Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4455

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 198-199).

4455. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
7 février.

De profundis clamavi. J’ignore tout du pied de mes Alpes. Joue-t-on Tancrède ? Personne ne m’en dit mot. Réussit-elle ? est-elle tombée ? J’ai vraiment bien pris mon temps pour écrire[1] à M. le duc de Choiseul !


C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !

(La Fontaine, VII, ix.)

Le voilà donc chargé de la guerre et de la paix. Deux ministères à la fois ! Plus de plaisirs, plus de soupers. Il est mort, s’il veut allier tout cela. Ce qui regarde Mlle Corneille paraît-il aussi important à mes anges qu’à moi ? Ont-ils le temps d’y penser ? N’ont-ils pas eux-mêmes un peu d’affaires ? Je ne sais par quel oubli je n’ai pas répondu à Lekain. Il y a un arrangement pour Œdipe. Eh ! mon cher ange, n’êtes-vous pas le maître absolu de tout ? à quoi sert ma voix ? Je n’en fais usage que pour vous regretter. Oui, tous les rôles sont bien distribués ; oui, tout est bien. Mais M. de Richelieu est-il à Versailles ? entrera-t-il au conseil ? et maître Omer, que fait-il brûler ? quel plat et calomnieux réquisitoire fait-il imprimer ? J’ai cet homme en tête. J’aime l’Écclésiaste[2] ; le roi l’avait lu à son souper. Il fut fait pour Mme de Pompadour. Et un Omer ! … Ah !


Ce petit singe à face de Thersite[3]


doit être puni. Que je hais ces monstres ! Plus je vais en avant, plus le sang me bout. Le roman de Jean-Jacques excite aussi un peu ma mauvaise humeur.

Ne regrettez-vous pas le chevalier d’Aidie[4] ? Tous nos contemporains s’en vont. Je n’ai que deux jours à vivre ; mais je les emploierai à rendre les ennemis de la raison ridicules.

Je baise le bout de vos ailes ; mais vos yeux ! vos yeux !

  1. Cette lettre, comme tant d’autres de Voltaire à Choiseul, est restée inconnue. (Cl.)
  2. Le Précis de l’Ecclésiaste ; voyez tome IX.
  3. Voyez lettre 4438.
  4. Voyez une note de la lettre 4445.