Cours d’agriculture (Rozier)/LESSIVE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 253-255).


LESSIVE DU LINGE. Eau rendue détersive des graisses, des huiles, par l’addition d’un sel alkali. Cette opération, si universelle & si nécessaire, exige que j’entre dans quelques détails.

La transpiration est une humeur grasse & huileuse, qui s’attache à nos linges, & elle est peu miscible à l’eau seule ; mais si on ajoute un sel alkali, (Voyez ce mot) la matière huileuse ou graisseuse s’unit alors à l’eau par l’intermède du sel, & de cette union il résulte un vrai savon, miscible à l’eau, & qui la rend par conséquent miscible aux graisses, beurre, huile, &c, & permet que ces substances soient séparées du linge des vètemens, &c. & entraînées par le courant de l’eau. Voilà la base & la manière d’agir de routes les lessives.

Personne n’ignore que l’on met le dans un cuvier, qu’il est recouvert d’un grand drap, & chargé de quelques pouces de cendres ordinaires, ou d’un peu de potassé ou de cendres clavellées, (Voyez ce mot) & souvent le tout ensemble ou séparément, aiguisé avec de la chaux : on prend ensuite de l’eau bouillante que l’on verse par-dessus. Comme le fond du cuvier est percé d’un petit trou garni de paille, cette eau, après avoir traversé toutes les couches de linge comme à travers un filtre, s’écoule peu-à-peu dans un baquet placé sous le cuvier, & cette même eau, remise dans la chaudière, & versée perpétuellement sur le cuvier pendant toute la journée, s’imprègne de la partie graisseuse & huileuse du linge. En effet, lorsque l’on trempe ses doigts dans cette lessive, on la trouve onctueuse & savonneuse. L’addition de la potasse, de la chaux, de la cendre gravelée, augmentent l’activité de la lessive, mais ces matières altèrent beaucoup le linge si leur sel ne trouve pas assez de matière huileuse ou graisseuse à détruire, parce qu’elle agit alors directement sur lui. Il faut donc être très-circonspect dans leur emploi. Le linge, ainsi préparé & sorti du cuvier, est porté à la fontaine, à la rivière, pour être lavé & savonné à grande eau. L’effet du savon est de s’approprier le surplus de la matière graisseuse, ensorte que le linge est dans le cas d’en être entièrement dépouillé. Telle est à-peu-près la manière générale d’opérer ; mais est-elle la meilleure, la plus économique quant à la dépense & quant à la durée, à la beauté & à la blancheur du linge ? Je ne le crois pas.

On dira peut-être que ces détails ne doivent pas occuper un homme, & qu’ils sont du ressort des femmes ; aussi je ne prétends pas qu’un cultivateur, qu’un homme qui vit dans son domaine, s’occupe à couler une lessive ; mais qu’il veille à la conservation de son linge & à sa blancheur, c’est autre chose, & la plus petite opération du ménage des champs doit fixer l’attention de l’amateur de l’ordre & de l’observateur.

En partant du principe chymique qui sert de base à cette manipulation, je dis qu’il vaut infiniment mieux savonner le linge & le faire tremper un jour entier dans une eau savonneuse, avant de le jeter dans le cuvier pour le lessiver ; enfin de le faire presser & tordre à différentes reprises dans cette eau, parce qu’elle a une affinité réelle avec les matières grasses qu’elle détache du linge, qu’elle dissout & qu’elle s’approprie. Le linge ainsi préparé, mis dans le cuvier avec l’eau savonneuse, lessivé ensuite d’après les procédés ordinaires, & porté à la rivière, n’a plus besoin d’y être savonné, mais tordu & lavé à plusieurs reprises à grande eau courante. La trop grande quantité d’alkali, ou de cendres, ou de chaux, n’est pas alors tant à redouter, le nerf du linge n’est plus si fort attaqué, enfin toute sa crasse est rendue miscible à l’eau, & dès-lors susceptible d’être entièrement entraînée par l’eau courante. Ce procédé n’est pas plus coûteux que celui employé journellement, & je puis répondre, d’après mon expérience, que le linge est beaucoup plus blanc, plus ferme & mieux conservé que par tout autre procédé ; il est facile de la répéter.

L’usage de frotter le linge avec des brosses à poils rudes, a été introduit par l’avarice, afin d’économiser le savon ; il est plus gâté en deux blanchissages, qu’il ne le seroit en vingt, en suivant le procédé ordinaire.


Lessive des grains. Je ne répéterai pas ce ici qui est dit au mot Chaulage & au mot Froment, je rappellerai seulement que tous ces arcanes, ces préparations, qui de temps à autre reparaissent dans les papiers publics, & qu’on donne comme des nouveautés, sont le plus souvent ou déjà connus, ou du moins inutiles. La renommée de l’arcane se soutient pendant un an ou deux, & la recette retombe ensuite dans l’oubli d’où on l’avoit tirée. En admettant même que la préparation, ou lessive du grain, hâte sa germination, il n’en résulteroit aucun avantage quant à sa végétation postérieure, puisque dès que les deux premières feuilles du grain ont poussé, les deux lobes de la semence, imprégnés de préparation, sont complètement détruits. L’homme aime le merveilleux, & la cherté d’une denrée est souvent une raison de plus pour la lui faire acheter.


Lessive des arbres. C’est encore ici où le charlatan triomphe. Que de promesses magnifiques, que de prétendus faits constatés dans les papiers publics, que de faussetés imprimées, revues, corrigées & augmentées, pour détruire les chenilles, les papillons, les pucerons, les galles-insectes qui dévorent les arbres. De l’eau simple ou aiguisée avec du vinaigre, une brosse, ou le dos de la lame d’un couteau, produisent les mêmes effets que les lessives les plus vantées, telles que celles où l’on fait entrer les corps graisseux, huileux ou savonneux. La partie aqueuse s’évapore, & la substance graisseuse, reste collée sur les branches comme un vernis insoluble à l’eau qui bouche les pores, arrête la transpiration pendant le jour, & empêche pendant la nuit l’absorption des principes répandus dans l atmosphère. (Voyez le mot Amendement) Il faut conclure que toutes les préparations si vantées, soit pour les grains, soit pour les arbres, sont de pures charlataneries on en convient assez généralement, mais existe-t-il un seul charlatan sans dupes ? Tel est le fort de l’homme.