Cours d’agriculture (Rozier)/HIÈBLE ou PETIT SUREAU, ou YEBLE.

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 488-490).


HIEBLE ou PETIT SUREAU, ou YEBLE. (voyez Planche XVIII, page 455). Tournefort le place dans la sixième section de la vingtième classe des arbres à fleur d’une seule pièce, dont le calice devient une baie, & il l’appelle sambucus humilis sivè ebulus. Von-Linné le classe dans la pentandrie trigynie, & l’appelle sambucus nigra.

Fleur A. Chacune est un tube court, évasé, découpé en cinq parties arrondies. Les cinq étamines sont attachées au tube de la corolle, alternativement avec ses divisions ; le pistil C est composé de trois stigmates ; l’ovaire est posé sous la fleur F. En B, on voit la fleur par derrière.

Fruit. L’ovaire devient par sa maturité une baie D, molle, à une seule loge, remplie de suc, renfermant les graines E.

Feuilles, ailées, communément huit folioles sur chaque pétiole, & une neuvième qui le termine ; elles sont dentées en manière de scie, plus longues, plus aiguës que celles du sureau. (Voyez ce mot).

Racine, rouge en dehors, blanche en dedans, poussant un grand nombre de drageons.

Lieu ; les champs, les terres labourables ; il fleurit en mai, juin ; la plante n’est que trop vivace par les racines.

Port ; cet arbrisseau perd chaque année ses tiges qui sont herbacées, cannelées, anguleuses, pleines de moelle ; les fleurs sont disposées en manière d’ombelle ; les feuilles alternativement placées sur les tiges, & à la base du pétiole commun, sont placées des stipules.

Propriétés. La racine a une saveur amère, un peu acre & nauséeuse ; les feuilles sont amères, & les baies encore plus. L’écorce moyenne des racines est un fort purgatif ; la substance intérieure est plus astringente que le reste de la plante ; les baies & les graines sont légèrement purgatives. Toute la plante exhale une odeur forte & désagréable. Il vaut beaucoup mieux, à tous égards, employer le sureau ordinaire.

On peut en toute sureté acheter des champs où l’on voit l’hièble végéter avec force. On est assuré d’avance que la terre a du corps, qu’elle est substantielle ; enfin, qu’elle doit produire de beaux blés ; mais en même temps, cela donne une foible idée de l’attention & de la vigilance du cultivateur, qui a laissé à cette herbe parasite le temps de se multiplier dans son champ. On a proposé diverses recettes, diverses irrigations pour la détruire ; & ces recettes si vantées, que je ne prendrai pas la peine de transcrire, sont absolument inutiles. On aura beau faire défoncer la terre avec le plus grand soin, il est impossible d’exterminer cette plante dans une seule opération, parce que chaque brin de racine qui échappe aux regards du cultivateur, suffit à sa reproduction. Je dirai plus : j’ai vu quelque peu de ces racines enfouies dans un fossé de trois pieds de profondeur, & sur lesquelles on avoit élevé un mur, reparoître des deux côtés avec autant de vigueur qu’auparavant. Alors le propriétaire frappé de cette force de végétation, voulut se convaincre si ces plantes ne tenoient pas à quelques racines oubliées sur les bords de la fosse ; il fit excaver jusque sous les fondations, & il vit les anciennes racines, qui en avoient produit de nouvelles sur la hauteur.

Le seul moyen de détruire l’hièble, est de labourer le champ autant de fois qu’on le voit repousser ; dix fois, vingt fois dans une année s’il le faut ; & à chaque fois, la charrue doit être suivie par une femme, par des enfans, afin de ramasser les racines & de les porter hors du champ : c’est à force d’épuiser la plante par de nouveaux rejets, qu’on parvient à la détruire. Si on ne veut pas employer la charrue, des femmes & des enfans peuvent avec la pioche creuser la terre, &c.

On a beaucoup vanté l’hièble frais pour chasser les punaises d’un appartement : son odeur forte & désagréable les fait fuir. Cette recette est dans tous les recueils de secrets, & voici l’effet qu’elle produit. J’admets pour un instant, que les punaises fuient cet odeur ; mais peuvent-elles se retirer ailleurs que dans la chambre ? Elles vont donc se tapir dans des coins, dans des gerçures & des crevasses de murs, de boiseries, &c., & attendent tranquillement dans leurs retraites, que la mauvaise odeur soit dissipée ; ce qui arrive lorsque l’herbe est sèche. Supposons que depuis le printemps, époque à laquelle l’hièble sort de terre, jusqu’à la fin de l’automne ou ses tiges périssent, tous les huit jours on couvre les lits avec ses feuilles & ses rameaux, il en résultera que les punaises ne paroîtront pas pendant ce temps-là : mais fussent-elles nichées dans les fentes des lits, elles n’y mourront pas, & l’odeur infecte ne permettra à personne de coucher dans l’appartement. (Consultez l’article Punaise). Lavez souvent à l’eau bouillante les bois de lit, les toiles des garde-pailles, des matelas ; faites recrépir les murs à la fin de l’automne, vernissez les boiseries ; en un mot, tenez le tout dans le plus grand état de propreté ; voilà la meilleure recette pour se débarrasser de cette vermine.

Il en est ainsi de l’hièble, relativement aux charançons, (voyez ce mot) & de toutes les herbes à odeur forte. S’ils fuient, c’est pour quelques jours, mais ils reviennent dès qu’elle est dissipée. Les cordonniers, les selliers se servent des baies de l’hièble dans leur maturité, pour teindre les peaux en noir.