Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1625

Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 264-265).

1625. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
(Octobre.)

J’ai bien cru que vous seriez content de ma sœur de Brunswick[1] ; elle a reçu cet heureux don du ciel, ce feu d’esprit, cette vivacité par où elle vous ressemble, et dont malheureusement la nature est trop chiche envers la plupart des humains

De cette flamme tant vantée
Que l’audacieux Prométhée
Du ciel pour vous sembla ravir,
Mais dont sa main trop limitée
Ne put assez bien se munir
Pour que la cohue effrontée
Des humains en pût obtenir.

C’est là cependant leur folie ;
Chacun d’eux prétend au génie,
Même le sot croit en avoir,
Et, du matin jusques au soir,
Prend pour esprit l’étourderie.
La bégueule, avec son miroir,
Le met dans sa minauderie ;
Le gros savant, qui fait valoir

L’assommant poids de son savoir,
Se chatouille, et se glorifie
Que le ciel l’ait voulu pourvoir
Du sens dont sa tête est bouffie.

Il n’est pas jusqu’au Mirepoix
Qui n’ait l’audace d’y prétendre :
Pour s’en désabuser, je crois
Qu’il doit suffire de l’entendre.

Je ne sais trop où vous êtes à présent, mais je suis toutefois persuadé que vous oublierez plutôt Berlin que vous n’y serez oublié. C’est de quoi vous assure votre admirateur,

Fédéric.
P. S.

Mon souvenir chez vous s’efface,
S’il faut qu’un maudit barbouilleur
Tant bien que mal vous le retrace[2] ;
Je ne veux point, sur mon honneur,
Briller chez vous en d’autre place
Que dans le fond de votre cœur.

  1. Philippine-Charlotte, que Voltaire avait sans doute vue, pour la première fois en octobre 1713 ; voyez page 250.
  2. Voltaire, ayant perdu à Magdebourg les médailles à l’effigie du roi, lui en avait demandé d’autres (voyez la lettre à Keyserlingk, du 14 octobre 1743) ; il les reçut quelque temps après (voyez la lettre du 7 janvier 1744).