Comment j’ai retrouvé Livingstone (Stanley, 1884)/15


CHAPITRE XV

Remarques géographiques et ethnographiques.


Reprenons la série de nos observations géographiques, arrêtée à Kouihara, et citons les faits que nous avons pu recueillir sur l’Ounyamouézi, l’Oukonongo, l’Oukahouendi, l’Ouvinza, l’Ouhha, l’Oukaranga, l’Oujiji, l’Ouroundi, enfin sur toutes les provinces dont il a été question dans les pages précédentes.

Celle qui se présente d’abord est l’Ounyamouézi.

Qu’on me permette de différer d’opinion avec les écrivains qui ont traduit le nom de cette contrée par celui de Terre de la Lune. MM. Krapf et Rebman, qui ont eu la gloire de rappeler l’attention des géographes sur cette partie du centre de l’Afrique, admettent cette version, d’après la règle dont nous avons parlé : Ou signifiant toujours pays, nya étant la proposition de, et mouézi désignant la lune. Le capitaine Burton, linguiste érudit, semble incliner vers cette interprétation ; le capitaine Speke l’adopte sans hésiter.

Avec tout le respect que je dois à ces gentlemen, dont le savoir est beaucoup plus profond que le mien sur tout ce qui concerne l’Afrique, je ferai remarquer à ceux qui s’intéressent aux questions subtiles que, dans le cas présent, on a appliqué une définition kisahouahili à un mot kinyamouézi.

Au Sahouahil, le pays qu’on voudrait nommer Terre de la Lune s’appellerait simplement Oumouézi. Ounyamouézi est un mot d’une autre langue et ne peut pas s’interpréter d’après le sens que lui donnerait un idiome étranger. Si d’ailleurs nous prenons le kisahouahili pour base, ce nom voudra aussi bien dire Terre du voleur, puisque, dans cette langue, mouézi désigne à la fois un voleur et la lune.

M. Desborough Cooley, dit Burton, choisit une autre version et traduit par Maître du Monde le nom d’Ounyamouézi qu’il écrit Monomoézi. Je préfère cette interprétation à celle du capitaine ; cependant je n’en accepte pas les termes.

Autant que j’ai pu le savoir par les indigènes et par les Arabes les plus instruits de la chronique locale, le pays s’appelait autrefois Oukalaganza. Il eut pour monarque un prince du nom de Mouézi, qui fut le plus grand de tous ceux qui l’ont gouverné et de tous les chefs qui, à la même époque, régnaient sur les peuplades voisines. Pas un de ses ennemis qui pût lui résister à la guerre, pas un roi qui ait jamais eu autant de sagesse. Quand il mourut, l’empire, dont il était l’unique souverain, s’étendait depuis l’Ouhyanzi jusqu’à l’Ouvinza. Ses fils se disputèrent le pouvoir, et chacun d’eux, arrachant un lambeau du royaume, s’en lit un domaine qui, avec le temps, prit le nom de son nouveau chef.

Toutefois, la partie centrale de l’Oukalaganza, plus considérable que les districts perdus, resta aux mains de l’héritier légitime ; ceux qui l’habitaient furent alors désignés sous le nom d’Enfants de Mouézi, et leur province fut appelée Ounyamouézi, de même que les territoires détachés se nommaient pays de Konongo, de Sagazi, de Simbiri, etc.

À l’appui de cette tradition, que m’a racontée le vieux chef de Masangi, qui demeure sur la route de Mfouto, je rappellerai que le souverain actuel de l’Ouroundi porte le nom de Mouézi, et qu’en Afrique, du moins dans toute la région qui nous occupe, la majeure partie des villages sont désignés par des noms de chefs. Nous l’avons vu pour Misonghi, que Burton lui-même appelle Kadétamaré, du nom de celui qui le gouverne. Le Nyamboua, district de l’Ougogo, perd de plus en plus cette appellation pour prendre celle de Pembira Péreh, qui appartient à son vieux sultan. Mréra, dans l’Oukonongo, s’appelait jadis Kaséra, et a pris également le nom de son seigneur. Mbogo a donné le sien à un grand district de la même province ; Pumbourou, chef de Mapounda, a fait de même pour une partie de l’Ousohoua. Le nom d’Ouganda cède rapidement la place à celui de Mtésa ; et dans quelques années, peut-être une décade, les voyageurs entendront les Arabes parler du grand royaume d’Oumtésa ou d’Ounyamtésa. Décidément, je n’accepte pas la traduction poétique de Terre de la Lune, ou l’appellation malsonnante de Pays du Voleur. Pour moi, Ounyamouézi veut dire tout simplement Terre de Mouézi.

Je ne diffère pas moins d’opinion avec le capitaine Burton lorsqu’il suppose que le Niméamayi, placé par Dapper à soixante jours de l’Atlantique, est cette Terre de la Lune. Avec un cheval, on ne franchirait pas en deux mois la distance qui sépare l’Atlantique de l’Ounyamouézi, quand même cette province aurait conservé son ancienne étendue, et ne se trouverait, comme en 1671, qu’à dix jours de marche du Tanganika. Mais un indigène, voyageant sans fardeau, pourrait dans ce laps de temps gagner le Manyuéma, ou Manyuémayi, dont le mot Niméaroaye est probablement la corruption.

L’Ounyamouézi, tel qu’il est de nos jours, s’étend du Ngouhalah par de longitude est (point situé entre Mgongo Thembo et Madédita), jusqu’à Ousényé, par  ; et de l’extrémité méridionale du Victoria N’Yanza, par de latitude australe, au bord du Gombé, par  ; ce qui lui donne, en droite ligne, cent cinquante cinq milles géographiques de l’est à l’ouest, et cent quarante-neuf du nord au sud, formant une aire de vingt-quatre mille milles carrés.

Cet espace est divisé en un certain nombre de districts, tels que l’Ounyanyembé, l’Ousagari, l’Ougounda, l’Ougara, le Ngourou, le Msalala, l’Ousongo, le Khokoro, l’Ousimbiri, le Kasangaro, l’Ougoro, etc.

De toutes ces divisions, l’Ounyanyembé est la plus importante, à la fois par sa position centrale et par le chiffre de ses habitants. Au delà de ses limites, les Vouanyamouézi prennent, du côté de l’équateur, le nom de Vouasoukouma, ce qui veut dire gens du nord, et du côté opposé, celui de Vouatakama, ou gens du sud. Toutefois, cette dernière qualification, très-employée par les Vouasoukouma, est peu en usage dans l’Ounyanyembé.

Pris en général, l’Ounyamouézi peut être considéré comme la plus belle province de toute la région qui nous occupe. C’est un grand plateau ondulé, s’inclinant en pente douce vers le Tanganika, où s’égoutte la plus grande partie de son étendue.

Celui qui le regarderait à vol d’oiseau aurait sous les yeux un immense tapis de feuillage, déployé vers tous les points de l’horizon ; il verrait ce tapis troué çà et là par des plaines arides, par des cultures ou par des masses rocheuses, sombres cônes tronqués, dominant de molles ondulations, qui se soulèvent à perte de vue, et qui ressemblent aux vagues dont le mouvement s’endort après la tempête.

Du sommet bien choisi de l’un des blocs de syénite, blocs géants qui dépassent la crête des collines aux environs de Mgongo Tembo ou les croupes rocheuses de Ngaraiso, vous contempleriez une scène telle que vos regards n’en ont jamais rencontré. Il n’y a pas là de nobles montagnes, pas de hauteurs saisissantes, rien de pittoresque. À l’entendre décrire, vous croiriez peut-être avoir déjà vu ce paysage, que vous taxeriez de prosaïque et de monotone. Mais sa grandeur est dans cette monotonie excessive. L’océan, fouetté par l’orage, mis en fureur et blanchi par l’écume, est sublime. Il ne l’est pas moins quand, endormi sous le soleil équatorial, il réfléchit l’azur du ciel, et se déploie sans une ride jusqu’à l’invisible, jusqu’à l’inconnu.

La sublimité existe également dans ces forêts sans bornes. Le feuillage y présente toutes les couleurs du prisme, toutes les nuances ; mais tandis que les bois se déroulent, fuyant au loin dans l’air enflammé, un voile mystérieux les enveloppe, gaze impalpable qui les teint d’un bleu clair, s’obscurcissant peu à peu, jusqu’à ne plus laisser apparaître que leur ombre.

En regardant ces contours effacés, vous tombez tout éveillé dans un rêve non moins vague que les lignes indistinctes de l’horizon. Je défie quiconque aura sous les yeux une pareille scène, de la contempler longtemps sans souhaiter de disparaître de ce monde, comme s’évanouissent au regard ces lointains éthérés.

Nous avons trouvé, dans la région maritime, une espèce de calcaire pisolithique ; dans l’Ougogo, des lignes alternées de schiste et de syénite ; mais dans l’Ounyamouézi, les nappes rocheuses qui dans l’Ouyanzi, offrent de simples renflements, se présentent sous forme de collines, de masses désagrégées, de chaînes aux profondes déchirures, dont une végétation opulente dissimule le roc, et adoucit les aspérités.

Il n’y a dans l’Ounyamouézi que deux cours d’eau qui méritent le nom de rivière ; ce sont les deux Gombé, celui du nord et celui du sud. Le premier, sous le nom de Kouala, parfois prononcé Vouallah, prend sa source au midi de Roubouga, et après avoir décrit une courbe au nord-ouest, entre dans le Gombé au nord de Tabora[1]. C’est déjà en cet endroit un cours d’eau d’une certaine importance. Vers la fin de la saison pluvieuse, un homme qui aurait de légers bateaux, pourrait s’embarquer avec tout son monde, à huit ou dix milles de Tabora, et gagner rapidement le Tangannika, pourvu toutefois que les riverains n’y missent pas obstacle. Une expédition, convenablement équipée sous ce rapport, ferait merveille en utilisant cette voie.

Le Ngouahalah, connu pour prendre naissance au nord de Kousouri, est franchi à plusieurs reprises par la route de l’Ounyanyembé, ainsi qu’on peut le voir en se dirigeant vers Toura[2]. À quelques milles de Madédita, du côté du levant, il tourne franchement au sud-ouest, traverse le Ngourou, passe dans le Manyara, où nous l’avons retrouvé sous le nom de Gombé-Méridional, simple noullah, dont les eaux n’ont de courant que pendant la force de la saison pluvieuse. Du Manyara, il traverse l’Ougala dans la direction de l’ouest-nord-ouest ; et avant de s’unir au Malagarazi, il reçoit la Mréra et le Mtambou, qui, après avoir arrosé la base orientale des monts Rousahoua, prennent au nord-est pour le rejoindre, en glissant dans les parcs de l’Ouvenda.

Tous les autres cours d’eau de l’Ounyamouézi, d’ailleurs peu nombreux et de nulle importance, se déchargent dans les deux Gombé. L’eau, dans cette province, est généralement fournie par de larges étangs, ou par ces grandes auges, lits profonds et parfois d’une longueur considérable, que dans l’Inde on appelle noullahs, et qui aux États-Unis portent le nom de gullies ou de gulches.

Lorsque les étangs et les noullahs font défaut, on creuse des puits, au moyen desquels on se procure une sorte de breuvage laiteux. Cette couleur est considérée par l’indigène comme une preuve certaine de la qualité du liquide. Demandez-lui si l’eau est bonne ; il vous répondra avec admiration : « O miope sana ! » oh ! tout à fait blanche ; ce qui veut dire qu’elle est excellente.

Les arbres qui constituent les forêts de l’Ounyamouézi appartiennent aux mêmes essences que ceux des bois de l’Oukonongo, de l’Ouvinza, de l’Ouhyanzi, et se retrouvent communément dans toute la zone équatoriale.

Le plus gros de tous ceux que l’on rencontre, à partir de l’Ouhyanzi jusqu’au Tanganika, est le mtamba ou figuier-sycomore, dont les proportions égalent celles des baobabs de l’Ougogo. Son fruit, assez agréable quand il est mûr, est recherché avec empressement par les indigènes. Mais ces figuiers sont peu nombreux, et de grandes distances les séparent les uns des autres.

Les espèces que l’on voit le plus fréquemment sont le mtoundou, le myombo, le mkora, l’imbité, le mkourongo, le mbembou, le mvoulé, le mtogoué, le msandarousi, le mninga, le mbougou, le matonga ; ainsi qu’on les appelle en Kisahouahili.

Tous ces arbres sont utilisés par les naturels et d’une façon ingénieuse. L’imbité leur fournit des chevrons aussi beaux que le cèdre, et qui se prêtent fort bien à la sculpture. On en fait également des portes et des piliers qui soutiennent le toit de la véranda. Il émet une odeur très-agréable, et son bois d’un roux foncé, pareil à celui de l’acajou, veiné de jaune pâle, est d’un charmant effet.

Le mkora est un bel arbre qui, dans l’Ouganda et dans certaines parties de l’Oukonongo, atteint des proportions majestueuses. C’est avec son bois que les indigènes confectionnent les escabeaux, laborieusement ouvrés, qui s’appellent kitis, et dont les chefs et les anciens de la tribu font grand usage dans toute cette partie de l’Afrique. C’est aussi avec le mkora que se fabriquent les mortiers énormes dans lesquels le sorgho et le maïs sont réduits en farine.

Le mkouroungo donne le piton qui sert à broyer le grain. Il est plus dur, plus résistant que l’hickory[3], d’une teinte blanchâtre, et devient brillant par le polissage.

L’écorce du mbougou est transformée en étoffe. Après l’avoir fait tremper dans l’eau, cette écorce est battue, séchée, remouillée, resséchée à plusieurs reprises, vigoureusement frottée, et, alors, offre l’apparence d’un feutre épais et lâche.

Des cordes sont également fabriquées avec l’écorce du mbougou ; mais cette dernière est plus fréquemment employée à faire de ces grandes boîtes cylindriques, pareilles à nos anciennes caisses en bois blanc. Nous avons dit que ces caisses se nomment kirindos ; on les décore au moyen d’une peinture, composée de différentes sortes d’argile. Elles servent à mettre le grain, et sont parfois d’une taille gigantesque ; nous en avons cité une, on se le rappelle, qui avait dix pieds de haut et sept de large. Une forte charpente, sur laquelle elles sont placées, mettent ces énormes caisses hors de l’atteinte des fourmis blanches.

L’écorce du mbougou fait, en outre, d’excellentes couvertures de hangar, et compose souvent le fond de la kitanda, cette couchette à l’usage des pères de famille et des jeunes gens qui aiment leurs aises. Enfin les Vouarori des bords du Roufidji en construisent leurs canots.

Le mvoulé est cet arbre superbe dans lequel se font les pirogues du Tanganîka, pirogues dont la longueur est quelquefois de beaucoup plus de soixante pieds. L’Ouvira, l’Ouroundi, l’Ousohoua possèdent de très-beaux échantillons de l’espèce, et en nombre considérable ; mais c’est en face d’Oujiji, dans les ravins d’Ougoma, que le mvoulé atteint ses plus grandes dimensions.

Abattre un de ces géants et le transformer en canot, est une lourde tâche. Il faut plus de trois mois au constructeur pour mettre l’énorme bille en état d’être lancée. Pendant l’excavation, l’ouvrier fait avec ses copeaux une série de feux le long du côté supérieur, et il appelle à son aide quelques amis qui l’assistent moyennant une légère quantité de grain ou d’huile de palme.

Son œuvre terminée, il brasse plusieurs pots de bière et invite tous ses voisins au lancement de la pirogue. Après chaque effort, tout le monde se régale ; puis on se remet à la besogne en vociférant ; et de libation en libation, le canot arrive au lac.

Le prix d’une grande pirogue est d’une balle d’étoffe, contenant cent vingt dotis. Mais les Arabes, voire les indigènes, qui veulent faire cet achat, se pourvoient d’un assortiment d’objets d’échange, tels qu’une douzaine de jarres d’huile de palme, une douzaine de chèvres, des coupons d’étoffes diverses, quelques houes, plusieurs sacs de grain et de sel. De cette manière, ils ont leur canot à meilleur marché.

L’huile de palme est tirée des fruits de l’élaïs, si nombreux au bord du lac. Ces fruits, suspendus en grappes énormes, qui rappellent les régimes des dattiers, sont écrasés, puis soumis à l’ébullition. Après le refroidissement, l’huile est recueillie dans de grands pots de terre d’une contenance de neuf à vingt-cinq litres. Pour un doti on a l’un des plus grands pots de cette huile, qui ressemble à du beurre mou, dont la teinte serait rougeâtre. Les indigènes emploient l’huile de palme dans leur cuisine.

De la séve du même palmier, les riverains du Tanganika obtiennent une liqueur enivrante, qu’ils appellent tembo, et qui est beaucoup plus agréable que la bière du pays.

Le bananier abonde également dans tous les villages des bords du lac. Une sorte de vin liquoreux, nommé zogga, est extrait des bananes que, pour cela, on écrase dans les mortiers qui servent à broyer le grain.

Le tamarinier est commun dans toute cette région ; mais c’est dans l’Ousagara, et à l’ouest de l’Ounyanyembé, qu’il acquiert son plus grand développement. En les mettant infuser dans l’eau, on fait avec ses fruits un breuvage d’une acidité fort agréable.

Le msandarousi, l’arbre au copal, se rencontre souvent dans l’Oukahouendi. Le miombo, le mtoundo, le palmyra (Borassus flabelliformis) se voient également dans les forêts que nous avons traversées.

Le tamaris, l’élégant mimosa, au doux parfum, les acacias d’espèces diverses, mériteraient une notice ; mais la place nous manque. Ces derniers croissent partout et sont pour les caravanes un véritable fléau, en raison de leurs branches peu élevées et largement étendues. On ne se figure pas ce que les voyageurs ont à souffrir de ces acacies épineuses, hérissées de toutes les formes d’aiguillons, de crochets et de grappins. Un jour que Sélim, étant malade, avait grand’peine à se tenir à âne, il fut saisi au cou par un de ces harpons, du genre de l’Attends-un-peu[4], et affreusement déchiré à proximité effrayante de la jugulaire. Il en portera la marque jusqu’à son dernier jour.

À ces arbres des forêts il faut ajouter le kolqual d’Abyssinie, l’euphorbe candélabre, qui en certains endroits atteint quarante pieds d’élévation.

Les aloès et les cactus se voient partout, mais principalement dans les plaines arides de l’Ougogo et dans l’Ouvinza méridional.

Parmi les arbres à fruit, nous avons cité le mbembou, qui donne la pêche sauvage ; le matonga, qui porte la noix vormique ; le mtogoué, un autre strychnos, dont les fruits sont connus dans l’Inde sous le nom de pommes des bois ; le singhoué, qui fournit une sorte de prune ; et dans l’Oukahouendi, les variétés de raisin sont nombreuses ; mais il y a en outre une quantité d’espèces vénéneuses, ou inoffensives, dont je n’ai pas pu connaître les propriétés, pas même savoir le nom.

Les Arabes de l’Ounyanyembé ont introduit dans leurs jardins le papayer, le goyavier, le limonier, le citronnier, le manguier, l’oranger et le grenadier.

L’alimentation des diverses tribus qui habitent l’Ounyamouézi et les provinces qui s’étendent jusqu’au lac, se compose de matama (doura des Arabes, johouar des Hindis, Holcus sorghum de Linné), de bajiri (Holcus spicatus), de millet (Panicum italicum), de maïs, de mahouéri ou sésame, de gesse, de fèves et de haricots, dont les nombreuses variétés sont très-communes dans les jardins.

Le riz, l’igname, la patate, le manioc abondent dans l’Ounyanyembé et dans l’Oujiji. La canne à sucre prospère dans cette dernière province et dans quelques parties de l’Oukahouendi. Le froment n’est cultivé que par les Arabes.

On ne moissonne qu’une fois dans l’année. Sur les bords du Tanganika, la récolte a lieu en avril ; au mois de mai dans l’Ounyamouézi ; et en juin dans la région maritime, qui s’étend jusqu’à l’Ousagara.

Le coton, le ricin, le tabac sont cultivés partout ; les gourdes et les concombres également, et en grande abondance.

L’indigo pousse à l’état sauvage.

Au milieu des plantes de la flore indigène, on retrouve le serpolet et la sauge, le houx, l’hélianthe, le piment (Capsicum baccata) ; le chilie, autre espèce de piment, le gingembre, le curcuma, le laurier-rose. Près du Tanganika se voit la méthonique (Gloriosa superba), et dans l’Oukahouendi, autour des villages, poussent le cari, le coquelicot, la moutarde noire.

Parmi les herbes, outre des graminées d’une végétation excessive, telles que le chiendent, on reconnaît l’épervière, le buphtalme, la spergule.

Le lotus et divers nymphéas, dont un sans feuilles, couvrent les eaux tranquilles du Gombé et celles des étangs de l’Oukahouendi.

Le papyrus et la canne matété bordent tous les points incultes des terres alluviales que l’on trouve sur les rives du Tanganika. L’eschinomène se voit à l’embouchure de tous les grands affluents du lac ; et dans les hautes futaies qui entourent celui-ci, les fleurs de cent espèces d’arbustes exhalent des parfums d’une exquise suavité.

Les bornes restreintes de ce chapitre m’empêchent de donner de longs détails sur la faune de cette partie de l’Afrique. On me pardonnera si je suis trop bref à cet égard.

Parmi les quadrumanes, le plus grand que nous ayons vu est celui qui porte le nom de babouin vouandirou. Il se distingue non-seulement par sa grande taille, mais par son aspect léonin. À une certaine distance on prendrait ce singe pour un petit lion ; et le sourd rugissement qu’il fait entendre dans les épaisses forêts de l’Oukahouendi, rend l’illusion plus complète. Une longue crinière grisâtre lui entoure la tête, lui couvre les épaules, et se détache sur un manteau d’un gris foncé, mêlé de brun clair. Sa queue est longue et terminée par un bouquet de poils. Il fait sa demeure dans les cavernes ou dans le creux des grands arbres.

Le vouandirou de couleur grise est celui que nous avons trouvé près des sources du Rougoufou ; mais plus à l’ouest, sur les bords de quelques affluents de cette rivière, nous avons rencontré ce babouin en grand nombre, et avec la robe complètement fauve.

Après celui-ci, vient l’énorme cynocéphale dont j’ai donné la description dans le chapitre précédent. Il y a dans l’Oukahouendi, ainsi que dans l’ouest de l’Oukonongo, une autre espèce de babouins plus petite et à face noire, pareille au tota d’Abyssinie. Ces babouins sont extrêmement actifs, et bons grimpeurs. Ils vivent en société, et font leur nourriture de baies sauvages, de fruits du mbembou et d’insectes.

Nous avons vu les grands félins d’Afrique, lion et léopard, dans les forêts de l’Oukahouendi. Le premier habite les franges épaisses de grands arbres qui bordent les cours d’eau ; on le trouve infailliblement dans toutes ces prairies parsemées de bois, qui ressemblent à des parcs, et où le gibier est en abondance.

La cynhyène se fait entendre presque toutes les nuits, principalement dans l’Ougogo et dans l’Outanda. Aussi gros qu’un mâtin, cet animal a une tête puissante et la gueule extrêmement forte. Le système dentaire est, chez lui, pareil à celui des chiens ; tandis qu’on ne trouve chez les hyènes que six fausses molaires à la mâchoire supérieure, huit à la mâchoire inférieure[5]. Les dents de la cynhyène, fisi des naturels, sont armées de pointes formidables et tranchantes qui leur permettent de broyer les os les plus durs. La robe est d’un fauve mêlé de gris et d’une teinte sale, avec des taches noires qui ont l’air d’être fanées. Les oreilles sont grandes, épaisses, également tachetées de noir[6].
1. Espèce bovine de l’Oujiji. — 2. Espèce bovine de l’Ounyamouézi.
— 3. Chien paria. — 4. Mouton à large queue.

Les chacals dont nous avons fait la rencontre ressemblaient à nos coyotes, et avaient le glapissement aigu de ces derniers. Leur queue est épaisse et touffue, leur museau pareil à celui du renard, et leur couleur d’un gris foncé.

Les animaux que nous avons encore trouvés sur notre route, sont l’éléphant, le rhinocéros, la girafe, le zèbre, le buffle, le caama, l’élan, le springbok ou gazelle sauteuse, le gnou rayé, le pallah ou waterbok (antilope aquatique), le coudou (antilope strepsicère), le bluebok ou perpusilla (antilope pygmée), le reitbok (antilope diotragus), qui est en grand nombre ; le sanglier, le cochon rougeâtre et couleur de plomb, animaux que nous avons décrits et sur lesquels il n’est pas nécessaire de revenir.

Les hippopotames et les crocodiles sont très-nombreux dans le Kingani, ainsi que dans le Gombé, dans le Malagarazi et dans le Tanganika. Enfin, sur les rives du Gombé et du Rougoufou, nous avons vu des quantités de ces marmottes que nous appelons, en Amérique, chiens de prairie, ou écureuils de terre (cynomys ludovicianus).

Pas d’autres animaux domestiques que les plus répandus en tous pays. Les bœufs sont de deux espèces : ceux qu’on voit dans l’Ougogo, dans l’Ounyanyembé et dans l’Ouhha, se distinguent par une bosse, placée entre les épaules comme chez le bison d’Amérique. L’autre race, que nous n’avons trouvée que dans l’Oujiji, est montée haut sur jambes, a le coffre mince et les cornes excessivement longues.

Les moutons, communs chez toutes les tribus, se font remarquer par une queue très-large, énorme loupe de graisse. Les chèvres sont nombreuses et de couleurs diverses. C’est dans le Manyéma que se trouvent les plus belles ; la race y est trapue : corps vigoureux et jambes courtes.

Les ânes, très-communs dans l’Oubanarama, sont grands et forts, mais sauvages et vicieux.

Les chiens se voient en grand nombre dans toutes les bourgades ; ils appartiennent à la véritable race paria, et sont à la fois lâches et galeux.

Il y a aussi des chats dans tous les villages, où ces animaux doivent mener joyeuse vie ; car les rats infestent chaque tembé, chaque demeure.

Parmi les oiseaux, qui abondent au centre de l’Afrique, ceux que nous avons rencontrés le plus fréquemment sont les aigles-pêcheurs, les vautours, les milans, la corneille à cravate blanche, ta tourterelle, l’outarde, la cigogne à bec en forme de selle (C. ephippiorhynque). Sur les rives et sur les eaux du Gombé, de la Mpokoua, du Rougoufou, du Tanganika, l’ibis noir, l’ibis sacré, le toucan, l’oie armée, le canard sauvage, le canard à plumage noir de Madagascar, la mouette, le padda, la grive, la cigogne à tête en marteau, le pélican, la grue couronnée, la grue à robe grise, l’oie d’Égypte, le grèbe cornu, le plongeon, le martin-pêcheur, le sterne, la pintade, la caille, le florican et un tétras.

J’ai vu des autruches dans l’Ougogo ; des cygnes sur le lac Ougombo ; des bécassines et des bergeronnettes près de l’embouchure du Roussizi, des hibous, des chauves-souris, des balaniceps, des tringas, des barbicans, des huppes, des perroquets, des geais, des roitelets, des gobe-mouches dorés et de petites aigrettes. La liste, comme on voit, est beaucoup trop longue pour que l’on entreprenne la description de tout ce qu’elle énumère.

Dans la classe des reptiles, mentionnons un boa de couleur verte, et un petit serpent à dos argenté. Les lézards sont innombrables. Il y a aussi des iguanes, des gymnopus, des crapauds, des grenouilles, des tortues de différents genres, terrestres et aquatiques, entre autres la terrapin des États-Unis, ou palustris.

Les insectes les plus communs sont la mouche domestique, la tsétsé, les taons, les moustiques, les puces, les poux, les guêpes, les abeilles, les fourmis noires, rouges et blanches. Viennent ensuite des libellules, des araignées d’espèces diverses : tégénaires, tarentules, épéires ; puis des chenilles, des scorpions jaunes, des centipèdes, des myriapodes.

Le Tanganika renferme des poissons d’une grande variété. D’abord un silure (1) à peau nue, d’un brun foncé sur le dos, allant jusqu’à blanchir sur le ventre, et qui est à la fois très-gras et de belle taille ; d’après les Vouajiji, qui l’appellent singa, il atteint jusqu’à six pieds de longueur. Celui dont j’ai fait l’esquisse mesurait trente-huit pouces et demi, et pesait dix livres ; mais il était considéré comme très-jeune.

C’est le même silure qu’on trouve dans les étangs et dans les rivières de toute la ligne que nous avons suivie. On le prend dans le Gombé par centaines. Coupé en morceaux et séché, il est porté dans l’Ounyanyemhé, ou il est vendu aux Arabes, aux Vouangouana et aux Vouasaliouahili.
Poissons du Tanganika.
Vient ensuite, comme importance et comme dimensions, un poisson écailleux, nommé sangara (2) et dont la chair est estimée. Celui que j’ai dessiné avait près de deux pieds de long, quinze pouces de tour, et pesait six livres et demie.

Le mvouro (3), dont le corps est épais et charnu ; autre poisson écailleux, et qui passe pour être excellent. Mon modèle avait dix-huit pouces de longueur, quinze pouces et quart de tour, et pesait un peu plus de cinq livres.

Le chai (4), poisson verdâtre sur le dos, clair sur l’abdomen, et de moindre volume ; celui de la gravure : neuf pouces de long et quatre de tour.

Deux poissons sans écailles (5 et 6) ; l’un de sept pouces, sur quatre de large, à ventre blanc rayé de noirâtre ; poisson charmant dont les Vouajiji font journellement des prises considérables. L’autre, à peu près de même taille, à ventre argenté, ayant le goût de la truite, et fort recherché par les gourmets.

Une perche (7), n’atteignant pas généralement plus de huit pouces, à chair peu savoureuse, et qui ne trouve chaland que parmi les pauvres.

Une anguille (8), assez grasse et de peu de longueur, dix-sept pouces, sur quatre de tour (celle de la gravure) ; mais d’un goût excellent et d’une chair délicate.

À ces différents genres qui sont au nombre des plus importants du lac, il faut ajouter un poisson qui, bien que fort petit, contribue plus que tout autre à l’alimentation des indigènes. C’est une espèce de blanquette, appelée dogara, et qui se pêche dans de grands filets, où elle se prend par milliers d’individus. Son abondance permet d’en faire un objet d’exportation. On met le dogara sécher au soleil, ou bien on le sale ; préparé de cette manière, il s’envoie jusque dans l’Ounyanyembé.

Il y a encore d’autres menus poissons, qui ressemblent aux sardines de la côte de France et que l’on prend à la ligne ou avec des filets volants. Enfin on trouve au marché d’Oujiji, des huîtres et des crevettes.

Sauf examen, les seuls métaux connus des peuplades de cette région sont le fer et le cuivre. Celui-ci est apporté de la côte et du Roua. C’est de l’Ouvira et de l’Ousoukama, partie nord de l’Ounyamouézi, que vient le fer forgé. Tous les ornements de cuivre jaune que portent les tribus de l’intérieur sont fabriqués sur les lieux avec le gros fil de laiton qui s’achète aux caravanes.

Bien que le minerai de fer abonde, et que depuis l’Ounyamouézi jusqu’au lac, il se montre en mille endroits, à fleur de terre, on n’en fait usage, sur cette ligne, que dans l’Oukonongo et dans l’Ouvinza, où les naturels fondent celui dont ils ont besoin.

Les maladies qui atteignent communément les indigènes, à l’ouest de l’Ounyanyembé, sont les dyssenteries aiguë et chronique, les fièvres intermittente et rémittente, le choléra morbus, la fièvre typhoïde, la fièvre lente et continue, les maladies du cœur, les rhumatismes, les ophthalmies, la petite vérole, la paralysie, la gale, les maux de gorge, la phthisie, la colique, les affections cutanées, les ulcères, la syphilis, la hernie ombilicale, le prolapsus ani, les convulsions, et la néphrite.

Mais le véritable fléau de cette région, c’est la petite vérole. Les crânes des victimes de ce terrible mal, crânes blanchis qui se voient au long de chaque sentier des caravanes, disent trop bien les ravages qu’elle fait tous les ans, non-seulement parmi les bandes voyageuses, mais dans les tribus voisines. Des caravanes sont parfois décimées, et des bourgades plus qu’à demi dépeuplées par l’affreuse épidémie. Témoin journalier de cette dépopulation, Livingstone a demandé du vaccin ; et, grâce à l’envoi qui lui a été fait de cette matière, il a pu sauver un grand nombre d’existences.

Comme remèdes à tous leurs maux, les indigènes ont les simples que leur vend le mganga ou sorcier, et qu’ils emploient soit en nature, soit en décoction.

L’usage médicinal du ricin leur est complètement inconnu ; ils savent bien extraire l’huile de la graine ; mais ils ne l’emploient que pour s’en barbouiller la tête et le corps.

Leurs vomitifs, qui proviennent de l’écorce d’un certain arbre, dont je n’ai pas pu savoir le nom, sont, d’après les Arabes, d’une grande efficacité.

Pour les maladies néphrétiques, les Vouaganga ont une drogue qu’ils font avec l’extrait de la racine d’une plante, et celui des feuilles d’un arbuste, que l’on trouve aux environs de l’Ounyamouézi. Ils n’ont jamais voulu me faire connaître cette plante, ni cet arbuste malgré tout ce que j’ai fait pour les y décider. Je leur avais offert de l’étoffe ; bien que j’aie vu un homme faire usage de leur remède quotidiennement pendant un mois, sans en obtenir aucun effet. Les Arabes, en pareil cas, font une décoction de gomme-résine, dont ils boivent tous les jours une tlasse avant de se mettre au lit ; ou bien ils prennent matin et soir une tasse de lait nouvellement tiré.

Pour combattre les rhumatismes, les indigènes se couchent au soleil, ou se soumettent à des frictions rapides.

La colique est supposée devoir guérir par des vomissements que l’on provoque, en s’enfonçant le doigt dans la gorge.

Contre la dysenterie, on s’applique sur le ventre, et sur la partie postérieure, des pierres que l’on a fait chauffer.

Les gens pris de fièvre paludéenne, s’enveloppent dans leurs choukkas, et se mettent en plein soleil jusqu’à ce que la transpiration s’établisse ; mais j’ai vu dans ma propre bande, ce traitement être suivi de mort

Dans les cas de petite vérole, une quarantaine rigoureuse imposée au malade, est le seul moyen employé. Personne, excepté les gens qui ont survécu à l’horrible atteinte, ne veut approcher du malheureux. En marche il est exclu de la bande, et contraint de se retirer dans une hutte, bâtie à cet effet en dehors du camp. Mais dans les caravanes suivantes il y a de jeunes étourdis qui, sans y penser, visitent ce lazaret. Au bout de quelques jours ils perdent l’appétit, se plaignent de malaise, de fièvre, de douleurs dans le dos. On sait alors à quoi s’en tenir, et à leur tour on les expulse. Si le courage ou la force leur manque, ils meurent sur la route, car nul établissement ne leur permet d’approcher de son enceinte. S’il peut encore le faire, le maudit cherche la jungle, s’y arrange une cabane, et reste là, avec sa petite provision d’eau et de vivres, attendant qu’il guérisse ou qu’il meure.

En quittant les forêts de l’Ounyamouézi, nous nous sommes trouvés dans l’Oukomongo. Ses mtembous chargés de pêches, son bois de tek, ses larges couches de minerai de fer, qui se montrent fréquemment à fleur de sol, ont rendu cette province célèbre dans toute la région.

La partie orientale de l’Oukonongo n’est que le prolongement des plaines boisées de l’Ounyamouézi, plaines charmantes qui ressemblent à des parcs. Mais en approchant de l’Oukahouendi, on voit surgir des masses énormes, dont les eaux se déversent dans la Mréra, et dans les ravins marécageux qui se dirigent vers la plaine de Rikoua.

C’est une perspective extrêmement agréable, quelque chose d’attirant que la première vue de ces masses bleues et coniques, se dressant isolées, ou trois par trois, au-dessus de la plaine immense, qui, d’après les renseignements que j’ai recueillis, s’étend jusqu’aux pâturages des Vouatouta du sud.

Le Roungoua traverse cette vaste plaine, et beaucoup de ses affluents ont leurs sources précisément à l’endroit où l’Oukonongo touche à l’Oukahouendi.

Plusieurs de ses tributaires prennent naissance dans le district, de Kaséra.

On m’a dit que le Roungoua est aussi large que le Malagarazi, et que la plus importante de ses sources est dans l’Ourori-Central. Pendant la saison pluvieuse il déborde ; la plaine qu’il traverse est alors inondée, comme celle de la Makata l’est par la Moukondokoua ; d’où cette tache bleue, qui, sur la carte de Speke représente un lac Rikoua, dont ce voyageur suppose que les eaux, à l’époque des pluies, vont rejoindre le Tanganika. Mais à toutes les questions que j’ai faites au sujet du Rikoua, il m’a été répondu qu’il n’y avait pas de lac ; seulement que la plaine était couverte d’eau lors des inondations.

S’il est vrai que le Roungoua prenne sa source au milieu de l’Ourori, nous pouvons accepter comme probable la donnée qui fait sortir le Roufidji d’un groupe de montagnes, situé au sud de l’Oubéna, et qui peut être également celui où naît le Chambézi.

L’Oukonongo a pour limites, au nord l’Outakama ; au sud le territoire des Vouatouta ; ou sud-est les districts des Vouarori ; au sud-ouest l’Oufipa et le Karoungou ; à l’ouest l’Oukahouendi.

Cette dernière province est à peu près déserte ; les seuls établissements de quelque importance qu’elle renferme sont, au nord, ceux de Mana Msengé ; à l’ouest, sur le Tanganika, ceux de Ngondo et de Tongoué ; au centre, ceux de Rousahoua ; au sud, les villages de Pumbourou ; au sud-est, ceux de l’Outanda.

C’est un pays accidenté, ayant de belles forêts, un sol fertile, arrosé par des myriades de cours d’eau, et qui possède une faune et une flore abondantes.

Ses principales rivières sont le Rougoufou, qui prend sa source dans un groupe de montagnes voisin du Pumbourou, se dirige vers le nord, en coulant dans une vallée profonde, parallèlement au Tanganika, où il débouche au sud du Malagarazi.

Vient ensuite le Loajéri, qui descend d’un point situé entre les chaînes du Kagoungou et du Pumbourou, et qui se jette dans le lac à peu de distance du principal village d’Ourimba.

Puis une multitude de rivières telles que l’Ouhouélésia, la Sigunga, la Mviga et le Kivoé.

Comme étendue, l’Oukahouendi occupe le troisième rang parmi les contrées de cette région. Il se déploie des bords du Malagarazi, par environ , jusque par de latitude australe. Il est borné au nord par le Malagarazi et par l’Ouvinza ; à l’est par l’Ougara et l’Oukonongo ; au midi par l’Ousohoua et par l’Oufipa ; à l’ouest par le Tanganika.

De l’Oukahouendi, nous avons passé dans l’Ouvinza-Méridional, pays beaucoup plus tourmenté, déchire par de profonds ravins, coupé dans tous les sens par des lignes brunes de rochers nus ; pays de montagnes et de rocailles. Il présente, dans la vallée du Malagarazi, de nombreuses salines, d’où les indigènes retirent des quantités considérables de sel. Peu de cours d’eau traversent cette contrée, dont les chèvres et le grain sont au nombre des principales productions.

Après avoir traversé le Malagarazi, nous avons trouvé une longue bande de terre, déployée dans le sens de la latitude, et qui porte le nom d’Ouvinza-Septentrional. Le sol y est pauvre, et ne nourrit qu’une jungle clairsemée, composée d’arbustes épineux, de gommiers, de tamariniers, de mimosas, parmi lesquels se voient un petit nombre d’échantillons rabougris du tek de ces parages. On y trouve de grandes plaines salines, dont la possession, ou l’exploitation exclusive, est un sujet de conflit perpétuel entre les deux grands chefs Lokanda Mira et Nzogéra.

Dans sa partie supérieure, le Malagarazi est connu sous le nom de Gombé du nord. En traversant les grandes salines dont il vient d’être question, il contracte un goût légèrement saumâtre, mais qui n’a rien de désagréable. Il se jette dans le Tanganika au sud de rétablissement d’Oujiji. Cette rivière serait, je crois, navigable par bateau, depuis Vouilyankourou jusqu’à son embouchure ; je sais du moins qu’il en serait ainsi dans la saison pluvieuse.

L’Ouvinza-Septentrional est borné, vers le nord, par l’Ouhha ; au levant par l’Oukalaganza et par l’Ousagozi, provinces occidentales de l’Ounyamouézi ; au sud par le Malagarazi ; à l’ouest par l’Oukaranga.

Ses principaux établissements sont Ousényé, Mpété, Yambého, Siala, Isinga, l’île de Nzogéra et les districts de Lokanda Mira. De même que l’Ouvinza du sud, il a pour produits et pour objets de commerce les chèvres, le grain et le sel.

L’Ouhha, dans lequel nous entrons en sortant de l’Ouvinza, est une plaine immense dont l’aspect est celui des prairies du Nébraska. Il est divisé en deux provinces, le Kiményi et l’Antari. Dans son ensemble, il a pour limites, au nord, l’Outouta ; au sud et à l’est, l’Ouvinza ; à l’ouest, l’Oukaranga et l’Oujiji.

La chaîne de montagnes qui, dit-on, sépare l’Ouhha de l’Outouta, donne naissance à deux rivières importantes, le Rousougi et le Rougoufou. On trouve encore dans l’Ouhha, le Sounazzi, le Kanengi, et le Pomboué. Tous ces cours d’eau sont légèrement saumâtres, surtout le Pomboué, le Kanengi et le Rousougi.

Les plaines de l’Ouhha, plaines découvertes, nourrissent de grands troupeaux de moutons à large queue, et de bêtes bovines de la race qui a une bosse sur les épaules. Les chèvres y sont très-belles. Le sol y est fertile, et produit de belles récoltes de sorgho et de maïs. Le climat y est bon, et la chaleur modérée par la brise du Tanganika et par les vents de l’Ousagara.

Les petits lacs, ou pour mieux dire les grands étangs de l’Ouhha, sont l’un des traits les plus frappants de la contrée. Ces étangs occupent de larges bassins de forme circulaire, et d’une faible profondeur. Il est évident qu’à une époque indéterminée, mais dont les traces sont nombreuses, une grande partie de l’Ouhha était couverte d’eau, et que la vallée du Malagarazi formait un bras du Tanganika. Un géologue trouverait dans cette région des sujets d’étude d’un immense intérêt.

Prenant à l’ouest, et franchissant la petite rivière du Sounazzi, nous arrivons dans l’Oukaranga, dont la nature est des plus diversifiées. Au nord, sur la frontière de l’Ouhha, le pays est montagneux ; dans le midi, c’est une pente unie et longuement inclinée, couverte de teks de belle venue ; au centre, se sont des collines, des ondulations dont les eaux rapides s’écoulent en ruisseaux transparents, un sol fertile, une contrée délicieuse. Du levant, partent de nombreux chaînons projetés à angle droit par la chaîne qui sépare, au nord-est, l’Ouhha de l’Oukaranga. Ces chaînons parallèles se dirigent à l’ouest, et s’affaissent tout à coup, lorsqu’ils approchent de la vallée du Liouké.

Les arbres qu’on voit principalement dans l’Oukaranga sont le tek et le mbougou.

Dans cette province, la chaleur est moite, l’humidité excessive. Une bruine perpétuelle paraît tomber à la cime des montagnes, d’où ruissellent les nombreux cours d’eau qui se déchargent dans le Liouké. Cette atmosphère humide et chaude convient spécialement au bambou ; aussi tient-il une grande place dans la végétation de la province.

Des hauteurs de l’Oukaranga, nous descendons dans la vallée du Liouké, et nous nous trouvons dans l’Oujiji, district d’une fertilité sans égale. Nous avons alors sous les yeux cette mer intérieure, dont le rivage dorénavant doit être regardé avec respect ; car « l’endroit qu’un homme de bien a foulé de ses pas reste à jamais consacré. »

La nature, d’ailleurs, a favorisé l’amour que devait m’inspirer ce terrain classique. Il n’est pas d’homme, si prosaïque qu’on le suppose, qui, au coucher du soleil, puisse contempler d’Oujiji le tableau qui s’offre à ses regards, sans être remué jusqu’aux moelles. Les couleurs éthérées dont le ciel resplendit, le rose, l’azur, le safrané, le violet vont et viennent avec une rapidité magique ; de larges bandes, des lignes ténues, les cirrhus, les cumulus sont transformés en or bruni et flamboyant. Leur éclat se réfléchit sur la muraille gigantesque d’un noir-bleu qui, à l’occident, borne le Tanganîka ; il révèle ces montagnes dont le sombre voile cachait les merveilles, répand sur elles des teintes du rose le plus doux et les inonde d’un flot de lumière argentée.

De toutes les peuplades de la région que nous venons de décrire, la plus remarquable est celle des Vouanyamouézi. Le type de cette race est un homme de grande taille qui a la peau noire, les jambes longues, une figure de bonne humeur, où s’épanouit un large sourire. Il porte, au milieu des incisives de la mâchoire supérieure un petit trou qu’on lui a fait dans son enfance pour indiquer sa tribu. Ses cheveux, divisés en tire-bouchon, lui tombent sur le cou. Sa nudité presque entière, montre des formes qui serviraient de modèle pour un Apollon noir.

Je l’ai vu souvent à Zanzibar prendre la robe des Arabes et le turban de mérikani, avec non moins d’avantages que pas un homme de la côte ; mais c’est dans son costume national que je me le représente toujours.

Il est né commerçant et voyageur ; c’est l’Yankee de l’Afrique.

Sa tribu a le monopole du transport des marchandises ; et cela depuis les temps les plus reculés. C’est le cheval, le mulet, le chameau la bête de somme que recherchent avidement tous ceux qui veulent aller du Zanguebar dans les régions du centre. Les Arabes ne vont nulle part sans lui ; et sans lui, l’explorateur de race blanche ne pourrait voyager.

On le voit dans tous les ports de la côte où il est généralement en grand nombre, attendant qu’on l’engage pour une longue entreprise. Comme les marins, en pareil cas, il loge et prend sa nourriture dans les auberges à lui destinées ; et comme eux, il est ennemi du repos.

Kaolé, Bagamoyo, Kondouchi, Dar Salaam, Quiloa sont pour lui ce que New-York est pour les matelots anglais. Ceux-ci trouvent
Vouanyamouezi.
dans la ville américaine à se réembarquer moyennant plus forte solde ; et le Mnyamouézi repart de la côte avec un salaire plus élevé que celui qu’il touche pour venir de cher lui au bord de la mer.

Il est en si grande faveur, qu’on lui donne pour se rendre dans l’Ounyanyembé, trente-six mètres de cotonnade au minimum ; et jusqu’à cent mètres qui, sur les lieux, valent deux cent cinquante francs. Une centaine de ces pagazis coûtera donc au voyageur dix mille mètres d’étoffe pour un voyage de trois mois ; ce qui à Zanzibar représente vingt-cinq mille francs en numéraire. Toutefois avec de la patience et une économie rigide, on peut se procurer le même nombre d’hommes pour trois mille dollars, soit quinze mille francs.

Le Mnyamouézi étend ses voyages des rives du Loualaba aux monts du Karagoueh. Entre ces limites, on le rencontre partout : dans les forêts de l’Oukahendi, sur les hauteurs de l’Ouganda, dans les champs de l’Ougogo, les plaines de l’Ourori, les parcs de l’Oukonongo, les marais de l’Ouségouhha, les défilés d’Ousagara, les déserts d’Oubéna ; chez les pasteurs Vouatouta, au bord du Roufidji, aux environs de Quiloa ; partout vous le retrouvez chargé de cotonnades du Massachussets, de calicot et de fil métallique d’Angleterre, d’indiennes de Mascate, d’étoffes du Cotch, de verroterie d’Allemagne.

En caravane il est docile ; chez lui d’humeur joyeuse ; trafiquant pour son compte, il est plein d’habileté et de finesse ; aventurier, il se montre audacieux et sans scrupule ; c’est le rouga-rouga de Mirambo. Dans l’Oukonongo et dans l’Oukahouendi il est chasseur ; dans l’Ousoukouma, fondeur de fer et conducteur de bétail ; dans le Londa, chercheur d’ivoire énergique ; sur la côte, frappé d’étonnement et de respect.

Malheureusement la race diminue, ou bien elle émigre. Il y a dans le pays de grands espaces déserts, tels que le Poubouga, le Mgongo Tembo, le Kigoua, l’Outanda, le Mfouto, le Massangé, le Vouilyankourou. Des causes évidentes expliquent trop bien cette dépopulation ; d’une part, l’état de guerre permanent qu’entretiennent les chefs ; de l’autre, les fatigues, les misères du voyage.  Sur dix crânes que l’on rencontre dans le sentier des caravanes, huit au moins appartiennent à des Vouanyamouézi.

L’esclavage, avec ses horreurs, ajoute à leur extermination et les démoralise. Il est affreux de songer que de pareilles gens peuvent disparaître, comme ont fait les Makololos, dont la vaillante tribu s’est éteinte depuis le dernier voyage de Livingstone au Zambèse. Quelle puissance un gouvernement philanthrope pourrait donner à cette peuplade ! Quel glorieux témoignage de charité et de civilisation elle pourrait devenir ! Quels convertis aux préceptes de l’Évangile un missionnaire pratique saurait faire de ces hommes intelligents et disciplinables !

L’influence du mganga, c’est-à-dire du magicien, est très grande dans l’Ounyamouézi. Jusqu’au moment où j’ai pris la peine de démentir le fait, on m’y a représenté comme pouvant faire pleuvoir, pouvant empoisonner toutes les eaux de la province, et détruire l’armée de Mirambo avec une préparation magique.

Dans les premiers temps ils m’amenaient leurs malades, des gens couverts de plaies, ou atteints de la petite vérole, des syphilitiques, des galeux, des poitrinaires. Il me fallut insister avec chaleur, et le faire à diverses reprises, pour les convaincre de mon impuissance à l’égard de tous ces maux. Un vieillard, qui souffrait d’une dyssenterie chronique, vint me demander une drogue qui pût le guérir ; il m’apportait en échange un beau mouton gras et un plat de choroko. Il m’aurait été facile d’accepter le présent et de donner au bonhomme une potion quelconque. J’aimai mieux lui dire que je ne pouvais rien contre sa maladie. Cependant, je lui remis une centaine de grains de poudre de Dover ; plus, deux dotis de bonne étoffe, pour qu’ils pussent se couvrir, lui et sa femme ; et je refusai le mouton ; ce vieillard m’inspirait tant de pitié !

Jamais les Vouanyamouézi n’entreprennent une expédition de chasse sans consulter le mganga, qui, moyennant offrande, les pourvoit de talismans, d’herbes magiques et de bénédictions. Un morceau d’oreille de zèbre, du sang de lion, une griffe de léopard, une lèvre de buffle, une queue de girafe, un sourcil de caama, sont des trésors que les chasseurs ne donnent jamais, si ce n’est en échange d’une valeur monétaire. Ils portent, suspendus au cou, un morceau de quartz poli en forme de triangle, des fragments de bois sculptés et une amulette toute-puissante, qui consiste en un brin d’une plante particulière, jalousement enfermée et cousue dans une petite bourse de cuir.

Braves contre la fatigue, les Vouanyamouézi sont des poltrons fieffés dès qu’il s’agit de se battre. Ils passent humblement dans l’Ougogo, tremblant à l’idée d’une collision. Une fois hors de ce pays redouté, ils font les matamores et se vantent de leurs prouesses.

Ils ont pour habitude, quand la guerre est chez eux, de ne pas se mettre au service des caravanes. En pareil cas, leurs chefs blâment toute entreprise commerciale ; et la volonté de ceux qui les dirigent a, pour eux, force de loi.

Le système de gouvernement, dans l’Ounyamouézî, est monarchique héréditaire. Le roi y est appelé mtémi. Ce titre n’appartient qu’aux chefs de l’Ounyanyembé, de l’Ousagozi et de l’Ougara ; néanmoins on le donne par courtoisie aux chefs de district.

Mkasihoua, mtémi de l’Ounyanyembé, dont la population est de vingt mille âmes, peut mettre sous les armes trois mille guerriers. À eux seuls les districts de Tabora et de Kouihara, districts d’une faible étendue, en fournissent quinze cents.

Le mtémi de l’Ougara se nomme Pakalamboula ; celui de l’Ousagozi a pour nom Moto, qui veut dire feu.

Certaines coutumes des Vouanyamouézi sont curieuses ; par exemple à la naissance d’un enfant, le père coupe la coiffe[7] et la porte à la frontière du district, où il l’enterre. Si la frontière est formée par un cours d’eau, l’enterrement a lieu sur la rive. Prenant ensuite la racine d’un arbre voisin, le père revient chez lui avec cette racine, et l’enfouit au seuil de sa demeure. Puis il tue un bœuf, ou une douzaine de chèvres, et invite ses amis au festin qu’il prépare, festin qui est largement arrosé de pombé.

Lorsque la mère sent approcher l’heure de sa délivrance, elle va chercher une de ses amies, et se rend avec elle dans les bois, où l’enfant est mis au monde. Si la couche est double, on ne tue pas l’un des jumeaux ; le fait est plutôt regardé comme un bonheur.

Les préliminaires du mariage sont à peu près les mêmes que chez les Vouagogo ; l’épouse est achetée à son père, moyennant plus ou moins de chèvres ou de vaches, dont la quantité dépend de la fortune des deux parties.

Tout maléfice est puni de mort ; la procédure usitée en pareil cas est aussi la même que celle des Vouagogo.

Les crimes d’État, soit contre le gouvernement, soit contre le pays, font également encourir la peine capitale.

Un voleur, pris sur le fait, peut être tué immédiatement, ou, d’après un jugement du mtémi, devenir l’esclave de celui qu’il essayait de voler.

Après décès, le corps est porte dans la jungle. Si le défunt est un personnage important, on l’enterre assis dans la fosse, ou couché sur le côté, ainsi que le placent les Vouagogo. Celui qui meurt à la suite d’une caravane est simplement jeté hors du camp, ou laissé au bord de la route, et, dans tous les cas, abandonné aux hyènes, les plus-habiles des nettoyeurs de la forêt. Quant au chef, il est enterré dans le village.

Les Vouasoukouma (Vouanyamouézi du nord) sont très-industrieux. Ils extrayent eux-mêmes du minerai tout le fer dont ils ont besoin, et fabriquent la presque totalité des houes qui s’emploient depuis le lac Tanganika jusqu’à l’Ousagara. Il n’est pas de caravane qui, en partant de l’Ounyanyembé pour revenir à la côte, n’achète de ces instruments, avec lesquels dans l’Ougogo se paye le tribut de retour.

Le fer ainsi importé n’est pas seulement employé pour l’agriculture ; il sert aux peuplades qui le reçoivent à fabriquer des armes.

Les Vouanyamouézi font également commerce de ces dernières, on rencontre souvent, dans l’Ounyanyembé, un armurier indigène colportant ses engins de mort, qu’il échange pour de l’étoffe. Moyennant deux mètres de cotonnade, vous lui achetez une lance ou une douzaine de flèches ; pour quatre mètres de calicot (grande largeur) il vous livrera un arc de premier ordre, décoré de fil de cuivre et de laiton ; et moitié de cet aunage vous procurera une forte hache d’armes. Cette hache, ainsi qu’on peut le voir dans les gravures qui accompagnent ce volume, pages 435 et 439, est pareille à celles qu’employaient les Pictes dans l’âge de pierre, et les Égyptiens et les Romains dans les premiers temps de leur histoire. Le même modèle est en usage depuis Bagamoyo jusqu’à San Salvador ; depuis la Nubie jusqu’au pays des Cafres.

Les Vouanyamouézi donnent à l’Être suprême le nom de Miringou. Celui-ci est pour eux le créateur de toutes choses et le dispensateur des richesses. Ils l’invoquent rarement et ne lui adressent leurs prières que pour lui demander un accroissement de fortune.

Si un de leurs parents vient à mourir, ils vous disent : « Le Miringou l’a pris ; » ou bien : « Il est perdu, c’est l’œuvre du Miringou. » Le ton de frayeur respectueuse dont ils profèrent ces mots annonce qu’à leurs yeux le fait est surnaturel.

« La jeune fille peut-elle oublier sa toilette ? » dit le proverbe. Dans l’Ounyamouézi il parait que non. Du jour où elle peut dire mama, sa parure est l’objet de sa constante sollicitude. Elle se plaît à regarder les jolis rangs de perles vertes, jaunes, rouges et blanches que fait si bien ressortir la sombre teinte de ses petits bras. Elle aime à enrouler sur ses doigts les grands colliers de perles diverses qui lui couvrent la poitrine, ou bien à jouer avec ceux qu’elle a autour de la taille ; elle les met dans ses cheveux, et se montre radieuse quand on lui dit que cela lui va bien. Son rêve est d’avoir une ceinture en fil de laiton, alors même que cette brillante spirale n’a pas de vêtements à retenir. Elle attend son mariage avec impatience, afin de posséder un morceau d’étoffe dont elle se drapera le corps, et de pouvoir donner ses volailles aux Arabes, en échange du clinquant dont ils disposent.

Les réunions que forment entre elles les dames anglo-saxonnes, pour prendre le thé, sont d’antique origine. Elles étaient en vogue dans l’ancienne Égypte, sous le règne des Pharaons. Qui donc en voyant les peintures murales de Memphis-la-Retrouvée, n’a remarqué les cercles féminins qu’elles représentent ? J’ai vu ce genre de symposia en Abyssinie, contrée où les anciens usages sont excessivement tenaces. L’Ounyamouézi offre le même spectacle ; et j’ai rarement contemplé des visages exprimant un bonheur aussi parfait que ceux des femmes d’un tembé kinyamouézi, réunies au coucher du soleil pour s’entretenir des événements du jour.

Chacune, assise sur un petit escabeau, a près d’elle sa fille, plus ou moins adolescente, qui, pendant que ces dames babillent et fument, emploie ses doigts agiles à convertir la chevelure maternelle en séries nombreuses de petites nattes et de tire-bouchons. Les plus âgées entament la causette, qui s’expédie avec la volubilité d’un gazouillis d’hirondelles. L’une rapporte que sa vache a tari complètement ; l’autre, combien le Mousoungou lui a payé son lait ; celle-ci raconte ce qui lui est arrivé en piochant ; celle-là trouve étonnant que son mari ne soit pas revenu de la résidence du mtémi, où il est allé vendre du grain, etc., etc.

Tandis que les femmes se livrent à la joie de cet innocent bavardage, les pères de famille sont au club des jeunes gens, dans un endroit où le prix des marchandises et la politique du canton sont discutés avec non moins de pénétration et de sens que pareils sujets peuvent l’être en pays civilisés.

Ce lieu public, nommé vouanza, ou uvouanza[8], est généralement situé sur l’un des côtés intérieurs du village, pans les instants de loisir, et il est rare qu’il y en ait d’autres pour les gens du tembé, les membres de l’assemblée, accroupis sur leurs talons, fument en causant de choses et d’autres ; par exemple, du Mousoungou, dont l’arrivée et les moindres gestes fournissent des sujets de conversation intarissables ; mais, quel que soit leur étonnement à son égard, pas un d’eux n’a l’impertinence de mettre en doute sa qualité d’homme blanc, ni de contester ses assertions, comme certaines gens l’ont fait en Europe.

Un homme a un fer de lance à aiguiser, un poignard à décorer, un manche de serpe à faire, une pipe à fumer ou quelque chose â dire, il entre au Vouanza. Si la place est déserte, il se hâte de terminer sa besogne ; puis il va rejoindre le groupe établi sous le gros arbre qu’il y a dans presque tous les villages ; et, assis à l’ombre, il se livre à son amour pour la conversation. Le vouanza est dans cette province ce que l’Agora était pour les Athéniens, ce que la bourse est pour les habitants des capitales modernes.

Il ressort des lignes précédentes que les Vouanyamouézi aiment beaucoup à fumer. En examinant les planches ci-jointes, on verra combien ils déploient d’habileté dans le façonnage de leurs pipes. Nous ferons observer que les différents modèles que retrace la gravure offrent beaucoup de similitude avec ceux qu’on trouve chez les Indiens de l’Amérique du Nord. Ces derniers emploient pour le fourneau une stéatite rouge, et les Vouanyamouézi, quand ils le peuvent, une stéatite noire, qui se rencontre dans l’ouest de l’Ousoukouma. Mais comme cette pierre tendre est difficile à obtenir, ils la remplacent par un mélange d’argile noire et de pailla hachée excessivement menu.

Le tabac dont ils font usage n’est pas de qualité supérieure. Il est mis en pains, comme celui d’Abyssinie, et de la même forme. Un de ces pains, du poids de trois livres, coûte un doti, ou quatre mètres d’étoffe. Pour le même prix, vous avez une pipe en stéatite, avec le tuyau richement décoré de fil de laiton.

Au lieu de tabac, les indigènes fument souvent du chanvre ; ils se serrent alors d’un narghilé très-primitif, simplement une gourde emmanchée d’un bâton creux. Il suffit d’une ou deux inha
Armes et ustensiles.

01, 2, 3, 4, 5, 6. Signes indicateurs de la route (p. 195)
07, 8. Narghilés indigènes.
09. Boîte d’écorce.
10. Foyer et marmite de terre.
11. Fer d’une houe.
12. Houe.
13. Guitare.
14. Peigne.
15. Massues, casse-têtes (armes de guerre et de chasse).
16. Chasse-mouches.
17. Escabeau.
18. Gourdes.

lations pour déterminer chez le fumeur des quintes de toux qui semblent lui déchirer la poitrine et briser tout son être.

Les Vouanyamouézi n’en paraissent pas moins grands amateurs de ce supplice, car ils y recourent fréquemment. Il est impossible d’exprimer l’irritation et le dégoût que cette toux rauque et déchirante provoque chez celui qui l’entend.

Les Vouanyamouézi de la province d’Ounyanyembé ont des troupeaux de gros bétail. Toutes les fois que dans un pays il y a des bêtes bovines, c’est une preuve que la contrée est rarement envahie. De Bagamoyo aux rives du lac, nous n’en avons trouvé que dans l’Ousagara, l’Ougogo, l’Ounyanyembé et l’Ouhhah. Les gens des autres provinces n’élèvent que des moutons, des chèvres et des poules. Quelques-uns des riches Arabes de l’Ounyanyembé possèdent jusqu’à cinquante vaches laitières ; mais il y a peu d’indigènes qui en aient plus d’une trentaine.

Ces vaches se payent de quatre-vingts à cent vingt mètres du calicot le plus large. Elles donnent peu de lait ; un demi-gallon, deux litres et demi par jour sont considérés comme un beau produit, et le fait est rare. J’estime qu’en moyenne ces vaches ne donnent pas plus de trois pintes, un litre et demi ou environ. On m’apportait quotidiennement près de cinq litres de lait, que je payais tous les dix jours, soit environ cinquante litres pour quatre mètres de kitambi. Avec cette ration quotidienne, je me faisais du beurre et du fromage, ce qui est le plus grand luxe de table qu’un blanc puisse avoir dans le pays.

Les Vouanyamouézi, de même que tous les nègres, aiment passionnément la musique ; la leur est certainement barbare, et fatigue bientôt par sa monotonie ; mais les plus habiles de leurs artistes savent toujours la rendre amusante.

Beaucoup d’entre eux sont grands improvisateurs ; le dernier scandale, une nouvelle politique, voire un simple cancan, s’il est de nature à offrir quelque intérêt, ne manque jamais de trouver des bardes. Peu de jours après la déclaration de guerre à Mirambo, il n’y avait pas un village dans tout l’Ounyamouézi qui n’entendit mentionner le fait dans les chants du soir ; et bientôt le nom de cet ennemi redoutable fut interpolé dans les anciennes ballades. Il en fut de même de l’arrivée du Mousoungou, ou Mouzoungou, ainsi qu’on prononce quelquefois ; mais le sujet perdit rapidement le charme de la nouveauté.

L’alimentation est la même dans cette province que dans toute l’Afrique centrale ; elle consiste en une épaisse bouillie de sorgho. qui est tout simplement de la pâte demi-liquide et chaude. Ce potage est accompagné de légumes, tels que haricots, fèves ou concombres, cuits à l’eau et ensuite écrasés.

La viande figure rarement dans le menu ; elle est trop chère ; et l’aversion que les convives ont pour une foule d’animaux restreint la quantité de celle qu’ils pourraient obtenir. Toutefois les Vouanyamouézi aiment beaucoup ce genre d’aliment ; quand ils peuvent se le procurer aux frais des autres, ils s’en gorgent outre mesure. Je n’ai jamais été heureux à la chasse sans voir les miens passer la nuit pour finir leur quartier de viande, comme si, à leurs yeux, il se fût agi d’un devoir sacré. Le fœtus et les entrailles sont pour eux des morceaux de choix.

Le mush des Américains[9], fait avec de la farine de maïs, est connu dans toute cette région. Quand cet humble mets est préparé, les hommes de la famille entourent le pot qui le renferme, y prennent une large poignée de cette pâte, la trempent dans le plat de purée ou de beurre fondu qui l’accompagne et s’en emplissent la bouche.

Les femmes mangent séparément ; ce serait déroger à sa dignité d’homme que de prendre ses repas avec elles.

L’extrême vieillesse est peu commune au centre de l’Afrique ; mais on voit des cheveux blancs et des échines courbées dans presque tous les villages. C’est dans l’Ounyanyembé et dans l’Ougogo, anciens États, où la population bien assise vit en sécurité, que j’ai vu les vieillards les plus âgés. Magomba, sultan de Kanyényi, doit avoir près de quatre-vingt-dix ans ; le capitaine Burton, qui l’a vu en 1858, en parle comme d’un être arrivé à la décrépitude. Il vit encore, mais ne peut plus marcher sans qu’on lui donne le bras. Kiséhouah, l’aîné de ses fils, doit avoir beaucoup plus de soixante ans ; Mtoundou Ngondeh, qui est le plus jeune, approche de la cinquantaine. Le sultan du Misanza, celui qui a tué l’ami de Burton et de Speke, le cheik Snay-ben-Amir, ne peut pas avoir beaucoup moins de quatre-vingts ans ; et Pembira Péreh, chef de Nyamboua, doit être du même âge.

Je considère les Vouakanongo et les Vouakahouendi comme appartenant à la même race que les Vouanyamouézi ; leurs manières et leurs coutumes sont identiques, et ils parlent la même langue.

Mais quand on a passé le Malagarazi et qu’on entre dans
Armes et ustensiles.

01. Magasinage du grain. 07. Serpe (arme usuelle). 13. Lance des Vouamanyémi.
02. Battage. 08. Anneaux de jambe. 14. Lance des Vouajiji.
03. Petite hutte. 09. Bracelets massifs. 15. Asségaye (javeline).
04. Pipes. 10. Tambour. 16. Corne d’appel du guide.
05. Narghilé indigène. 11. Spirales en fil de laiton. 17. Guitare.
06. Hache d’armes. 12. Escabeau. 18. Instrument de musique.
l’Ouvinza, on trouve une peuplade différente, dont les mœurs et les usages sont les mêmes que ceux des Vouajiji, des Vouakaranga, des Vouaroundi, des Vouavira, des Vouatouta, des Vouatousi.

La manière de saluer vous annonce tout d’abord que vous avez changé de nation. C’est une cérémonie assez fatigante que le salut de deux Vouavinza. En approchant l’un de l’autre, ils se tendent les deux mains et profèrent les mots vouaki, vouaki ; puis ils se prennent tous les deux par les coudes, se frottent les bras mutuellement, en répétant avec vitesse vouaki, vouaki, vouaké, vouaké, et terminent cette formule par des houh, houh qui expriment une satisfaction réciproque.

Les femmes saluent l’autre sexe, même les garçonnets à moitié venus, en s’inclinant jusqu’à se toucher les orteils avec le bout des doigts ; ou bien elles se mettent de côté et battent des mains, tout en criant comme les autres : vouaki, vouaki, vouaké, vouaké, houh, houh ; à quoi les hommes répondent en frappant aussi dans leurs mains et en disant les mêmes paroles.

Quand les gens de ces tribus ne sont pas assez riches pour acheter de la cotonnade, ou pas assez habiles pour se faire de l’étoffe, ils ont pour vêtement une peau de chèvre, attachée sur l’épaule gauche et retombant d’un côté du corps.

Plus industrieux, les Vouajiji se fabriquent, avec le coton de leurs jardins, un tissu qui, pour la texture, ressemble au sérapé du Mexique.

En fait d’ornements, toutes ces peuplades affectionnent les anneaux de cuivre et les spirales de fil de laiton et de fil de fer autour des poignets et des chevilles ; ce qui n’empêche pas la verroterie. En outre, les bijoux d’ivoire sont en grande faveur depuis l’Ouvinza jusqu’aux derniers districts de l’Ouroundi.

Nulle part je n’ai trouvé les coiffures plus variées que dans cette dernière province et dans l’Oujiji. On voit là des crânes entièrement nus, ou conservant des lignes de cheveux, lignes circulaires ou diagonales ; tantôt ce sont des crêtes, des brosses, des touffes ; tantôt des rubans, des bouclettes sur le front et sur les tempes, des croissants, des raies, etc. ; d’où nous pouvons conclure que, dans cette région, l’art du coiffeur n’a pas moins d’importance que dans les pays civilisés.

Le tatouage de ces tribus est également très-fantaisiste et bien supérieur à celui des autres peuplades. Vous rencontrez chez elles depuis la cicatrice amorphe jusqu’aux dessins les plus compliqués : lignes courbes et lignes droites, se coupant et s’enchevêtrant de mille manières ; zigzags courant sur les membres ; cercles entrecroisés ou concentriques formant bracelets, entourant les seins ou le nombril ; diagonales de l’épaule droite à la hanche gauche, et réciproquement ; bandes ondulées ou horizontales sur la poitrine, boutons et grandes plaques sur le ventre. L’opération doit être douloureuse, à en juger par l’énorme quantité de pustules qu’elle fait naître ; mais dans ces contrées l’amour de la parure ne s’arrête qu’au fond de la bourse.

Ceux qui peuvent en faire les frais portent jusqu’à trente et quarante colliers de perles de toutes les couleurs, de toutes les formes ; je parle des Vouajiji et des Vouaroundi, principalement de ces derniers. À toute cette verroterie s’ajoutent des défenses de sanglier et d’hippopotame suspendues au cou, ainsi que de minces croissants d’ivoire ; enfin de lourdes plaques sculptées de la même matière, retombant dans le dos. Parfois des clochettes de fabrique indigène, des morceaux de filigrane en fer ou en laiton, des pierres polies, des coquilles, des charmes, des amulettes pendent sur la poitrine. Aux anneaux de métal se joignent les rangs de perles bleues, de perles rouges, portés aux bras et aux poignets, et d’autres fils de perles mis en ceinture.

En outre, surtout chez les Vouaroundi, l’usage du fard est très-répandu ; non-seulement les joues, les sourcils et les paupières, mais la tête et le corps sont frottés d’ocre rouge, d’une nuance plus ou moins vive.

Une argile poreuse et rougeâtre, déposée dans les ravins par les eaux, est également employée pour teindre les peaux de mouton, de veau ou de chèvre mégies qui servent de vêtements, et que, en surplus de leur teinture, les préparateurs décorent de points, de lignes et de cercles noirs à la manière des Peaux-Rouges.

Les femmes de ces tribus ont l’affreuse habitude d’étirer leurs grandes mamelles, pareilles à des bourses longues, en les attachant avec une corde qu’elles se passent autour de la taille.

Elles portent, soit pour se défendre, soit pour obéir à la mode, de grandes cannes, dont quelquefois un petit lézard ou un petit crocodile sculpté constitue la pomme.

Les Vouajiji, de même que les Vouakaranga, sont de nature superstitieuse. J’ai vu à Niamtaga, près de la porte du village, un buste en bois peint qui représentait le dieu protecteur. Cette idole aux yeux fixes et largement ouverts, dont les grosses prunelles noires sortaient d’un masque blanc, et qui était coiffée d’une espèce de loque jaune, paraissait être en grande vénération ; pas un homme ou une femme qui, en entrant, ne s’inclinât profondément devant elle, comme font les catholiques devant l’image de la Vierge.

On se rappelle que, en passant à Bemba, nos guides nous firent arrêter pour s’y munir de la précieuse argile qui assure un bon retour. L’énorme excavation que présente la falaise, à l’endroit qui fournit cette argile, tutélaire, prouve que c’est une ancienne croyance.

Un autre article de foi des Vouajiji est qu’ils ont sur les crocodiles
Idole.
une influence toute-puissante, au point de s’en faire des complaisants. On racontait dans le village, comme un fait avéré, que l’un de ces monstres, non moins bien dressé que le phoque de Barnum, et obéissant aux ordres secrets de certains individus, allait jusqu’à enlever un homme dans sa case, afin de l’emporter dans le lac, et à se rendre sur la place du marché, pour y découvrir un voleur dissimulé parmi la foule, voleur qu’il savait toujours découvrir.

Les Vouajiji sont également persuadés qu’avec des offrandes on peut apaiser le dieu jaloux du Tanganika, dont la voix courroucée rugit dans le Kabogo. Jamais ils ne passent devant cette montagne caverneuse, dont la pensée les remplit d’effroi, sans jeter dans le lac un morceau d’étoffe ou des grains de verre. Ce sont, dit-on, les perles blanches, dites mérikani, que préfère le dieu terrible.

Les Vouangouana, même les Arabes, sont obligés par leurs rameurs de déférer à cette coutume, et de jeter leurs présents dans l’onde, au moment où ils approchent du lieu redoutable. Les riverains du Tanganika ont des lances pesantes, avec lesquelles ils se battent de près, et de légères asségayes qu’ils savent jeter, avec une extrême précision, à une distance de plus de cinquante mètres. Leurs arcs sont moins longs que ceux des Vouanyamouézi et des Vouakonongo ; mais leurs flèches sont les mêmes, bien que faites avec plus d’art.

Parmi ces tribus, les Vouabembé ou Vouavembé, qui occupent les sommets rocailleux de la côte occidentale, en face de l’Ouroundi, sont anthropophages, et se montrent rarement aux étrangers. Ils semblent inférer de leurs propres coutumes que ces inconnus sont mangeurs d’hommes ; et dès qu’ils aperçoivent les canots des Arabes ou ceux des Vouangouana, ils s’enfuient dans leurs montagnes. On dit néanmoins, je ne garantis pas le fait, que s’ils apprennent que les voyageurs ont un moribond parmi leurs esclaves, ils demandent à l’acheter, et qu’en échange de l’agonisant ils proposent du grain et des légumes. On dit aussi, qu’ayant vu un Zanzibarite d’un embonpoint exceptionnel, ils portèrent leurs mains à leurs bouches, en s’écriant avec admiration :

« Chukula ngema sana hapa ! Chumvi mengi ! » Bonne nourriture vraiment ! du sel en abondance !

Ces cannibales ont pour voisins les Vouasansi — d’après Livingstone on devrait dire Basansi — qui, j’en ai peur, aiment également la chair humaine. Ce sont eux qui nous ont cherché querelle au sujet de la mort du fils de leur voisin, et qui avaient juré que pas un Arabe ou un Mgouana ne mettrait les pieds sur leur territoire. Je n’ai jamais vu pareille excitation à celle que témoignèrent ces gens-là en voyant découper une chèvre par un de nos hommes. Leurs regards s’attachaient sur la proie avec la frénésie de ceux d’un loup affamé. Ils implorèrent de petits morceaux de viande, s’arrachèrent ceux qu’on leur donna, et recueillirent avec avidité le sang de la bête répandu sur le sable. Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai dans le reproche de cannibalisme adressé aux Vouabembé ; mais je suis persuadé que les Vouasansi le méritent.

  1. Nous avons traduit littéralement ce passage, pour lequel nous avons été peu aidée par la carte. Suivant la fin même de cette dernière phrase, le Kouala, ou Vouallah, ne serait pas le Gombé, mais l’un de ses affluents, puisqu’il y entre à peu de distance de Tabora. Peut-être la branche qui vient du nord, et qui, d’après Burton, descend des montagnes de l’Ouroundi, ne prend-elle le nom de Gombé qu’après sa jonction avec le Kouala. Burton ne parle que d’une seule rivière de ce nom, soit qu’il ait confondu les deux noullahs, tous deux affluents du Malagarazi, soit qu’il ait ignoré celui du sud. (Note du traducteur.)
  2. D’après la carte, il semblerait que ce n’est pas le Ngouahallah qui est traversé à plusieurs reprises, mais que ce sont diverses branches, dont la réunion constitue ce noullah, qui, lui-même, se joint à une autre source venue du Roubouga, et avec laquelle il forme le Gombé-Méridional. (Note du traducteur.)
  3. Espèce de noyer de l’Amérique du Nord (genre Carga) dont le bois est d’un grand usage dans l’industrie.(Note du traducteur.)
  4. Acacia detinens ; épines en croc, plus traîtresses, plus redoutables que la griffe du chat. Cette acacie forme d’épais buissons, masse impénétrable de vingt pieds de hauteur, « dont chaque pouce offre un de ces grappins affilés, pouvant couper le cuir ainsi qu’au tranchet, » disent Cumming et Livingstone. (Note du traducteur.)
  5. « Three false molars in the upper row, and four in the lower ; » (sous-entendu de chaque côté de la mâchoire). Il aurait été plus frappant et plus réel de montrer cette différence dans le nombre total ; 40 ou 42 dents pour les chiens, 34 pour les hyènes. Les fausses molaires ne semblent pas avoir un chiffre bien déterminé. Sans entrer dans les détails, nous dirons que Boitard, par exemple, donne aux chiens ce même nombre de petites molaires : « trois en haut, quatre en bas ; » ce qui enlève à des dents le caractère distinctif dont il est question dans le texte. (Note du traducteur.)
  6. Il faut ici, comme ailleurs, attribuer uniquement la description qu’on vient de lire aux spécimens que l’auteur a eus sous les yeux ; c’est du reste sa particularité qui lui donne un sérieux intérêt. Le pelage de la cynhyène est très-variable ; mêlé de blanc, de noir, de jaune, plus ou moins fauve, plus ou moins lavé de gris ; tantôt c’est l’une de ces couleurs qui domine, tantôt l’autre. C’est principalement sur le corps, partie qui tient de la race canine, que ces variations se produisent ; et, chose à noter, le bout de la queue n’a jamais été noir dans les individus qu’on a observés. Ceux qui voudraient apprivoiser la cynhyéne feront bien de choisir l’animal dont le bout de la queue sera blanc ; c’est d’ailleurs ce qui paraît être le plus commun. (Note du traducteur.)
  7. D’après cette phrase, il semblerait que tous les enfants de l’Ounyamouézi naissent coiffés, ce qui n’est pas probable. La cérémonie usitée en pareil cas serait même une preuve que la chose est exceptionnelle. Il est possible que le fait se soit présenté pendant le séjour de notre auteur ; et que celui-ci, n’ayant pas eu l’occasion de voir d’autre naissance, ait cru à la généralité de la coiffe. Barton n’en parle pas, bien qu’il ait fait mention des naissances chez les Vouanyamouézi. (Voyage aux grands lacs, page 277.) (Note du traducteur.)
  8. Incanza de Burton, qui probablement a conservé l’i anglais, dont parfois le son est très-vague, et que Stanley, dans cette circonstance, a représenté par un u (uwanza) non moins indéterminé. (Note du traducteur.)
  9. Sorte de tôtfait nommé encore hasty pudding (poudding à la minute), composé de farine de maïs tournée dans de l’eau bouillante jusqu’à consistance de pâte, et ruangé avec du lait, du beurre et du sucre ou de la mélasse. (Note du traducteur.)