Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4189

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 462-463).

4189. — À M. SÉNAC DE MEILHAN.
16 juillet.

Vous m’écrivez, monsieur, comme l’Église ordonne qu’on fasse ses pâques, à tout le moins une fois l’an. Je voudrais que vous eussiez un peu plus de ferveur ; mais aussi, quand vous vous y mettez, vous êtes charmant.

Je suis très-fâché que ***[1] se soit déclaré l’ennemi des philosophes : il ne faut pas se moquer des gens qu’on persécute ; passe pour les gens heureux et insolents, c’est un grand soulagement de rire à leurs dépens.

On dit que Lefranc de Pompignan est heureux, qu’il est gros et gras, qu’il est très-riche, qu’il a une belle femme ; mais il a été fort insolent, en parlant à ses confrères, et cela n’est pas bien. Je ne peux m’empêcher de savoir bon gré au cousin Vadé, et à M. Alethof, et même encore à un certain frère de la Doctrine chrétienne, d’avoir rabattu l’orgueil de ce président de Quercy[2]. Ce n’est pas tout d’avoir fait la Prière du Déiste,


Il faut encore être modeste[3].

Fi, que cela est vilain de se faire le délateur de ses confrères ! Son frère l’évêque devrait lui refuser l’absolution.

Moquez-vous de tous ces gens-là, et surtout de ceux qui vous ennuient. Faites mes compliments, je vous en prie, à monsieur votre père, et à monsieur votre frère[4], que j’ai vu dans un pays où certainement je ne le reverrai jamais. Vous trouverez les Délices un peu plus agréables qu’elles n’étaient, vous serez mieux logé, et nous tâcherons de vous faire les honneurs de la maison mieux que nous n’avons jamais fait. J’ai bâti un château dans le pays de Gex, mais ce n’est pas avec la lyre d’Amphion ; son secret est perdu. Je me suis ruiné pour avoir eu l’impertinence d’être architecte. Je crois mon château fort joli, parce qu’un auteur aime toujours ses ouvrages ; mais il me paraîtra bien plus agréable si jamais vous me faites l’honneur d’y venir.

J’admire l’impudence des ennemis de la philosophie, qui prétendent qu’il ne m’est pas permis de revenir à Paris. Il ne tient qu’à moi assurément d’y être, et d’y souper avec MM. Favart, Poinsinet, et Colardeau ; mais je suis trop vieux. J’aime le repos, la campagne, la charrue, et le semoir.

  1. Au lieu de ces étoiles, l’autographe porte sans doute Palissot.
  2. Lefranc de Pompignan était ancien premier président de la cour des aides de Montauban, ville de Quercy.
  3. Voyez le commencement de la lettre 4152.
  4. Nommé fermier général en 1761. Voltaire l’avait sans doute vu en Prusse.