Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1759
Vous devez avoir reçu, monsieur, les prémices de l’édition du Louvre[1], telles que vous les voulez, simples et sans reliure : voilà comme il vous les faut pour Plombières ; mais le roi en a fait relier un exemplaire pour votre bibliothèque de Paris, que je compte bien avoir l’honneur de vous présenter à votre retour.
Je vous ai fait une infidélité, en fait de livres. Je parlais, il y a quelques jours, à Mme de Pompadour, de votre charmant, de votre immortel Abrégé de l’Histoire de France ; elle a plus lu à son âge qu’aucune vieille dame du pays où elle va régner, et où il est bien à désirer qu’elle règne. Elle avait lu presque tous les bons livres, hors le vôtre ; elle craignait d’être obligée de l’apprendre par cœur. Je lui dis qu’elle en retiendrait bien des choses sans efforts, et surtout les caractères des rois, des ministres, et des siècles ; qu’un coup d’œil lui rappellerait tout ce qu’elle sait de notre histoire, et lui apprendrait ce qu’elle ne sait point ; elle m’ordonna de lui apporter, à mon premier voyage, ce livre aussi aimable que son auteur. Je ne marche jamais sans cet ouvrage. Je fis semblant d’envoyer à Paris, et, après souper, on lui apporte votre livre en beau maroquin, et à la première page était écrit :
Le voici ce livre vanté ;
Les Grâces daignèrent l’écrire
Sous les yeux de la Vérité,
Et c’est aux Grâces de le lire.
etc., etc., etc. Il y en a davantage[2], mais je ne m’en souviens pas ; je ne me souviens que de vos vers aimables où Corneille déshabille Psyché. Nous ne déshabillons personne dans notre fête. Cahusac[3] pourrait bien n’être point joué, mais on donnera un magnifique ouvrage[4] composé par M. Bonneval[5], des Menus, et mis en musique par Colin[6]. Vous savez que le sylphe[7] réussit. Cela fait, ce me semble, un très-joli spectacle ; venez donc le voir. Peut-on prendre toujours des eaux ? Revenez dans ces belles demeures, où je ne souperai plus, mais où je vous ferai ma cour si vous et moi sommes assez sages pour dîner.
Tortone est pris[8], le château non ; mais tout le Canada est perdu pour nous plus de morues, plus de castors. La paix, la paix ! Je suis las de chanter les horreurs de la destruction. Ô que les hommes sont fous, et que vous êtes charmant ! Savez-vous que je vous idolâtre ?
- ↑ Du Poëme de Fontenoy.
- ↑ On ne sait ce qu’est devenu l’exemplaire donné par Voltaire à Mme de Pompadour, de l’ouvrage du président Hénault.
- ↑ L. de Cahusac, auteur de plusieurs opéras, et, entre autres, des Fêtes de Polymnie, musique de Rameau ; 1745.
- ↑ Jupiter vainqueur des Titans, tragédie lyrique en cinq actes, avec prologue, mise en musique par Colin de Blamont et Bury son neveu, représentée, à Versailles le 11 décembre 1745. C’est une pièce allégorique sur les victoires du roi. « Les vers, dit Léris, sont d’un anonyme qu’on prétend être M. de Bonneval. » On a cru qu’il y en avait de plusieurs mains, et même de celle de Voltaire. (B.)
- ↑ Michel de Bonneval, nommé intendant des menus plaisirs du roi en 1732, mort en 1766.
- ↑ François Colin de Blamont, né en 1690, mort en 1760. Voltaire l’appelle Colin Tampon dans la lettre 89.
- ↑ Zélindor. Voyez la lettre 1739.
- ↑ Le 14 auguste 1745. Quant au château, il capitula le 3 septembre suivant.