Contes et légendes annamites/Légendes/052 Origine du margouillat

Contes et légendes annamitesImprimerie coloniale (p. 133-134).


LII

ORIGINE DU MARGOUILLAT.



I

Thach sùng[1] était un personnage d’une fortune colossale, à qui rien ne manquait. Un jour, il vint chez lui un individu qui lui dit : « Vous pensez être riche, parions ensemble. S’il vous manque quelque chose, que me donnerez-vous ? » Thach sùng, enflé d’orgueil, et ne supposant pas qu’il put rien lui manquer, mit toute sa fortune comme enjeu du pari. « Avez-vous un tesson de plat ? » lui demanda l’autre. Thach sùng n’en avait pas ; il lui fallut mettre entre les mains de son adversaire toute sa fortune. Il en mourut de regret et fut métamorphosé en margouillat qui va toujours faisant claquer sa langue. C’est pourquoi quand on entend le cri du margouillat on dit : « Voilà Thach sùng à qui manque encore son tesson. »


II

Il y avait un jeune homme très difficile sur le choix d’une femme. Il ne voulait épouser qu’une fille aussi belle que les génies. Ses parents lui cherchèrent une femme en tous lieux sans pouvoir en trouver une à son goût. Ils moururent, et après leur mort il continua à chercher en vain.

Le Ciel permit à une fée de descendre dans la maison sous la forme d’une servante. Elle était laide, mais habile à l’ouvrage.

Quand vint l’anniversaire de la mort de ses parents il se plaignit à cette servante de n’avoir personne pour faire les gâteaux. Elle lui dit de ne pas s’inquiéter ; au milieu de la nuit elle alla prononcer ses souhaits en plein air et il lui tomba du ciel toute sorte de gâteaux. À son réveil le maître loua l’habileté de la servante, mais il ne se douta pas qu’il eut affaire à un génie.

Quelque temps après il équipa un bateau pour aller à la recherche de la beauté parfaite qui faisait l’objet de ses vœux. Pendant ce temps la servante, restée au logis, se transforma en une jeune fille d’une beauté divine. Les domestiques comprirent que c’était là la fée qu’attendait toujours leur maître et quand son bateau revint ils coururent l’avertir de ce qui s’était passé.

Le jeune homme accourut, et voyant cette jeune fille il voulut s’asseoir à côté d’elle ; l’autre le repoussa. Fou de désir, il porta la main sur elle, mais elle s’envola aux cieux. Il essaya en vain de retenir un coin de son vêtement. Depuis ce temps, il la chercha partout en faisant claquer sa langue[2], et après sa mort il fut changé en margouillat.



  1. Personnage célèbre par ses richesses. Il fut, d’après les auteurs chinois, tué à l’instigation d’un certain Tôn thu qui convoitait sa femme. Le Au hoc (Quyén IX, p. 16, section Bân phû) donne le récit d’une lutte de magnificence qui eut lieu entre lui et un certain Vuong khâi, et dans laquelle, entre autres actions extraordinaires, il se servit de cire en guise de bois à brûler.
  2. Le claquement de langue est la marque du regret, quelquefois un témoignage de compassion.