Cours d’agriculture (Rozier)/HÊTRE ou FAU ou FAYARD

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 483-488).


HÊTRE ou FAU ou FAYARD. son fruit est appelé FAINE. Tournefort place cet arbre dans la seconde section des arbres à fleurs à chaton, dont les fleurs mâles sont séparées des femelles sur le même pied, & dont les fruits ont une enveloppe coriacée. Il l’appelle sagus. Von-Linné le classe dans la monoécie polyandrie, le réunit au genre des châtaigniers, & le nomme sagus silvatica.

Je ne donnerai pas la description les fleurs, puisque c’est la même que celle du châtaignier, (voyez ce mot) ; elles n’en diffèrent que par leur chaton sphérique, tandis que dans le châtaignier il est cylindrique.

Fruit, ovale à quatre côtés, s’ouvrant en quatre parties, ne formant qu’une seule loge, contenant quatre semences triangulaires.

Feuilles, portées par des pétioles ovales, avec quelques dentelures sur leurs bords, d’un vert clair & luisant.

Racine, rameuse, ligneuse.

Port. Grand arbre à tige très haute, très-droite ; son écorce est blanchâtre & unie ; les fleurs mâles & femelles naissent des aisselles des feuilles, & n’ont presque point de pédicules ; les fruits sont épineux, & es feuilles alternativement placées sur les branches.


CHAPITRE PREMIER.

Du Hêtre, relativement à son bois.


Après les différentes espèces de chênes, le hêtre est un des plus beaux arbres de nos forêts, & quoiqu’il soit assez commun dans les pays plats & tempérés, il n’en est pas moins un arbre indigène aux montagnes ; celles de Suisse en sont couvertes. On l’y trouve à la même élévation que le sapin, avec cette différence cependant que le sapin y est du côté du nord, & le hêtre du côté du midi. Dans les Pyrénées le hêtre vient plus volontiers sur les mêmes côtes, mais dans une région un peu plus basse que le sapin. Il me paroît que dans l’une & l’autre chaîne de montagnes, l’intensité de chaleur règle sa végétation relativement à l’élévation du sol ; & par-tout le hêtre fait un très-bel arbre, même dans les provinces méridionales. En Suisse & dans les pays où le sapin, le pin, le chêne fourmillent, on fait peu de cas du hêtre, sinon pour le chauffage ; car aucun arbre n’est plus agréable à brûler : mais divisé en planches on préfère celles des autres arbres. On tente même de le détruire dans plusieurs vallées des Pyrénées, parce qu’il y tient la place des sapins, qui sont plus productifs. Il n’en est pas ainsi dans toutes les vallées ; par exemple, les habitans de celles de St. Jean-pié-de-Port, ont l’industrie d’en faire des rames qu’ils font descendre à Bayonne, d’où ils en fournissent tous les ports de l’océan ; ce genre d’industrie pourroit être imité par les propriétaires des autres vallées. À combien d’autres usages économiques ne pourroit-on pas encore l’employer sur les lieux, ainsi que nous le dirons bientôt, afin de donner aux ouvrages qu’on en feroit une valeur qui couvriroit les frais du transport & assureroit un bénéfice aux fabricateurs ? C’est aux seigneurs & aux curés des villages à exciter ce genre d’industrie, & à y attirer des ouvriers en différens genres. Les tourneurs, les layetiers dans la chaîne des Jurats, les horlogers dans les villages de Franche-Comté & de Bugey, y ont appelé des branches de commerce ; pourquoi les habitans des autres montagnes ne se procureroient-ils pas de semblables ressources, analogues aux productions de leur pays ? Il ne faut que l’exemple & on ne sauroit croire jusqu’à quel point s’étend la consommation des sabots faits avec le seul bois de hêtre. Les étrangers se moquent de cette espèce de chaussure des françois ; mais cela n’empêchera jamais qu’elle ne soit la plus chaude & la plus saine de toutes les espèces connues, sur-tout dans les pays humides.

Dans le troisième volume du recueil des Mémoires de la Société économique de Berne, on en trouve un sur le hêtre, qui mérite d’être rapporté en abrégé & qui tiendra lieu de ce que nous pourrions dire. Il est sans nom d’auteurs,

» Le hêtre est employé pour bois de charpente, & dans la bâtisse lorsqu’on ne peut se procurer facilement du chêne ou du sapin, on doit préférer le hêtre rouge à tous les autres. La nécessité oblige donc de prendre soin des forêts de hêtre comme de celles de sapin.

» En éclaircissant la forêt, il convient de conserver les plus belles tiges dans un éloignement convenable, & les émonder soigneusement, parce que le hêtre ne s’émonde pas de lui-même sans risque, comme le sapin ; & lorsqu’une branche vient à être rompue par le vent ou par tel autre accident, ou si on la coupe trop près du tronc, le bois devient vermoulu, la pourriture s’y met & gagne l’arbre. La consommation & la disette du chêne ont fourni aux anglois la première idée de lui substituer le hêtre, & ils trouvèrent le moyen de délivrer ce bois des vers qui le chironnent ».

» Si on destine les forêts de hêtre au bois de chauffage, on doit les mettre en taillis & en coupe réglée. M. Hales dit qu’une forêt dont on ne retireroit par arpent que cinq à six livres par an, rapporteroit tous les douze ans quatre cens cinquante livres, si elle étoit mise en taillis. À cet effet, on coupe les arbres qui sont d’une grosseur raisonnable, à un pied de terre. Les troncs repoussent & forment un halier qui rapporte à la seconde coupe quatre fois plus qu’à la première ».

» On ne peut pas cependant prescrire une époque fixe pour la coupe des taillis ; elle dépend de la nature du sol dans lequel l’arbre croit : s’il est un peu humide, de bon fonds, il végétera infiniment mieux que dans un terrain sec & maigre ; mais dès que la majeure partie du taillis a six ou huit pouces de diamètre, c’est le cas de l’abattre ».

» Le hêtre pousse promptement ; dans les bons fonds il ne dure pas cent ans, & il ne faut pas attendre jusqu’à cette époque pour le couper ».

Propriétés & usages du Hêtre.

« Quand le bois de cet arbre a perdu sa sève, il est excellent pour la charpente ; fait reconnu en Angleterre par les préparations qu’on lui donne & dont on parlera ensuite. Après l’avoir préparé, il est employé à la construction des vaisseaux pour les bordages, les ponts qui demandent un bois droit & uni, parce que ce bois quand il est sec devient cassant & ne peut plus être courbé. Les charpentiers s’en servent pour les parois des granges, des chambres, des aires à battre le blé, pour les parquets, & principalement pour les moulins & autres ouvrages dans l’eau, attendu qu’il s’y conserve cent ans. »

» Les menuisiers, les ébénistes le consomment pour les tables, ais, planches, meubles, &c »

» Le bois de hêtre blanc s’emploie à faire des vis, des rouleaux, des calendres, des treuils, des pilons, des presses, des guéridons, des colliers, des jougs, des hottes, des instrumens de labourage, des bois de lits, des baquets, &c ; enfin il n’y a point de bois d’un usage & d’un service plus étendu dans l’économie ; jusqu’à ses coupeaux sont utiles à la clarification du vin ».

» En Angleterre on ramasse les feuilles du hêtre avant les gelées lors de leur chute, & le peuple en remplit les gardes-pailles des lits ».

» M. d’Ellis publia un Traité de la préparation du bois de hêtre pour la charpente, dont voici le précis. Il y a quatre méthodes ».

» La première consiste à faire perdre à ce bois les principes de sa sève, & à l’en dépouiller autant que faire se peut. Aussitôt que l’arbre est scié en planches, on les jette dans l’eau d’un étang ou d’une rivière, où elles restent pendant quatre mois consécutifs & on les laisse ensuite bien sécher avant de les mettre en œuvre. Ellis dit qu’un charpentier, suivant l’ancienne méthode, fit abattre des hêtres en hiver & les laissa deux ans sur place jusqu’à ce que le bois devint madré ; ensuite il les fit mettre en planches qu’il laissa tremper dans l’eau fraîche : de cette manière, il eut des planches qui restèrent trente ans sans être attaquées des vers ».

» La seconde méthode a lieu à l’égard des hêtres dont le tronc n’a que douze à quatorze pouces de diamètre. On commence par équarrir & travailler les pièces, & leur donner toute la façon qu’elles doivent avoir ; ensuite on en couche quatre, cinq ou six serrées à côté l’une de l’autre, & on en affermit les extrémités. Elles doivent être à un bon pied & plus au-dessus de terre. L’on met par dessous de la paille, des copeaux de bois, de la broussaille, &c., avec quoi on les flambe de tous les côtés, jusqu’à ce qu’il se forme une légère croûte noire par dessus. Ellis ajoute que le capitaine Cumberland se contentoit de mettre dans du sable chaud les pièces destinées à la construction des vaisseaux ».

« La troisième, meilleure que les précédentes, consiste à couper les arbres quinze jours environ avant la Pentecôte, lorsqu’ils sont en pleine sève, au lieu de les couper en hiver, suivant la pratique ordinaire. L’été opère une grande dessiccation. L’expérience a démontré que le premier se conserve plus long-temps que le second ».

» Par la quatrième, on coupe l’arbre dans sa sève, on le travaille aussitôt, on le débite suivant l’usage qu’on veut en faire, & on laisse le tout dans l’eau pendant environ l’espace d’un mois ; après ce temps on l’en retire & on le laisse sécher, comme il a été dit ci-dessus ».

» J’ajouterai, continue l’auteur de ce mémoire, la méthode proposée par M. de Buffon »… Afin d’éviter des répétitions inutiles, consulter le mot Aubier ; & à la page 76 du Tome II, vous trouverez une suite de belles expériences de MM. Duhamel & de Buffon.

Je ne suis pas à même de répéter les expériences indiquées dans ces méthodes, parce qu’il ne croît point de hêtres dans mon voisinage, sinon, dans la haute chaîne de montagnes qui traverse le Languedoc de l’est à l’ouest ; mais je ne crains pas de dire, par analogie & d’après les expériences que j’ai faites sur d’autres arbres, qu’il n’y a aucune proportion entre écorcer sur pied, & les autres méthodes. Cependant flamber le frêne après qu’il a été écorcé & grossièrement débité est une opération bien vue, parce qu’elle empêche que ce bois ne se gerce, défaut qui le met souvent hors d’état de servir, & il en est ainsi pour tous les bois sujets à se gercer. J’ai trouvé dans les manuscrits que M. de M****, a eu la bonté de me confier, que dans la haute Alsace on commençoit à pratiquer l’écorcement. Quand cette sage pratique sera-t-elle suivie dans toutes nos provinces !

La bonté du bois de hêtre dépend beaucoup du sol, & de l’exposition où il végète. Il est dans l’ordre de la nature, que tout arbre qui pousse très-vite doit avoir un bois très-poreux, & que sa compacité dépend de la lenteur de son accroissement. Ainsi, un chêne, un hêtre &c., venus dans un terrain humide, gras & très-substantiel, n’égaleront jamais en bonté quoi qu’infiniment plus beaux de quille, un même arbre qui aura végété dans une exposition du midi, sur une colline & sur un sol moins productif. Ces observations sont importantes à faire toutes les fois qu’on est dans le cas de faire de grosses emplettes de bois de charpente, & sur-tout lorsqu’on est à même de choisir les pièces sur son domaine.

Si on cultive cet arbre, ainsi qu’on le pratique dans les haies (voyez ce mot) de Normandie, & principalement du pays de Caux, il vient beaucoup plus vite, & donne une tige ou quille de la plus grande netteté. & de la plus belle hauteur ; mais il y a des sols où cet arbre fantasque ne prospère pas comme dans ceux des pays limitrophes.

On peut semer le hêtre aussitôt que la graine est mûre, tombe, & lorsque son enveloppe s’ouvre, ou attendre après l’hiver, mais avoir le soin de la conserver dans du sable pendant l’hiver. Si on sème en automne, & c’est le mieux, on doit redouter la voracité des mulots & d’autres animaux très-friands des faines. On peut semer en pépinière ou sur place, après avoir cultivé le terrain. (Consultez ce qui est dit au mot Chataignier). La culture & la conduite des plants sont les mêmes pour l’un comme pour l’autre ; il faut cependant observer que le hêtre, souffre difficilement la transplantation, & qu’il vaut beaucoup mieux le semer à demeure : ses poussées seront languissantes, foibles, pendant les trois à quatre premières années ; c’est le cas après cette époque, de couper la même tige un peu au-dessus du collet des racines ; la nouvelle prospère beaucoup mieux par la suite.

Si l’on considère la quantité de fruits ou faines que porte un beau hêtre, suivant les années, on sera très-étonné de ne pas voir un grand nombre de jeunes plants pousser au pied de cet arbre majestueux ; mais il faut observer qu’une multitude d’animaux vivent de son fruit pendant l’hiver ; que la semence ou amande à coque peu dure, enfouie dans les feuilles, y rancit & y pourrir promptement ; enfin, l’ombrage fort épais de l’arbre & peut-être la matière de sa transpiration, nuisent essentiellement à la végétation des plantes qui en sont couvertes. Je le répète, la seule bonne méthode de le multiplier, est le semis. Si on laisse le hêtre livré à lui-même, il se charge de branches & buissonne ; si on émonde ses branches, la plaie devient dangereuse ; le temps de l’émonder est à la chute des feuilles & de couvrir la plaie avec l’onguent de St. Fiacre, (voyez ce mot). Comment, dira-t-on, pour des forêts une opération si minutieuse ? eh oui ! parce que c’est plutôt un badinage qu’un travail, & une femme ou un enfant suffisent. Afin d’éviter que l’arbre buissonne, & pour l’obliger à donner une belle quille, il faut semer épais & éclaircir, ainsi qu’il est dit au mot Châtaignier, ou bien, les plus forts étouffent à la longue les plus foibles : si on les taille pendant ou après l’hiver, la cicatrice ne sera pas fermée lorsque la sève commencera à monter des racines aux branches ; dès lors écoulement & perte inutile de sève par la plaie, acrimonie de la sève extravasée, gouttière, excavation, pourriture, &c. L’onguent de S. Fiacre préviendra en grande partie, ce dérangement d’organisation, mais non pas en totalité. Le hêtre figure très-bien dans les bosquets, & on peut le conduire à la manière des charmilles ; ces dernières lui sont préférables à tous égards.


CHAPITRE II.

Du Hêtre, relativement à son fruit ou Faine.


Les cochons, les daims, & presque tous les quadrupèdes qu’on mène ou qui habitent les forêts, sont très-friands du faine. Cette amande engraisse très-bien les dindes ; mais le plus grand avantage qu’on peut & qu’on doit s’en procurer, c’est l’huile qu’on retire de ses semences. L’amande est agréable au goût, douce, cependant mêlée d’attraction, & cette striction tient plus à l’écorce qu’à l’amande ; ce principe réagit ensuite sur l’huile.

Il faut cueillir la faine à mesure qu’elle tombe, la porter dans un lieu exposé à un grand courant d’air & à l’ombre, ne point trop amonceler les fruits, afin qu’ils se dessèchent plus vite, & ne pas se presser de les porter au moulin pour moudre, parce qu’ils ne rendent beaucoup d’huile, que lorsque l’eau de végétation est en grande partie évaporée. Si on mout & presse l’amande fraîche, on aura beaucoup d’émulsion & peu d’huile.

Après la dessication convenable des amandes, on les nettoye de toute ordure, de tous corps étrangérs, & on choisit un jour passablement chaud pour les moudre. Plus il fait froid, moins le fruit rend d’huile. Leur mouture & pression ne diffèrent en rien de celle de la noix. (Voyez les mots Huile, Moulin & Noix).

L’huile de faine nouvellement faite est désagréable au goût, pèse à l’estomac, & est très-indigeste ; mais elle perd son mauvais goût & ses mauvaises qualités en vieillissant, point essentiel en quoi cette huile diffère de toutes les autres, qui se détériorent ou rancissent très-promptement comme celle d’amande-douce, ou dans le courant de l’année, comme celle d’olive, soit qu’elle ait été mal fabriquée, soit qu’on ne l’ait pas conservée avec soin dans de bonnes caves, &c.

L’huile de faine bien conservée a un goût semblable à celui de noisette ; il est alors doux & agréable.

Sur la conservation des huiles, il règne un abus général ; on les tient dans des vaisseaux de terre vernissés, appelles cruches bonbonnes, &c. & qu’on se contente de recouvrir avec un simple papier & une brique par-dessus, ou bien avec un couvercle de fer blanc qui joint très-mal. Si la cave n’est pas excellente, (voyez ce mot) la communication du fluide avec l’air atmosphérique hâte sa décomposition. Il en est ainsi d’une huile quelconque qu’on laisse sur son marc, sans la soutirer. (Voyez le mot Huile).

L’huile de faine demande plus que toute autre à être tirée à clair, puisqu’elle doit son goût désagréable au mucilage interposé entre les parties huileuses. Il faut donc la soutirer six semaines ou un mois après sa fabrication, & répéter la même opération à la fin de février ou en mars, suivant le climat. Comme elle n’est jamais meilleure qu’à la seconde année, on doit la soutirer de nouveau au commencement de la seconde. Nous décrirons au mot Huile les détails relatifs aux manipulations nécessaires.