De l’égalité des races humaines/Chapitre 19

CHAPITRE XIX.

Aptitudes et qualités organiques.
La vérité exerce sur nous une fascination particulière à côté de laquelle disparaissent facilement toutes les autres préoccupations : aussi ne manquera-t-elle jamais parmi les nations civilisées de l’Occident de partisans dévoués et désintéressée. Aucune interdiction, aucun obstacle, ne peuvent lui opposer longtemps de digue sérieuse : elle se fortifie au contraire sous l’effort des circonstances adverses.
(Louis Büchner).

I

AVEUX ET RESTRICTIONS.

Nous pourrions continuer à examiner d’autres influences subversives, empêchant l’Européen de convenir du fait de l’égalité des races humaines, fait que l’on ne saurait nier sans se mettre volontairement en contradiction avec l’histoire et la science entière· Il est certain, par exemple, que ceux qui voyagent dans les pays ou se rencontrent des nations noires et encore jeunes dans la civilisation, ont une tendance positive à défigurer les traits de ces nations et à renforcer, par leurs récits fantaisistes, les anciens préjugés si profondément enracinés dans la race caucasique. Les hommes les plus recommandables par leur moralité et leur profond savoir s’y laissent prendre avec autant de facilité que les sots ou les aventuriers. M. d’Abadie ne sera pas plus correct qu’un Victor Maignan ou un Laselve. Et combien d’autres ne se sont pas malheureusement oubliés, au point de vouloir imiter des procédés contre lesquels ils devaient être les premiers à protester !

Mais, parmi les Européens, il n’y a pas toujours que des hommes aveuglés. Tous ceux qui auront l’esprit suffisamment prémuni contre les différentes causes qui paralysent si fort la raison et le sens commun, affirmeront donc, après l’analyse de toutes les discussions que nous avons vu se dérouler au sujet de l’égalité des races humaines, que s’il reste une chose parfaitement démontrée, c’est bien le point suivant : en aucune autre race, on ne rencontre une plus grande vivacité d’intelligence, une plus grande faculté d’assimilation, enfin une facilité d’évolution plus grande que dans la race noire.

Partout où les conditions de milieu ne lui ont pas été positivement hostiles et insurmontables ; partout où elle a pu résister à leur influence délétère et régressive, elle s’est mise spontanément à développer les plus belles qualités de l’esprit et du cœur. Quand elle reste stationnaire, malgré les avantages naturels du climat, on peut bien certifier qu’il existe une cause occulte, politique ou sociale, qui la paralyse, ralentit sa marche et amortit sa force d’expansion. Cependant, comme les plantes vivaces qui ont reçu la sève ardente et riche des terres tropicales, elle repousse juste au moment où l’on pourrait la croire morte ; elle s’efforce et fait si bien qu’elle finit toujours par renverser les obstacles et redresser sa tête vers la lumière. Si donc on voulait se renfermer, rien que dans le cercle de la science, pour discuter et comparer les aptitudes des races humaines, nous pourrions avancer hardiment que cette race noire ne doit céder le pas à aucune autre de ses rivales.

Aux États-Unis d’Amérique, où elle sort à peine d’un état de sujétion trois fois séculaire, elle monte, fière et résolue, à l’assaut de toutes les positions sociales. Mais c’est à l’école surtout que cette ascension superbe se fait remarquer. « Quand on pénètre dans une salle d’école à Boston, dit M. d’Haussonville, une chose frappe d’abord la vue ; c’est la grande quantité d’enfants nègres mêlés aux enfants blancs. Ces petites têtes crépues avec leurs dents blanches et leurs yeux brillants donnent un aspect pittoresque à l’école. Ce ne sont pas les élèves les moins intelligents et les moins précoces ni ceux dont les maîtresses se louent le moins[1]. »

Ceux mêmes qui, en dépit des faits et de l’évidence, admettent et répètent que les « Noirs sont inférieurs en intelligence aux hommes de la race caucasique » ne peuvent s’empêcher de réfléchir sur de telles remarques. Que font-ils, alors ? À côté de ces faits qui démentent leurs orgueilleuses prétentions, ils avancent des propositions arbitraires, jamais démontrées, mais dont ils tirent les conclusions les plus fantaisistes pour la justification de leur doctrine. M. Frédéric Müller, dont il faut reconnaître d’ailleurs la haute culture intellectuelle, donne un exemple éloquent de ce que j’avance ici. « L’enfant nègre, dit-il, dans les premières années de son développement, lorsqu’il ne fait que recevoir ce qu’on lui enseigne, est supérieur à l’enfant blanc ; mais dans la période de puberté, lorsqu’il s’agit d’élaborer par soi-même ce que l’on n’a fait qu’apprendre, il devient stationnaire. La facilité d’apprendre plusieurs langues étrangères, souvent plusieurs à la fois, concorde bien avec cette disposition d’esprit[2]. »

C’est une proposition positivement erronée que celle qui consiste à affirmer que, dans la période de puberté, l’intelligence du noir, jusque-là plus vive que celle du blanc, devient stationnaire. Ce n’est là qu’une question de fait. Pour en avoir l’explication, on n’a besoin de recourir à aucune psychologie transcendantale. Tout le monde le sait. L’homme n’arrive à une complète notion de sa personnalité qu’avec l’âge de la puberté, ou toutes les fonctions physiologiques entrent en plein jeu, stimulent l’organisme et les centres nerveux, mettent l’esprit en éveil et nous portent à l’action. Dans la première période de l’enfance (infantia) ainsi que dans la seconde (pueritia), l’intelligence se développe en même temps que le corps : une bonne constitution organique est alors le premier gage du succès dans les luttes intellectuelles. Cependant la moralité ne commence à se consolider qu’à partir de quatorze à seize ans ; elle paraît avec le sentiment positif de la personnalité humaine, entraînant après soi une claire manifestation de la conscience, état sans lequel il n’existe aucune responsabilité morale. Les jurisconsultes, qui ont sans doute mieux étudié que tous les autres le développement moral de l’homme, ont parfaitement sanctionné ces lois naturelles, en créant une profonde distinction entre la criminalité d’une action commise par un mineur de seize ans et la criminalité de la même action commise au dessus de cet âge. Avec une intelligence supérieure des choses de la conscience, ils ont habilement saisi le cas du discernement, lequel est le plus souvent absent et toujours incomplet, aberrant, en tout homme dont les fonctions physiologiques sont insuffisamment développées.

Pour revenir à ma thèse, il semble qu’on devrait s’apercevoir, sans aucun effort, que c’est la théorie de l’inégalité des races elle-même qui influe si malheureusement sur l’intelligence du jeune noir, qui la paralyse et l’éteint juste à l’époque où elle devait recevoir une nouvelle force, en se consolidant par le développement définitif de la conscience.

En effet, jusqu’à l’age de quinze ans, l’enfant européen travaille librement, spontanément. Ce dont on se préoccupe dans cette période, c’est de son activité intellectuelle dont la première impulsion décide peut-être de sa destinée entière. De même travaille l’enfant noir. Mais arrive la période de la puberté ! Le père de famille européen, qui a suivi avec une délicate et prévoyante attention les tendances d’esprit de son enfant, lui indique enfin une carrière, un point sur lequel il doit constamment se diriger, un but à atteindre. Alors commence cet apostolat supérieur que chaque père digne de ce nom entreprend, pour créer en son fils un être doué de toutes les vertus, ayant tous les mérites. Dans sa noble ambition, il désire pour son enfant tous les succès et toutes les gloires. L’éducation morale ainsi faite, forte et pleine de sollicitude, finit toujours par produire son fruit. Aussi le jeune blanc, enflammé du désir de plaire et surtout de affirmer, en prouvant son mérite personnel, embrassera-t-il fièrement sa vocation ; peut-être fera-t-il des prodiges.

Tout autre est la position de l’enfant noir. Quand il est assez heureux pour continuer la lutte intellectuelle jusqu’aux abords de la puberté ; quand il a déjà obtenu les résultats les plus brillants, c’est alors qu’on l’arrête, en lui laissant entendre, que pour sa race, il est assez avancé. En effet, il est temps de tourner son activité vers le monde physique et matériel, ou il est condamné à glaner, afin de gagner sa vie à la sueur de son front ; car toutes les carrières libérales lui sont à jamais fermées !

Les choses ne se passent-elles pas ainsi, toutes les fois que l’Éthiopien n’est pas encore reçu et accepté à l’égal de l’Européen ? Supposons que non, supposons qu’on ne l’arrête pas dans ses travaux intellectuels. Mais il y a une autre influence paralysante qui frappe le noir dans le fond même de son être et qui résulte encore de la théorie de l’inégalité des races. On peut le laisser continuer ses études ; cependant ses progrès sont une cause d’irritation pour ses rivaux blancs. Ils sont convaincus que la nature les a doués de qualités supérieures ; donc toutes les fois qu’ils se verront devancés, ils ne manqueront aucune occasion de se venger d’un fait qu’ils considèrent comme anormal. Se dressant dans toute la hauteur de la précellence qu’une doctrine absurde et arbitraire a créée en leur faveur, ils accableront le noir intelligent, sinon de mépris, mais de sots dédains et d’amers sarcasmes. Dans toutes ses relations, à chaque heure, à chaque minute, en chaque circonstance, on lui fera sentir la conviction qu’on a de son infériorité ethnique. On l’accablera de tout le poids de la malédiction de Noé. Et le pauvre enfant croit en Dieu ; ne se doute guère de l’exégèse filandreuse de la Bible !

J’avoue, pour ma part, que dans ma première jeunesse, je fus constamment aux prises avec les plus pénibles réflexions, en lisant cette légende malfaisante qu’on eût bien fait d’effacer de tous les ouvrages destinés à l’enseignement, surtout parmi les peuples noirs. Aussi, ces préoccupations hâtives ont-elles beaucoup contribué à mon affranchissement spirituel. Je n’eus aucune hésitation à rompre avec les croyances théologiques, du jour ou mon esprit pût enfin concevoir leur triste influence sur la destinée de ma race. Mais il n’en est pas ainsi pour tous mes congénères.

Ainsi donc, en admettant même que le Noir continue à lutter, c’est encore en des conditions désolantes. Non- seulement il n’a pas devant lui la perspective des carrières pour lesquelles un haut développement intellectuel est un élément indispensable et perd par là la principale source d’excitation mentale ; mais il subit, en outre, une influence dépressive qui, lentement et graduellement, finit par épuiser toute son énergie morale en détruisant en même temps toute son activité intellectuelle. Je considère cette dépression de la moralité d’autant plus funeste ; je lui attribue des effets d’autant plus malfaisants et pernicieux sur la bonne santé de l’esprit que, pour expliquer les inégalités intellectuelles, sinon dans les races, au moins dans les individus, je ne trouve pas une raison autre que la différence des tempéraments ou des complexions morales. C’est, en effet, à l’aide de la volonté, avec la confiance en soi qu’on parvient à réaliser les plus grands succès, les plus grands triomphes, dans les travaux de l’intelligence comme ailleurs. Un homme qui, à force d’entendre dire qu’il est d’une nature inférieure, finit par avoir le moindre doute sur ses aptitudes naturelles, est à jamais arrêté dans les broussailles du chemin. Il est condamné à ne plus progresser.

Cependant, malgré toutes ces raisons qui expliqueraient pleinement l’infériorité accidentelle du Noir dans les études supérieures, il y a foule d’exemples qui prouvent que les choses ne se passent pas toujours comme l’avance le savant allemand. Les Noirs triomphent souvent dans cette joute intellectuelle. Citons seulement la constatation suivante de l’un des plus savants voyageurs que l’on connaisse. « Il y a quelques années, dit Dumont d’Urville, qu’un mulâtre et un nègre obtenaient des grands prix au concours général de Paris ; et ce fait n’est pas isolé ; le journal le Propagateur de la Foi, annonçait dernièrement qu’une vingtaine de missionnaires noirs se préparaient à à porter l’enseignement religieux dans les pays sauvages[3]. » Nous pourrions mentionner encore M. Fénelon Faubert, mulâtre haïtien, qui a aussi remporté un premier prix au concours général de Paris.

D’ailleurs les cas nombreux de noirs haïtiens ayant manifesté la plus belle intelligence dans toutes les carrières de l’esprit ; les noirs des États-Unis et de Libéria qui ont fait preuve d’une capacité supérieure, incontestable, ne sont-ils pas autant de démentis infligés à ceux qui parlent de leur infériorité intellectuelle ? Sans doute, en Haïti comme ailleurs, les progrès considérables que l’Éthiopien a accomlplis dans la littérature, dans les sciences philosophiques, biologiques et naturelles, ne sont pas équilibrés par les mathématiques transcendantes que l’on continue à considérer comme la plus haute manifestation de l’intelligence. Mais il faut attendre que des carrières lui soient ouvertes dans ce mode d’activité mentale avant d’émettre un jugement quelconque. Enfin il semble que c’est la marche même des choses qui en décident ainsi. « On a raison de dire que les lettres sont les sœurs aînées des sciences, dit Claude- Bernard. C’est une loi intellectuelle des peuples qui ont tous produit leurs poètes et leurs philosophes avant de former leurs savants[4]. »

La remarque de l’éminent physiologiste est on ne peut plus juste. Il y a telle nation qui a pu développer une civilisation des plus harmonieuses, qui a produit des philosophes, des poètes, des orateurs de premier ordre, sans qu’elle ait jamais fourni des hommes très compétents dans les sciences exactes. Les Romains, par exemple, si avancés dans les lettres et la philosophie, ne s’intéressaient guère aux mathématiques[5]. Il paraît que c’était une habitude parmi eux de compter sur les doigts, comme procèdent les pires calculateurs. Juvénal y fait allusion dans ces vers cités par Hœfer :

Felix nimirum qui per tot sœcula mortem
Distulit atque suos jam dextra computat annos.

Qui dira pourtant que le Romain a été d’une organisation inférieure, lui qui a tout subjugué, lui qui a dominé partout où ses bras pouvaient s’étendre ? Ne serait-ce pas la plus sotte et inconcevable affirmation ? C’est un nouveau motif de rabattre sur l’importance qu’on s’est habitué à voir dans les sciences exactes, en les considérant comme le signe d’une capacité éminente.

II

PARTICULARITÉS ORGANIQUES.

Il est évident que mieux on examine le sujet que nous étudions, plus on voit l’inconsistance des théories qui ont généralement régné dans la classification noologique des races humaines ; plus les genres de preuves dont on s’est servi pour formuler cette étrange classification paraissent illogiques. Aussi, y a-t-il lieu d’affirmer que toutes les conclusions admises dans le sens d’une infériorité native des noirs vis-à-vis des blancs est radicalement fausse. Personne ne s’est avisé de faire une étude sérieuse sur cette question, la plus délicate et la plus importante qui puisse se présenter devant la science. Lorsqu’il s’agit de proclamer des vérités qui doivent influer si directement sur les relations des hommes, dans l’univers entier, devait- on se contenter des procédés imparfaite et insignifiants, qui constituent les seules bases de la doctrine de l’inégalité des races ? Ne pourrait-on pas demander autre chose à des savants qui prêchent leur supériorité à si haute voix ? Les anthropologistes, surtout, sont censés faire de la science positive, de la science expérimentale. Dans leur gravité imperturbable, ils pèsent les cerveaux et imaginent journellement mille méthodes ingénieuses pour opérer le cubage de l’encéphale. Ils mesurent l’angle facial en dix façons diverses, étudient les dimensions du nez, les courbes de l’arcade zigomatique, la proclivité des mâchoires et le reste, avec des instruments si beaux, si perfectionnés qu’ils font plaisir à voir. Malheureusement, dans les inves- tigations qu’ils poursuivent, en dehors de tous les principes de la science expérimentale, ils négligent systématiquement ou inconsciemment une foule de considérations plus logiques et scientifiques pour courir après des généralisations hâtives, pompeusement érigées en lois naturelles.

Par exemple, puisque l’on persiste à dire que par l’étude du cerveau on a pu découvrir l’infériorité organique de l’homme noir, il convient, — pour fermer le cercle de nos arguments d’où la vérité sort déjà incontestable et claire, — de jeter un dernier coup d’œil sur ce point délicat qui sera le dernier discuté. Toutes les études précédentes ont déjà mis en parfaite lumière une opinion scientifique aujourd’hui généralement reçue. C’est que le degré d’activité intellectuelle du cerveau est surtout relatif à sa plus ou moins grande vascularité. Mieux et plus vite le sang circule dans l’organe encéphalique, plus son énergie est grande. D’ordinaire, l’action en est signalée par une élévation de température, comme pour toutes les fonctions physiologiques. Eh bien, pour ce qui a trait à la vascularité, la richesse des réseaux sanguins du cerveau de l’homme noir paraît positivement supérieure, comparée à celle du cerveau de l’Européen. C’est là un fait qui me semble suffisamment établi par les travaux de Meckel. Il a remarqué que dans les cerveaux de la race noire la substance corticale, où se développe la plus grande activité de l’organe, est d’une couleur beaucoup plus foncée que dans le cerveau du Blanc. La substance blanche elle-même offre une nuance légèrement bleuâtre et le tissu de la glande pinéale est d’un bleu tirant sur le noir. On pourrait bien penser qu’il s’agit alors d’une coloration pigmentaire, mais tout y indique plutôt une abondance excessive de fins réseaux vasculaires, aussi nombreux qu’enchevêtrés, émaillant en tous les sens le parenchyme cérébral.

En effet, Meckel insiste sur cette particularité remarquable : la substance blanche du cerveau de l’homme noir est encore bleuâtre au moment où l’on pratique la coupe ; mais les tranches blanchissent sensiblement au contact de l’air. Ce dernier phénomène est sans nul doute causé par la résorption du sang chassé des ramiscules des vaisceaux en contact avec l’air, dont l’influence y opère mécaniquement une certaine constriction. En tous cas, il est certain que la circulation sanguine du cerveau éthiopien est d’une activité incomparable. Cette surabondance de circulation y occasionne naturellement un excès de cérébration qui n’a besoin que d’être contenu et réglé, pour produire les résultats les plus considérables. Tel qu’une plaine fertile arrosée par des ruisseaux nombreux, mais où l’absence de l’art laisse les forces vives se perdre en jeux capricieux de la nature, le cerveau du noir surexcité, mais non cultivé, se prodigue en idéation multiple et vague. Ainsi, les ruisseaux abandonnés à eux-mêmes ne suivent pas des sentiers réguliers : malgré leur profusion, il y a tantôt sécheresse et tantôt inondation, ils coulent parfois en filets imperceptibles et se précipitent d’autres fois en avalanches bruyantes ; de la même façon, l’esprit du Nigritien inculte conçoit les idées les plus subtiles, mais il les entremêle avec une telle activité, que tantôt il arrive à la plus grande absurdité et tantôt aux plus sublimes conceptions ! De la cette imagination vive et brûlante qui lui est spéciale, ce tempérament sanguin qui le fait nommer une tête brûlée. Expression bien Juste ! Car dans cette circulation énergique, dans ces opérations rapides d’assimilation et de désassimilation que le tissu cérébral accomplit, le cerveau brûle comme une fournaise ardente : il faudra donc toute une discipline, une longue éducation de l’esprit, pour que le combustible ne se consume pas plus vite qu’il ne produit de travail appréciable.

Je crois qu’il n’y a rien d’exagéré dans ce qui vient d’être dit. Il serait tout de même curieux qu’on fît des expériences positives, mesurant la température comparative du cerveau du noir et de celui du blanc. Tout indique que la circulation sanguine, plus intense chez le premier, lui assure une température plus élevée, conformément à toutes les lois de la physique et de la physiologie. Activité circulatoire et température élevée, telles sont les deux qualités qui dénotent dans le cerveau les plus grandes aptitudes de fonctionnement. « Chaque fois que la moelle épinière et les nerfs manifestent la sensibilité et le mouvement, chaque fois qu’un travail intellectuel s’opère dans le cerveau, une quantité de chaleur correspondante s’y produit. Nous devons donc considérer la chaleur comme une résultante du travail organique de toutes les parties du corps, mais en même temps, elle devient aussi le principe d’activité de chacune de ses parties[6]. »

Plus on approfondit les investigations, plus on étudie les résultats, et plus belle paraît la grande synthèse des vérités scientifiques. Elles forment comme une immense gerbe de lumières où toutes les notions viennent aboutir, pour s’épanouir ensemble et briller d’un éclat superbe dans la sphère de l’intelligence. L’esprit humain ne pourra jamais contempler sans éblouissement cet édifice merveilleux, splendide, au sommet duquel tant de reflets s’entrecroisent ; mais il ne se lassera jamais d’y fixer ses regards : car là est un problème captivant, l’attirant sans cesse, malgré toutes les difficultés de la solution. À mesure qu’on résout une équation ou un système d’équations, d’autres inconnues se présentent, dont il faut encore chercher la valeur. C’est une course sans fin. Mais chaque pas en avant nous conduit à une hauteur où l’on domine mieux les termes de l’éternelle progression, où nous trouvons une assurance plus grande dans les raisonnements que nous sommes encore obligés d’étayer de simples probabilités. D’où la légitimité des aspirations de la science moderne, qui a l’ambition de tout expliquer, en s’appuyant sur des expériences et des recherches qui ne finissent point, mais qui aboutissent à des découvertes de plus en plus précieuses. Ces conquêtes successives, qui enorgueillissent l’esprit humain, en lui inspirant une confiance chaque jour plus grande et inébranlable dans ses déductions, poussent les savants à des déductions souvent aventureuses ; mais peut-on bannir de l’activité intellectuelle tout essai de généralisation, sans retirer aux investigations scientifiques tout ce qui en fait le charme et le but essentiel ? Certainement non.

Après l’étude des faits, il nous vient un désir irrésistible de les rattacher à des lois qui en soient les régulatrices ; en constatant certains phénomènes, nous sommes portés spontanément à inférer que l’objet ou l’être qui les a produits possède des qualités bonnes ou mauvaises, positives ou négatives, selon le caractère qu’ils offrent à notre appréciation. À quelle conclusion doit donc nous conduire l’étude si comparative du cerveau humain ? C’est que, pour les opérations de l’esprit, l’Éthiopien est armé de l’instrument le plus merveilleux. Le jour où, par une culture intellectuelle convenablement dirigée, l’activité cérébrale qu’il gaspille en jeux d’imagination, et en rêveries plus ou moins gracieuses, plus ou moins burlesques, pourra être employée dans les acquisitions sérieuses de la science, il trouvera dans l’organe encéphalique dont la nature l’a doué les ressorts les mieux adaptables aux travaux les plus difficiles et les plus délicats. Je n’ose dire qu’il se montrera plus apte que ceux qui doutent actuellement de sa vigueur intellectuelle, mais en tirant logiquement les déductions qui paraissent découler de l’ensemble des faits que je viens d’analyser, chacun sentira immédiatement la conclusion qui s’impose à son entendement !

  1. Othenim d’Haussonville, À travers les États-Unis.
  2. Fr. Müller, Die allgemeine Ethnographie.
  3. Dumont D’Urville, Voyage de l’Astrolabe.
  4. Cl. Bernard, Discours de récept. à l’Acad. franç.
  5. Friedlein, Die Zalhzeichen und das elementare Rechnen der Griechen und Römer.
  6. Cl. Bernard, La science expérimentale, p. 389.