Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8250

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 395-397).
8250. — À M. D’ALEMBERT.
18 mars.

Mon très-cher philosophe, je pense comme vous[1] que le sujet en question[2] serait excellent pour l’académie de Zug ou de Schaffhouse. Je n’avais jamais vu l’extrait baptistaire du traducteur des Géorgiques[3]. N’est-il pas majeur ? Nous avions plus d’un conseiller au parlement qui décidait de la fortune, de l’honneur et de la vie des hommes à vingt-cinq ans ; et puisque l’abbé Delille a été en âge de traduire Virgile, il me semble qu’il était assez âgé pour être auprès du traducteur de Milton[4].

Je ne le connais point, encore une fois. Il ne saura point mes bonnes intentions. Je me bornais à être juste ; mais il me paraît que je ne suis qu’un franc provincial qui ne connais pas le monde.

J’apprends, par un autre provincial qui est à Paris, qu’on m’attribue une petite feuille[5] qui paraît sur le parlement de Paris et sur les conseils souverains. Elle est, Dieu merci, d’un jésuite qui est en Piémont ; c’est le même qui fit Il est temps de parler[6], et Tout se dira.

Vous savez que je n’ai point approuvé la conduite du parlement de Paris, et que j’approuve infiniment les six conseils ; mais assurément je suis bien loin de rien imprimer sur de telles affaires. Je suis le prête-nom de quiconque veut écrire hardiment et ne se point compromettre : cette situation est triste.

Quant à votre triple bandeau[7], on a dû mettre :


Qui du triple bandeau vengea cent diadèmes[8] ;


et il m’a semblé qu’on disait tous les jours la tiare pour le pape, et les diadèmes pour les rois. On venge le trône de l’autel ; si je me trompe, je passe condamnation.

Voici une autre querelle. Mme Necker me fait ses plaintes amères de ce que Pigalle veut me faire absolument nu. Voici ma réponse : Décidez de mon effigie, c’est à vous que je la dois ; c’est à vous de me donner un habit, si cela vous plaît. Soyez sûr que, vêtu ou non, je suis à vous jusqu’à ce que je ne sois plus rien.

Adieu ; je n’ai jamais été si malade ; je suis aveugle et goutteux ; il faut supporter tous les maux du corps et de l’âme. Pour me consoler, je vous demande en grâce de m’envoyer vos deux discours[9]. En vérité, vous soutenez seul l’honneur des lettres, et je ne sais point d’homme plus nécessaire que vous.

  1. La lettre de d’Alembert manque.
  2. Lemierre, récemment élu à l’Académie française, auteur de la tragédie de Guillaume Tell.
  3. Delille (Jacques), était né à Clermont-Ferrand le 22 juin 1738 ; il est mort le 1er mai 1813.
  4. Dupré de Saint-Maur ; voyez tome XXXIII, page 441.
  5. Je pense qu’il s’agit de l’Avis important d’un gentilhomme. L’édition originale est en quatre pages. (B.) — Voyez tome XXVIII, page 393 ; et la lettre 8260.
  6. Voyez les notes, tome XLIII, page 137 ; et XLIV, 518.
  7. La lettre de d’Alembert qui en parle manque.
  8. Vers de l’Épître au roi de Danemark ; voyez tome X, page 426.
  9. Je ne sais ce que sont ces deux discours de d’Alembert, dont il est encore question dans la lettre 8263. (B.)