Cours d’agriculture (Rozier)/HÉMORRAGIE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 440-445).


HÉMORRAGIE, Médecine rurale.

On entend par hémorragie, une éruption de sang de quelque partie du corps que ce soit, causée par la rupture, l’ouverture ou l’érosion des vaisseaux sanguins.

Il n’y a aucune partie du corps vivant qui ne soit sujette à l’hémorragie, parce qu’il n’a aucune partie où il ne se trouve des vaisseaux susceptibles d’être ouverts par une cause quelconque, tant interne qu’externe.

Il est prouvé que tout corps capable de couper, déchirer, ouvrir, corroder, peut donner lieu à des écoulemens de sang, en écartant les fibres qui composent les parois des vaisseaux par la solution de continuité de leurs membranes & de leurs tuniques.

D’après cela, l’hémorragie peut venir des oreilles, du nez, des yeux, des gencives, & de toutes les parties de la bouche. Elle peut avoir son siège dans les poumons, dans l’estomac & les intestins ; dans les vaisseaux hémorroidaux, & dans les organes de la matrice.

Les hémorragies internes sont toujours plus dangereuses que les externes. Il est aussi très-difficile d’y apporter se remède convenable.

On distingue deux sortes d’hémorragies ; l’une est critique, & l’autre symptômatique : l’hémorragie critique est ordinairement salutaire, & n’épuise jamais celui qui en est attaqué ; au contraire, elle soulage beaucoup, & bien loin d’afToiblir, elle est souvent un moyen de ressource que la nature emploie pour guérir les maladies les plus graves.

Il n’en est pas de même de l’hémorragie symptomatique ; elle est presque toujours d’un mauvais augure, ou l’annonce de quelque vice, d’une dissolution, ou d’un ulcère établi dans quelque viscère essentiel à la vie.

Cette hémorragie entraîne nécessairement après elle une perte de force, & une foiblesse dans le pouls ; il est souvent très-difficile de l’arrêter ; les remèdes les plus efficaces échouent, & des malades succombent.

Nous avons déjà parlé de l’hémorragie du poumon, au mot Hémoptysie : nous aurons occasion de faire connoître celle qui vient de la matrice au mot Perte de sang, & celle de la vessie au mot Pissement de sang. Nous renvoyons le lecteur pour l’hémorragie de l’anus, au mot Hémorroïdes, & pour ce qui concerne celle de l’estomac, au Vomissement de sang, (Voyez ces mots).

Nous ne ferons mention, dans cet article, que des hémorragies les Plus communes, & les plus familières au cultivateur telles que celle par le nez, les hémorragies périodiques, & celles qui viennent à la suite de quelque solution de continuité, par cause externe, sans perdre de vue les causes qui les ont produites.

Un régime de vie pris dans les alimens trop succulens, un embonpoint excessif, le défaut d’exercice, tout ce qui occasionne une surabondance de sang, peut causer l’hémorragie.

Une trop longue exposition aux ardeurs du soleil, un tempérament vif & sanguin, un exercice immodéré, la course trop précipitée du cheval, l’usage du café & des liqueurs spiritueuses, celui des vins forts, & qui n’ont point fermenté, des coups portés à la tête, une frayeur, peuvent la déterminer.

Elle dépend encore de la suppression de quelque évacuation périodique, comme les règles, les hémorroïdes, des fortes passions, des purgatifs trop violens, des efforts d’un émetique, qui aura déterminé le sang vers la tête, d’une fréquente & trop forte sternutation.

Elle peut reconnoître pour cause l’acrimonie du sang, une affection scorbutique, ou véronique.

L’hémorragie causée par la rupture des vaisseaux, se trouve dans les efforts violens, après des cris redoublés & un chant forcé, ou après des efforts violens pour aller à la selle.

Les signes avant-coureurs de l’hémorragie, sont la pesanteur & la douleur de tête, la rougeur des yeux & du visage, la pulsation des artères temporales, un tintement d’oreilles, l’aversion de la lumière, un larmoiement involontaire, un sentiment de prurit aux narines, la tension des hypocondres. Les malades quelquefois voyent les objets en rouge : c’est d’après une pareille observation, que les anciens ont conseillé d’écarter les couleurs rouges. Si on a regardé cette idée comme puérile, c’est qu’on n’a pas connu l’influence de l’ame sur le corps. On ne peut pas, il est vrai, donner pour cela des raisons physiques & exactes ; mais l’expérience en prouve assez la vérité : c’est elle qui guida Galien, dans sa prédiction pour un jeune romain qui croyoit voir des serpens rouges autour de son lit, lorsqu’il lui annonça qu’il alloit avoir une hémorragie : ne sait-on pas que les taureaux s’animent à la vue des couleurs rouges ?

On ne sauroit employer trop de prudence à entreprendre le traitement de l’hémorragie, sur-tout par rapport aux remèdes astringens pris intérieurement, & appliqués extérieurement, qui sont les secours qu’on emploie le plus communément à cet égard.

Si l’hémorragie du nez survient dans le cas d’une inflammation, elle est toujours salutaire : alors, bien loin d’avoir recours aux remèdes astringens pour l’arrêter, il faut, au contraire, la favoriser, tant qu’elle n’affaiblira point le malade ; si elle est l’effet d’une forte congestion de sang dans le cerveau, d’une pléthore universelle, il faut encore la respecter ; elle est toujours salutaire aux jeunes gens qui s’exposent & restent long-temps aux ardeurs du soleil, aux personnes sanguines, fougueuses, & : qui ont le tempérament chaud & ardent, qui s’adonnent à la bonne-chère, &c. : on n’a besoin de recourir à aucun astringent, l’hémorragie s’arrête d’elle-même.

Néanmoins quand elle est portée à un degré trop fort, & qu’on a à craindre quelque foiblesse, il faut alors l’arrêter : on y réussira en faisant tremper les pieds & les mains dans l’eau tiède, en faisant des ligatures aux bras & aux jambes qu’on serrera peu à peu, & au même degré que lorsqu’on pratique la saignée.

Si ces moyens sont inutiles, on aura recours à l’application, sur le front, de linges trempés dans l’eau bien froide, ou dans l’oxicrat ; on pourra tenter de faire entrer dans les narines une tente trempée dans l’eau de plantain, où l’on aura ajouté quelques gouttes d’acide vitriolique, ou d’eau de rabel ; mais il faut que cette tente soit assez volumineuse pour bien remplir la narine.

Si tous ces moyens ne sont d’aucune efficacité, pourvu que les forces se soutiennent, on pratiquera la saignée du bras ; & ensuite celle du pied, si les yeux & le visage sont montés en couleur, & si le mal, & la douleur de tête persistent.

L’application d’une éponge imbibée d’eau glacée sur le scrotum, arrête tout-à-coup l’hémorragie : ce remède ne m’a jamais manqué ; il peut être regardé comme souverain.

On ne doit point exclure l’usage des remèdes rafraîchissans, tels que la limonade froide, le petit lait acidulé, le nitre, la poudre tempérante de Sthal, l’orgeat & l’orangeade, l’eau à la glace est très-propre à calmer l’effervescence du sang, & à en ralentir le mouvement de circulation.

Quelquefois le sang qui est arrêté à l’extérieur, continue de couler intérieurement par les arrières-narines. Le malade court le plus grand risque d’être suffoqué : il faut tout de suite boucher les passages. Pour cet effet, on a deux fils qu’on fait entrer par un des bouts dans les narines, & qu’on fait revenir par la bouche. On attache à l’extrémité de ces fils qui sortent par la bouche, des plumaceaux ou des rouleaux de charpie. On les tire par les extrémités opposées, c’est-à-dire, par celles qui sortent par le nez, & on lie les deux bouts de fil très-serrés à l’extrémité. Enfin, le sang arrêté, le malade ne fera aucun mouvement, restera couché, la tête haute, s’abstiendra de parler. Enfin, il se nourrira de bouillon seulement, & sa boisson sera astringente ; une légère décoction de pourpier à laquelle on ajouteroit quelques gouttes d’acide vitriolique jusqu’à agréable acidité pourroit convenir ; on attendra de plus que les tentes de charpie se détachent d’elles-mêmes. Si l’hémorragie revient périodiquement, & qu’elle dépende de la suppression des règles ou des hémorroïdes, il faut encore la respecter, & ne pas la troubler. Il est souvent très-dangereux de vouloir rappeler ces évacuations à leurs couloirs naturels, sur-tout quand la nature a contracté l’habitude de les reproduire tous les mois dans d’autres parties. L’hémorragie tient alors lieu de règles ou de flux hémorroïdal ; il vaut encore mieux pour le malade souffrir une pareille incommodité que de s’exposer à des maux plus affreux.

L’hémorragie qui vient d’une solution de continuité, par quelque cause externe, ne doit point être arrêtée sur le champ. On doit laisser couler le sang, pour procurer le dégorgement des parties qui ont été contuses, avant d’appliquer de la charpie qu’on comprimera sur la plaie ; si la charpie n’arrête point l’hémorragie, on appliquera sur le vaisseau qui sera rompu, de l’amadou seule, ou imbibée dans le vinaigre, & la ligature par-dessus avec une compresse. M. AMI.


Hémorragie, Médecine vétérinaire. Perte de sang qui arrive à la suite d’une opération mal faite ou de l’ouverture ou rupture de quelque vaisseau.

Les principaux moyens d’arrêter le sang font au nombre de quatre : la compression, l’application des astringens ou styptiques, le cautère actuel & la ligature du vaisseau.

Lorsque le sang vient d’une plaie profonde, on doit appliquer le cautère actuel sur l’orifice du vaisseau, & le recouvrir avec la poudre de lycoperdon ou vesse-de-loup, que l’on contiendra par un bandage convenable.

Le lycoperdon est une espèce de champignon que l’on trouve dans les bois, dans les endroits un peu humides, & qui, quand il est mûr, contient une poudre jaunâtre dont la propriété est d’arrêter le sang des artères en rappliquant à l’orifice des vaisseaux ouverts. M. Lafosse père, ayant fait part de cette découverte en 1750, à l’Académie Royale des Sciences, l’Académie nomma des commissaires pour vérifier les faits allégués dans son mémoire ; pour cet effet, on coupa les jambes de devant à un cheval, dix pouces au-dessus du genou ; les artères n’ayant point fait de jet, pour leur en faire faire, on mania le moignon pendant un demi quart-d’heure, mais inutilement, on appliqua ensuite la poudre de lycoperdon qu’on retint par un plumaceau d’étoupe & un bandage convenable, trois jours après il n’étoit point survenu d’hémorragie. Cette expérience n’ayant pas paru décisive, on coupa la cuisse à une jument, dix pouces au-dessus du jarret ; le sang darda avec impétuosité, & on l’arrêta par l’application de la poudre de lycoperdon.

Quand une artère est superficielle & qu’elle rampe sur un os, le lycoperdon, l’agaric de chêne, l’amadou & la simple compression suffisent pour arrêter l’hémorragie. Il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit d’arrêter le sang d’une veine, dans la circonstance d’une varice ; (voyez Varice) la ligature est le seul moyen à mettre en usage. Pour faire cette opération, on se sert d’une aiguille courbe, enfilée d’un fil double en quarré & bien ciré, que l’on passe un peu dans la chair, autour du vaisseau, & que l’on ramène à soi pour en nouer les deux extrémités. On doit observer de ne pas comprendre trop des chairs, ou de n’en comprendre pas assez ; il faut un juste milieu. On évitera surtout de ne pas prendre quelques nerfs principaux, si l’on veut éviter les convulsions & la mort de l’animal.

Le bœuf & le cheval sont encore sujets à un hémorragie du nez occasionnée par un coup ou par quelque substance âcre & caustique introduite dans les naseaux ; un bouvier, par exemple, qui donnera des coups sur le nez de ses bœufs, pour les faire reculer ou pour les arrêter ; un charretier impatient & emporté, qui frappera rudement avec le manche d’un fouet sur la tête de ses mules ou de ses chevaux, fera saigner du nez ces animaux, & les mettra quelquefois dans le cas de perdre la vie. Le sang alors coule des naseaux plus ou moins abondamment, suivant la violence du coup. Il coule plus facilement du nez du bœuf ; les vaisseaux qui rampent sur la membrane pituitaire de cet animal étant plus délicats & plus nombreux que ceux de la membrane pituitaire du cheval & des autres solipèdes, & cette membrane étant d’ailleurs plus étendue & plus irritable.

Si l’écoulement ne se fait que goutte à goutte, & s’il est de courte durée, le traitement à faire ne consiste que dans le repos & une nourriture médiocre ; mais si la violence du coup est telle qu’il y ait à craindre une inflammation de la membrane pituitaire, ou un engorgement dans le cerveau, hâtez-vous de saigner l’animal à la veine du plat de la cuisse, quand même l’hémorragie seroit suspendue, donnez-lui de l’eau blanche pour boisson, & pour nourriture administrez quelques lavemens mucilagineux ; répétez sur-tout la saignée lorsque l’hémorragie sera considérable ; enveloppez la tête & le col de linges imbibés d’eau froide, & sur-tout d’eau à la glace, s’il est possible de vous en procurer, que vous renouvellerez toutes les quatre minutes. Cette application est-elle sans effet ? injectez dans la narine d’où sort le sang, de la décoction de racine de grande consoude & de noix de galle, & continuez ce remède trois ou quatre jours après la suspension de l’hémorragie.

Dans l’hémorragie qui reconnoît pour cause le contact immédiat d’une substance âcre & caustique introduite dans le nez par le maréchal, injectez en quantité de la décoction de fleurs de mauve édulcorée avec du miel.

Mais quant à celle qui est due à un ulcère à la membrane pituitaire, employez l’injection décrite au mot Chancre, & consultez l’article Morve. M. T.


Hémorragie de la sève, Agriculture. Dénomination introduite dans le jardinage par M. Roger de Schabol, & il s’explique ainsi : « l’hémorragie de la sève est ordinaire aux pêchers sur-tout. Un arbre est le plus vivant aujourd’hui, & le lendemain on le voit mort, soit avec tous ses fruits, soit après les avoir donnés. En visitant au dehors de tels arbres, comme en les disséquant, on leur trouve toutes les parties nobles très-saines, la moelle, les écorces, le parenchyme, les racines, &c. le tout intact. Alors on suppose engorgement, pléthore ou réplétion, obstructions occasionnant la suffocation. »

« L’hémorragie de la sève est bien manifestement marquée dans les greffes de fruit à noyau, qui sont, dit-on, noyés par la gomme quand la sève est trop abondante, souvent aussi dans les greffes de fruit à pépins quand la sève surabonde, & il se fait au-dessous de la ligature un bourrelet considérable ; il faut, tant aux unes qu’aux autres, veiller soigneusement pour prévenir ces hémorragies de sève, en lâchant ou coupant les ligatures (Voyez le mot Bourrelet) ».