Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4188

Correspondance de Voltaire/1760
Correspondance : année 1760GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 40 (p. 461-462).

4188. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 14 juillet.

Madame, je suis comblé des grâces de Votre Altesse sérénissime. Mme la comtesse de Bassevitz me paraît charmante. On n’écrit point à Versailles comme elle écrit dans son château vandale. Comment n’est-elle pas à Gotha ? Comment, avec tant de mérite, peut-elle être si éloignée de votre personne ? Tout est à rebours dans ce meilleur des mondes possibles. Patience ! il faudra bien que les choses aillent mieux, au lieu d’aller mal, et à force d’aller mal. Si la cousine avait voulu finir ses affaires cet hiver par un bon mariage[2], elle ne serait pas à présent réduite à faire un si mauvais ménage ; mais les mariages sont écrits dans le ciel.

Vos hernutes[3], madame, vos moraves sont de bonnes gens, et ne sont guère plus fous que les autres. Leur folie du moins est très-douce ; elle ne nuit à personne ; ils ne répandent point le sang, ils ne se soucient point de savoir à qui appartiendra la Silésie, et quel dédommagement on exigera pour la Saxe. Pourvu qu’on les laisse travailler en paix et aimer l’enfant Jésus, ils sont contents. Ils sont ignorants, ce qui est excellent pour des sots : car si jamais ils sont de sots savants, les voilà perdus.

Je commence à craindre, madame, que le ballot que j’ai pris la liberté de faire partir à l’adresse de Votre Altesse sérénissime ne soit perdu. Quand la guerre ne ferait autre chose que d’empêcher des livres de parvenir à leur destination, je la détesterais. Jugez, madame, combien je l’abhorre quand elle ruine tant de villes et fait couler tant de sang. Je me mets aux pieds de monseigneur et de toute votre auguste famille ; je me mets surtout aux vôtres. Je me recommande à la grande maîtresse des cœurs, et je demande toujours les bontés de Votre Altesse sérénissime pour le Suisse V.

  1. Editeurs, Bavoux et François.
  2. Il s’agit toujours de la paix avec la France.
  3. Cette secte s’est formée, vers 1457, des débris des anciens hussites. Les hernutes prétendent arriver à la perfection par la lumière intérieure et la communication avec Dieu. Ce sont les quakers de l’Allemagne. Le collège directeur réside à Hernhutt, dans la haute Lusace. (A. F.)