas l’Européen, — même quand il ne croit plus au diable, — penser encore qu’on ne peut rencontrer dans un nègre autre chose que l’esprit de ruse, de mensonge et de méchanceté, tous les vices que ses ancêtres du moyen âge abhorraient dans la personne même de Satan ! Sans doute les études sociologiques prouvent que ces défauts de l’esprit sont le partage de tous les peuples sauvages et primitifs ; mais un grand nombre de savants et tous les ignorants de l’Europe n’en font-ils pas un caractère spécial à l’Africain ?

Cette légende du diable, qui fait partie intégrante de toute l’histoire du christianisme, est à peine effleurée dans les traités de théologie. Un savant théologien, à qui on reprocherait l’influence que la propagande religieuse a exercée sur l’esprit des chrétiens d’Europe, avec le mythe du diable hideux et noir, figuré par l’Éthiopien disgracié et caricaturé, n’aurait aucune peine à prouver que toute la doctrine ecclésiastique et dogmatique dément un tel fait. C’est ce que je me suis donné la peine de faire, par, avance, autant qu’un profane peut voir clair dans les arcanes de la science divine. Mais qu’on abandonne le terrain d’une science prudemment élaborée ; qu’on se rabatte sur les traditions populaires, telles que la légende des saints et tout ce qui fait la part la plus active, quoique la moins avouée, de l’histoire de l’Église : on voit immédiatement le mythe de Cham, rendu plus vulgaire et saisissant par la fiction de Satan, prendre une importance étonnante dans l’aberration d’esprit ou est tombée la foule ignorante de l’Europe, aberration que les savants tentent aujourd’hui de perpétuer, à l`aide de l’absurde théorie de l’inégalité des races humaines !

Ces faits ne sont-ils pas dignes de la plus haute méditation ? Ne sont-ils pas de nature à modifier et transformer bien des convictions ? Ils mettent au moins en pleine évidence le point essentiel de la discussion. Quand, après avoir inutilement mesuré les crânes et pesé les cerveaux, l’anthropologiste, aussi peu éclairé à la suite de ses opérations qu’auparavant, proclame pourtant que la race blanche est supérieure à toutes les autres ; quand l’historien, après avoir feuilleté les annales du monde et examiné les monuments archéologiques dans toute la chaîne des âges connus, reste effrayé de la complexité des évolutions et des rétrogradations accomplies par les peuples, se trouble et s’égare, mais affirme que la race blanche a été et sera toujours la première race de la terre ; quand le philosophe qui agglomère dans son cerveau toutes les doctrines et toutes les croyances, — phénomènes de conscience ou d’intelligence par lesquels s’est manifesté l’esprit de chaque nation et qui se développent partout avec des défaillances pénibles et des élans superbes, — se sent transporté dans une vraie tour de Babel, ou les langues et les races se confondent dans l’éternel devenir, s’étourdit, ne sait ou mettre son moi pour le sauver du naufrage, mais déclare que la race blanche seule a reçu du ciel les aptitudes supérieures de l’esprit : ils ne font dans leur conscience imparfaitement éclairée, que s’opiniâtrer à des idées vieilles et vermoulues. De ces idées on a renversé tous les tenants et aboutissants ; mais une certaine impulsion atavique porte tous ces savants à les défendre encore, sans qu’ils en devinent l’influence. Il faudra bien que ce coin de l’erreur soit éclairé et détruit par la science, de même que tous les préjugés qui ont fait leur temps !

C’est ma conviction que l’heure en est sonnée à l’horloge des siècles. Les générations européennes qui grandissent actuellement, ayant moins d’attache avec le passé, suffisamment éclairées sur les causes d’erreur qui ont obscurci le jugement et faussé les sentiments de leurs devanciers, briseront décidément avec les traditions contre lesquelles toute la science proteste : elles reviendront spontanément à la vérité. Mais cette vérité, que les lumières naturelles suffiraient seules à indiquer, a-t-elle toujours été méconnue ? Dans les époques où l’intelligence humaine brillait du plus vif éclat, sans qu’aucune idée dogmatique vînt jamais l’enténébrer, avait-on contre la race noire les préjugés dont on l’accable aujourd’hui ? En un mot, quelle était l’opinion des anciens sur la thèse que je soutiens ? Une courte étude nous mettra a même d’en juger.

III.

LES GRECS, LES LATINS ET L’ÉTHIOPIE.

En prouvant que les anciens n’ont jamais divisé les races humaines en inférieures et supérieures, nous ne ferons que rendre plus indiscutable l’opinion que nous avons établie sur l’influence des idées théologiques dans le courant d’esprit qui a gagné toute l’Europe moderne et dont elle ne se défait qu’avec peine, à part un nombre restreint d’intelligences d’élite qui ont pu s’émanciper des préjugés traditionnels.

On ne saurait sans doute contester que dans l’antiquité on attachait beaucoup plus de mérite à la beauté physique que dans les temps actuels. Quelles que soient les qualités qui rehaussaient un homme, il lui fallait surtout soigner sa personne, étudier son maintien et sa démarche, tâcher enfin de se faire beau, s’il briguait sérieusement les succès publics. Aussi est-ce à remarquer que les portraits des grands hommes de l’antiquité grecque et romaine, ceux des Grecs surtout, conservés par leurs monuments inconographiques, tels que statuettes, bustes, monnaies, médailles ou camées, représentent tous des traits expressifs et réguliers, s’approchant le plus possible de l’idéal de la beauté humaine.

Socrate, qui ne fut pas absolument beau, savait si bien pourtant l’importance que devait attacher à la beauté des formes tout citoyen désirant jouer un rôle dans la république, qu’il recommanda même à un de ses disciples de sacrifier aux grâces ! Cette une observation fait voir admirablement que cette belle harmonie qu’offrent les traits et la physionomie générale de la race grecque a été, dans le commencement, une beauté voulue et soigneusement recherchée. Même dans l’habillement, on sentait l’intention esthétique. Il était sobre de tout luxe asiatique, mais l’ajustement en était d’une simplicité délicate et savante, comme ces belles lignes pures et d’une symétrie charmante qui caractérisent larchitectonique grecque.

Pour obtenir une parfaite élégance dans leurs mouvements, les anciens s’exerçaient régulièrement à la palestrique, comprenant la course, la lutte, le saut, le disque, le javelot et le cerceau. Cette gymnastique souverainement hygiénique, assouplissait les membres, donnait aux gestes une aisance aimable et laissait à tout l’individu ce port majestueux et gracieux à la fois, lequel prête à la physionomie je ne sais quoi de rayonnant. Comment veut-on que de telles coutumes n’eussent pas inspiré un vrai culte de la beauté ?

La civilisation romaine sortie presque entièrement de la culture grecque, fit constamment preuve des mêmes inclinations. Encore bien que le Romain, de caractère mâle et féroce, ne pût jamais atteindre le degré de fine et délicate complexion qui fut un produit spécial de l’Attique, son idéal était de s’en approcher de plus en plus, sans perdre la trempe de son organisation primordiale. C’étaient les mêmes jeux, les mêmes exercices qu’ils répétaient comme gymnastique ; seulement au pentathle olympique ils ajoutèrent le pancrace et l’hoplomachie, exercices beaucoup plus violents, mais qui plaisaient particulièrement à ces hommes dont la plus vive préoccupation fut toujours la conquête du monde.

La vertu même, qui fut dans la Rome républicaine le principal ressort du caractère national, n’était pas une qualité suffisante pour qu’on dédaignât les avantages d’un extérieur agréable. Sans doute Caton s’en moquait librement, dans sa stoïque et rustique simplicité ; mais tout le monde n’était pas des Catons. Le doux chantre de Mantoue nous a laissé la meilleure idée du prix que ses contemporains attachaient à la beauté. Il est vrai qu’il avait le tempérament plus grec que romain, nourri qu’était son esprit de toute l’élégance de la littérature de l’Hellade ; mais son poëme immortel ne reste pas moins comme le plus beau monument du monde latin. Dans un des plus touchants épisodes de l’Énéide, Virgile, de sa touche fine et souple, évoque pour charmer notre esprit un portrait des plus attrayants, c’est celui d’Euryale. Le poète pourrait, après avoir énuméré toutes les qualités que le jeune héros avait reçues de la nature, faire simplement ressortir sa vertu nue et sans fard ; cependant il ne s’en contente pas : pour lui, la vertu même emprunte un nouvel éclat des attraits de la beauté corporelle.

Gratior et pulchro veniens in corpore virtus[14]

Avec un tel esprit, il est certain que le premier mouvement d’un ancien ne dut pas être bien favorable a l’Éthiopien, beaucoup moins doué de ces formes harmonieuses, qui plaisent à la vue et attirent l’âme par le prestige qu’exercent naturellement sur elle toutes les belles proportions. Dans son inélégance sauvage, l’habitant des tropiques ne pouvait être considéré par le Grec ou par le Romain comme un homme de même valeur que ceux de leurs races ; mais un barbare de la Sarmatie ou de la Gothie n’était pas mieux vu. Ce n’est pas que l’on ne fît jamais attention à la couleur. Alors, comme aujourd’hui, une peau bien blanche était regardée comme un agrément naturel, un signe de distinction qui ajoutait à la beauté un prix nouveau. Virgile nous en offre encore un exemple dans ce bel Alexis très fier de sa personne, mais à qui Corydon fait ainsi la leçon :

O formose puer, nimium ne crede colori !
Alba ligustra cadunt et vaccinia nigra, leguntur[15].

Cependant malgré tous les motifs qui pourraient porter les anciens Grecs et les anciens Romains, censés moins humains que les modernes, à voir dans les hommes noirs des êtres méprisables et naturellement inférieurs aux blancs, en vertu d’une imperfection générique, inéluctable, ils ont toujours professé une opinion toute contraire. C’est une remarque facile à faire. Toutes les fois que dans la littérature grecque ou latine, il est question de l’Éthiopien ou de la couleur plus ou moins noire de la peau humaine, on ne rencontre aucune de ces expressions humiliantes, aucune de ces idées de mépris dont la littérature chrétienne de l’Europe moderne nous offre si souvent l’exemple.

À commencer par le père de la poésie grecque, le divin Homère, aperçoit-ou dans ses poèmes aucune trace de dédain, quand il parle de la race noire ? Peut-on inférer, soit de ses expressions, soit de ses épisodes, qu’il attachait un caractère d’infériorité à la race éthiopienne ? Non-seulement il n’en dit aucun mal, mais il en exprime souvent une vénération toute particulière. On peut citer, entre autres passages de l’Iliade, celui où Homère dit que les Éthiopiens étaient renommés par leur justice.

Jupiter, dit-il, est descendu hier à un festin, vers l’Océan, chez les Éthiopiens renommés par leur justice et tous les dieux l’y ont suivi[16].

N’est-ce pas le plus bel éloge que l’on puisse faire à une nation ou à une race que de la présenter comme l’amie des dieux ?

Après Homère vient Eschyle. Il est inutile de nous y arrêter ; car en soutenant la thèse de l’origine nigritique des anciens Égyptiens, j’ai fait une étude suffisamment claire de la plus belle de ses tragédies, pour qu’on en ait une juste idée. L’épisode d’Io et du noir Épaphus, que je ne puis considérer autrement, dans le Prométhée enchaîné, que comme un mythe destiné à retracer la marche de la civilisation antique, est assez significatif. Il montre fort bien toute l’importance que l’immortel tragique accordait à cette race éthiopienne qui, comme Io, est sortie des régions tropicales, sous les rayons directs du soleil, et a marché lentement vers la mer, fondant des villes, des industries, l’art, la science, tout le trésor de civilisation que l’ancienne Égypte accumula si hâtivement dans son sein, pour en déverser la plus belle partie sur le monde entier, par le canal de la Grèce.

Dans la littérature latine, on ne trouve pas davantage la trace d’une croyance positive en l’infériorité des Noirs. De tous les auteurs qui ont écrit sur les traditions populaires du peuple romain, Ovide est, à l’exception de Varron, le guide le plus fidèle, le plus sûr et le plus compétent, pour nous conduire dans l’étude d’une pareille question. Prenons, par exemple, ses Fastes, poëme dont l’érudition ne le cède à aucun autre ouvrage, en tout ce qui concerne les légendes religieuses et sociales de l’ancienne Rome ; arrêtons-nous au passage où le poëte met en scène Ariadne à la couleur foncée et le dieu Bacchus, fils bien-aimé de Jupiter. La question d’épiderme est nettement posée.

Ariadne, confiante et généreuse, a sauvé Thésée du labyrinthe, en lui donnant le fil qui l’aida à en sortir, après qu’il eut vaincu le Minotaure. Elle se croit aimée et elle donne son cœur tout entier ; dans cet abandon naïf, naturel à son sexe captivant et surtout à sa race, elle donne encore, elle donne tout ! Mais l’ingrat la délaisse. Belle, attrayante, mélancolique et souffrante, pleine de cette grâce attirante que Michelet décrit si bien, elle inspire une réelle passion à Bacchus. C’est alors qu’Ovide nous la présente. Éprouvée par une première déception, elle tremble, en son cœur, qu’un nouvel abandon ne vienne briser son amour en fleur ; elle est surtout inquiète de sa peau noire et craint une rivale blanche. Elle se chagrine ; elle ne se contient pas et, se croyant seule, elle dit tout haut son inquiétude :

A, puto, præposita est fuscæ mihi candida pellex.

Mais Bacchus, qui la suivait à la sourdine, entend ces paroles et devine ses préoccupations. Il ne lui donne pas le temps d’achever, il l’enveloppe de ses bras ; de ses lèvres amoureuses il sèche ses larmes ; et sans faire attention à sa peau noire, il lui dit : « Gagnons ensemble le ciel ; partageant ma couche, tu dois porter mon nom[17] ! »

Ce petit tableau est bien frais et riant. Il en sort un parfum de générosité qui se communique à l’âme. Tout y est vrai, naturel, et dans le style moderniste, on aurait dit « vécu ». C’est la réalité peinte au vif, belle parce que vraie. Mais ce qui captive surtout mon esprit, c’est la façon claire, précise et fine, dont le poëte des Métamorphoses montre que la couleur noire ne constitue aucune infériorité, ni aucune défaveur contre celui qui la porte. Peut-on demander une meilleure preuve des sentiments dont les anciens étaient inspirés à l’égard des distinctions de races ? N’y a-t-il pas lieu de s’étonner qu’avec sa profonde et sérieuse érudition, M. de Gobineau n’ait pas pensé à cet épisode des Fastes d’Ovide, lorsqu’il affirmait que de tout temps l’inégalité des races a été préconisée comme une vérité naturelle ?

Les mythologies ne sont que l’ensemble des opinions morales, religieuses et sociales des peuples qui les ont imaginées. C’est à ce point de vue que l’étude des mythes et des légendes de chaque peuple, de chaque race, est devenue d’une importance si remarquable dans les recherches de la sociologie et même de l’ethnographie. On a donc tout le droit de voir dans le mythe d’Ariadne et de Bacchus la preuve évidente que, dans la civilisation antique, il n’y avait aucune classification systématique, divisant les races humaines en supérieures et inférieures, division aussi absurde que pénible.

Bacon, ayant un esprit souvent superficiel[18], malgré la grande réputation qu’il s’est acquise dans le monde philosophique par son Novum organum, n’a pas dû saisir le sens profond que renferme le mythe d’Ariadne. Il en fait la critique avec un esprit étroit ; il tire une morale gauche et embarrassée là où il fallait voir tout autre chose que ce qu’il imagine. « Mais ce qu’il y a de plus beau dans cette allégorie, dit-il, c’est de feindre que Bacchus prodigue ses amours à une femme délaissée et dédaignée par un autre ; car il est hors de doute que les affections appètent et briguent ce que dès longtemps l’expérience a rebuté. Que tous sachent donc que ceux qui s’assujettissent et s’abandonnent à leurs passions, attachent un prix exorbitant aux jouissances (soit qu’ils soupirent après les honneurs, les amours, la gloire, la science ou tout autre bien), ne désirent que des objets de rebut, objets qu’une infinité de gens, et, cela dans tous les siècles, ont, après l’épreuve, rebutés et comme répudiés[19]. »

Le baron de Vérulam, avec son tempérament de courtisan, n’a pas même soupçonné tout ce qu’il y a d’éminente raison et d’humaine vertu dans cette allégorie qu’il interprète d’une façon si alambiquée. Son esprit était-il capable de concevoir la belle leçon qui ressort de l’action de Bacchus, dans les circonstances dont la tradition l’a entourée ? Apercevait-il ce qu’il y a de sublime dans la délicate générosité du dieu libéral (Bacchus, était surnommé Liber) ? Pouvait-il sentir qu’il fallait empêcher la femme noire de croire que la couleur de sa peau pût être une cause de refroidissement dans l’amour, qu’elle a inspiré ? Je pense que non. Aussi est-il certain que, sous ce rapport, le sens moral de l’Européen moderne est complètement oblitéré ou, au moins, beaucoup en arrière des anciens !

Mais en tout il y a des exceptions. Dans le même temps où vivait Bacon, dans le même pays et la même race que lui il y eut un homme supérieur, animé de toutes les grandes et nobles aspirations qui donnent à l’esprit une trempe excellente. C’est Shakespeare. Le propre du génie, c’est de sentir, c’est de concevoir spontanément, au milieu même de l’erreur générale, toutes les belles vérités qui créent l’ordre et l’harmonie dans ce monde. Juste au moment où, sous prétexte de servir les intérêts de la foi, tous les États de l’Europe avaient fini par donner leur plein et entier consentement à l’exercice de la traite des noirs considérés, partout, comme une vile marchandise, Shakespeare entreprit de présenter sur la scène un noir dont le courage, la franchise, la sagacité et la noblesse de caractère font un homme exceptionnel. Sur quel théâtre le place-t-il ? dans cette république de Venise où l’aristocratie était le principe même du gouvernement ! Ce n’est pas assez que le courage d’Othello lui ait attiré la confiance illimitée du doge et des grands de Venise ; malgré sa couleur, il inspire l’amour le plus ardent à Desdémona, fille d’un sénateur ! On a besoin de réfléchir pour mesurer tout ce qu’il y avait de hardi dans une telle conception. Mais comme pour répondre à ceux qui pourraient s’étonner que Desdémona fût à ce point éprise du Maure, sans s’effrayer de son teint noir, Shakespeare lui fait dire : I saw Othello’s visage in his mind. — « C’est dans son âme que j’ai vu le visage d’Othello. » Paroles profondes. Elles disent en effet que les hommes, si différents qu’ils soient et par la couleur et par la diversité des formes anatomiques, ont visiblement un lien spirituel qui les attache les uns aux autres. Les qualités morales et intellectuelles, apanage de tous, réalisent chaque jour cette fraternité de l’esprit qui nous lie dans la chaîne des temps et des lieux, par la poursuite d’une destinée commune.

Sans doute Othello se laisse dominer par la jalousie avec l’emportement d’un sauvage. Il étouffe Desdémona, suppliante et belle, avec une cruauté folle, qui nous glace d’horreur et nous suffoque, nous qui la savons innocente ! Mais Shakespeare le fait intéressant même dans ce cruel aveuglement. C’est Othello qui frappe, mais c’est l’honnête Iago qui dirige la main, en mettant en œuvre la perfidie la plus noire unie à la plus insolente effronterie. Aussi le Maure se poignarde-t-il sur le cadavre de sa victime, lorsque, désabusé, il voit toute la laideur de son action ! Cassio le juge en quelques mots : « he was great of heart », dit-il. Oui, il était grand par le cœur. Cette noblesse du cœur est ce qu’il y a de plus digne, de plus élevé dans l’homme ; et quand on en est favorisé, c’est la nature même qui vous déclare l’égal de tous les hommes.

C’est un réel bonheur de rencontrer sur sa voie les grands penseurs qui sont les éclaireurs de l’humanité. Ils vous mettent dans le cœur je ne sais quel trésor de consolation et de vive espérance ; car on sait qu’ils sont là, debout pour longtemps, ces fiers champions de la vérité et de la justice. Leur action perdurable se continue et augmente d’intensité avec l’accumulation même des siècles. Qui sait quelle sainte excitation, quel précieux encouragement un Wilberforce n’aura pas puisés dans le drame inoubliable de l’immortel Shakespeare ? C’est ainsi que se rachètent les erreurs des Bacon ; c’est ainsi que la fraternité humaine se renoue au-dessus des injustices et des protestations. Homère, Eschyle, Shakespeare étaient de vrais esprits. Leurs grandes voix s’unissent dans la propagande du bien, comme un courant dont les eaux doivent se confondre pour gagner ensemble l’océan immense, d’où n’émerge que ce qui est vrai, ce qui est grand et élevé !



  1. Blasius Mélanès, Vita S. Joannis cité par M. Pompeyo Gener, dans son livre : La mort et le diable.
  2. Fabliaux de Méon, t. I, p. 414.
  3. Méon, Roman de la Rose, t. II, P. 961.
  4. Bergier, Dictionnaire de théologie, article negre.
  5. « Cham est le nom de l’Égypte dans l’Écriture. » (Bouillet, Dictionn. d’hist. et de géog.). On sait, en effet, que les anciens Égyptiens se nommaient Kami ou Kemi, comme nous l’avons déjà vu dans la partie de cet ouvrage qui traite de l’ethnologie de l’Égypte ancienne.
  6. On écrit généralement Ammon du grec Ἄμμος, mais il y a une autre orthographe également grecque et d’une meilleure grécité, c’est Ἅμμος, avec l’esprit rude. En effet, la racine étant Ψάμμος venant de ψάο, l’esprit rude est nécessaire pour indiquer la suppression du ψ, représentant souvent l’aspirée φ suivie de la sifflante σ. D’ailleurs le σ est parfois le signe même de l’aspiration ; c’est surtout dans le passage d’une langue à l’autre qu’on en fait mieux la remarque, témoin le latin sal (sel) tiré du grec ἅλας ou ἅλς, ayant le même sens avec des acceptions plus étendues.

    L'orthographe Ἄμμος, où l’esprit rude, représentant l’aspiration, a été abandonné, provient sans nul doute de ce que cet esprit s’écrit rarement sur les monuments (Burnouf, Gramm. grecque). Hammon en grec, signifie « sable, arène » et serait ainsi le nom figuratif du désert lybien : mais je ne pense pas que ce soit au terrain friable et sablonneux que les indigènes aient voulu dédier un culte. Et puis, pourquoi auraient-ils eu recours à ce nom grec, si longtemps avant la conquête d’Alexandre ? Tout porte donc à croire que le culte de Hammon, qui remonte aussi haut qu’on puisse reculer dans l’histoire ancienne de l’Égypte et de la Lybie, a pour origine une légende solaire.

    Il faudrait alors, contrairement à l’opinion de Bergier, abandonner l’étymologie grecque absolument injustifiable ici, et faire venir Hammon de Cham ou ’Ham. Dans la majeure partie des langues sémiti- ques le ch est un signe d’aspiration, comme il en est parfois en allemand et en grec. En rapprochant Cham qui, en hébreu, signifie « le brûlé » de Chamosch ou Chemesch, (soleil) du phénicien Hamon, signifiant aussi soleil, on trouve assez facilement la raison d’être de l’opinion qui fait de Hammon une divinité solaire et chamitique. Chamitique et éthiopigue sont les formes sémitiques et grecques du même

    mot, désignant les hommes brûlés par le soleil, c’est-à-dire bronzés ou noirs.

    D’autre part, je sais que la plupart des égyptologues voient dans Ammon la forme grecque de Amoun, mot égyptien qui signifie inconnu, mystérieux, caché*, ou bien mystère, adoration** ; mais j’aime mieux adopter un sens étymologique qui s’accorde parfaitement avec l’esprit de la race et de la civilisation des anciens Égyptiens, ainsi que des peuples qui subissaient leur influence. En acceptant que les idées métaphysiques que prêtent ces savants au culte d’Ammon aient été celles des grands prêtres et des initiés, le peuple a dû probablement ignorer ce sens profond et subtil.

    * Oll. Beauregard, Les divinités égyptiennes.

    ** Emm. de Rougé, Notice somm. des monum. égyptiens du Musée du Louvre.

  7. Fr. Lenormant, Hist. anc. de l’Orient, t. I. (9e édition), p. 279.
  8. De Ecclesia dicit David : « Postula me et dabo tibi gentes here- ditatem tuam, et possessionem tuam terminos terrae. » Catéchisme du concile de Trente, ch. X, § 6.
  9. Il s’agit de l’Église catholique, apostolique et romaine.
  10. Collet, Curs. comp. theolog., tome XVII, col. 234.
  11. Excipiuntur etiam servi : neque enim divino cultui dedicari debet, qui non sui juris sed in alterius potestate est (Catéch. du Conc. de Trente, ch. XXVI, § 9).
  12. Servi seu mancipia (gallice esclaves) irregulares sunt, durante servitute et domino expressè vel tacitè non consentiente in eorum ordinationem (Bonal, Inst. théolog. De defeccu libertate).
  13. Sunt irregulares servi propriè dicti, donec consequantur plenam libertatem (Craisson, Elementa jur. can. cap. I, distinct, 54.
  14. Virgile, Énéide, liv. V, v. 344.
  15. Virgile, Églogue II, v. 17-19.
  16. Ζεὺς γαρ ἐς Ὠκεανόν μετ᾽ άμύμονας Αἰθιοπἦας
    χθιζός ἔβη χατὰ δαιτα, θεοι δ᾽ ἅμα παντες ἕποντο.
    (Iliade, I, V. 423 et 424.)

    Cf. Odyssée, I, v. 23 et 24.
  17. Dixerat : audibat jamdudum verba querentis

    Liber, ut a tergo forte secutus erat,
    Occupat amplexu, lacrymasque per osçula siccat,
    Et : « Pariter cœli summa petamus ait,
    Tu mihi juncta toro, mihi juncta vocabula sumes.

    Ovide, Fastes, liv. III, v. 6-11.
  18. Bacon showed his inferior aptitude for physical research in rejecting the Copernican doctrine which William Gilbert adopted. (Whewell, Philos. of the inductive Sciences, t. II, p. 378).
  19. Bacon, De dignicate et augm. scient., liv. II, ch. XIII.