Contes et légendes annamites/Pour rire/06 Niais

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 320-322).
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VII

NIAIS.



Il y avait un niais qui ne savait que faire pour gagner sa vie. Sa femme l’envoya vendre de la chaux à bétel. En se penchant sur un puits il y vit son ombre et en même temps entendit crier du fond : Quêt ! quêt ![1] Il crut avoir affaire à des clients qui lui demandaient de la chaux et jeta toute sa charge dans le puits par petits paquets.



Il y avait deux amis dont l’un avait un cheval et l’autre une barque. Un jour le propriétaire de la barque emprunta le cheval de son ami, lui fit faire une longue course et le rendit fourbu. L’autre résolut de se venger de ce mauvais tour. Il emprunta la barque et rama de toutes ses forces toute une journée sur le fleuve.



Un individu avait été condamné à recevoir des coups de rotin ; il engagea un pauvre diable pour aller subir la peine à sa place. Quand celui-ci eut reçu une dizaine de coups il n’en put plus et donna tout son argent à l’exécuteur pour frapper moins fort. En sortant de là il rencontra son bailleur de fonds. « Je vous suis bien reconnaissant, lui dit-il, de l’argent que vous m’aviez donné, sans lui je mourais sous les coups. »



Un soldat du tram[2] avait un message pressé à porter. On lui avait donné un cheval, mais il se contentait de courir derrière. Pourquoi ne montes-tu pas dessus ? lui cria-t-on. — À six pieds nous irons plus vite qu’à quatre, répondit-il.



Une femme avait reçu son amant pendant l’absence de son mari. Le mari revint à l’improviste ; l’amant eut peur et se cacha dans un sac. Qu’y a-t-il dans ce sac ? demanda le mari. La femme tout effarée, ne répondait pas. C’est du riz blanc, cria l’amant du fond du sac.



Il y avait une vieille sotte dont la bru était aussi sotte qu’elle. Un jour la vieille acheta de l’étoffe pour faire une moustiquaire. Elle se mit à la coudre en se tenant assise à l’intérieur, de sorte que lorsque la moustiquaire fut faite elle s’y trouva enfermée et n’en put sortir.

Sa bru, pendant ce temps, faisait une taie d’oreiller ; elle avait roulé son étoffe autour d’une colonne (de la maison) pour la coudre, et quand son travail fut terminé il se trouva que la taie tenait à la colonne. Elle appela la vieille : « Mère ! dit-elle, j’ai cousu une taie, comment se fait-il qu’elle tienne ainsi à la colonne ? » La vieille, tout en colère, lui répondit : « Peste soit de la sotte ! Je suis enfermée ici ; si je pouvais sortir je te battrais. Peut-on être aussi sotte que cela ! »



Deux hommes s’étaient cotisés pour acheter une paire de souliers. L’un les portait le jour, l’autre, pour ne pas perdre sa part, courait toute la nuit. Quand cette paire fut usée, le premier proposa d’en acheter une autre. — « Non, certes, dit son camarade, les souliers donnent trop sommeil. »



  1. Quêt est une onomatopée qui représente le coassement de la grenouille, mais il sert en même temps à désigner le mouvement par lequel on étend la chaux à bétel, soit sur la feuille de bétel pour la chiquer, soit sur une feuille de bananier pour la vendre.
  2. Corps de soldats ou plutôt de serviteurs publics chargés de la poste.