Cours d’agriculture (Rozier)/HÉMOPTYSIE
HÉMOPTYSIE, Médecine Rurale. L’hémoptysie, ou crachement de sang, est une éjection par la bouche, de sang vermeil sorti des poumons, toujours précédée de la toux, & accompagnée d’une difficulté dans la respiration, & d’une douleur aigüe ou gravative dans quelque partie de la poitrine. On distingue deux sortes d’hémoptysie ; l’une vient des vaisseaux de la gorge, & l’autre de la rupture de quelque vaisseau du poumon. La première espèce n’est pas du tout dangereuse ; on la reconnoît à la facilité avec laquelle le malade rejette le sang par la bouche. On n’observe jamais ni douleur, ni gêne, ni oppression dans la poitrine, ni même le moindre effort. Pour l’ordinaire c’est quelque contusion, ou quelque coup porté sur les gencives qui lui donne naissance. La seconde espèce, c’est-à-dire, qui prend sa source dans les propres vaisseaux du poumon, est toujours très-dangereuse. Le crachement se fait avec beaucoup d’effort & de douleur ; la toux l’accompagne nécessairement, tourmente violemment les malades ; ils ressentent à l’endroit d’où le sang sort, un picotement, un degré de chaleur qui s’étend quelquefois jusqu’à la langue : c’est alors que la soif devient ardente, & la fièvre plus forte.
Quand cette complication arrive, il est à craindre que l’hémoptysie augmente, & que le crachement de sang devienne plus fréquent & plus abondant. Dans cet état, le sang que les malades rejettent est plus rouge & plus sec. Ils sont plus agités ; leur sommeil est interrompu par la toux, & ce n’est jamais qu’après que cet orage a cessé, qu’ils peuvent dormir, & réparer leurs forces abattues.
Les personnes qui sont d’une stature haute & grêle, qui ont les épaules élevées, & le devant de la poitrine un peu voûté, sont très-sujettes à l’hémoptysie. Ceux qui ont la fibre lâche, le sang très-âcre, & qui se nourrissent de viandes salées, épicées & de haut goût, n’en sont pas plus à l’abri que ceux qui, naturellement foibles & délicats, commettent toutes sortes d’excès.
Les scorbutiques, les hypocondriaques, les femmes mal réglées, ceux qui habituellement éprouvent des hémorragies considérables, sont aussi disposés à contracter cette maladie.
L’hémoptysie se manifeste à tout âge, & dans tout le temps de l’année. Elle est commune dans le printemps : on l’observe très-souvent en automne ; les alternatives du froid & du chaud, peuvent la déterminer dans ces deux saisons.
Elle peut être occasionnée par une grande abondance du sang dans les poumons, produite par la suppression de quelque évacuation périodique ; par la répercussion de quelque éruption cutanée, comme dartres, gale, &c. ; par les contractions spasmodiques, que souffrent certains organes voisins ou éloignés du poumon, qui par sympathie déterminent le sang à se porter avec effort sur ce viscère ; par l’affaiblissement du poumon, par rapport aux autres viscères.
Elle peut-être encore occasionnée par des fortes passions d’ame, par une toux très-forte, par le chant, & par des cris forcés, par des chûtes, des coups portés à la poitrine, une mauvaise conformation, une blessure au poumon : un froid excessif, un air trop raréfié, l’abus du coït, un régime échauffent, un exercice immodéré, la boisson de l’eau à la glace, quand on est en sueur, l’âcreté du sang, la déclamation, le jeu des instrumens à vent, par le moyen du souffle, l’usage abusif des liqueurs spiritueuses, des concrétions polypeuses dans la poitrine ; un squirre, des tumeurs cancéreuses peuvent produire hémoptysie.
Une infinité de causes externes peut disposer à cette maladie : on ne doit pas oublier qu’elle peut être héréditaire ; si elle dépend d’une telle cause elle est toujours incurable. L’art ne fournit aucune ressource pour la combattre avec quelque succès ; il faut nécessairement succomber.
Il résulte donc de ces différentes causes déterminantes, « qu’il se fait des dilatations forcées, des érosions, des ruptures, des déchiremens des vaisseaux sanguins dans les parties des poumons qui en sont susceptibles : que le sang épanché dans les canaux aériens, produit une irritation dans la membrane délicate, & douée d’une grande irritabilité dont ils sont tapissés ; soit par le seul contact d’une matière étrangères à ces cavités, soit par l’acrimonie dont cette humeur est déjà viciée, ou par celle qu’elle contracte, pour peu qu’elle soit arrêtée dans ces conduits : que cette irritation excitée dans les membranes bronchiques, & par communication dans tous les organes de la respiration, occasionne des mouvemens de contraction répétés, d’une manière convulsive qui constituent la toux, & opèrent l’expectoration violente qui suit du sang, ou des mucosités sanglantes chargées de bulles d’air, qui y sont mêlées, par l’agitation, le fouettement, pour ainsi dire, qu’elles ont éprouvé avant que d’être chassées des cavités bronchiques, ce qui rend es crachats écumeux ».[1]
L’hémoptysie n’est pas toujours une maladie essentielle ; elle est souvent symptomatique, & bien loin de vouloir y remédier, il est plus avantageux de la respecter, & ne pas la troubler : quelquefois elle tient lieu d’évacuation périodique chez les femmes, & supplée au flux hémorroïdal chez les hommes.
Si le crachement de sang n’est pas excessif, il est un symptôme favorable ; comme dans la pleurésie, la péripneumonie, & plusieurs autres maladies. Mais il est toujours d’un très-mauvais augure dans les hydropisies le scorbut, & la phthysie : il suppose toujours un ulcère dans la substance du poumon, comme lorsqu’il survient à la suite d’une très-longue maladie.
L’hémoptysie est une maladie funeste aux personnes avancées en âge : les jeunes gens qui y sont sujets, deviennent tôt ou tard pulmonique ; rarement vivent-ils au-delà de 30 à 36 ans. Pour l’ordinaire, ils passent du crachement de sang à celui du pus, du crachement du pus à la consomption, & de la consomption à la mort.
D’après ces considérations, il est aisé de voir que l’hémoptysie est une maladie très-dangereuse, & que ceux, qui y sont sujets, meurent de bonne heure. Dans le traitement de cette maladie, il paroît qu’il n’y a qu’une indication à remplir ; elle doit consister dans l’emploi des moyens propres à fermer le vaisseau qui fournit le sang. Le choix tomberoit sans doute sur les remèdes astringent, si leur usage n’étoit point pernicieux : ce n’est point ce qu’on doit avoir en vue.
Les indications curatives doivent avoir pour objet les causes qui la produisent. Elles se rapportent 1°. aux contractions spasmodiques que souffrent certains organes voisins ou éloignés du poumon, qui par sympathie déterminent le sang à se porter avec effort sur ce viscère, à la pléthore générale ou particulière, à la suppression des évacuations périodiques & habituelles. 2°. À l’affoiblissement du poumon. 3°. Aux signes sensibles de dissolution & d’acrimonie, qui par érosion déterminent l’hémoptysie.
1°. Le premier de tous les remèdes pour combattre la pléthore, détendre le spasme & retirer le sang de la partie où il se porte, est la saignée qu’on doit répéter selon les circonstances. S’il est des maladies où l’abus de ce moyen soit pardonnable, c’est sur-tout dans celle-ci, d’autant plus qu’il y a douleur de côté, & que la difficulté de respirer est considérable. Pour peu que le pouls s’élève, même sans fièvre, il faut encore saigner. On a à craindre des accidens dont les suites pourroient être funestes ; mais la saignée du pied & l’application des sangsues à l’anus, feront plus avantageuses, s’il a précédé des suppressions de flux hémorroïdal, ou de flux menstruel.
Après avoir saigné convenablement, il faut faire prendre aux malades toutes les boissons froides, ainsi que les crèmes de riz, & autre nourriture liquide. Mais il faut prendre garde de ne pas arrêter la transpiration avec les boissons froides. Merly médecin italien, conseille l’eau à la glace, & les glaces au citron dans le même temps où l’hémoptysie va paroître & dans les intervalles. L’application de ce remède est délicate : elle pourroit être pernicieuse à certains tempéramens.
Les nitreux, le cinnabre, l’eau de poulet, celle de veau, l’infusion de guimauve & de bouillon blanc, les huileux, sont de puissans antispasmodiques, & procurent toujours une détente avantageuse : s’il y a des alternatives de spasme & de foiblesse, le quina est un antispasmodique qui manque rarement ; mais il faut avoir fait précéder les remèdes généraux. Les narcotiques administrés avec prudence, seront employés lorsque les antispasmodiques auront été insuffisans.
2°. Lorsque la foiblesse du poumon accompagne l’hémoptysie, il ne faut le fortifier qu’à la fin de la maladie ; on interdira aux malades les alimens venteux, grossiers & de difficile digestion : ils éviteront avec soin les emportemens & la colère : si les sujets sont vaporeux, on leur donnera les remèdes nervins, mais de temps en temps, on en variera l’espèce. Il est superflu de prendre des remèdes pour chasser les grumeaux de sang qui sont dans les bronches : la nature est suffisante ; il n’est pas même nécessaire d’en hâter l’expectoration. Cependant les forces toniques peuvent être languissantes ; alors la nature manquant de force, doit être aidée ; & pour cela il n’est rien de meilleur que les vapeurs du vinaigre. Il faut prescrire l’exercice aux malades, & sur-tout l’exercice à cheval dans un air sec & libre, à jeun ou après la digestion : il doit cependant avoir égard à certaines circonstances, parce qu’il pourroit causer l’hémoptysie au lieu de la prévenir.
3°. Quand l’hémoptysie reconnoît pour cause l’acrimonie & la dissolution des humeurs, il faut alors donner des correctifs, & s’abstenir des remèdes astringens. Les tiges & les feuilles de l’hypericum, le tussilage, le baume de la mecque, la gomme arabique, le lok blanc, selon la pharmacopée de Paris, sont des remèdes excellens, & pour l’ordinaire très-efficaces : le miel peut être très-utile ; sa vertu, dans l’intérieur, est sans doute conforme à celle qu’il produit appliqué extérieurement, qui est celle de consolider.
Mais on doit sans doute préférer le lait d’une femme bien constituée, & qui ne se permet pas des écarts dans le régime : ce lait, par la manière de le prendre, n’est pas sujet aux impressions de l’air qui l’altèrent : après lui vient le lait d’ânesse, & ensuite celui de vache : les raisons de préférence sont que la crâse du lait d’ânesse, est plus forte que celle du lait de vache, & celle du lait de femme, plus forte que celle du lait d’ânesse, & plus dans celle-ci que dans la vache.
Il convient d’interrompre de temps en temps, pour un ou deux jours, l’usage de ce lait, pour placer des remèdes qui en corrigent ou en préviennent la dégénération : dans le cas d’acidité, les meilleurs correctifs, sont la magnésie, les feuilles, ou le suc de menthe ; le lait doit être pris pendant un très-long temps ; après cela on peut donner peu à peu les crèmes de certains farineux, comme celles de pommes de terre adoucies avec le sucre, celles d’orge perlé, de l’avenat, du sagou, & des raisins secs, pour passer ensuite par gradation à l’usage des remèdes solides. Il arrive très-souvent, que les tempéramens ne s’accommodent point de cette diette blanche ; & qu’ils ne peuvent même pas la supporter ; pour lors on peut substituer les gelées de pommes de terre, celles de corne de cerfs, de pied de veau & de mouton. Les émétiques ne trouvent presque jamais leur emploi dans cette maladie ; ils produiroient des effets trop dangereux : les purgatifs doux ne peuvent être prescrits, que lorsqu’il y a corruption d’humeurs, & embourbement de viscères.
L’utilité de combiner les narcotiques avec les astringens, est sur-tout sensible dans le cas des grandes douleurs à la poitrine. M. AMI.
HÉMOPTYSIE, médecine vétérinaire. L’hémoptysie, ou comme d’autres récrivent, hémoptysie, ne signifie autre chose dans l’animal, qu’une évacuation nasale du sang pulmonaire.
Elle attaque plus rarement la brebis que le bœuf, le cheval & le mulet. Un de ces animaux, par exemple, qui fera un effort pour tirer ou soulever un corps pesant, peut déterminer le sang agité avec plus ou moins d’impétuosité, à vaincre la résistance des parois sanguines, à s’échapper par les bronches, & à sortir hors du corps par les naseaux. On peut encore ajouter à ces causes, une dépravation des humeurs qui humectent les bronches, la pléthore des vaisseaux du poumon, &c.
Le sang, qui dans cette maladie sort par les naseaux, est pour l’ordinaire rouge, clair, & écumeux ; l’animal tousse avec plus ou moins de force, & à chaque expiration sonore, on s’aperçoit qu’il coule du nez une grande quantité de sang ; que la difficulté de respirer est considérable, & que les flancs sont agités.
Le danger de cette maladie est toujours relatif à l’activité de ses symptômes : le sang, par exemple, qui s’échappe par les naseaux, est-il écumeux, clair & très-abondant ? l’animal est en danger de perdre la vie ; ne s’écoule-t-il qu’en petite quantité, n’y a-t-il ni battement des flancs, ni difficulté de respirer ? La maladie peut se guérir, pourvu toutefois que la suppuration, comme il arrive assez souvent, ne succède pas à cette évacuation. La saigné à la veine, jugulaire, est le remède le plus prompt & le plus essentiel à mettre en usage : quoique très-nécessaire dans le premier temps, elle ne doit pas être poussée trop loin, dans la crainte de précipiter l’animal dans la phthisie pulmonaire, (voy. Phthisie) Il faut avoir égard à la quantité du sang évacué par les naseaux, à l’état pléthorique de l’animal, à ses forces vitales. Les rafraîchissans, les astringens, les vulnéraires, sont les remèdes dont on doit user après la saignée ; tels sont, l’eau blanchie avec la farine de riz, & la décoction de grande consoude, aiguisée de deux drachmes d’alun, sur six livres d’eau ; la décoction de plantain, de pimprenelle, de lierre terrestre, de pervenche, &c. : on eut aussi faire prendre, soit & matin, au bœuf & au cheval, un bol composé d’une once de cachou, incorporé dans suffisante quantité de miel. L’application de l’eau à la glace, sur les parties latérales de la poitrine, peut réussir quelquefois ; mais ne l’employez qu’après avoir tenté les remèdes ci-dessus.
Tenez l’animal malade dans une écurie propre, sèche ’& bien aérée ; ne lui présentez ni foin ni luzerne, ni avoine, que l’hémoptysie ne soit parfaitement suspendue, & ne le faites travailler que douze ou quinze jours après la guérison. M. T.
- ↑ Encyclopédie, Vol XVII, pag, 210.