Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1689

Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 333-334).

1689. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
Le jour de la Circoncision 1745.

Monsieur Bon[1], premier président,
Dans vos vers me parait plaisant ;
Mais les Anglais ne le sont guères.
Ils descendent assurément
De ces aragnes[2] carnassières
Dont vous parlez si sagement.
Puissent ces méchants insulaires,
Selon leurs coutumes premières,
Prendre le soin de s’égorger !

Mais ils entendent leurs affaires,
Et c’est nous qu’ils veulent manger.

Vous les en empêcherez bien, monseigneur. Béni soit Apollon, qui vous a inspiré des choses si jolies dont je ne me doutais pas !

Pollio et ipse facit nova carmina ; pascite taurum…

(Virg., ecl. iii, v. 86.)

Il me semble que vos jolis vers, et encore moins ma chétive prose, ne produiront pas la paix cet hiver. Il vous faudra une bonne année pour accorder les araignées ; mais il y a apparence qu’on ne nous gobera pas comme des mouches.

Je vous remercie bien de votre confidence ; c’est un secret d’État que des vers d’un ministre. Le cardinal de Richelieu en faisait davantage, mais pas si bien. Je vous souhaite la bonne année, monseigneur, et je prends la liberté de vous aimer de tout mon cœur, tout comme si vous n’étiez pas ministre.

  1. François-Xavier Bon de Saint-Hilaire, ancien premier président de la chambre des comptes de Montpellier, et l’un des correspondants honoraires de l’Académie des inscriptions, particulièrement connu alors par une Dissertation sur l’araignée. Mort en janvier 1761. (Cl.)
  2. Dans les vers rappelés ici par Voltaire, le marquis d’Argenson comparait les souverains à des araignées dont les plus grosses dévorent les petites. Il est question de ces araignées dans les lettres 1744 et 1783.