Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6276

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 227-228).

6276. — À M. DAMILAVILLE.
26 février.

Je viens de lire, mon cher ami, un morceau qui regarde la Population[1] ; j’en ai été encore plus frappé que des choses excellentes qui sont dans le Vingtième. C’est bien dommage qu’il y ait si peu de chose de vous dans une collection si utile au genre humain. Je ne connaissais pas tous vos grands talents ; je pensais que vos occupations journalières vous bornaient à aimer la vérité, et je ne savais pas que vous sussiez la dire avec tant de force et d’énergie. Vous n’employez les détails que pour faire sortir le fond, que vous rendez aussi lumineux qu’intéressant. Je veux bien du mal à la fortune, qui vous force d’examiner des comptes, quand vous voudriez donner tout votre temps à la philosophie.

Je vous avoue que je n’ai pu m’empêcher de rire en voyant que vous faites à la Suisse l’honneur de dire qu’elle est la contrée de l’Europe la plus peuplée. Les Suisses, au contraire, se plaignent de la dépopulation ; leurs académies donnent, pour sujet de leurs prix, d’en trouver la cause et le remède. Ils disent que c’est la France qui est le pays de l’Europe le plus peuplé à proportion.

Vous voyez que chacun se plaint, et peut-être fort injustement. Le dénombrement du canton de Berne se monte à 375,000 àmes ; et quand toute la Suisse fit sa grande émigration, du temps de César, le tout se montait à 305,000. Mais il y a du plaisir à se plaindre, et il y aura toujours des gens riches qui diront que le temps est dur.

Vous ne me dites plus rien de Bigex : vous ne me parlez plus de ce que vous me destiniez pour le carême. Mandez-moi, je vous en prie, pourquoi vous n’avez pas à Paris ce que j’ai à Neuchâtel. J’ose me flatter qu’une telle rigueur ne peut pas durer.

Embrassez pour moi tendrement Platon et Protagoras ; dites les choses les plus tendres à M. de Beaumont. Ma santé est toujours fort chancelante ; je n’ai plus d’estomac : il me reste un cœur qui vous aimera jusqu’au dernier moment. Écr. l’inf…

  1. Voyez la note, page 225.