Cours d’agriculture (Rozier)/AMIDON

Hôtel Serpente (Tome premierp. 503-505).


AMIDON. C’est une substance remarquable par sa sécheresse, sa blancheur, sa ténuité, son toucher froid, & un cri qui lui est particulier ; elle est indissoluble à froid dans tous les fluides, & se conserve un tems infini sans s’altérer, pourvu néanmoins qu’elle soit pure, & qu’on la tienne dans un endroit à l’abri de toute humidité.

L’ignorance dans laquelle on a été pendant long-tems sur la nature & la propriété de l’amidon, a donné lieu à beaucoup d’opinions à ce sujet. Grâce aux expériences modernes, il n’est plus permis de douter aujourd’hui que ce ne soit une gomme particulière, une gelée sèche, si l’on peut s’exprimer ainsi, répandue dans toutes les parties de la fructification des plantes, sans cesse indépendante de leur saveur, de leur odeur & de leur couleur. L’amidon de marrons d’inde n’a aucune amertume ; celui de pied de veau n’est pas caustique ; l’amidon de la bryoine n’est pas purgatif ; celui des iris est inodore ; enfin, l’amidon de la filipendule est sans couleur. Ainsi, tous ces amidons connus en médecine sous le nom impropre de fécules, ne possèdent aucunes propriétés médicamenteuses : ils sont nourrissans, & voilà tout.

On peut donc employer indistinctement les amidons sous différentes formes, sans qu’il soit possible d’y distinguer le végétal qui leur a servi d’enveloppe. Dans le cas même où ils présenteroient une légère variété, il faudroit l’attribuer au plus ou moins de lavages, plutôt qu’à une différence essentielle dans leur nature ; enfin, il est difficile aux organes les plus exercés de saisir la moindre trace du corps d’où ils ont été extraits.

De tous les grains farineux connus, le froment est celui qui contient le plus d’amidon ; l’opération par laquelle on parvient à l’obtenir, est fort simple : elle consiste à mettre dans des tonneaux nommés bernes, les recoupes, les gruaux & les grains eux-mêmes grossièrement moulus ; à ajouter ensuite de l’eau pour en former une espèce de bouillie, & suffisamment d’eau sure ou aigre, afin de déterminer plus promptement la fermentation qui doit s’y établir : bientôt le mélange augmente de volume, & la liqueur répandroit infailliblement, sans l’attention que l’on a de ne pas tenir le vase tout-à-fait plein ; alors l’amidon, dans l’espace de trois semaines ou un mois, suivant la saison & l’espèce de matière que l’on travaille, se dégage de ses entraves muqueuses & glutineuses ; on le sépare après cela, par le moyen du tamis, du son sur lequel il nage comme sur une nacelle, & il se précipite : l’eau aigre, devenue grasse, étant décantée, on y substitue de l’eau pure à diverses reprises pour le laver ; on le change ensuite de tonneaux : on le met dans des corbeilles à égoutter, & on le divise par morceaux pour le dessécher insensiblement à la chaleur d’une étuve.

L’amidon se dissout aisément dans l’eau chaude, & acquiert aussitôt la forme & la consistance d’une gelée transparente, connue sous le nom d’empois, dont l’usage est assez connu. Jeté sur les charbons ardens, il exhale l’odeur du caramel ; & soumis à la distillation à feu nud, il fournit de l’huile, de l’acide, & un charbon qui, incinéré, donne de l’alcali fixe ; propriétés qui rapprochent l’amidon de la nature du sucre, du miel, de la manne & des autres corps muqueux.

La méthode employée dans les atteliers pour obtenir l’amidon, prouve clairement que cette substance peut exister long-tems au milieu des corps en fermentation, sans s’altérer ; d’où l’on doit conclure que les grains détériorés à un certain point, sont encore propres à fournir leur amidon. On ne devroit donc consacrer à cet emploi que les blés gâtés ; mais les amidonniers, faute de pouvoir s’en procurer suffisamment, ne se servent souvent, pour cet objet, que des meilleurs grains.

L’amidon n’est donc point un produit de l’art comme on l’a prétendu ; il existe tout formé, non-seulement dans les grains, mais encore dans d’autres parties de plantes, où sa présence n’étoit point soupçonnée. L’indifférence avec laquelle on a traité les lies ou féces des végétaux exprimés, a toujours mis obstacle à ce qu’on vît que l’amidon étoit aussi universellement répandu dans la nature. Combien Sthal avoit raison, lorsqu’il disoit qu’on s’instruisoit plus en examinant les résidus, qu’en admirant les produits !

Persuadé que l’amidon est la partie principalement nourrissante des végétaux farineux, & que ces derniers sont d’autant plus alimentaires, qu’ils en contiennent une plus grande quantité, M. Parmentier n’a rien oublié pour mettre cette vérité dans le plus haut degré d’évidence. Cet auteur a inséré dans le dernier Ouvrage qu’il a publié sur les moyens de prévenir les disettes, deux listes de plantes incultes, dont la semence ou la racine contiennent de l’amidon. Ne pourroit-on pas, dans les tems d’abondance, faire servir ces plantes à la consommation de l’amidon ? Ce seroit au moins une économie pour l’état, qu’on ne permît pas d’autre amidon que celui-là, puisqu’on épargneroit une grande quantité de grains, qui serviroit avec plus d’avantage & d’utilité à la subsistance journalière de l’homme & des animaux.