Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6296
M. Delaleu, mon cher ami, vous donnera tout ce que vous prescrirez. J’attends avec mon impatience ordinaire cette estampe et le mémoire de notre prophète Élie : il est sans doute signé de plusieurs avocats, dont il faut payer la consultation. Vous êtes le seul qui vouliez bien rendre ces services essentiels à la philosophie. Daignez donc donner à M. de Beaumont ce qu’il faudra : vous ferez prendre ce qui sera nécessaire chez M. Delaleu.
Ô que j’aime votre philosophie agissante et bienfaisante ! Il y a dans le discours de M. de Castilhon[1] un bel éloge de cette vraie philosophie qu’il rend compatible avec la religion, ainsi qu’il le devait faire dans un discours public. Le roi de Prusse mande[2] que, sur mille hommes, on ne trouve qu’un philosophe ; mais il excepte l’Angleterre. À ce compte, il n’y aurait guère que deux mille sages en France ; mais ces deux mille, en dix ans, en produisent quarante mille, et c’est à peu près tout ce qu’il faut : car il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu’il soit instruit ; il n’est pas digne de l’être.
J’ai lu Henri IV[3] : je pense comme vous ; mais je crois que, si on permettait la représentation de ce petit ouvrage, il serait joué trois mois de suite, tant on aime mon cher Henri IV ! Et je ne vois pas pourquoi on prive le public d’un ouvrage fait pour des Français.
Pourriez-vous, mon cher ami, m’envoyer le Philosophe sans le savoir[4] ? J’ai bien de la peine à écrire de ma main. Wagnière est malade, et un autre copiste est occupé.
Voici une petite lettre pour Laleu[5], et une autre pour Briasson, qui me néglige. Mais parlez-moi donc du Dictionnaire ; les souscripteurs l’ont-ils ? maître Baudet s’oppose-t-il à la publication ? Les Baudets ne passeront pas les trois petits volumes de Mélanges[6]. Il faudra du temps, il faudra attendre qu’il y ait quarante mille sages.