Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8261

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 406-408).
8261. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 5 avril.

Eh bien ! madame, vous aurez l’Épître au roi de Danemark[1]. Je ne vous l’ai point envoyée, parce que j’ai craint que quelque Welche ne s’en fâchât. Depuis ma correspondance avec l’empereur de la Chine[2], je me suis beaucoup familiarisé avec les rois ; mais je crains un certain public de Paris, qu’il est plus difficile d’apprivoiser.

D’ailleurs, non-seulement je suis dans les ténèbres extérieures, mais tous les maux sont venus à la fois fondre sur moi. Il y a un avocat, nommé Marchand, qui s’est avisé de faire mon testament[3]. Il peut compter que je ne lui ferai pas plus de legs que le président Hénault ne vous en a fait.

M. le prince de Beauvau m’a fait l’honneur de m’envoyer son discours à l’Académie. Il est noble, décent, écrit du style convenable ; j’en suis extrêmement content. Je ne le suis point du tout qu’on m’impute des ouvrages où l’on dit que les parlements sont maltraités. Il y en a un d’un jésuite qui est l’auteur d’un livre intitulé Tout se dira, et d’un autre intitulé Il est temps de parler[4]. Pour moi, je ne me mêle point du tout des affaires d’État je me contente de dire hautement que je serai attaché à M. le duc et à Mme la duchesse de Choiseul jusqu’au dernier moment de ma vie.


Je l’ai dit à la terre, au ciel, à Guzman même.

(Alzire, acte III, scène iv.)

Ce qui m’a paru le plus beau dans le discours de M. le prince de Beauvau, c’est le secret qu’il a trouvé de relever tous les services que M. le duc de Choiseul a rendus à l’État, et qu’en faisant l’éloge du roi il a fait celui de M. le duc de Choiseul, sans que le roi en puisse prendre le moindre ombrage : il y a bien de la générosité et de la finesse dans ce tour, qui n’est pas assurément commun.

Je n’ai pas approuvé de même quelques remontrances qui m’ont paru trop dures[5]. Il me semble qu’on doit parler à son souverain d’une manière un peu plus honnête. J’ai écrit ce que j’en pensais à un homme qui a montré ma lettre.

J’ajoutais que j’étais enchanté de l’établissement des six conseils nouveaux qui rendent la justice gratuitement. Je trouvais très-bon que le roi payât les frais de justice dans mon village. On a montré ma lettre au roi, qui ne s’est pas fâché ; il aime les sentiments honnêtes ; et il devrait être encore plus content s’il voyait que je parle, dans le peu de lettres que j’écris, de la reconnaissance que je dois au mari de votre grand’maman.

Adieu, madame ; soupez, digérez, conversez ; et quand vous écrirez à votre grand’maman, qui ne m’écrit point, mettez-moi tout de mon long à ses pieds.

  1. Tome X, page 421.
  2. Épître au roi de la Chine, tome X, page 412.
  3. Voyez tome XX, page 200.
  4. Voyez lettre 8250.
  5. Voltaire veut parler des remontrances, ou Arrest du parlement de Besançon, du 18 mars 1771, dont il relève plusieurs assertions dans l’opuscule intitulé Sentiments des six conseils supérieurs, tome XXVIII, page 397.