Cours d’agriculture (Rozier)/AVOINE

Hôtel Serpente (Tome secondp. 91-107).


AVOINE, AVEINE, AVÈNE. On doit prononcer aveine. M. Tournefort la place dans la troisième section de la quinzième classe, qui comprend les fleurs à étamines, qu’on nomme blé ou plantes graminées, parmi lesquelles plusieurs sont propres à faire du pain ; & il l’appelle d’après Bauhin, avena vulgaris, seu alba. M. le chevalier von Linné l’appelle avena sativa, & la classe dans la triandrie digynie.


Plan du Travail sur l’Avoine.


I. Description du genre.
II. De ses espèces.
III. Du terrain qui convient à l’Avoine, & de sa préparation.
IV. Du tems de la semer.
V. Du tems, & de la manière de la récolter.
VI. Des soins que l’Avoine exige dans le grenier.
VII. De la paille d’Avoine, considérée comme fourrage.
VIII. Analyse du grain d’Avoine.
IX. Du grain, considéré relativement à la nourriture des animaux.
X. Du grain, considéré relativement à la nourriture de l’homme.
XI. De ses propriétés médicinales.


I. Description du genre. Fleur apétale, à étamines, composée de trois étamines, de deux pistils & d’un calice ou bâle, qui renferme plusieurs fleurs, & se divise en deux valvules alongées, renflées, larges, sans barbe. Sous la bâle on trouve deux autres valvules qu’on peut considérer comme une corolle, du dos de laquelle s’élève une barbe très-longue, torse & articulée.

Fruit, semence solitaire, oblongue, aiguë aux deux extrémités, avec un sillon qui s’étend sur toute sa longueur. Dans l’espèce dont on parle ici, chaque balle renferme deux semences.

Feuilles, longues, étroites, embrassant la tige par leur base, les inférieures plus étroites que celles du froment.

Racine, fibreuse.

Port. Tige ou chaume articulé, haut d’un pied ou deux ; les épis naissent au sommet, l’assemblage des fleurs forme un panicule, & les fleurs sont portées par des péduncules.

Lieu. On ne connoît pas le pays où cette plante est indigène ; cependant, si on s’en rapporte à l’observation d’Anson, on sera porté à penser qu’elle croît spontanément dans l’île d’Ivan Fernandez, aux environs du Chili. Cette plante étoit cultivée en Europe, long-tems avant la découverte du nouveau monde, puisque Pline, dans le dix-septième livre de son Histoire Naturelle, dit que la bouillie de farine d’avoine faisoit une des principales nourritures des allemands, & que les médecins se plaignoient de ce qu’il y avoit si peu de malades dans cette nation.

II. De ses espèces. Si on les considère botaniquement, on en comptera seize ; mais cette manière de voir est étrangère au but de cet Ouvrage. Je parlerai seulement de celles qui sont utiles à l’agriculture par les grains qu’elles fournissent, soit pour la nourriture de l’homme, soit pour celle des animaux. Je rangerai même au nombre des espèces, plusieurs individus que les botanistes regardent comme des variétés.

L’agriculteur, strictement parlant, n’admet que deux espèces : celle que nous venons de décrire, avena sativa, & l’avoine nue, avena nuda ; la première fournit l’avoine blanche, l’avoine noire, l’avoine brune, l’avoine rouge foncé, & ce sont les espèces agricoles, & qui se perpétuent. L’avoine nue est un être à part & isolé ; je ne connois aucune variété constante de cette espèce ; cependant il peut y en avoir. La culture a tant de pouvoir, qu’elle en crée chaque jour. Les premières ne différent essentiellement que par leur couleur, & ces couleurs se soutiennent. Après avoir examiné avec soin les fanes des plantes avant la maturité du fruit, je n’ai apperçu aucune différence assez caractérisée.

L’avoine la plus estimée, est celle dont la couleur du grain approche davantage de la noire ou de la brune ; mais il ne faut pas confondre notre avoine blanche avec une nouvelle espèce d’avoine blanche, cultivée depuis peu dans quelques cantons de la France, où elle a été transportée de Pologne & de Hongrie. Je ne l’ai pas encore vue ; elle est connue sous ces deux dénominations, & en Angleterre on l’appelle encore avoine d’Écosse ou de Hollande. Voici ce qu’en dit M. Buc’hoz dans son Histoire universelle du Règne végétal, d’après un gentilhomme lorrain, qu’il ne nomme point :

« On est en usage, presque dans toute la France, de juger de la bonté de l’avoine par sa couleur ; plus elle est noire, plus elle est estimée à Paris. L’avoine de Hongrie n’a pas cet avantage, c’est tout le défaut qu’on lui connoisse, si on peut appeler défaut ce qui n’a d’autre fondement qu’un pur préjugé. La facilité que cette avoine a de s’égrener sur pied, la rend plus difficile à couper que l’avoine ordinaire ; elle exige plus de tems & de soin pour cette opération, par l’adhérence du grain aux capsules qui le renferment & l’enveloppent. Quant à la forme de l’avoine de Hongrie, elle est très-différente de celle de nos avoines de France ; les premières feuilles qu’elle pousse sont plus larges, plus longues & d’un verd plus foncé ; le tuyau qui succède est plus gros & plus long du double au moins ; l’épi est encore bien différent, le grain s’y arrange d’un seul côté en forme de vergettes, & les filamens qui les portent, se tiennent serrés contre la principale tige. Au reste, la culture de cette avoine est la même que celle de l’avoine ordinaire ; elle se plaît dans les mêmes endroits, mais en bonne terre sur-tout ; & dans une terre un peu fraîche, la supériorité en est pour lors plus apparente. On cultive cette avoine dans la Franche-Comté, & depuis fort long-tems dans la partie du sud-est de la Lorraine ; elle y a très-bien réussi, dit un gentilhomme cultivateur de cette province, dans les terrains légers, sablonneux & humides ; les brouillards & les nuages des montagnes, procurent en été, aux coteaux & aux plaines qui les avoisinent, une abondante rosée qui fait monter l’avoine jusqu’à quatre pieds de haut. Dans les plaines éloignées des montagnes, l’avoine ne vient belle qu’autant que les plaines sont à la proximité des eaux, à moins que l’année ne soit pluvieuse ; d’où il faut conclure qu’un peu d’humidité est avantageuse à l’avoine de Hongrie. Lorsqu’elle est coupée, les rosées abondantes la font refaire en peu de jours (terme usité dans le pays). Il faut la mettre en gerbe de fort bonne heure, avant que le soleil ait produit ses rosées ; elle en devient plus facile à s’égrener lorsqu’on la bat. Plusieurs laboureurs des environs de Lunéville en ont semé ; mais elle a dégénéré dès la troisième année, au point que les épis sont entièrement devenus semblables à ceux de la variété, que nous nommons avoine blanche. »

» J’ai cueilli, ajoute un cultivateur, dans leur pleine maturité, quelques épis qui avoient conservé leur première nature, quoique néanmoins l’avoine eût été semée pour la quatrième fois sur le même terrain où l’on avoit prétendu qu’elle dégénéroit. J’ai semé ma graine au printems, tous les épis ont donné leurs graines du même côté, & ils ont produit d’aussi belle semence que celle qui avoit été envoyée de nos montagnes. Je pense donc, que pour avoir de la bonne semence, il faut couper toutes les espèces d’avoine dans leur maturité, & ne les laisser javeler que trois ou quatre jours au plus. L’avoine de Hongrie est plus sujette à s’égrener sur le champ, que les autres espèces ; c’est pour cette raison qu’il faut la fauciller comme le blé ; il lui faut aussi plus de semence parce qu’elle est plus grosse ; le pied de la plante conservera mieux sa fraîcheur, & donnera des épis plus longs. »

» Semblable à l’avoine nue, elle donne peu de son, & je la crois propre à faire du gruau & de la bière ; le grain en est plus dur que celui des autres espèces. Bien des chevaux ne peuvent en manger ; en général, ils ne s’en soucient pas même beaucoup. Cette avoine est excellente pour engraisser les bœufs, les porcs, la volaille, pourvu qu’elle soit moulue relativement à l’usage auquel on veut l’employer. La paille est plus grande que celle des autres espèces ; mais elle est plus dure, moins substantielle, ce qui fait que les bêtes à cornes ne la mangent pas volontiers. Elle produit en volume, un cinquième de plus que l’avoine ordinaire ; elle donne communément cinq septiers par arpent, mesure de Paris. » Tel est ce que nous avons pu recueillir de plus positif sur l’avoine de Hongrie.

Quelques auteurs, d’après Bauhin, distinguent deux espèces d’avoine, l’une qu’ils appellent avoine d’hiver, avena hiberna, & l’autre, l’avoine du printems, qui est celle que nous avons décrite. J’ai vainement examiné cette première pour juger en quoi elle différoit de la seconde, & elle m’a paru exactement la même espèce. Cette nomenclature inutilement multipliée, induit en erreur. Le tems de semer n’a jamais constitué une espèce.

III. Du terrain qui lui convient, & de sa préparation. Chaque pays a ses usages, & la culture varie du plus au moins d’une province à l’autre. La nature du sol contribue pour quelque chose, & la coutume décide plus souverainement, que la valeur du terrain. Dans certains cantons on destine les terrains maigres aux avoines ; dans d’autres, ce sont les terres fortes, & dans quelques-uns où l’on alterne, (voyez ce mot) l’avoine est semée dans les bons fonds. Il est constant que plus le fonds est fertile, plus l’avoine est belle, sa paille bonne & son grain mieux rempli, plus farineux ; & tout cela dépend beaucoup de la constitution de l’atmosphère, pendant l’année ; d’où est venu le proverbe : mieux vaut un bon tems qu’un bon champ. Si l’année est pluvieuse, les terrains maigres donneront de belles avoines ; si elle est sèche, la récolte sera abondante dans les terres fortes, parce qu’elles retiennent l’humidité dans leur intérieur ; ainsi, tout en général est relatif.

Pour avoir une idée claire de la nature du terrain que l’avoine exige, il suffit de considérer que ses racines tallent beaucoup ; & que toutes circonstances égales, on ne parvient à avoir de superbes récoltes, qu’autant que les racines ont beaucoup tallé : dès lors une terre maigre & dure ne lui convient pas ; la terre argileuse est dans le même cas ; mais pour que les racines tallent ainsi qu’il convient, la terre doit donc avoir été profondément labourée, & souvent labourée & bien amendée. (Voyez ce mot)

Voilà pour la perfection.

Il sembleroit résulter de ce qui vient d’être dit, que l’avoine doit toujours être semée dans un bon terrain. Cette manière de raisonner, vraie dans le fond, seroit dangereuse pour les conséquences, puisqu’il en résulteroit l’abandon des mauvais terrains, & peu à peu ils seroient convertis en friches. Il y a un milieu par-tout ; il vaut mieux avoir une récolte médiocre que rien du tout, & même n’avoir que deux ou trois pour un, s’il reste encore du bénéfice lorsque les frais sont prélevés.

Je distingue dans les terrains maigres ceux qu’on ne cultive en avoine que tous les trois ou quatre ans après les avoir écobué, (voyez ce mot) & quelques fois même après cinq ou six ans ; telles sont les pentes des montagnes où la terre a peu de fond, &, ceux qu’on laisse en jachère pendant une année pour les ensemencer l’année suivante.

Je préférerois dans le premier cas, au lieu d’écobuer, de donner chaque année après l’hiver, & lorsque le tems est bien assuré, un léger labour avec la charrue à versoir, afin d’enterrer les herbes ; elles pourriront, & leur décomposition produira la terre végétale, seul principe actif comme terre, pour la végétation. De nouvelles plantes végéteront ; elles seront plus vigoureuses que celles qui les ont précédées, & à leur tour elles serviront de nourriture à celles qui leur succéderont. Le produit dédommagera-t-il des frais d’un labour pendant chaque année ? Oui sans doute, & ce produit sera beaucoup plus fort que celui qu’on retire après l’écobuage. Si on compare la dépense qu’entraîne l’écobuage avec celle de deux ou de trois labourages dans des années différentes & aux momens perdus, on verra que le tout revient au moins au même & par la méthode que je propose, fondée sur l’expérience & sur les loix de la végétation, il est démontré que la récolte sera au moins du double plus forte. Le grand art & le seul de l’agriculture, est de multiplier cette terre végétale soluble dans l’eau.

Chaque année on donnera un labour plus profond que celui de l’année précédente, parce que les racines des plantes auront pénétré plus profondément dans la terre ; de sorte qu’au moment de semer, ce terrain auparavant si maigre, si dépouillé de principes, équivaudra à un terrain léger & bien amendé.

Dans le second cas, il seroit plus avantageux aussitôt après que l’avoine est coupée, d’enterrer le chaume par un labour, que de le brûler sur place, ainsi que cela se pratique dans quelques cantons, ou de l’arracher pour le faire pourrir ensuite sous les bestiaux. Lorsqu’on le brûle, on ne rend à la terre qu’une partie de la portion saline & terreuse, tandis que lorsqu’on l’enfouit, cette partie saline est conservée ainsi que la portion huileuse que le feu fait évaporer. (Voyez le mot Cendre) Arracher le chaume & le porter sous les bêtes, le rapporter ensuite converti en fumier, le répandre sur le champ, sont autant de main-d’œuvre qu’on économise par un seul labour, toujours très-utile au sol, puisque suivant le proverbe, labour d’été vaut fumier. Le soleil a le tems de pénétrer la terre, de faire fermenter les principes qu’elle contient, de les atténuer par sa fermentation & de les combiner ensuite. Labourez de nouveau avant l’hiver, aussi profondément que vous le pourrez : l’effet de la gelée est de soulever la terre, de l’émietter par les dégels & de la rendre perméable à l’eau, à l’air, &c. Lorsqu’au printems suivant la terre sera couverte d’herbes bien fleuries, labourez, ensevelissez les herbes ; & suivant le climat que vous habitez, labourez en automne pour semer ou en Février ou en Mars si le pays est sujet aux grandes gelées du mois de Janvier, ainsi que nous le dirons bientôt.

Le moyen que je propose rend utile l’année de jachère. (Voyez ce mot) Que prétend-on opérer par le repos d’une année ? C’est, répond-on, laisser la terre recouvrer les sucs qu’elle a perdus pour substanter la récolte. D’où tire-t-elle les nouveaux principes ? de l’air, de la chaleur, de la lumière du soleil, des pluies, de la neige, &c. mais la terre préparée ainsi que je l’ai dit, n’est-elle pas bien plus dans le cas de s’approprier les substances élémentaires, puisque ses pores sont plus ouverts, & sur-tout, disposés à une appropriation plus directe au moyen des plantes qui pourrissent & fermentent dans son sein ? Ce n’est pas le cas d’entrer ici dans de plus grands détails.

La troisième méthode d’alterner avec l’avoine est défectueuse. La racine du blé talle, celle de l’avoine talle davantage, & toutes deux s’enfoncent à peu de chose près aussi profondément ; de sorte que toutes deux épuisent les sucs de la superficie, & laissent intacts ceux de la couche inférieure. Ne vaudroit-il pas mieux, après avoir semé le blé en Octobre, par exemple, semer sur ce blé en Février ou en Mars, suivant le pays, du trèfle ? (Voyez ce mot) Le blé coupé, le trèfle végétera, donnera dans la même année une ou deux coupes, & trois ou quatre l’année suivante si la saison est favorable. Il résultera de cette diversité de semences, que les racines du trèfle qui pivotent, se nourriront des sucs de la couche inférieure, & laisseront ceux de la couche supérieure. Aux trèfles on peut substituer la luzerne, les raves, les navets, les carottes, les lupins, si le terrain est maigre. (Voyez ce mot)

Toute espèce d’avoine en général, effrite trop la terre ; c’est dommage de sacrifier des terres à froment pour leur culture. Une récolte passable de froment & même de seigle, vaut mieux que la plus superbe récolte d’avoine.

Un autre abus aussi destructeur, est de penser qu’un, ou tout au plus deux légers labours, suffisent pour l’avoine. Plus la terre est pauvre en principes, plus elle demande à être préparée.

Le troisième abus consiste à refuser des engrais à ces terres. Alors quelle récolte prétend-on avoir ? Les tiges seront éparses çà & là, les épis lâches & maigres, & le grain aride, sec, & ne contenant que du son. Voilà le produit, il valoit autant ne pas cultiver.

Un bon ménager ne sacrifie jamais ses terres à froment pour l’avoine ; il vaut mieux vendre son blé & acheter du grain pour la nourriture des bestiaux ; le bénéfice est clair & bien décidé. Heureux celui qui dans ses possessions n’a point de sol de médiocre qualité.

Quelques personnes ont été jusqu’à dire que le blé venoit très-beau après l’avoine, que cette plante divisoit le terrain ; cela est vrai si on la sème dans un terrain nouvellement défriché, & dont le grain est compacte & serré ; mais dans pareille circonstance, j’aurois mieux aimé semer de l’orge ; l’opération mécanique de l’émiettement de la terre auroit été la même, & la valeur du produit du grain auroit doublé.

Il faut conclure de ce qui vient d’être dit, 1o. qu’il n’y a aucune économie à sacrifier de bonnes terres pour la culture de l’avoine ; 2o. qu’elle appauvrit beaucoup la terre ; 3o. que les terrains légers lui conviennent si la saison est favorable ; 4o. que sa récolte est médiocre dans les terres argileuses, à moins que l’année ne soit séche ; 5o. que lorsque l’on veut semer sur un sol pauvre, il vaut mieux labourer à plusieurs reprises que d’écobuer ; 6o. enfin, que dans toutes les circonstances quelconques, il est essentiel d’enterrer le chaume aussitôt après la récolte, & d’enterrer les herbes aussitôt après qu’elles ont passé fleur, afin de multiplier le terreau ou terre végétale.

IV. Du tems de semer & comment on doit semer. Ici tout est relatif à la hauteur du climat que l’on habite, à l’intensité de la chaleur & du froid, à la durée de l’un ou de l’autre, &c. Il est clair, par exemple, que sur la grande chaîne des montagnes des Alpes qui commence à Vence, borde le Dauphiné, traverse la Savoye, va se confondre avec celles des Monts-Jura, de Franche-Comté, delà avec les Vosges de Lorraine ; (Voyez Pl. 6. p. 267, tom. I.) il est clair, dis-je, que la neige, les gelées, feroient périr le grain en terre si on semoit avant l’hiver. Ainsi le mois de Février, qui sert d’époque pour la plus grande partie du royaume, est une époque nulle pour ces pays hauts & montagneux, où l’on peut, tout au plus, commencer à ouvrir la terre à la fin de Mars ou dans le mois d’Avril. Cette époque est l’extrême ; mais chacun en prenant une graduation relative à son pays, découvrira la véritable époque à laquelle il doit semer.

Prenons actuellement un exemple dans un climat tout opposé : la Basse-Provence, le Bas-Dauphiné, & le Bas-Languedoc, vont le fournir. La chaleur du climat oblige de semer du 15 Octobre au 15 Novembre. Si l’on attendoit le mois de Février ou de Mars, le grain ne produiroit qu’une tige, parce que la chaleur avanceroit trop sa végétation, & la plante se hâteroit de monter en épi. Les pluies sont très-rares pendant ces deux mois, au lieu qu’en semant à la fin de Septembre, les racines ont le tems de travailler pendant les mois d’hiver, ordinairement assez tempérés, & il en sort des drageons multipliés qui donneront des tiges. De ces deux extrêmes venons aux climats intermédiaires.

On ne risque rien de semer avant l’hiver dès qu’on ne craint pas que les terres soient inondées, ou que la rigueur du froid fasse périr la plante. Toutes circonstances étant égales, il est constant que l’avoine d’hiver donne une récolte, & plus belle & plus sûre que celle des avoines semées en Février ou en Mars, qu’on nomme avoines printanières. Les racines ont travaillé pendant l’hiver, elles ont acquis de la force, de l’embonpoint, & les tiges en profiteront, à moins que les effets des météores ne s’y opposent ; dès lors on est sûr d’avoir un grain mieux nourri & plus abondant, surtout parce qu’il aura plus de moyens pour résister aux chaleurs & à la sécheresse du printems & de l’été.

Dans la majeure partie des cantons qui avoisinent Paris, on sème en Mars & même jusqu’au milieu d’Avril, parce qu’il y pleut souvent ; dans la Basse-Normandie, du côté de Rouen, on est dans le même cas ; ainsi les semailles tardives y réussissent. Cet exemple ne doit pas influer sur les autres provinces, à moins que certains cantons ne soient dans les mêmes circonstances. L’expérience a donné lieu à ce proverbe, plutôt en terre, plutôt hors de terre, & on ne doit pas oublier celui-ci, avoine de Février remplit le grenier. Il faut donc profiter, autant qu’on le peut, des premiers jours aussitôt que le froid est passé, & que la terre est en état de recevoir la semence pour semer les avoines.

Comment faut-il semer ? Je demande qu’on me pardonne de citer souvent des proverbes. Ces expressions, ou ces sentences n’auroient pas passé en proverbe si elles n’étoient pas fondées sur l’expérience & sur la vérité. Il faut un homme alerte pour semer les avoines, & un homme lent pour semer l’orge, c’est-à-dire, qu’il est absurde de semer l’orge aussi dru que l’avoine ; il est aisé de sentir sur quoi ce proverbe est fondé, si on considère combien un pied d’avoine est garni de chevelus. Les pieds, trop près les uns des autres, s’épuiseront mutuellement. Semez donc clair, & ne perdez jamais de vue ce proverbe, qui sème dru récolte menu, qui sème menu récolte dru. Cependant, dans beaucoup d’endroits, on sème un sixième de plus d’avoine que d’orge.

J’ai vu dans plusieurs provinces du royaume, une manière de semer l’avoine qui me paroît abusive. Je parle des semailles de Février, de Mars ou d’Avril. On a donné avant l’hiver plusieurs labours, & depuis le dernier, jusqu’à celui du moment de semer, la terre a eu le tems de se resserrer par l’effet des pluies. Le labour que l’on va donner pour semer ne produira donc pas autant d’effet que s’il avoit été précédé d’un autre labour un mois auparavant, si la gelée ou la trop grande humidité n’empêchent pas de travailler la terre. C’est jusqu’à présent le moindre mal.

Sur cette terre durcie & tapée par les pluies, on répand le fumier, on sème le grain & on laboure par-dessus, de manière que le labour doit enterrer & le fumier & le grain. Cette méthode a deux défauts essentiels. 1o. Jamais tout le fumier n’est enterré, quelqu’habile que soit la main du laboureur ; les principes du fumier non-enséveli sont perdus, au moins dans leur majeure partie ; la chaleur du soleil les desséche, fait évaporer leurs principes, & il ne reste plus qu’une paille séche & aride. J’en ai fait l’expérience chimique. 2o. Une partie du grain est trop enterrée, & l’autre reste sur la surface du sol & sert de nourriture aux oiseaux, aux mulots, &c. Pourquoi ne pas semer sur les sillons mêmes, & ensuite passer la herse ? (Voyez ce mot) Il est surprenant que cet instrument ne soit presque pas connu dans nos provinces méridionales.

Il existe presque partout deux autres abus plus nuisibles que les premiers. On sème l’avoine sans l’avoir passé à la chaux, ainsi qu’on le pratique pour les blés ; cependant ce grain est aussi sujet au noir ou charbon que le froment ; & l’on verra aux articles charbon & froment, les dangereux effets qui résultent des semences non chaulées.

Le second abus consiste à semer les avoines telles qu’elles sortent du grenier. J’ai eu la curiosité d’examiner cette avoine dans différentes provinces, de faire apporter un vase plein d’eau, d’y jeter, en présence du cultivateur, une ou deux poignées de ce grain. Le grain bien formé, bien nourri, se précipita au fond, & le grain mauvais resta sur la surface. Ce grain, mis à sécher pendant quelques jours, je l’ai semé ensuite avec beaucoup de précaution, & il n’en leva pas la centième partie. On verra dans l’article suivant d’où provient cette perte réelle.

Il n’est donc pas surprenant qu’il faille jeter en terre une très-grande quantité de grains, puisque la moitié de la semence est nulle, même avant d’être employée. Que faut-il donc faire ? Passer par l’eau toute la semence, & avec de larges écumoires lever tous les grains qui surnagent, les mettre sécher, les conserver & les donner aux oiseaux de basse-cour. Ils les nourriront peu, il est vrai, mais ils lesteront leur estomac, ce qui est un grand point.

Les bons grains seront, aussitôt après, sortis de l’eau & jetés dans une eau de chaux. (Voyez le mot Échauler) Après les avoir retirés de cette eau, mis à sécher, ils seront semés aussitôt après. Dès lors on sera sûr que tout grain enterré dans les proportions convenables, germera & donnera une belle plante.

Je conviens que je multiplie ainsi les manipulations ; mais leur prix est-il en proportion de la perte de presque une moitié franche de semence dans la terre, & dont cependant on peut tirer quelque parti, non-seulement pour les oiseaux de basse-cour, mais encore pour les bœufs, les chevaux ? &c. Ce grain vide, vaudra encore mieux que la paille ; le goût leur en plaira davantage.

Après que l’avoine est semée, & lorsque les mauvaises herbes commencent à paroître, il est absolument nécessaire de sarcler, & de sarcler toutes les fois qu’il en paroît ; ces mauvaises herbes dérobent la subsistance des bonnes plantes, & l’avoine est celle qui en a le plus grand besoin.

V. Du tems & de la manière de récolter l’avoine. On la cueille, ou un peu avant la maturité, ou à sa maturité ; on la coupe ou avec la faux ou avec la faucille. Ces objets méritent d’être examinés chacun séparément.

1o. Avant la maturité complette. L’avoine s’égrène aisément ; donc pour ne rien perdre, il faut la couper avant qu’elle soit bien mûre. Combien ce sophisme n’est-il pas préjudiciable au cultivateur ? Je conviens que si on attend sa maturité il y aura du grain perdu. Évaluez cette perte ; à la rigueur ce sera un quart : mais quand votre avoine, cueillie avant sa maturité, aura été battue, bien séchée & prête à mettre dans le grenier, c’est le cas de se servir du vase plein d’eau dont on a parlé, & vous verrez qu’il y aura une perte de moitié ou au moins d’un grand tiers. Si vous faites cette expérience cinq ou six mois après, la perte sera encore plus frappante, parce que le grain aura eu le tems de bien sécher.

2o. À sa maturité. Tant que les tiges sont encore vertes, & que cette couleur tire sur le blanc, le moment de la couper n’est pas encore venu ; il faut que la feuille soit complétement fanée, & la couleur de la tige doit être d’un jaune doré.

Si vous craignez de perdre du grain, en raison du tems qui s’écoule depuis le moment où l’avoine est mûre jusqu’à celui où elle sera mise à bas, prenez un plus grand nombre de moissonneurs, & l’ouvrage sera plutôt fini. Je multiplie, il est vrai, la dépense apparente, mais je conserve les produits qui excédent cette dépense. Toute moisson traînante, toute vendange trop long-tems continuée, sont une perte réelle pour le cultivateur. Cette maxime mérite d’être mûrement réfléchie. Ne vaut-il pas autant faire dans quatre jours, avec plus d’ouvriers, ce que l’on fait dans huit avec la moitié moins. Grain serré vaut mieux que grain sur pied. En effet, chaque jour le cultivateur tremble que le bien dont il est au moment de jouir, ne soit enlevé par une grêle, ou renversé avec sa tige par un orage, par des pluies, & ces exemples sont malheureusement trop communs. Qu’il est douloureux pour une ame sensible d’être le témoin des angoisses perpétuelles qui agitent le fermier ! Le moindre vent, le plus léger nuage, tout en un mot excite ses craintes & ses alarmes ; mais qu’il est consolant, après que ses greniers sont pleins, de voir l’air de joie & de contentement peint sur son visage ! Il mesure des yeux la masse des grains, sourit à sa vue, & il dit à ses enfans : Voilà notre ouvrage, & la juste récompense de nos peines & de nos travaux ; labourons de nouveau afin que la récolte de l’année prochaine soit aussi abondante.

3o. De la coupe à la faux. Il y a deux espèces de faux, l’une simple, & c’est celle dont on se sert pour les foins, & la même faux accompagnée de sa garniture, (voyez le mot Faux) & les différentes espèces connues en France ou ailleurs.

Le travail à la faux simple est plus expéditif que celui de la faucille ; celui de la faux armée a l’avantage sur la faux simple de ranger les épis & de les étendre par terre tous également sur une ligne droite, de manière qu’il est facile de les javeler, & l’opération est très-prompte.

Toute espèce de faux a le désavantage de scier par saccade, & le contre-coup fait beaucoup égrener. Afin d’éviter cet inconvénient, on est tombé dans un plus considérable, celui d’être forcé de couper l’avoine dès que la couleur des tiges est changée du verd au blanc, ou au jaune très-pâle, & il en résulte que le grain n’est pas assez mûr, &c.

4o. De la coupe à la faucille. Pourquoi coupe-t-on le froment à la faucille ? parce qu’on ne le donne à couper aux moissonneurs que lorsque l’épi & la paille ne tirent plus aucune subsistance de la terre, & lorsque le grain ne commence plus à être si étroitement serré dans les enveloppes qui lui ont servi de berceau, & l’ont défendu contre les intempéries des saisons. Il est formé, il est mûr ; la tige & l’épi ne concourent plus à sa conservation. D’une main, le moissonneur tient une poignée de tiges, & de l’autre, en décrivant un cercle avec la faucille, il coupe ces tiges, sans contre-coup & sans secousse, & le grain reste renfermé dans sa balle. Il en arriveroit autant au grain d’avoine si on employoit la faucille ; malgré cela, dans les provinces où l’on se sert de la faucille, on a la fureur de couper les avoines trop vertes.

Les avoines coupées un peu vertes, restent couchées sur la terre afin de s’imprégner de la rosée, des pluies, &c. le grain se charge d’humidité, se gonfle, renfle, il paroît bien nourri, pesant, & il ne contient presque que de l’eau. C’est la raison pour laquelle les avoines nouvellement battues sont nuisibles aux animaux, ce qui sera prouvé ci-après.

S’il survient des pluies, le grain renfle davantage ; la paille, si utile pour la nourriture des bœufs, s’altère ; il faut javeler, mettre les javelles en gerbier, la masse s’échauffe, & le grain mûr germe ou pourrit. Si au contraire l’avoine avoit été coupée à sa maturité, on l’auroit presqu’aussitôt javelée, presque aussitôt mise en gerbier, & on n’auroit eu à craindre ni la germination ni la pourriture. Le grain ferme, noir & plein, auroit été plus propre à être long-tems conservé. Voilà comme par une simple opération, faite à propos, on obvie à tous les inconvéniens.

Dès que les gerbes ou javelles sont séches, elles sont en état d’être battues, ou d’être mises en gerbier, si les circonstances l’exigent. La seule précaution à prendre est d’attendre leur parfaite dessiccation, sans quoi elles s’échaufferoient, & le grain & la paille seroient viciés.

VI. Des soins que l’avoine exige dans le grenier. Plus l’avoine aura été coupée ou fauchée verte, plus il est dangereux de l’amonceler, ou de la fermer, surtout si on a eu la manie de laisser pendant long-tems la plante exposée sur terre aux rosées ou à la pluie. Le bon grain, le grain vraiment farineux, est imbibé d’eau ; il contient une portion sucrée ; le suc uni à l’eau est susceptible de fermentation, surtout quand elle est aidée par la chaleur de la saison. Le grain s’échauffe, & même il germe ; bientôt tout le monceau éprouve une chaleur considérable, & la partie farineuse est consumée en pure perte. On a vu, en 1769, un fermier de Neuilli, près Joigny, après avoir battu ses premières avoines, les mettre dans un coin de sa grange en un seul tas, & après avoir récolté à part celles qui n’avoient pas été mouillées dans les champs, & qu’il se proposoit de semer, les jeter sur le premier monceau ; il crut ne rien risquer en entassant ces dernières sur les premières, & il est arrivé que la chaleur des avoines de dessous a consumé le germe des bonnes avoines qui étoient dessus, & en a détruit la fécondité, sans qu’il parût à l’extérieur aucun changement au grain. Si l’avoine supérieure a été détériorée dans sa substance au point de ne pas germer après avoir été semée, combien n’a donc pas été plus terrible la détérioration de l’avoine inférieure ? Il y a plus, ce grain est devenu une nourriture très-dangereuse pour les animaux.

Les grains vides, ou au quart ou à demi-pleins, sont également susceptibles de la fermentation, peut-être même davantage que les grains bien farineux. Écrasez sous les dents un grain bien nourri, bien sec, vous aurez beau le triturer, il ne laissera sur la langue aucun goût sucré ; mais mâchez un semblable grain au moment qu’il germe, le sucre sera développé au point d’y être très-sensible. Ce n’est pas tout : aussitôt que la fleur sera tombée, la plante étant sur pied, aussitôt que le grain sera noué & bien formé, écrasez-le sous vos dents, & vous y trouverez le même principe sucré que dans la germination, & la partie farineuse qui doit l’absorber dans la suite, & se le combiner, ne sera pas encore formée, de manière que le principe sucré reste, pour ainsi dire, à nu dans la balle. Au mot Fermentation, on verra comment agit le principe sucré pour la produire.

Il faut conclure, d’après ces points de faits, que ce grain, à demi-formé, est très-susceptible de fermenter, sur-tout, lorsqu’il a resté long-tems exposé à la rosée dont il s’est approprié une partie considérable, & combien il est dangereux de fermer l’avoine & de l’amonceler avant sa complète dessiccation.

C’est une erreur, & une erreur malheureusement trop généralement accréditée, de penser que l’avoine, une fois rangée dans le grenier, n’exige plus aucun soin. Pour prouver cet abus, prenons deux exemples dans des climats bien opposés ; dans ceux de Flandre, de Normandie, de l’île de France, &c. il pleut beaucoup, & il y règne une humidité continuelle, au moins pendant six mois de l’année, & elle pénètre dans les greniers. Plus un corps est poreux & sec, plus il attire l’humidité, la conserve, & c’est le cas de l’avoine ; mais si les murs du bâtiment sont construits avec du plâtre, suivant l’usage presque général de plusieurs provinces, l’humidité sera bien plus forte, parce que le plâtre travaille toujours. Prenez, par exemple, une livre de plâtre en poudre, & supposons qu’il faille demi-livre d’eau pour le gâcher ; la masse totale sera à peu de chose près d’une livre & demie, lorsqu’il aura été gâché & qu’il se sera cristallisé ; donnez-lui le tems de perdre l’eau surabondante à sa cristallisation, supposons pendant un mois d’été ; prenez ensuite cette masse, pesez-la exactement, tenez-la suspendue dans un grenier, & pesez-la de 15 en 15 jours pendant un an ou deux, & vous verrez que son poids sera augmenté ou diminué, en raison de l’humidité actuelle de l’atmosphère. Or, si cette masse qui représente des murs construits en plâtre, attire l’humidité, ces murs doivent donc la communiquer au monceau d’avoine qu’ils touchent, & l’avoine l’attirer puissamment. Ce n’est pas encore le seul défaut du plâtre ; il forme du nitre sur la superficie, soit intérieure, soit extérieure des murs, & chacun sait combien ce nitre attire puissamment l’humidité de l’air, puisqu’il y tombe en déliquescence, ou bien, il se cristallise de nouveau, si un courant d’air sec fait évaporer l’eau surabondante à sa cristallisation.

Pour obvier à ces inconvéniens, un propriétaire attentif fera garnir les murs avec des planches, ainsi que le sol sur lequel repose le monceau d’avoine.

Sur une étendue de près de quatre cent lieues, la mer baigne nos côtes, & il s’élève, de tems à autre, des vents qui entraînent une si grande humidité, que tous les bois des portes, des fenêtres, &c. s’enflent de manière qu’on ne peut plus les ouvrir ni les fermer ; l’eau ruisselle sur les murs intérieurs des bâtimens, le linge est sans consistance & ressemble à du chiffon, le papier le mieux collé laisse percer l’encre, &c. Or, si cette humidité, assez commune pendant l’hiver, le long des côtes de la méditerranée, agit avec tant de puissance sur les bois, comment n’agira-t-elle pas sur l’avoine ? À cette époque, pesez une livre de grain, repesez-la quinze jours après, & vous jugerez de la grande disproportion de son poids. Le seul bon sens démontre la nécessité de remuer souvent l’avoine, de lui faire changer de place aussi souvent qu’au blé, & sur-tout de la tenir dans un lieu sec où règne un grand courant d’air pour dissiper l’humidité ; l’avoine s’en conservera mieux, elle sera alors une nourriture saine pour les animaux, & ils seront sujets à beaucoup moins de maladies.

En agriculture le chapitre des abus est plus étendu que celui des pratiques utiles. C’est au propriétaire que je vais parler : si vous voulez conserver de l’avoine ou pour les semences, ou pour la nourriture de vos animaux, ne la semez jamais sans l’avoir laissé sécher au soleil pendant plusieurs jours, faites-la rigoureusement vanner & cribler, afin de la dépouiller de toute terre, de toute poussière, de toute paille ou balle inutiles, enfin qu’au moment de la porter au grenier, elle soit nette & propre comme le plus beau froment. Servez-vous du moulin à crible ; tout grain mal formé sera chassé au loin, & l’avoine restera nette : avec ces précautions, elle craindra bien moins les effets de l’humidité. Ne vous en rapportez pas à vos valets, leur imagination, trop bornée, ne conçoit pas l’importance de ces petits détails, ou bien leur négligence ou leur insouciance s’y opposent. Il n’est pour voir que l’œil du maître.

VII. De la paille d’avoine considérée comme fourrage. Il y a trois manières de la faire manger aux animaux : ou en verd, ou coupée aussitôt que le grain est formé, & séchée ensuite ; enfin, après avoir retiré le grain, lorsqu’elle a été battue.

1o. De la paille en verd. Cette nourriture plaît beaucoup aux animaux, ils en sont friands au point que si on leur en donnoit à discrétion, ils en seroient incommodés. Elle contient beaucoup d’air surabondant, ou de végétation ; cet air se dégage dans leur estomac, se distend souvent au point de leur occasionner une tympanite, (voyez ce mot) de suspendre toutes les fonctions vitales ; si, au contraire, on leur en donne modérément, cette nourriture leur tient le ventre libre & même les purge doucement ; l’animal reprend ses forces, & l’on est presqu’assuré qu’il supportera les grosses chaleurs de l’été sans en être incommodé.

Le tems de couper cette avoine est marqué par la fleuraison ; dès qu’elle est cessée, dès que le grain est encore tout lait sucré, il faut l’abattre, & ce seroit encore mieux si chaque jour on coupoit la paille que les animaux peuvent consommer. Ce n’est pas le cas de la leur donner aussitôt qu’on l’apporte du champ, il faut un peu la laisser flétrir, autrement il seroit à craindre que cette nourriture leur donnât le dévoiement ; il est bon de leur tenir le ventre libre, mais non pas dévoyé.

La quantité à donner se règle sur le volume de l’animal, sur son plus ou moins d’appétit habituel, &c.

2o. De la paille coupée en verd & mise ensuite à sécher. L’époque pour couper cette avoine est la même que la précédente ; avec cette différence cependant, que moins pressé par le besoin, on peut choisir un beau jour, & attendre que tous les grains soient à peu près formés également.

Cette paille ou ce foin-paille offre une ressource très-précieuse aux provinces méridionales qui manquent de fourrages naturels. Il y a plus, le foin-avoine vaut beaucoup mieux que le foin naturel ; la raison est évidente. Quel est le tems où les plantes ont le plus de sucs & le plus de principes, sinon celui où, de concert avec la nature, elles réunissent tous leurs efforts afin de donner la vie, l’accroissement & la perfection à l’individu qui doit reproduire son espèce ? Le moment où le grain est fécondé, est le moment le plus vigoureux de la plante ; un seul coup d’œil suffit pour s’en convaincre : mais si vous voulez avoir une conviction encore plus intime, mâchez une tige d’avoine avant l’époque de la fleuraison, mâchez-la quand le grain est formé, enfin mâchez-la lorsque le grain est mûr ; vous y trouverez dans le premier cas, un goût d’herbe & beaucoup d’eau ; dans le second, moins de goût d’herbe & plus de goût sucré ; enfin, dans le troisième, point d’eau ou très-peu d’eau, plus de goût d’herbe & très-peu de goût sucré. Faites germer le grain après sa maturité, la partie sucrée s’y manifestera de nouveau, parce que la nature prodiguoit ce principe doux & sucré, seulement pour perfectionner le grain.

Il resulte donc de ce qui vient d’être dit, que tout le principe sucré est développé dans la plante au moment que le grain est noué ; que ce principe est répandu dans les vaisseaux de la plante, & qu’elle est par conséquent dans l’état le plus nourrissant.

Toutes les plantes graminées sont sucrées du plus au moins ; & si on vouloit on en retireroit un sucre aussi parfait, chacun dans leur genre, que celui produit par la canne à sucre d’Amérique & les pays chauds. Ce principe est aujourd’hui tellement démontré, qu’il n’est plus possible de le révoquer en doute.

Si on compare actuellement le foin naturel au foin-avoine, la différence sera frappante. On cueille le premier lorsque la graine est mûre ; dès-lors les tiges n’ont presque point de principe sucré, & même plusieurs n’en ont plus. Si actuellement nous considérons les différentes espèces de plantes qui croissent dans les prairies naturelles, nous verrons que la moitié franche, au moins, n’appartient pas à la famille des graminées. La fonction de ces plantes surnuméraires, est de lester l’estomac des animaux, & le lest, quoique essentiel, n’est pas une nourriture. Le foin-avoine, au contraire, leste & nourrit tout à la fois.

3o. De la paille seule après que le grain en a été séparé. Cette paille n’est point aussi nourrissante que la précédente, & on a vu pourquoi elle ne l’étoit pas ; cependant les bœufs la préfèrent à toutes les autres pailles, & les chevaux la mangent avec plaisir ; elle entretient dans les uns & dans les autres, une chair ferme, une respiration libre, une bonne activité. Le foin pur, au contraire, les rend lourds, paresseux, suants au moindre travail ; & ils le deviendront encore plus, si à l’exemple du Hollandois, du Flamand, &c. on leur donne le marc de la bière ; ils seront gras à pleine peau, toutes leurs formes bien arrondies, en un mot, de beaux chevaux de parade. De là est venu le proverbe : cheval de paille, cheval de bataille ; cheval de foin, cheval de rien. Il importe peu que ce proverbe soit en mots choisis, pourvu qu’ils expriment clairement ce qu’on veut dire.

Il y a une très-grande différence à faire entre les pailles quelconques des provinces méridionales du royaume, & celles des provinces du nord. Les premières sont infiniment plus nourrissantes, plus sucrées ; les grains à poids égal donnent beaucoup plus de farine ; ce point de fait sert de modification à ce que je viens de dire. Si on demande d’où provient cette différence si frappante, il est aisé de voir qu’elle provient de l’intensité de la chaleur habituelle ; son plus grand degré d’activité élabore mieux les sucs, ils sont moins délavés & délayés dans l’eau de végétation ; les conduits séveux plus étroits, & par conséquent la sève est plus épurée.

VIII. Analyse du grain d’avoine. Quoique toutes les plantes graminées se ressemblent entr’elles par la nature des principes qui les constituent, ils varient cependant, relativement à l’état & à la quantité où ils s’y trouvent. L’avoine contient plus d’écorce que de farine. Analysée à froid par le moyen de l’eau, on obtient une matière sucrée, beaucoup de substance extractive, dont l’odeur est comparable à celle de la vanille, & peu d’amidon. (Voyez ce mot) Analysée avec le secours du feu, ses produits, à la cornue, sont une huile épaisse, de l’acide coloré, & de l’alcali volatil. Nous devons cette analyse à M. Parmentier. Ce respectable citoyen, uniquement occupé du bien public, a successivement fait imprimer un Traité complet sur la fabrication & le commerce du pain,… Avis aux bonnes ménagères sur la meilleure manière de faire le pain,… Analyse chymique du blé & des farines… Examen chymique des pommes de terreLa manière de faire du pain avec les pommes de terre seules ; & tout récemment, Recherches sur les végétaux, qui, dans les disettes, peuvent remplacer les alimens ordinaires… Traité de la châtaigne, &c. Quel citoyen mérita plus que lui la couronne civique ? Ob cives servatos.

IX. Du grain d’avoine considéré relativement à la nourriture des animaux. Le propriétaire qui vend le grain d’avoine dont la paille a été un peu verte, trompe l’acheteur, & l’acheteur est volontairement sa dupe, si avant de conclure le marché, il n’a pas fait l’épreuve de l’eau ; elle lui apprendra au juste combien une mesure donnée renferme de bons grains & combien de grains vides. Ce n’est pas tout, il faut remettre la conclusion du marché à quelques jours après, emporter avec soi une poignée de grain, la peser en arrivant au logis, & la laisser quelques jours au soleil : cette épreuve dissipera l’eau surabondante qui ballonnoit le grain, & indiquera, en le pesant de nouveau, la différence réelle de ses deux états ; dès-lors on sera assuré de la quantité du grain qui doit se trouver dans une mesure. Combien de vendeurs arrosent leur avoine quelques jours avant de la livrer ! Combien d’acheteurs la trouvent bonne parce qu’elle est pesante !

Avant de donner l’avoine aux animaux, il faut qu’elle soit bien séche, qu’elle ait sué son eau de végétation, sans quoi elle leur est plus nuisible que profitable. Quelle qualité delétère ne doit donc pas avoir une avoine mouillée sur le champ, tenue à l’humidité dans le magasin ? &c. Il en est ainsi du foin naturel, du foin-avoine, &c. Le mieux est de ne s’en servir que trois mois après la récolte.

Toutes les fois que le palefrenier donnera l’avoine, ayez soin de la faire cribler, afin de la purger de tous les corps inutiles ou étrangers. Le crible en séparera sur-tout une poussière fine & une espèce de duvet qui picotte & s’attache au gosier de l’animal. Il doit être mené à l’abreuvoir, ou abreuvé à l’écurie avant de manger l’avoine. Ce grain le nourrit, ranime ses forces, le tient en haleine & dispos pour le travail. Il est assez inutile de lui en donner lorsqu’il ne travaille pas, ou du moins, il convient d’en diminuer la quantité, surtout aux bœufs.

En examinant les grains d’avoine dans les excrémens des chevaux qui s’en sont nourris, on apperçoit que la plupart sont encore dans un état d’intégrité. Les excrémens des bœufs & des vaches n’en présentent aucuns, parce que dans la rumination, il les ont broyés exactement. Ces grains dans les excrémens du cheval sont gonflés par l’humidité, & cette humidité leur donne une forte propension à germer pour peu que les circonstances le permettent. Ce qui prouve bien que ce grain est peu altéré, & qu’il a peu perdu de sa qualité alimentaire, c’est l’avidité des poules, des oiseaux, à fouiller ces excrémens afin de les manger ; ce qui suffiroit pour démontrer combien l’usage de donner le grain entier aux animaux est abusif.

Cette observation faite dans différens pays, a donné naissance à la publication de plusieurs méthodes, pour remédier à l’inconvénient dont il s’agit.

Les uns ont proposé de faire moudre l’avoine, & de la donner ainsi aux animaux ; les autres ont prétendu qu’il falloit la convertir en pain ; enfin, quelques-uns ont indiqué de la faire macérer dans l’eau quelques heures avant de la donner à manger ; mais ne seroit-ce pas un autre abus que de trop favoriser la digestion d’une nourriture qui doit être très-solide, pour exercer suffisamment les jeunes estomacs ? Ces méthodes conviendroient plutôt aux vieux animaux, qui, ne pouvant exécuter une bonne mastication, rendent presque tous les grains tels qu’ils les ont avalés.

On nourrit toutes sortes de volailles, & les cochons avec ce grain. Il rend le lard doux, & d’un goût excellent ; si on a l’attention de donner aux cochons un peu de pois à la fin de ce régime avant que de les tuer, le lard en est plus ferme. L’avoine augmente considérablement le lait des vaches & des brebis, & le lait en est plus gras. Les Espagnols pensent qu’il seroit plus sage de donner l’orge aux bêtes, & de garder l’avoine pour l’homme.

X. Du grain considéré relativement à la nourriture de l’homme. L’avoine moulue comme le blé, fournit une farine avec laquelle on fait du pain. Il est très-compacte, foncé en couleur, amer, & malgré cela, il n’en fait pas moins la nourriture principale des malheureux habitans de nos montagnes : tous les paysans du nord de l’Angleterre & de l’Écosse, n’ont pas d’autre pain, & ne boivent que de l’eau. Du lait, du beurre, du fromage, leur aident à supporter cette nourriture, & cependant, ils n’en sont pas moins sains, forts & vigoureux. La sobriété, l’exercice, le bon air & le lait, ne sont-ils pas les premières causes de leur bonne santé ? Nos ancêtres & les Germains, vivoient, au rapport de Pline, avec de la bouillie faite avec la farine d’avoine.

Le gruau est une avoine mondée & dépouillée de son écorce, & moulue grossiérement ; il est d’un très-grand usage en Bretagne pour la nourriture ordinaire. On le fait bouillir dans l’eau, ou dans du lait, ou dans du bouillon, ainsi que la farine, & en Angleterre on en fait des gâteaux.

En Hollande, en Allemagne, en Angleterre, l’avoine sert à faire de la bière qui est très-fine & très-délicate. Pourquoi ne l’emploie-t-on pas en France pour cet usage ?

La balle de ce grain est douce, souple, peu susceptible de prendre l’humidité, ce qui l’a fait choisir pour les paillasses des enfans au berceau ; elle sert souvent de matelas aux gens de la campagne.

XI. De ses propriétés médicinales. La semence nourrit légérement, tempère la soif & la chaleur dans les maladies inflammatoires & les fièvres aiguës avec sécheresse de la bouche, avec chaleur dans l’abdomen & ardeur des urines. Quelquefois elle calme la toux essentielle, la toux convulsive, l’asthme convulsif, le rhume catarral, la colique néphrétique occasionnée par des graviers, la diarrhée produite par des médicamens âcres.

Le gruau d’avoine, depuis demi-once jusqu’à deux onces, mis en décoction dans deux livres d’eau pendant demi-heure, & ensuite passé & édulcoré avec du sucre, forme une boisson légère & nutritive.

Plusieurs personnes regardent comme un fort bon remède, pour enlever la douleur de côté dans des fluxions de poitrine, l’avoine fricassée dans du vinaigre, & appliquée entre deux linges sur le côté malade. Les maréchaux la font bouillir dans du vin, & l’appliquent bien chaude sur les flancs des animaux qui ont des tranchées.

On la recommande cuite avec du beurre pour dessécher la gale de la tête.