Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S9/IV./Remarque




Remarque finale sur toute l’antinomie de la raison pure


Tant que nos concepts rationnels n’ont pour objet que la totalité des conditions du monde sensible et ce qui peut par rapport à ce monde tourner au profit de la raison, nos idées sont à la vérité transcendentales, mais cosmologiques. Mais, dès que nous plaçons l’absolu (dont pourtant il s’agit proprement) dans ce qui est tout à fait en dehors du monde sensible, par conséquent en dehors de toute expérience possible, les idées deviennent alors transcendantes ; elles ne servent pas seulement à l’accomplissement de l’usage empirique de la raison (usage qui reste toujours une idée qu’on ne saurait jamais réalise mais qu’il faut toujours poursuivre), mais elles s’en séparent entièrement, et se transforment en objets dont la matière n’est point tirée de l’expérience, et dont la réalité objective ne repose pas non plus sur l’accomplissement de la série empirique, mais sur des concepts purs à priori. Ces sortes d’idées transcendantes ont un objet purement intelligible, qu’il est sans doute permis d’accorder comme un objet transcendental, tout à fait inconnu d’ailleurs, mais que nous n’avons aucune raison ni aucun droit d’admettre, en le concevant comme une chose déterminable par ses prédicats distinctifs et essentiels, et qui par conséquent n’est qu’un être de raison. Pourtant, parmi toutes les idées cosmologiques, celle qui a occasionné la quatrième antinomie, nous pousse à risquer ce pas. En effet l’existence des phénomènes, qui n’est nullement fondée en soi-même, mais qui est toujours conditionnelle, nous engage à chercher quelque chose de distinct de tous les phénomènes, par conséquent un objet intelligible en qui cesse cette contingence. Puis quand une fois nous avons pris la liberté d’admettre, hors du champ de la sensibilité, une réalité existant par elle-même, et de considérer les phénomènes comme de simples modes contingents de représentation d’objets intelligibles, d’êtres qui sont eux-mêmes des intelligences, il ne nous reste plus autre chose que l’analogie, suivant laquelle nous employons les concepts de l’expérience pour nous faire quelque concept des choses intelligibles, dont nous n’avons pas en soi la moindre connaissance. Mais, comme nous n’apprenons à connaître le contingent que par l’expérience, tandis qu’il est ici question de choses qui ne sauraient être des objets d’expérience, nous devrons en dériver la connaissance de ce qui est nécessaire en soi ; de purs concepts des choses en général. Le premier pas que nous faisons en dehors du monde sensible nous oblige donc à commencer nos nouvelles connaissances par la recherche de l’être absolument nécessaire, et à dériver des concepts de cet être ceux de toutes les choses, en tant qu’elles sont purement intelligibles ; c’est là l’essai que nous ferons dans le chapitre suivant.




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Notes de Kant modifier


Notes du traducteur modifier