Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4445

Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 186-187).

4445. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 2 février.

Anges de paix, mais anges de justice, voici le Panta-odai du sieur Abraham Chaumeix, tel qu’on me l’a envoyé de Paris ; je l’ai fait copier fidèlement. Je ne connais point


Le petit singe à face de Thersite[1] ;


mais si cet homme est tel qu’on me le mande, il mérite l’exécration publique, et je ne connais personne qui doive craindre de démasquer un personnage si ridicule et si odieux. Quand on joint les mensonges de Sinon au style de Zoïle, à l’impudence de Thersite, et à la figure de Ragotin, on doit s’attendre de recevoir en public le châtiment qu’on mérite ; et ceux qui n’ont pas la force en main pour se venger font très-bien de payer les Thersite et les Zoïle dans leur propre monnaie. Se reconnaîtra qui voudra dans cette fidèle peinture. On n’en craint point les conséquences, on est bien aise même que Thersite sache à quel point on le hait et on le méprise ; on en fera profession publique quand il le faudra. Le chevalier d’Aidie[2] vient de mourir en revenant de la chasse ; on mourra volontiers après avoir tiré sur les bêtes puantes. D’ailleurs on n’a rien à perdre en France, et on trouvera partout ailleurs des établissements assez avantageux pour braver avec sécurité, et pour confondre avec les armes de la vérité, les délateurs hypocrites et les calomniateurs impudents. Je ne connais l’homme[3] dont il est question qu’à ces titres ; et si je le rencontrais, je le lui dirais en face, s’il a une face.

Pardonnez, mes divins anges, à cette petite digression un peu aigrelette ; il y a longtemps que je couve ce fiel dans le fond de mon cœur : voilà ma bile purgée. Je me rends à tous les charmes de votre commerce, à votre douceur, à vos grâces. Je suis doux comme vous, quand je me suis vengé.

Je ne crois pas que l’auteur du Panta-odai doive le lâcher si tôt. Il n’y a que Thieriot, je crois, qui en soit en possession. Je lui mande d’attendre, et il attendra. Il faut tendre actuellement toutes les cordes de son âme pour punir Fréron de son insolence, et pour lui procurer quelque peine afflictive salutaire, qui lui apprenne à ne plus insulter une fille de condition, et le nom de Corneille, dans ses infamies littéraires. L’Écluse, qui n’est point celui de l’Opéra-Comique, mais chirurgien du roi de Pologne, a donné sa procuration, et demande justice. Mme Denis a envoyé son certificat. Le nommé Fréron est très-punissable, et le procès criminel ne sera pas long. Le Brun a toutes les pièces ; il ne manque que la procuration du bonhomme Corneille : je mets le tout sous votre protection. Vous êtes bon, mais vous êtes ferme ; et c’est ici qu’il faut l’être.

Mon contemporain[4], le président de La Marche, m’a écrit une lettre pleine d’esprit.

Le maréchal de Belle-Isle est-il mort[5] ? M. de Choiseul a-t-il la guerre[6] ? M. de Chauvelin, le ministère de paix ?

Pleurez-vous toujours ? Je pleure votre absence.

  1. Voyez la lettre à d’Alembert, du 9 février, n° 4456.
  2. Retiré dans ses terres en Périgord depuis la mort, de Mlle Aïssé, sa maîtresse, il mourut en 1758, après avoir marié la fille qu’il eut d’elle à un gentilhomme de ses voisins. (B.)
  3. Omer Joly de Fleury, avocat général.
  4. Voltaire était l’aîné, de quelques mois seulement, du président, à qui est adressée plus haut la lettre 4423, et les premières de la Correspondance.
  5. Oui, le 26 janvier 1761.
  6. Choiseul remplaça Belle-Isle au ministère de la guerre, tout en restant chargé des affaires étrangères.