Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4438

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 177-179).

4438. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ferney, 30 janvier.

Mon divin ange et ma divine ange, amusez-vous de cet imprimés[1], et voyez comme on trouve des jésuites partout ; mais aussi ils me trouvent. Je leur ai ôté la vigne de Naboth. Il leur en coûte vingt-quatre mille livres : cela apprendra à Berthier qu’il y a des gens qu’on doit ménager. Il s’agit à présent de poursuivre un sacrilège[2]. Je serai aussi terrible dans le spirituel que dans le temporel.

Adorables anges, je demande grâce pour ce beau mot :


S’il y sert Dieu, c’est qu’il est exilé[3] ;


car vous savez que d’ordinaire disgrâce engendre dévotion. Oui, mort-dieu, je sers Dieu, car j’ai en horreur les jésuites et les jansénistes, car j’aime ma patrie, car je vais à la messe tous les dimanches, car j’établis des écoles, car je bâtis des églises, car je vais établir un hopital, car il n’y a plus de pauvres chez moi, en dépit des commis des gabelles. Oui, je sers Dieu, je crois en Dieu, et je veux qu’on le sache.

Vous n’êtes pas contents du portrait du petit singe ? Eh bien ! en voici un autre :


Un petit singe, ignorant, indocile,
Au sourcil noir, au long et noir habit,

Plus noir encore et de cœur et d’esprit,
Répand sur moi ses phrases et sa bile.
En grimaçant le monstre s’applaudit
D’être à la fois et Thersite et Zoïle ;
Mais, grâce au ciel, il est un roi puissant,
Sage, éclairé, etc.


Le singe se reconnaîtra s’il veut ; je ne peux faire mieux quant à présent. Je n’ai que trois gardes ; si j’en avais davantage, je vous réponds que tous ces drôles s’en trouveraient mal. Il faut verser son sang pour servir ses amis et pour se venger de ses ennemis, sans quoi on n’est pas digne d’être homme. Je mourrai en bravant tous ces ennemis du sens commun. S’ils ont le pouvoir (ce que je ne crois pas) de me persécuter dans l’enceinte de quatre-vingts lieues de montagnes qui touchent au ciel, j’ai, Dieu merci, quarante-cinq mille livres de rente dans les pays étrangers, et j’abandonnerai volontiers ce qui me reste en France pour aller mépriser ailleurs à mon aise, et d’un souverain mépris, des bourgeois insolents[4] dont le roi est aussi mécontent que moi.

Pardonnez, mes divins anges, à cet enthousiasme : il est d’un cœur né sensible ; et qui ne sait point haïr ne sait point aimer.

Venons à présent au tripot, et changeons de style.

Vous vous plaignez de n’avoir point Fanime. Quoi ! vous voulez donner tout de suite deux vieillards radoteurs qui grondent leurs filles : n’avez-vous pas de honte ? Ne sentez-vous pas quelle prodigieuse différence il y a entre la fin de Tancrède et la fin de Fanime ? Attendez, vous dis-je, attendez Pâques fleuries. Je vous remercie bien humblement, bien tendrement, de toutes vos bontés charmantes, et de votre tasse pour la Muse limonadière.

Je vois d’ici Mlle Clairon enchanter tous les cœurs ; et si les sifflets sont pour moi, les battements de mains sont pour elle. Je m’appelle Pancrace[5] ; mais je ne veux de ma vie gratter la porte d’aucun cabinet : j’aimerais mieux gratter la terre. Mon seul malheur dans ce monde, c’est de n’être pas dans votre cabinet pour manger avec vous du parmesan, pour boire, car j’aime à boire, comme vous savez. Puissent les yeux de M. d’Argental ne pleurer qu’aux tragédies ! Les miens pleurent d’une absence qu’un parti triste, mais sagement pris, rend éternelle.

Une autre fois je vous parlerai du Droit du Seigneur ; je ne peux vous parler aujourd’hui que des justes droits que vous avez sur mon âme.

Je suis malingre ; j’ai dicté, et peut-être avec mauvaise humeur : excusez un vieillard vert.

  1. Je ne sais quel peut, être cet imprimé. (B.)
  2. Ancian.
  3. Variantes de l’Épître à Daphné-Clairon, où n’est pas épargné le petit singe Omer Joly de Fleury. (Cl.)
  4. Les membres du parlement, qui, le 10 janvier 1761, avaient résolu d’adresser au roi de très-humbles et très-respectueuses Remontrances.
  5. Nom donné au pauvre auteur dans l’Épître à Daphné ; voyez tome X.