Cours d’agriculture (Rozier)/ROSÉE

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 631-638).

ROSÉE. La rosée proprement dite, que j’appellerai terrestre, est le résultat de la sublimation de l’humidité de la terre ; cette sublimation est occasionnée par la chaleur, & les vapeurs étant condensées par le froid de la nuit, tombent en gouttelettes sur la superficie du sol ; en un mot, c’est une véritable distillation. (Consultez ce mot.)

Lorsque dans certaines positions de ce royaume règne le vent du sud, on ne s’aperçoit pas de la rosée dont il est question, parce que la chaleur de la nuit égale presque celle de la journée ; d’ailleurs si ce vent est fort, violent, impétueux, il n’y a point dé rosée. Au contraire elle est abondante dans ces climats, si le vent du nord règne, & encore plus abondante si le nord souffle dans la région moyenne de l’atmosphère, & le sud dans la région supérieure. Dans ce cas, cette rosée équivaut à une petite pluie ; mais il est rare, au printemps & en automne, qu’elle n’occasionne des brouillards souvent nuisibles dans la première saison. Les mêmes vents, & supposés dans les mêmes circonstances, ne produisent pas par-tout également les mêmes effets ; ils dépendent des localités. (Consultez le mot Abri, & l’avant-dernier chapitre du mot Agriculture.) C’est le climat qu’il faut étudier pour bien juger des effets, de la rareté ou de l’abondance de la rosée terrestre. C’est pour avoir trop généralisé leurs assertions que les auteurs ne sont pas d’accord.

Personne n’ignore que le créateur a imprimé au globe une masse de chaleur déterminée, indépendante de celle qu’elle reçoit ou qui est excitée par la lumière du soleil. Je crois que la chaleur du globe est de dix degrés & un quart du thermomètre de Réaumur. En effet, à quelque profondeur que l’on ait pénétré dans l’intérieur de la terre, on a trouvé ce terme, d’après lequel on a fixé celui du tempéré. Cette chaleur est-elle la même sous l’équateur ? Je ne le sais pas, mais j’ose le présumer, puisqu’on retrouve ce même terme de dix degrés un quart, lorsqu’on est parvenu à une certaine profondeur dans le nord, quoique la terre y soit couverte par des montagnes de glace, & même de glaces éternelles. Les Lapons ne se garantiroient pas des froids extrêmes s’ils ne s’enterroient pas comme les taupes. Des circonstances purement locales établissent quelquefois des exceptions à cette règle générale. Par exemple, si dans ces souterrains on trouve des scissures dans le rocher, par lesquelles parviennent des courans d’air, comme dans certaines cavernes de l’Archipel, dans certaines caves où l’on prépare les fromages de Roquefort, &c., il est certain que ces courans, en augmentant l’évaporation, produisent du frais & même du froid ; des exceptions purement locales confirment l’assertion générale. Si ce terme de chaleur de dix degrés & un quart imprimé au globe au moment de sa formation, est ce que quelques auteurs ont voulu désigner par le mot de feu central, nous sommes d’accord. Si au contraire ils prétendent qu’il existe une masse de feu dans le centre du globe, & que ce feu communique de proche en proche sur un diamètre de 4500 lieues, jusqu’à sa superficie, c’est une hypothèse ingénieuse dont ils ont eu besoin pour en expliquer & étayer d’autres plus extraordinaires, encore, qu’on ne peut pas plus vérifier que la première. Quoiqu’il en soit, elles n’expliquent pas mieux la sublimation de l’humidité renfermée dans la terre, que la chaleur de dix degrés & un quart que l’on y rencontre par-tout.

Des expériences bien simples vont prouver que la sublimation des fluides ne commence qu’à ce terme. Le raisin jeté dans la cuve, n’établit sa fermentation sensible (consultez ce mot), que lorsque la chaleur de la masse, ou du moins d’une certaine & majeure partie, est à dix degrés de chaleur ; alors il y a un commencement d’évaporation, l’odorat & les oreilles l’indiquent. Placez devant le feu une cafetière remplie d’eau ; couvrez cette eau avec du papier Joseph ou papier sans colle, ou avec du papier gris, ce papier deviendra humide lorsque la chaleur communiquée à l’eau sera de dix degrés & un peu au-delà. Cette expérience doit être faite pendant l’hiver, car pendant l’été l’évaporation a lieu en raison de la chaleur de l’atmosphère, mais elle est moins visible, quoique plus forte, que dans l’expérience proposée, parce que la chaleur de l’eau & celle de l’atmosphère sont en équilibre. D’où l’on doit conclure que la nature, qui ne marche ni par sauts ni par bonds, sublime l’humidité intérieure de la terre à ce terme, & qu’il suffit ; d’où l’on doit encore conclure que la sublimation a lieu pendant toute l’année, à moins qu’un froid rigoureux ne glace la superficie du sol. C’est précisément par cette raison que le proverbe a dit, la glace & la neige engraissent la terre. Consultez ce mot, afin de ne pas tomber dans des répétitions.

Cette sublimation qui forme la rosée terrestre, entraîne avec elle les parties huileuses & volatiles, & surtout l’air fixe ; c’est pourquoi les rosées de mai sont si avantageuses. Pendant l’hiver toutes les substances animales ont tendu à la putréfaction, & à se réduire à l’état d’humus ou terre végétale. Il ne s’établit aucune putréfaction sans dégagement d’air fixe, ou plutôt c’est l’émission de cet air contenu dans les corps qui les rend putrides, car tant que cet air sert de lien à leurs parties, la putréfaction n’a pas lieu. Il résulte de ce qui vient d’être dit, que la chaleur de dix degrés suffit pour produire la rosée pendant tout le cours de l’année, excepté quand il gèle ou que la neige couvre la terre, & que cette rosée se charge de l’air fixe des corps putréfiés & de principes volatils huileux, car pour les salins (abstraction de l’acide de l’air fixe), aucune expérience ne me les a démontrés.

C’est ainsi que la rosée terrestre est produite pendant le jour & la nuit. C’est ainsi que cette émanation de la terre a lieu en plus ou moins grande abondance suivant les lieux, & suivant l’état de l’atmosphère. Pendant le jour elle n’est pas visible, parce qu’elle est fortement attirée par l’action du soleil, & portée dans la région supérieure de l’atmosphère où l’air s’en sature & la conserve comme en dépôt, afin de la rassembler ensuite en brouillards, en nuages, en pluie, & pour y trouver les matériaux des éclairs & de la foudre.

Jamais la rosée n’est plus abondante que vers le soleil couchant, & un peu avant qu’il reparoisse sur l’horison. Le soir, la partie inférieure de l’atmosphère est échauffée, & remplie de vapeurs ; à mesure que le soleil dérobe ses rayons, la région supérieure, toujours plus froide que l’inférieure, tend à meure, sa température en équilibre avec celle du dessous. La fraîcheur paroît à une certaine hauteur, condense les vapeurs du bas, peu à peu elle descend, condense toujours, & finit par couvrir la terre de gouttelettes d’eau. Il en est ainsi peu avant le soleil du matin. Il chasse devant lui la fraîcheur, il la précipite sur la terre, mais plus forte que celle du soir, & parce qu’elle vient de plus haut, & parce que celle de la région inférieure s’est mise en équilibre pendant la nuit, elle précipite le reste des vapeurs que celle-ci contenoit encore.

Chaque localité, chaque état de l’atmosphère apporte des modifications à ce mécanisme. Par exemple, dans les vallons, près des ruisseaux & des rivières, des marais, &c. la rosée y est toujours très-forte, parce qu’il y a beaucoup d’humidité dans le sol, & par conséquent dans l’atmosphère ; elle est même si grande quelquefois, qu’il est très-commun d’y voir le matin & le soir un léger brouillard s’élever & ramper à la hauteur de quelques pieds seulement, sur toute la superficie du vallon & de la plaine. C’est à l’éloignement de cette grande humidité qu’on doit attribuer le peu de rosée qui tombe sur les montagnes, sur les terrains incultes ou sablonneux, &c.

Les rosées ne sont jamais aussi fortes sur les expositions au soleil levant qu’au soleil couchant. Supposons, pour que la parité soit complette, une rivière courant du nord au midi ; supposons que ses deux bords forment une petite plaine de chaque côté, & de chaque côté terminée par une colline assez élevée. L’expérience prouvera que sur toute la rive exposée au levant, on sentira peu de serein ou rosée ; que dans le plus fort de l’été on se promènera sur les bords de la rivière sans courir aucun événement, tandis que de l’autre, & au soleil couchant, on sera exposé aux fluxions, aux maux de dents, &c. La raison en est bien simple. La partie du levant n’est plus éclairée par le soleil, tandis que celle du couchant est brûlée par ses rayons, pendant quelques heures. Pour la première, la région moyenne est encore échauffée par les rayons qui dardent sur l’autre, & les vapeurs ont le temps de se dissiper & d’être entraînées dans la région supérieure. Pour la seconde, au contraire, le soleil se plonge tout à coup, & tout à coup la fraîcheur lui succède, & aussitôt la rosée retombe ; mais quelques heures après le coucher du soleil, ce second côté n’a plus rien à craindre, parce que toutes les vapeurs sont condensées, réduites en gouttelettes, & réunies aux plantes & à la terre.

L’état de l’atmosphère, toujours relativement aux positions & aux climats, sur-tout à l’intensité du vent, produit plus ou moins de rosée ; car tel vent assure la constance d’un ciel pur & serain dans un canton, tandis que dans un autre il traîne après lui l’humidité, la pluie & souvent les orages. Tant qu’ils sont impétueux ou forts, on ne voit point de rosée, ils la dissipent à mesure qu’elle se forme, soit pendant la nuit, soit pendant le jour ; mais si ce vent est contrebalancé par un autre vent, la rosée est très-forte. Si c’est pendant le milieu de l’été, on est presque assuré d’avoir bientôt la pluie, & l’on doit trembler qu’il ne survienne un orage.

La rosée monte sans discontinuité de la terre pendant la nuit. Si la fraîcheur est forte, elle se condense dans un point plus ou moins élevé ; mais si la chaleur de la région moyenne est en équilibre avec celle de la terre, alors il n’y a point de rosée sensible sur le sol, parce que les vapeurs ne trouvant aucun obstacle à leur ascension, se perdent dans le vague de l’air. Une expérience bien simple prouve que cette rosée s’élève de la terre. Il suffit de placer sur le sol un vase renversé, on trouvera le lendemain toutes les parois intérieures tapissées de gouttelettes. Si l’équilibre est entre la chaleur de la terre & de l’atmosphère, le dessus de ce vase ne sera pas mouillé, & il le sera si l’équilibre est rompu ; la rosée ne traversera pas de l’intérieur à l’extérieur de ce vase, mais son extérieur sera mouillé par l’attraction qu’il aura faite de la rosée qui l’avoisine, moins mouillé cependant que si ce vase avoit été de verre.

Ce phénomène paroîtra singulier ; il est cependant très-démontré par l’expérience de Mussembroek, vérifiée & répétée par M. de Fay. Ces deux physiciens ont observé que différens corps exposés à la même rosée s’en chargent très-différemment, les uns plus, les autres moins, quelques-uns point du tout. Les verres & les cristaux sont ceux qu’elle préfère à tous les autres ; elle ne touche point aux métaux. Il suffit de fixer ces deux extrêmes, & l’on peut laisser tout l’entre deux indéterminé. Les deux extrêmes sont si bien marqués, qu’un vase de cristal étant mis sur un plat d’argent qui le déborde tant qu’on voudra, le vase sera tout humecté de rosée, & les bords du plat resteront parfaitement secs.

Six livres de mercure ayant été mise» par M. de Fay dans un plat de porcelaine qui avoit des rebords exposés à l’air, la rosée couloit sur ces rebords comme de petits ruisseaux de liqueur, tandis qu’il n’y en avoit pas la moindre apparence sur la surface du mercure.

Le serein & la rosée terrestre sont la même chose, & je ne connois aucune eau aussi pénétrante que celle-ci. Le cuir des souliers sera plutôt percé par la rosée que si on plaçoit ce cuir dans l’eau pendant le même espace de temps. Il en est ainsi de la laine & de la soie. Cette humidité subtile arrête la transpiration ; de là cette multitude de maux qui en sont la suite.

Pourquoi les mois d’avril & de mai, suivant les climats, sont-ils plus abondans en rosée que les autres ? Pourquoi cette rosée est-elle différente de celle des autres mois ? Depuis la fin de l’automne jusqu’au retour du printemps, il est tombé une grande quantité de pluie, de neige, &c… ; la chaleur de dix degrés de la terre a très-peu fait évaporer d’humidité, dont la majeure partie a été condensée par la fraîcheur de la saison, & elle est retombée sur terre. Voilà donc une grande masse d’humidité qui tend à se sublimer, & qui n’attend que la réaction de la chaleur de l’atmosphère sur celle du sol ; elle se manifeste, & la rosée devient abondante. Elle l’est également pendant l’été, s’il survient quelques grosses pluies, & elle se soutient autant que dure l’humidité ; une fois dissipée, en tout ou en partie, la rosée locale diminue, mais elle peut être augmentée par les vapeurs que les vents charient avec eux, & dont l’air se sature quelquefois dans des distances très-éloignées.

Les rosées du printemps sont plus aqueuses, si je puis m’exprimer ainsi, que celles de l’été, par la raison que l’on vient de donner, & celles de l’été plus remplies de parties huileuses volatiles, d’air inflammable & d’air fixe, attendu que la très-grande chaleur accélère la décomposition & la putréfaction des corps, & rend leurs parties huileuses plus volatiles elle sublime avec plus d’aisance celles qui l’étoient moins. Tel est l’effet de la chaleur sur tous les fluides. Pour se convaincre de leur différence, il suffit d’exposer des toiles suspendues à la rosée, de les exprimer lorsqu’elles en seront bien imbibées, & on verra que l’eau que l’on en obtient, 1°. n’est pas claire ; 2°, qu’elle dépose beaucoup ; 3°. que ce dépôt chimiquement analysé ne donne pas les mêmes résultats. On ne peut pas comparer ces résultats d’une province à une autre ; par exemple, il est très-prouvé que les rosées dans les cantons voisins de la mer, sont très différentes de celles des environs des étangs dans l’intérieur dès terres ; celles-ci se rapprochent de celles des marais, & ont peu d’analogie avec les rosées des plages & des champs qui bordent les grands lacs, les rivières dont le cours est rapide. Ces lignes de démarcation existent, quoiqu’il soit très-difficile de les spécifier exactement. Il en est ainsi des rosées des plaines plus ou moins sèches, comparées à celles des coteaux, des montagnes, &c. Toutes ont un caractère particulier. À coup sûr les rosées qui s’élèvent des marais, des cloaques, &c. contiennent plus d’air inflammable & fixe (consultez ce mot) que celles qui s’élèvent de la craie de la Champagne pouilleuse ou des sables du Périgord noir, &c. J’insiste sur ces différences, non-seulement des lieux, mais encore des saisons, dans les rosées, & bientôt on verra pourquoi.

Les anciens on dit que la rosée étoit la fille de la lune & de l’air. La lune n’influe pas ici. Qu’elle soit dessus ou dessous notre horison, la rosée n’en est pas moins abondante ou plus rare, & on en rassemble autant en nouvelle qu’en pleine lune, si l’état de l’atmosphère est le même. Avant que la clarté du flambeau de la véritable chimie dissipât les ténèbres dont les alchimistes savoient couvrir leurs opérations, la rosée jouoit un grand rôle & servoit de base à tous leurs arcanes, à toutes leurs préparations. D’après leurs idées, tendant sans cesse vers le merveilleux, on s’étoit figuré qu’elle contribuoit singulièrement à décolorer la cire, au blanchiment des toiles, de l’ivoire, &c. Dans ces cas elle agit simplement comme eau qui mouille, qui pénètre ; la lumière du soleil fait le reste. L’homme peu instruit substitue sans cesse le merveilleux aux procédés les plus simples. Il lui semble que plus ils sont difficiles & compliqués, meilleurs ils deviennent.

D’après ce qui a été dit plus haut des différentes qualités des rosées, il est aisé de concevoir pourquoi dans tel canton, dans tel climat, elle devient si funeste aux troupeaux & au bétail qu’on a l’imprudence de laisser paître avant que la rosée soit entièrement dissipée. Le mal le plus ordinaire est un relâchement extrême ou une superpurgation qui se prolonge pendant plusieurs jours au grand détriment de l’animal. Il arrive assez souvent que l’animal enfle beaucoup, & que cette enflure générale suspendant tous les mouvemens des viscères, il périt. Elle est due en partie à l’abondance d’air fixe contenue dans la rosée, & qui est encore augmentée par celle qu’elle absorbe de la transpiration de la plante. Cet air se développe dans l’estomac, & sa chaleur lui fait occuper un très-grand espace. L’estomac une fois boursouflé, cet air s’insinue de proche en proche, gagne les autres viscères, & souvent cause l’apoplexie, presque toujours mortelle aux troupeaux. Le remède indiqué à l’article luzerne, est applicable dans cette circonstance. Outre cet air fixe qui produit de si grands ravages, la rosée est encore la source d’autres maux, suivant les principes qui y dominent. Par exemple, près des mines d’où il s’exhale des odeurs nuisibles, des émanations métalliques, il est clair que la rosée des environs contracte des principes plus ou moins dangereux. Plusieurs Médecins ont pensé que certaines maladies épidémiques ou épizootiques devoient être attribuées à la rosée ; ce qu’il est difficile de prouver. Quoi qu’il en soit, le propriétaire attentif ne laissera sortir ses troupeaux, sur-tout depuis le printemps jusqu’à la fin de l’automne, qu’une heure après que la rosée est dissipée. Si le troupeau appartient en partie au berger, il suivra scrupuleusement cette loi, parce que son intérêt s’y trouve ; s’il appartient tout entier au propriétaire, il n’y regardera pas de si près.

Plusieurs auteurs ont avancé que dans le nombre des espèces de gouttelettes de rosée, il y en avoit qui étoient tranchantes & aiguës, & qu’elles nuisoient aux plantes, aux feuilles, &c ; &c. Avant d’admettre ces faits, il seroit nécessaire de les constater. Quant à moi, je n’ai jamais vu les gouttelettes de la rosée que très sphériques ; mais ce que j’ai très-bien observé, c’est qu’en se dissipant, attirées par la chaleur du soleil, elles laissoient quelquefois sur les feuilles, sur les fruits, un résidu souvent jaunâtre qui tachoit le fruit. Afin de me convaincre si la tache étoit due à l’effet de ce résidu, ou à celui du soleil, j’étendais sur le fruit un papier blanc, la rosée se dissipoit plus lentement en-dessous, que celle des fruits voisins, & le résidu tachoit ce fruit, cette feuille ; souvent aussi elle ne le tachoit pas. Je ne veux rien conclure de ces expériences ; je ne les ai pas assez répétées, pour statuer quelque chose de positif ; je les indique aux amateurs, seulement afin de les inviter à les suivre. Quoi qu’il en soit, l’expérience de tous les pays prouve qu’il ne faut qu’une rosée abondante, suivie d’un soleil chaud, pour tacher toutes les feuilles des mûriers, les fruits, les abricots, & les raisins muscats sur-tout. Il y a deux manières d’expliquer ce phénomène : chaque gouttelette forme autant de petits miroirs ardens, qui, pénétrés par les rayons solaires, brûlent tous les points sur lesquels ils établissent leurs foyers ; ou bien on sait que l’évaporation produit le froids que le froid retient la transpiration insensible, d’où il résulte que dans les parties où il y a eu suppression de transpiration, il s’y est formé un petit ulcère qui a corrodé la pellicule du fruit ou de la feuille. C’est au lecteur à choisir celle des deux explications qu’il jugera à propos, ou à les rejeter, s’il en connoit de meilleures.

Il existe une seconde espèce de rosée ; elle est, quant au fond, la même que celle dont on vient de parler, mais elle a éprouvé d’autres modifications. C’est la rosée aérienne, ou l’humidité de l’air, qui, dans plusieurs circonstances, retombe sur les plantes. L’air a la faculté de dissoudre une certaine quantité de fluide, & c’est le moyen que la nature a employé pour soutenir l’humidité dans l’atmosphère. Supposons un beau jour, un ciel bien pur, bien serein, tout à-coup le vent change ; celui du sud, par exemple, gagne : tout-à-coup on voit paroître de petits nuages, ils augmentent peu à peu & visiblement de volume. Les habitans de l’intérieur du royaume ne peuvent pas dire que ces nuages ont été chariés de la méditerranée jusqu’à eux, & qu’ils ont suivi la direction du vent du sud. Cependant ces nuages sont sur leurs têtes ; comment s’y forment-ils donc ? Il est de fait que plus l’air est chaud, & plus il tient de particules aqueuses en dissolution ; il est de fait que si dans la région supérieure règne un vent plus froid que dans l’inférieure, le froid condense l’humidité, agit sur l’humidité dissoute, en rapproche les parties qui cessent d’être dissoutes. Alors ne faisant plus équilibre avec l’air, elles tombent en pluies & en brumes plus ou moins fortes, suivant qu’aura eu lieu le contact de l’air chaud avec l’air froid. Un exemple va rendre plus sensible cette théorie : ayez de l’eau bouillante, jetez-y une quantité proportionnée de crème de tartre ; elle sera dissoute par cette eau, & on n’en verra aucune partie se précipiter au fond du vase, à moins qu’on n’ait donné à cette eau plus de sel qu’elle ne pouvoit en dissoudre ; mais à mesure que cette eau perdra de sa chaleur, on verra la crème de tartre se précipiter, & l’eau l’abandonner presqu’entièrement.

C’est ainsi que se rassemblent les nuages que nous voyons se former sur nos têtes. L’eau étoit dissoute dans l’air, & sa dissolution ne troubloit point la transparence de l’air ; mais une fois que le froid de la région supérieure a diminué la dissolution, les globules se sont rapprochés, les nuages se sont établis d’une manière isolée : mais comme deux gouttes d’eau ne peuvent pas exister l’une près de l’autre sans s’attirer, & se confondre ensemble, par la même raison, ces petits nuages s’attirent & forment ces gros nuages qui, pendant l’été, semblent être stationnaires sur l’horizon, & qui sont souvent les avant-coureurs de la grêle & des orages. Cependant, dans ces gros nuages, l’eau y est encore tenue en dissolution, attendu la chaleur de la saison ; mais lorsque les parties aqueuses, poussées & serrées par les vents qui se contrarient sont très rapprochées, alors tombent ces larges gouttes d’eau, même sensiblement chaudes, par lesquelles commencent toujours les grosses pluies d’été. En hiver, on ne voit pas de nuages ballonnés, semblables à un voile uniformément étendu ; ils couvrent l’horizon, parce que le peu de chaleur de la saison ne permet pas à l’air de dissoudre beaucoup d’eau ; de là l’origine de ces petites pluies, & de longue durée, qui rendent les hivers si pourris.

La rosée aérienne diffère par sa pureté de la rosée terrestre, quoique toutes deux se précipitent sur les plantes & sur la terre par la même cause, c’st-à-dire, par le passage du chaud au froid, par la condensation des vapeurs, dès que leur eau cesse d’être dissoute. La première est limpide, & elle laisse peu de résidu lorsqu’on la distille, sur-tout la rosée d’hiver ; la seconde au contraire donne un résidu gluant, huileux, & qui se corrompt facilement. La première ne contribue à la végétation que comme eau simple, absorbée en partie par les feuilles pendant la nuit ; la seconde rend aux plantes & à la terre une partie des principes qui s’en étoient élevés, le reste est dissipé dans le vague de l’air par la chaleur du jour. C’est à l’abondance de l’une & de l’autre rosée, qu’est due la végétation des arbres & des arbustes dans les provinces méridionales du royaume, ou souvent il ne pleut pas une seule fois pendant l’été, & où la terre est desséchée à plusieurs pieds de profondeur. Ces arbres restent verts, & comment conserveroient-ils leur fraîcheur, s’ils n’étoient pas abreuvés par cette rosée, & si la nature avoit privé les feuilles (consultez ce mot) de la faculté d’absorber l’humidité de l’air, & de la réunir au torrent de la sève ? C’est donc dans ces rosées absorbées pendant la nuit, & dont l’eau descend des feuilles aux branches, des branches au tronc, & du tronc aux racines, que s’établit le réservoir de la sève, & que l’arbre pendant le jour se défend contre la chaleur du soleil. Il n’en est pas ainsi des plantes à racines, courtes & fibreuses. Leur humidité se dissipe trop vite, elle est absorbée par la terre qui les environne, & leur peu de profondeur ne les défend pas assez contre une prompte évaporation.

Aussi ces plantes se dessèchent & périssent. Au contraire, dans nos provinces, soit du centre, soit du nord du royaume, les pluies y sont plus fréquentes, & les rosées moins abondantes. Cette assertion paroîtra un paradoxe, si on ne distingue pas deux espèces de rosées, & des rosées différentes, suivant les saisons. Dans les provinces du midi, c’est la rosée aérienne qui est très-abondante pendant l’été ; dans celle du nord, c’est la rosée terrestre, & c’est précisément le contraire pendant l’hiver, le printemps & l’automne.

La troisième rosée, & qui n’est pas plus rosée que la seconde, est occasionnée par la transpiration des plantes. Ainsi je l’appellerai rosée végétale. Elle existe quelquefois sans la première, & le plus souvent les deux se confondent ensemble. La rosée végétale sera sensible, si on renferme dans un petit appartement une plante dans un vase, & si la chaleur de cet appartement est moins forte pendant la nuit, que celle de l’air extérieur. Il a souvent été question dans le cours de cet Ouvrage de la transpiration des plantes ; mais il en sera parlé plus particulièrement dans cet article. (Consultez ce mot) Ainsi nous supposons ici cette assertion démontrée ; sans cette transpiration, qui est une véritable sueur, l’arbre & la plante périroient, puisque c’est par elle que s’exécutent toutes leurs sécrétions.