Hôtel Serpente (Tome premierp. 525-Planche XVI).
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ÂNE. Si l’on reproche à cet animal domestique plusieurs vices dans le caractère, il les rachète par la grande utilité dont il est pour les habitans de la campagne. Cette bête de somme porte de grands fardeaux relativement à sa grosseur, & tire la charrue dans les terres légères. Que de secours on peut attendre d’un animal qui coûte si peu à nourrir ! aussi est-il la ressource des malheureux, qui ne peuvent pas acheter un cheval ou un mulet.

L’âne est du genre des solipèdes, c’est-à-dire que la corne de son pied est d’une seule pièce. Ses oreilles sont longues & larges, ses lèvres épaisses, sa tête trop grosse en proportion du corps, sa queue longue, & seulement garnie de poils à son extrémité ; sa voix est extrêmement forte, dure, désagréable à l’oreille ; il brait pendant un tems assez considérable, & recommence à plusieurs reprises. Cet animal est patient, dur au travail, & indocile. On ne peut ordinairement le faire marcher qu’à force de coups ; sa peau est si dure, qu’elle n’est sensible qu’au bâton : sa marche est très-assurée dans les chemins mêmes les plus mauvais, & au bord des précipices. S’il est quelquefois surchargé, il incline la tête & baisse les oreilles.

La plupart des ânes sont de couleur gris de souris. Il en est de gris argenté, de gris marqué de taches obscures, de blancs, de bruns, de noirs & de roux.

Proportions. La beauté de cet animal résidant dans le rapport & la convenance de ses parties, il faut de toute nécessité en observer les dimensions particulières & respectives. Pour acquérir la connoissance de ses proportions, prenons pour cet effet un âne de taille moyenne ; nous trouverons qu’il a quatre pieds six pouces de longueur, mesurée en ligne droite, depuis le sommet de la tête jusqu’à l’anus ; trois pieds quatre pouces & demi de hauteur, prise à l’endroit des jambes de devant, & autant des jambes de derrière ; un pied & demi de longueur dans la tête, du bout des lèvres entre les deux oreilles ; six pieds de longueur, depuis le bout du nez jusqu’à l’anus, pourvu que la tête soit bien placée ; un pied deux pouces de circonférence, prise du bout du nez entre les naseaux & les extrémités des lèvres ; neuf pouces d’une des commissures des lèvres jusqu’à l’autre ; un peu plus de distance dans le haut des naseaux que dans le bas ; dix pouces & demi de distance entre l’angle intérieur de l’œil & le bout des lèvres ; quatre pouces & demi entre l’angle extérieur & l’oreille ; un pouce cinq lignes de longueur d’un angle de l’œil à l’autre ; six pouces & demi entre les deux angles extérieurs, c’est-à-dire, au commencement du chanfrein ; deux pieds cinq pouces de circonférence, prise devant les oreilles, en dessous du gosier ; huit pouces & demi de longueur dans les oreilles, & cinq pouces de largeur dans leur base ; quatre pouces de largeur entre les deux oreilles ; un pied de longueur depuis la tête jusqu’aux épaules ; un pied onze pouces de circonférence près de la tête ; neuf pouces de longueur depuis la crinière jusqu’au gosier ; deux pieds trois pouces de circonférence près des épaules ; trois pieds huit pouces de circonférence dans le corps, prise derrière les jambes de devant ; quatre pieds cinq pouces dans le milieu, à l’endroit le plus saillant, & trois pieds neuf pouces devant les jambes de derrière ; un pied onze pouces depuis le bas ventre jusqu’à terre ; six pouces de circonférence à l’origine de la queue ; un pied deux pouces dans le tronçon ; onze pouces & demi depuis le coude jusqu’au genou ; neuf pouces de circonférence dans cette même partie ; six pouces de longueur dans le canon, & autant de circonférence ; sept pouces & demi dans celle du boulet ; dix pouces dans la couronne ; quatre pouces & demi de hauteur du coude au garrot ; deux pieds deux pouces du coude jusqu’au bas du pied ; quatre pouces de distance d’un bras à l’autre ; un pied deux pouces & demi de longueur, depuis le grasset jusqu’au jarret ; quatre pouces de largeur dans la cuisse de devant en arrière, au dessus du jarret ; neuf pouces & demi de circonférence ; deux pouces de longueur, & autant de largeur, au pâturon de devant en arrière ; un pied quatre pouces de hauteur depuis le bas du pied jusqu’au jarret ; cinq pouces de longueur dans le sabot, depuis la pince jusqu’au talon ; trois pouces de largeur d’un quartier à l’autre.

Le parallèle de l’âne avec le cheval, démontre qu’il a la tête plus grosse à proportion du corps, les oreilles plus longues, le front & les tempes garnis d’un poil long & épais, les yeux moins saillans, la paupière inférieure plus aplatie, la lèvre supérieure pendante, l’encolure plus épaisse, la crinière moins grande, le garrot plus bas, le poitrail plus étroit, le dos convexe, l’épine tranchante dans toute son étendue, les hanches plus élevées que le garrot, la croupe plate & avalée, la queue dégarnie de poil jusqu’à son extrémité ; il est crochu & jarreté dans les jambes de derrière. Une tête grosse, un front & des tempes sans poil, des yeux éloignés, un bout de nez renflé, donnent à l’âne un air stupide. Il ressemble plus au cheval par son squelette que par ses parties molles.

Choix de l’étalon. C’est principalement de l’étalon que dépend la beauté de l’espèce. Il doit être bien fait, (voyez les proportions) de belle taille, gros, bien quarré, ayant les yeux pleins, vifs & bien fendus, de grandes narrines, le col long, le poitrail large, la croupe plate, la queue courte, le poil lisse, un peu luisant, & d’un gris foncé ; les parties de la génération grosses, charnues & robustes, & de l’âge de trois ans jusqu’à dix.

La santé du corps de l’animal est encore à examiner. Des yeux enfoncés défigurent l’âne & rendent les fluxions plus fréquentes. La présence des glandes sous la ganache est un indice de maladie. Les naseaux doivent être sains, la membrane qui les tapisse d’une couleur vive & vermeille ; pour peu qu’il en découle de l’humeur, d’une consistance épaisse & d’une odeur fétide, l’animal est à rejeter. La bouche sera fraîche & sans aphtes. Les ânes qui naîtroient de pareils étalons participeroient des mêmes défauts. De la bouche on en vient aux épaules, des épaules aux jambes. Si le genou est couronné ou dénué de poil, c’est une marque de foiblesse & que l’animal s’abat ; les molettes au boulet décèlent que la jambe est fatiguée. Le pied n’aura ni seimes, ni fics, ni poireaux. Les mouvemens du flanc seront réguliers & non altérés, les reins fermes, les parties de la génération sans tumeurs ni fistules, les hanches pleines, les jarrets bien évidés & sans éparvin, &c.

Il ne faut pas seulement s’en tenir aux défauts du corps. Les bonnes ou mauvaises qualités de l’étalon sont plus à considérer. L’âne ombrageux porte les oreilles en avant, tremble, regarde de côté, résiste aux coups & refuse d’avancer. Ce défaut ne sera point à craindre, si cet animal passant aux endroits sur-tout où l’on fait du bruit, ne perd rien de sa fierté, de son agilité, ni de sa soumission.

Accouplement. L’âne est en état d’engendrer depuis l’âge de deux ans. Mais l’âge qui convient le plus pour la propagation, est depuis trois ans jusqu’à dix. L’ânesse est encore plus précoce. Elle doit être d’un corsage large & d’une taille avantageuse. Sa production la plus belle est depuis l’âge de sept ans jusqu’à dix. La chaleur se manifeste par la tuméfaction des parties naturelles, & par une humeur épaisse & blanchâtre qui en découle. Celles qui sont en chaleur tous les mois de l’année, sont moins fécondes que les autres.

L’accouplement se fait depuis le commencement de Mai jusqu’à la fin de Juin. Si la monte se faisoit avant ce tems, l’ânon qui viendroit l’année d’après pourroit souffrir de la rigueur de la saison encore froide, & la mère manquer de la nourriture nécessaire à l’allaitement.

C’est après avoir bien pansé l’étalon qu’on le conduit à l’ânesse : celle-ci doit être propre & déferrée des pieds de derrière, de crainte qu’elle ne rue. Un homme la tient par le licol, & deux autres conduisent l’étalon. On l’aide à s’accoupler, en le dirigeant & en détournant la queue. Dans les derniers momens de la copulation, la croupe de l’âne fait un mouvement de balancier qui accompagne l’émission de l’humeur prolifique. L’acte étant consommé, l’étalon est ramené à l’écurie, sans qu’il lui soit permis de réitérer l’accouplement ; car quoiqu’un bon âne puisse suffire à couvrir deux fois par jour pendant tout le tems de la monte, il convient de le ménager, en ne lui donnant qu’une ânesse tous les deux jours.

L’accouplement se fait encore d’une autre manière. Elle consiste à laisser l’étalon dans un enclos bien fermé, avec la quantité d’ânesses qu’il doit couvrir. L’âne se voyant en liberté, prend un air gai, joyeux, alerte, flaire les ânesses les unes après les autres, & finit par couvrir celle qui lui convient le plus. Cela fait, le propriétaire prend l’étalon, le mène à l’écurie & l’y laisse jusqu’au surlendemain.

L’ânesse rejette souvent en dehors la liqueur qu’elle vient de recevoir dans l’accouplement, à moins qu’on n’ait soin de lui ôter promptement la sensation du plaisir, en la fouettant & en la faisant courir. Lorsqu’elle est pleine, la chaleur cesse bientôt ; elle ne peut souffrir l’étalon, le refuse, & s’en défend vigoureusement.

Le foin, la luzerne, le son, l’orge concassé, les herbes fraîches sont de très-bons alimens pour l’ânesse qui est pleine, pourvu qu’ils n’aient aucune mauvaise qualité, comme, par exemple, le foin pourri, l’herbe des marais, &c. une pareille nourriture lui feroit du mal, & par conséquent au fétus qu’elle porte : un plus grand soin encore est de ne point la surcharger, sur-tout dans les derniers mois ; elle risqueroit d’avorter. (Voyez Avortement) Par la même raison, on doit éviter de lui donner des coups sous le ventre, & ne l’envoyer au pré le matin, que lorsque le soleil aura dissipé la gelée blanche. Le ventre commence beaucoup à s’appésantir le sixième mois : en y mettant la main dessous, on sent quelquefois remuer. Le lait paroît dans les mamelles au dixième mois. L’ânesse met bas dans le douzième d’un petit, qui présente la tête la première. Il arrive souvent que l’accouchement est laborieux & difficile. On le favorise en mettant le petit en situation. La conduite des gens de la campagne, qui donnent du vin & de l’orviétan à haute dose dans cette intention, ne sauroit être approuvée. Bien loin de rendre les efforts de la nature fructueux, ces remèdes tendent au contraire à enflammer le col de la matrice & à retarder l’accouchement. Les relâchans, les adoucissans, & sur-tout la saignée, sont infiniment plus avantageux. Si le poulain est mort, il faut le tirer avec des cordes, après avoir fait entrer un peu d’huile dans la matrice pour en faciliter la sortie.

Dès que l’ânon est né, la mère le lèche pour le sécher. Peu de tems après il se tient debout, chancèle, tombe à cause des articulations qui ne peuvent le soutenir. Sept jours après l’accouchement, la chaleur se renouvelle dans l’ânesse, & elle est en état de recevoir le mâle.

Le véritable moyen de rétablir ses forces après l’accouchement, est de lui donner pendant quatre ou cinq jours de l’eau tiède, contenant une bonne jointée de farine de froment, du foin de bonne qualité, & de la conduire dans de bons pâturages. L’habitude de certains campagnards, qui, deux jours après l’accouchement, font travailler l’ânesse, est à blâmer : en éprouvant trop tôt les forces de cet animal, il ne peut suffire à un travail médiocre, & l’ânon ne trouve point le lait nécessaire pour se nourrir.

Douze ou quinze jours après la naissance de l’ânon, deux dents lui poussent sur le devant de chaque mâchoire ; quinze jours après, deux autres percent à côté des premières venues ; trois mois après, deux autres qui forment les coins ; de sorte qu’on apperçoit alors douze dents à la partie antérieure de la bouche, six dessus, & six dessous. Ces dents sont petites, courtes & blanches ; elles portent le nom de dents de lait. À dix mois, les deux pinces sont de niveau & creuses, mais moins que les mitoyennes, & celles-ci moins que les coins : à un an, on distingue un col à la dent ; son corps est moins large & plus rempli ; à un an & demi, les pinces sont pleines ; à deux ans, les dents de lait sont rasées ; à deux ans & demi, & quelquefois trois ans, les pinces tombent, & ainsi successivement, pour marquer l’âge de l’âne, comme dans le cheval. (Voyez Cheval)

Au bout de six mois on peut sevrer l’ânon, & cela est nécessaire, sur-tout si la mère est pleine, pour qu’elle puisse mieux nourrir son fœtus. Le foin devant être sa première nourriture, deux livres lui suffisent les premiers jours, en augmentant insensiblement. Le son, l’orge, l’herbe fraîche lui sont encore très-bons. Il faut le garantir du froid & de la pluie, & ne l’envoyer au pré que lorsque le soleil aura dissipé la gelée blanche. L’âge de trente mois est le tems de la castration. (Voyez ce mot) C’est aussi l’époque de le dresser. Cet animal est destiné ou à la selle ou au bât. Dans le premier cas, on lui met une selle sur le dos, & avec un bridon dans la bouche : un homme le tenant par les rênes du bridon, le fait sortir sur un terrain uni, toujours avec la selle sur le dos, & en le caressant de tems en tems. Lorsque l’animal vient vers celui qui se tient, c’est le tems de le monter & de descendre dans la même place sans le faire marcher. Cet exercice ayant été fait jusqu’à l’âge de trois ans, on le monte alors comme un cheval. (Voyez Cheval) Dans le second cas, un bridon lui convient aussi, de crainte qu’il ne veuille s’échapper. Un homme le tient également par le bridon, le fait marcher, en le traitant avec douceur. Quelques jours après, on lui met un bât avec un léger fardeau dessus, pour l’accoutumer insensiblement, en évitant sur-tout de ne point le surcharger dans les commencemens : sans cette précaution, les forces de l’animal seroient bientôt épuisées : en lui laissant, au contraire, prendre haleine, l’animal ne se rebute point, & achève réguliérement le travail proportionné à son âge & à sa force.

À l’âge de trois ans & demi ou quatre ans, l’âne est soumis à toutes sortes de travaux ; par conséquent il doit être ferré. La ressemblance de son pied avec celui du mulet exige une ferrure égale ; mais les fers doivent être légers & les lames minces, les mouvemens seroient plus lents sans cela, & la corne bientôt détruite. Tous les pâturages sont alors très-bons pour lui ; le chardon, les feuillages des buissons & des saules, les brins de sarment lui suffisent. La paille l’engraisse ; il mange le chaume. Le foin est un aliment de choix. Du son, de la farine détrempée dans l’eau, sont pour lui un aliment très-nourrissant. L’avoine répare ses forces lorsqu’elles sont épuisées. Il plonge un peu les lèvres dans l’eau lorsqu’il boit ; il prend une figure hideuse en relevant les lèvres, & en mettant les dents à découvert ; ce qui lui arrive sur-tout lorsque quelque chose le blesse sous le harnois, & lorsqu’en cheminant cet animal lève la tête pour éventer une ânesse qu’il sent de loin, & sur-tout lorsqu’il a flairé son urine.

L’âne s’accouple avec la jument, & le cheval avec l’ânesse. Les mulets viennent de ces accouplemens, & sur-tout de celui de l’âne avec la jument. (Voyez Mulet) Il s’accouple aussi avec la vache, & l’ânesse avec le taureau, & ils produisent les jumarts. (Voyez Jumart)

Celui qui est élevé dans la plaine a beaucoup de force & de vigueur, & a une belle taille. Son allure très-douce, le fait préférer pour la selle à celui qui, né dans un pays humide & marécageux, est naturellement plus épais, plus lourd, plus lent & plus sujet aux maladies. Les ânes de la montagne sont distingués par la petitesse de leur taille, leur agilité & la force de leurs jambes. Leur destination est la charrue & toute espèce de transport.

Cet animal est très-fort jusqu’à l’âge de quatorze à quinze ans ; mais il est rare qu’il arrive au bout de sa carrière, qui est de vingt-cinq à trente ans. La plupart meurent avant ce tems, excédés par les fatigues & les travaux. On prétend que la vie de la femelle est plus longue que celle du mâle. Son lait a de grandes propriétés dans la médecine : dans certains cas de maladie, il est préféré au lait de chèvre & à celui de vache.

Le froid empêche les ânes de produire, ou les fait dégénérer. Ils sont originaires des pays chauds. Aussi y en a-t-il peu en Angleterre, en Danemarck, en Suède & en Pologne, & il s’en trouve au contraire, beaucoup en Perse, en Syrie, en Arabie, en Afrique, en Grèce, en Italie & en France ; voilà pourquoi cet animal est plus beau en Provence & en Languedoc, que dans les autres provinces du royaume ; & en effet, il est d’autant plus fort & plus gros, que le climat se trouve plus chaud. C’est aussi du climat que dépendent sa vigueur, la couleur de son poil, la durée de sa vie, sa précocité plus ou moins grande relativement à l’aptitude à la génération, sa vieillesse plus ou moins retardée, & enfin ses maladies.

Les anciens ne connoissoient que la morve dans les ânes : il est vrai que ces animaux sont sujets à moins de maladies que le cheval ; mais une expérience journalière démontre qu’ils en ont beaucoup d’autres. Nous les divisons en internes & externes. (Voyez la Planche 16 pour ces dernières)

Le mal de cerf, la gourme, la morfondure, la péripneumonie, la pousse, la morve, la courbature, la toux, la pulmonie, les coliques, la diarrhée sont mises au rang des premières.

Les secondes se réduisent aux plaies & aux tumeurs. Telles sont le lampas, le chancre à la langue, les avives, les fluxions aux yeux, la cataracte, le mal de garrot, l’avant-cœur, l’effort des reins, l’écart, les hernies, la loupe, l’œdème sous le ventre, l’enflure des bourses, la gale, les verrues, l’effort des hanches, l’entorse, les eaux aux jambes, les malandres, les solandres, les poireaux, les queues de rat, les grappes, l’atteinte, la seime, le clou de rue, le fic & le javart. (Voyez tous ces articles, quant au traitement.) M. T.