Comment j’ai retrouvé Livingstone (Stanley, 1884)/08


CHAPITRE VIII

Remarques géographiques et ethnographiques.


Bien que dans les chapitres précédents nous ayons décrit chaque jour le pays que nous traversions, bien que nous l’ayons montré sous ses différents aspects, nous croyons devoir présenter dans un chapitre spécial les détails que nous avons pu réunir sur la géographie et sur l’ethnographie de la contrée, soit par nous-même, soit par les renseignements qui nous ont été fournis.

Trois routes, avons-nous dit, conduisent de Bagamoyo à l’Ounyanyembé. Deux d’entre elles avaient déjà été suivies et minutieusement décrites par MM. Burton[1], Speke et Grant[2], qui m’ont précédé dans cette partie de l’Afrique. Restait celle du nord, à la fois inconnue et plus directe ; c’est elle que nous avons prise. Elle nous a fait traverser i’Ouzaramo (partie septentrionale), l’Oukouéré, l’Oukami, l’Oudoé, l’Ouségouhha, l’Ousagara, l’Ougogo, l’Ouyanzi, enfin l’Ounyamouézi.

La distance de Bagamoyo à l’Ounyanyembé est, en ligne directe, d’environ 6° de longitude, ou de trois cent soixante milles géographiques ; mais les détours du sentier, qui, dans cette région, suit la pente du terrain, choisit les passes les plus faciles ou les moins dangereuses, portent la distance effective à plus de cinq cent vingt milles. J’ai fait ce calcul d’après celui du temps consacré à la marche, dont la vitesse moyenne peut être estimée rigoureusement à deux milles et demi par heure.

Le territoire qui s’étend de Bagamoyo à Kikoka porte le nom de Mrima, qui signifie colline, et s’appelle également Sahouahil ou Zanguebar[3]. Cette dernière désignation, qui figure sur les anciennes cartes, s’applique ainsi que la précédente, Sahouahil ou rivage, à cette partie de la côte africaine dont l’embouchure du Djoub et le cap Delgado forment les deux limites, par au sud de l’équateur, et de latitude méridionale.

Bagamoyo, ainsi que nous l’avons vu, est un petit port de la Mrima, situé en face de Zanzibar, et d’où partent généralement les caravanes à destination de l’Ounyanyembé.

Un peu au nord, à une distance de quelques milles, se trouvent les villages de Vhouindé et de Saadani, deux autres petits ports, placés de chaque côté de l’embouchure du Vouami.

Kaolé, point de départ de Burton et de Speke, est à quatre milles au sud de Bagamoyo. On y trouve une gourayza, c’est-à-dire un fort, dont une douzaine de Béloutchis forment la garnison [4].

Au sud de Kaolé, est Kondouchi. Ensuite Dar Salaam, nouveau port établi par le prédécesseur du sultan actuel de Zanzibar. Après Dar Salaam, vous rencontrez Mbouamadji, lieu de rendez-vous des caravanes qui prennent la route du sud.

À soixante milles environ de cette place importante, toujours au sud, s’ouvre le delta du Roufidji, qui débouche en face de l’île de Mafia ou Montia.

Soixante milles encore dans la même direction, et vous arrivez au port de Quiloa, le grand entrepôt des marchands d’esclaves.

Toute cette partie de la côte a pour le monde civilisé une extrême importance ; les regards doivent s’y arrêter : c’est là maintenant que s’agite la question de l’esclavage. Les trois quarts des nègres achetés ou capturés dans l’intérieur sont embarqués à Bouéni, à Saadani, à Vhouindé, à Bagamoyo, dans tous les ports du Sahouahil, depuis Quiloa jusqu’à Mombas. C’est à ne pas oublier.

Sur la route que nous avons prise, le Kingani forme la limite occidentale de la Mrima. Dès qu’on l’a traversé, on entre dans l’Ouzaramo, dont nous avons touché la frontière nord. Le sultan de Zanzibar a établi un poste à Kikoka, village situé à quatre milles du Kingani. Par cette mesure il a pris possession du territoire qui s’étend de la côte à cette bourgade, territoire dont la lonq- gueur est d’une dizaine de milles. Le pays n’ayant pas d’habitants, la possession ne lui en est pas contestée.

À notre droite, c’est-à-dire au nord, se déploie l’Oukouéré sur une largeur de vingt-cinq milles, et sur une longueur de soixante, longueur dont la totalité est comprise entre le village de Rosako et celui de Kisémo[5].

À l’ouest de Kisémo se trouve l’Oukami, territoire qui s’étendait jadis au delà de Simbamouenni… Mais ses habitants, on se le rappelle, furent vaincus par les Vouadoé, qui s’emparèrent d’une portion de la province, et, qui, à leur tour, furent subjugués par les Vouaségouhha. Néanmoins une vaste étendue, bornée par le pic de Kira et par l’Oulagalla, et qui, enveloppant au nord le reste de l’Oukami, va rejoindre la Mrima, a gardé le nom d’Oudoé.

L’Ouségouhha commence à l’Oulagalla, et a pour limite occidentale la rive droite de la Makata.

Toute cette contrée, formée des provinces d’Oukouéré, d’Oukami, d’Oudoé, d’Ouségouhha, est drainée par le Kingani et par ses affluents, ou pour mieux dire, par l’Oungérengéri, le principal tributaire qu’il ait dans cette région. La Mgéta, son autre branche, que Speke et Grant ont vue sortir de la partie occidentale de la chaîne de Mkambakou, et décrire une courbe vers le sud, draine ainsi la totalité de l’Oukoutou et de l’Ouzaramo ; ce qui donne au bassin du Kingani une étendue de douze mille milles carrés.

Sur la carte de Speke on trouve, près du trente-cinquième degré de longitude[6], une chaîne de montagnes, qui, après s’être dirigée au nord-nord-ouest, s’infléchit et court au nord-est jusqu’au delà du Pangani. Cette chaîne est celle du Mkambakou, dont l’extrémité nord-ouest prend le nom d’Ourougourou, extrémité que nous avons décrite : c’est au pied de l’Ourougourou, à l’endroit où la chaîne s’infléchit, qu’est située Simbamouenni, capitale de l’Ouségouhha.

Dans le journal de son dernier voyage, Speke demande où le Kingani prend sa source. « Je n’ai jamais pu le découvrir, ajoute-t-il. Mais on m’a dit que cette rivière sortait d’une fontaine bouillonnante, située sur le versant oriental du Mkambakou. S’il en était ainsi, la Mgéta, qui vient du couchant, serait la plus longue des deux branches[7]. Quel que soit le nom qu’on lui donne, le Kingani des Arabes l’Hamdallah des Vouamrima, le Roufou des Vouakouéré, des Vouakami, des Vouadoé et des Vouaségouhha, n’a plus une source inconnue. Il est formé par la réunion de la Mgéta et de l’Oungérengéri, qui descendent tous les deux de la pente occidentale du Mkambakou, dont la première contourne la base en se dirigeant au sud ; tandis que le second, né dans la partie septentrionale du même versant, prend la direction contraire et va rejoindre le Roufou, ainsi que la rivière est nommée par les indigènes, à partir de son entrée dans l’Oukouéré jusqu’au moment où elle se jette dans la mer. C’est au fleuve, résultant de la jonction de la Mgéta et de l’Oungérengéri, dont Speke et moi nous avons découvert les sources, que les Arabes donnent le nom de Kingani. Ce dernier a son embouchure à trois milles au nord de Bagamoyo.

La plus grande hauteur à laquelle nous soyons arrivés entre Bagamoyo et la capitale de l’Ouségouhha, n’a pas excédé mille pieds, au-dessus du niveau de la mer. À l’exception des pics de Dilima, que l’on aperçoit de temps à autre au nord de Kingarou Héra, et de plusieurs cônes aperçus dans les environs de Mikéseh, le terrain s’élève graduellement par une série d’ondulations, formant de grandes lignes parallèles couvertes de bois, fourrées de jungles ou simplement herbues, qui laissent entre elles de larges sillons par où les eaux s’écoulent au sud, et au sud-ouest, dans l’Oungérengéri.

Après avoir franchi cette rivière une seconde fois au delà de Simbamouenni, nous nous sommes vus tout à coup en face de cônes tronqués, reliés entre eux par de petites rampes en forme de selle, et rattachés de la sorte à un groupe de montagnes ; groupe isolé, qui s’élève au moins à deux mille pieds au-dessus de la rivière. À la base de ce massif est une longue arête boisée, qui se dirige à l’est, et qui sépare l’Oungérengéri du Vouami.

Le fier aspect de la scène ravit d’autant plus le voyageur, que ce dernier s’imagine avoir atteint le niveau où la fièvre disparaît ; car, dans son ignorance du pays, il ne l’attribue qu’aux jungles et aux marais des terrains bas.

Une marche, à partir de Simbamouenni, marche qui vous fait traverser une passe de la montagne, vous conduit à Simbo, d’où l’on voit parfaitement la vallée de la Grande-Makata, bornée à l’est par le groupe montagneux qu’on vient de franchir, et à l’ouest par la chaîne de l’Ousagara, dont les pics altiers et les cimes ambitieuses sont enveloppés de nuages.

J’ai passé beaucoup de temps à étudier la ligne de faîte qui sépare le Kingani du Vouami ; et si j’affirme qu’entre les deux bassins la démarcation existe, c’est que pour moi elle est claire et positive, les Arabes, les Vouamrima et les indigènes sont également d’avis que ces deux rivières n’ont entre elles aucun rapport. Le Kingani, ainsi qu’on l’a vu, tombe dans la mer à trois milles au nord de Bagamoyo, et le Vouami entre Vouindé et Saadani, à peu près à égale distance de chacun de ces deux villages.

La carte, jointe à ce volume, fera mieux comprendre le système fluvial de cette région.

Du point où nous sommes, c’est-à-dire de Simbo, la conformation du pays est très-visible. Tournés vers le couchant, nous avons à notre droite la vallée de la Makata, ou celle du Vouami, qui se dirige au nord, puis à l’est-nord-est ; et à notre gauche celle de l’Oungérengéri, qui, après une large courbe vers le nord, va droit au sud, avant de prendre la direction orientale. La route que nous avons suivie passe entre ces deux rivières, presque à moitié chemin des deux.

En examinant la carte, on verra que le même cours d’eau porte successivement différents noms, ce qui multiplie les causes d’erreur. Ainsi la rivière qui débouche entre Saadani et Vhouindé s’appelle Vouami, Roudéhoua, Makata et Moukondokoua, suivant la partie de son cours dont il est question.

En entrant dans la grande vallée que nous avons vue du village de Simbo, nous rencontrons d’abord la Petite-Makata. Bien que cette rivière soit guéable en toute saison, elle n’en est pas moins dangereuse pendant la masika, par la force et la rapidité du courant qu’elle oppose au voyageur.

On trouve ensuite un noullah profond qui déborde pendant la saison des pluies. À quelques centaines de pas de ce ravin est la Grande-Makata, dont la largeur peut arriver à cinq ou six cents mètres. C’est la Moukondokoua, partie supérieure du Vouami.

Vient après cela une branche de la Roudéhoua, qui porte le nom de Mbengérenga, et qui, après avoir coulé parallèlement à la route, va rejoindre les deux Makata près de leur confluent, sinon au point même où elles se réunissent.

Quand on a passé la Mbengérenga, on trouva une autre petite branche de la Roudéhoua. Cette dernière s’approche de la route, puis fait un brusque détour et se dirige au levant.

Marchant alors au sud-ouest, nous atteignons l’Ouronga, rivière qui prend sa source dans le Moundou, partie septentrionale de l’Ousagara,

De là nous arrivons à Réhennéko, et franchissant un coude de la montagne, nous retrouvons la Makata sous le nom de Moukondokoua, nom qui lui est donné par les Vouasagara.

Nous remontons la gorge qui renferme la rivière, et nous suivons pendant quelque temps la même route que Burton. Au point de la vallée où nous repassons la Moukondokoua nous quittons ce chemin pour incliner fortement vers le nord ; puis nous continuons à marcher parallèlement au sentier de nos prédécesseurs, dont nous sépare une distance de vingt à trente milles.

Onze milles n’avaient pas été franchis, à partir de l’endroit où nous avions quitté la route de Burton, lorsque nous trouvâmes le lac Ougombo, qui, malgré son peu d’étendue, joue un certain rôle dans le système fluvial de cette région. Ce petit lac, d’une longueur qui n’excède pas trois milles, reçoit la Roumouma, et se décharge par une étroite ouverture dans la Moukondokoua. Celle-ci ne prend nullement « naissance dans les Hautes-terres des Vouahoumba et des Vouamasaï », comme l’a dit Burton. Elle prend sa source à moins d’un degré de latitude de l’Ougombo, au nord de ce petit lac, dans la partie des montagnes de Kéma Kagourou que les Vouasagara appellent Moundou, et qui est également le point de départ de l’Ouronga ou bien Oulonga.

Parmi les autres affluents de la Moukondokoua sont le Mkoundou et le Roufouta, qui naissent dans le Kivya ; puis le Myombo et le Mdounhoui.

Les terres situées à l’ouest du Roubého, terres où la pluie est fort peu abondante, sont drainées par des noullahs, qui perdent généralement toutes les eaux qu’ils reçoivent. Ces lits desséchés, qu’en Amérique nous appellerions guiches, absorbent leur contenu, ou le laissent évaporer avant d’avoir pu rejoindre un cours d’eau permanent.

Tel est du moins ce qui arrive pour ceux que nous avons rencontrés ; et il en est bien peu qui, plus au sud, portent leur tribut au Roufidji..

La région stérile qui se trouve au couchant des monts de l’Ousagara, et qui est formée de la partie nord du Marenga Mkhali, de tout l’Ougogo, du midi de l’Ouhoumba[8], de l’Ihangé et du Mbogoué, n’a pas une seule rivière. L’eau pluviale y est reçue par des étangs peu profonds et plus ou moins considérables, dont l’intérieur du pays est parsemé. Pendant la saison sèche, l’eau de ces bassins est aspirée par les vents fixes du nord-est, qui la transportent dans les grands lacs, tels que le Victoria N’Yanza, d’où elle s’écoule par le Nil[9].

Après cette évaporation, de larges terrains qu’elle a mis à découvert montrent leur surface incrustée de sel et de nitrate de soude. Les salines qui, d’après les indigènes, se voient à l’ouest du Tchaga, dans le district d’Angarouka, les lagunes saumâtres de Balibali, situées ou couchant de Kikoui, et celles que j’ai vues moi-même au nord de Mizanza, sont dues probablement à la même cause[10].

Au delà du territoire des Vouagogo, les seuls cours d’eau qui méritent d’être cités sont le Mdabourou et le Maboungourou, dont le chenal se dirige au midi, et rejoint le Kisigo à un degré environ au sud de Kihouyeh. Nous avons vu que pendant la saison sèche, à l’endroit où nous l’avons passé, le Maboungourou n’a plus d’eau qu’au fond de grandes auges, abritées par la végétation qu’elles entretiennent.

Le Kisigo va tomber dans le Roufidji ; c’est, dit-on, une rivière importante. D’après les gens de Kihouyeh, auxquels nous devons ces renseignements, le Kisigo est rapide et fréquenté par un grand nombre d’hippopotames et de crocodiles.

En somme, la route que nous avons suivie, pour aller de Bagamoyo à l’Ounyanyembé, traverse ; 1° le bassin du Kingani, 2° celui du Vouami ; 3° la ligne de partage de ce bassin ; 4° la région aride, dont une portion forme l’extrémité nord du bassin du Roufidji.

Le lecteur se demande peut-être où nous voulons en venir avec ces ennuyeux détails.

Patience ! nous y voilà. En jetant les yeux sur la carte, on comprendra pourquoi j’ai parlé de toutes ces rivières, et pourquoi je m’arrête à les décrire.

Le Vouami, qui est formé d’un certain nombre d’entre elles, serait navigable pour des bateaux à vapeur ne tirant pas plus de deux ou trois pieds d’eau, et se remonterait aisément jusqu’à Mboumi, sur une longueur de deux cents milles. Les obstacles qu’il opposerait à la navigation, tels que les mangliers, dont les branches, largement étendues, s’enlacent en différents endroits, surtout près de la résidence de Kigongo, seraient détruits sans beaucoup de peine.

Or, le village de Mboumi est à moins de deux milles du pied de la chaîne de l’Ousagara, qui est le sanatorium de cette région ; et avec un steamer on irait de Vhouindè à Mboumi en quatre jours.

Désire-t-on que l’Afrique se civilise ? Veut-on mettre le commerce en relations directes avec l’Ousagara, l’Ouségouhha, l’Oukoutou, l’Ouhéhé ? Veut-on se procurer facilement l’ivoire, le sucre, le coton, l’orseille, l’indigo, les céréales de ces provinces ? Le Vouami peut en donner le moyen.

Quatre jours de navigation conduiraient le missionnaire dans un pays salubre, où il jouirait des biens de la vie en pleine sécurité, au milieu d’une population douce, et entouré des scènes les plus pittoresques, les plus poétiques. Là se rencontrent la verdure la plus vive, les eaux les plus limpides, les terres les plus fécondes ; des champs couverts de grain, des forêts de tamariniers, de mimosas, de msandarousi (l’arbre au copal[11]). Là prospèrent le mvoulé géant, le magnifique palmier, le mparamousi[12] majestueux ; une végétation comme on n’en voit que sous les tropiques. Excepté les plaisirs de la vie civilisée, rien de ce que peut désirer l’homme ne manque en cet endroit, et le missionnaire y trouverait, avec la santé et l’abondance, un peuple tout disposé à le bien recevoir.

À partir de Kadélamaré, une vingtaine de missions pourraient s’établir dans des sites admirables, traversés par des brises vivifiantes, arrosés par une eau abondante et pure, dans un pays que nul autre ne surpasse en fertilité, et peuplé partout de gens dociles ; gens d’un bon caractère, en paix les uns avec les autres, tous voyageurs et tous voisins.

De même que les passes de l’Olympe ont ouvert l’empire d’Orient aux Hordes ottomanes, de même que celles de Koumaylé et de Seureu ont introduit les Anglais en Abyssinie, les gorges de la Moukondokoua peuvent donner accès à l’Évangile, et permettre à son influence de gagner le cœur de l’Afrique.

Je vois d’ici le vieux Kadétamaré se frottant les mains avec joie à l’arrivée du blanc qui apporterait à ses sujets les paroles du Mouloungou (l’Esprit du ciel) ; de l’Homme qui leur enseignerait à cultiver les champs, à bâtir les maisons, à guérir les malades, à tisser les étoffes ; bref, à se civiliser.

Mais ainsi que le marin, qui doit savoir prendre un ris, ferler et gouverner, le missionnaire doit connaître tous les devoirs de sa profession, ou bien il échouera. Il ne faut pas que ce soit un efféminé, un porteur de gants de chevreau, non plus qu’un écrivain de journal, un polémiste, ou un amateur de chasuble et d’étole de soie ; mais un ardent ouvrier de la vigne du Seigneur, un homme de la trempe des Livingstone et des Moffat[13].

Si le Vouami est une rivière intéressante, le Roufidji ou Rouhoua est encore plus important. Il verse à la mer deux fois autant d’eau et son cours a beaucoup plus de longueur. C’est près des montagnes qui sont à quelque cent milles au sud-ouest de l’Oubéna qu’il prend sa source. Il reçoit le Kisigo, son principal tributaire, et le plus septentrional de ses affluents, il le reçoit, disons-nous, par moins de trente-trois degrés de longitude, à quatre degrés de son embouchure, ce qui forme, en ligne droite, près de deux cent quarante milles. Rien que ce fait lui donne un rang élevé parmi les rivières de d’Afrique centrale.

On sait fort peu de chose à l’égard du Rouflidji ; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est remonté par de petits bateaux jusqu’à huit marches de la côte (une soixantaine de milles), distance à laquelle s’arrêtent les Banians qui vont acheter l’ivoire chez les tribus riveraines.

On se rappelle qu’entre la région basse ou maritime et les terres supérieures, le contraste est frappant. Dans la vallée de l’Oungérengéri, comme dans celle du Vouami, la force productive du sol est incroyable. Le terreau noir, riche alluvion déposé par ces rivières depuis tant de siècles, est d’une fertilité sans bornes. Toute espèce végétale y devient gigantesque. La tige des herbes y prend la grosseur du bambou ; et certains arbres, tels que le mparamousi et le mvoulé, ont leurs premières branches à cent pieds de hauteur. Le maïs, semé dans ces vallées, éclipse les plus belles récoltes des fonds de l’Arkansas, du Missouri et du Mississipi ; le sorgho a des chaumes qui rivalisent, pour le volume, avec les plus belles cannes à sucre ; il arrive à une hauteur de douze pieds. L’épaisseur des jungles est quelque chose d’effrayant, et la variété des espèces, arbres et plantes, mettrait à l’épreuve l’habileté du plus savant botaniste.

Ayant franchi cette région pendant la masika, nous avons été à même d’observer l’effet de cette dernière sur la végétation. Au début de la saison pluvieuse, l’herbe dépassait rarement le genou ; à la fin, c’est-à-dire en six semaines, elle avait gagné toute sa hauteur : douze ou quinze pieds. Un mois après, elle était complètement sèche ; les naturels y mirent le feu ; et pendant plusieurs jours toute la contrée retentit du rugissement des flammes, que surmontait un voile épais d’une fumée noire, dont le ciel était assombri.

Quand les feux s’éteignent, après avoir dévoré l’herbe, c’est alors qu’il fait bon voyager. On avance aisément, et les marches sont à peu près le double de ce qu’elles étaient avant l’incendie. Enfin, le regard peut embrasser l’étendue, errer d’un monticule à un pli de terrain, sans être arrêté par une muraille herbue qui se dresse entre lui et la perspective, et qui ne permettrait de jouir du paysage qu’à un homme ayant plus de cinq mètres

Il est extrêmement difficile de saisir les différences ethniques que présentent les Vouamrima et les Vouashenzi, gens de la côte et gens de l’intérieur. Je suis toujours à me demander comment le capitaine Burton a pu décrire avec autant de précision des lignes qui sont imperceptibles pour un homme ordinaire, tel que moi.

Il y avait à Bagamoyo des échantillons d’une foule de tribus : Vouangindo, Vouarori, Vouagogo, Vouanymouézi, Vouaségouhha, Vouasagara, que nous avons pu comparer avec les gens du Sahouahil ; et bien qu’ils fussent réunis, il aurait été malaisé pour tout le monde de les distinguer les uns des autres, soit par les traits, soit par le costume. Ce n’était que par certains détails, qui de prime abord, semblaient trop insignifiants pour être pris en considération, détails de coiffure, d’ornements, de tatouage, d’élongation des oreilles, qu’on arrivait à reconnaître les représentants des diverses tribus[14]. Il existe assurément des différences, mais qui nous paraissent moins nombreuses et moins prononcées qu’il ne l’a été dit.

Par suite de leurs rapports avec une demi-civilisation, les Vouasahouahili ont une certaine apparence qui, au premier coup d’œil, les fait mettre au-dessus de leurs frères de l’ouest. Ils sont mieux vêtus et semblent à demi policés. Mais si en grattant le Russe on trouve le Tartare, on peut dire avec non moins de raison que sous la blanche tunique du Msahouahili se cache un sauvage. Au bazar ou dans la rue il vous parait à demi arabisé ; ses manières onctueuses, ses courbettes, ses génuflexions, le patois dont il se sert, tout vous annonce son contact et son affinité avec la race qui le domine. Une fois sorti de la Mrima, il jette sa robe blanche, et vous ne voyez plus que sa peau noire, son prognathisme, ses grosses lèvres. Entre lui et un Mshenzi, l’œil le plus perçant ne fait aucune différence. Pour le distinguer, il faut connaître son origine.

La première peuplade que nous voyons en sortant de la Mrima, est celle des Vouakouéré, dont la province peu étendue se trouve entre l’Ouzaramo et l’Oudoé. Placés à deux jours de marche du rivage, les Vouakouéré sont les premiers Africains de race pure que rencontre le voyageur. D’un caractère timide, ils paraissent incapables d’attaquer les passants. Des gens inoffensifs entre tous, et qui n’en ont pas moins une très-mauvaise renommée. Les Arabes et les Vouasahouahili prétendent qu’ils sont extrêmement déshonnêtes, ce qui pour moi ne fait pas le moindre doute. Ils m’en ont fourni la preuve aux stations de Kingarou Héra et d’Imbiki.

Les chefs de la partie orientale de l’Oukouéré reconnaissent la suzeraineté nominale des dihouans de la Mrima. Ils ont choisi les fourrés les plus épais pour y établir leurs villages. Chacune des avenues qui peuvent y conduire sont fermées par des portes solides, qui ont rarement plus de quatre pieds et demi de hauteur, et qui parfois sont assez étroites pour qu’on ne puisse s’y introduire qu’en se mettant de côté.

Formés généralement d’aloès, de gommiers, d’acacias de toute espèce, tellement serrés que leurs branches s’entrelacent, ces îlots de broussailles, plus communs dans l’Oukouéré que dans toute autre province, opposent des obstacles insurmontables à un ennemi sans vêtement. Il n’est pas de voleur, pas d’assaillant assez hardi pour affronter ces formidables épines, qui se présentent de toute part.

Quelques-uns de ces halliers servent de repaire à des groupes de bandits qui manquent rarement de saisir les gens esseulés, traînards de caravanes et autres, surtout si c’est un Mgouana, ainsi que nous l’avons vu au sujet de Khamisi.

J’estime la population de l’Oukouéré à cinq mille âmes, répartis dans une centaine de villages, sur un terrain qui, borné au sud par le Roufou, au nord par le Vouami, n’a pas plus de trente milles carrés. S’ils étaient réunis sous les ordres d’un seul chef, les Vouakouéré pourraient devenir une tribu puissante.

Viennent ensuite les Vouakami, débris d’une nation qui jadis occupa tout le territoire qui s’étend de l’Oungérengéri à la Grande-Makata. Des guerres fréquentes avec les Vouaségouhba et les Vouadoé les ont réduits à une langue de terre d’une largeur de dix milles, placée entre le pic de Kira et l’arête rocailleuse qui ferme la vallée du côté de l’est, à deux milles environ du bord de la rivière.

Ils sont là, pressés comme des abeilles, retenus par la fertilité du sol, qui, en prévenant leur dispersion, a conservé à la tribu son existence. De la crête rocheuse qui domine la vallée, on voit avec la lorgnette des groupes de cases aux tons bruns, enfouis dans les massifs de verdure, et l’on compte aisément plus de cent villages.

En sortant de l’Oukami, nous entrons dans l’Oudoé, où nous trouvons un beau peuple, à l’air martial, aux traits bien plus intelligents que ceux des Vouakouéré et des Vouakami, et d’une teinte plus claire que celle des tribus précédentes ; un peuple qui a des traditions de race, qui, en voyant l’ennemi empiéter sur ses domaines, a couru aux armes, et qui s’est vaillamment défendu[15].

Le pays n’est pas moins remarquable. Parmi les provinces que traverse la route que nous avons prise, il en est peu d’aussi riches que l’Oudoé, peu d’aussi pittoresques. De grands cônes élèvent au-dessus de la forêt leurs têtes coiffées de légers nuages, entre lesquels un soleil étincelant darde ses rayons, verse des flots de lumière, et tire des globes feuillus, étagés


sur les pentes, des effets de couleur à désespérer le plus ambitieux des peintres.

C’est, depuis la côte, le premier endroit où le voyageur épris des beautés de la nature soit saisi d’admiration. La route gravit les collines, et se déroule au faîte des rampes, d’où le regard suit les versants boisés, plonge dans les profondeurs du val, en fouille les gorges, se relève pour atteindre les sommets qui baisent le ciel, ou pour s’égarer dans une chaîne aux plis concentriques, dont l’aspect mystérieux et provoquant vous attire. Supposez que Byron ait vu quelques-uns de ces tableaux, il eût dit avec la même exactitude :

« Le jour commence à poindre ; avec lui apparaissent les monts sévères de l’Oudoé, les sombres rochers d’Ourougourou, et le pic de Kira, voilé à demi par la brume, sillonné d’eaux ruisselantes, et drapé de brun et de pourpre. »

Mais quels récits pourraient faire les échos de cet éden ! Quels cris de désespoir n’ont-ils pas dû entendre, lorsque attaqués à l’ouest et au nord par les Vouaségouhha, au levant par les traitants de Vhouindé et de Saadani, les Vouadoé, malgré leur bravoure, se sont vus, à cent reprises différentes, enlever leurs femmes et leurs enfants, puis arracher leurs districts, qui, l’un après l’autre, passèrent aux mains des ravisseurs. Car les femmes et les enfants de l’Oudoé, bien supérieurs au physique et au moral à tous ceux des races serviles du voisinage, étaient avidement recherchés pour le harem et pour la domesticité. De là cette chasse active, faite avec les mousquets fournis par les traitants, et contre lesquels la bravoure demeurait impuissante. »

C’est dans l’Oudoé que nous avons observé pour la première fois des marques nationales, caractéristiques de la tribu. Là, elles consistaient en une ligne de points, descendant de chaque côté du visage, et dans l’écornement de la tranche interne des deux incisives médianes de la mâchoire supérieure.

Les armes de cette tribu, pareilles à celles des Vouakouéré et des Vouakami, se composent d’un arc, ayant des flèches savamment barbelées, d’une couple d’assegayes (sorte de javelines), d’un grand couteau, d’un bouclier, d’une petite hache, et d’un casse-tête, arme de jet, qui, lancée avec adresse au front de l’ennemi, porte un coup étourdissant et quelquefois mortel.

En débuchant des forêts de Mikéseh, on entre chez les Vouaségouhha ou Vouaségoura, ainsi que prononcent les Arabes, et après eux le capitaine Burton, qui adopte cette orthographe vicieuse[16]. Toutes les tribus de l’intérieur, et avec elles MM. Krapf, New, et Wakefield emploient la première de ces dénominations ; je la conserve également.

L’Ouségouhha s’étend sur deux degrés de longitude, et sur un et demi de latitude, ou quatre-vingt-dix milles géographiques, dans sa plus grande largeur. Il se divise en deux provinces : l’Ouségouhha méridional, qui va de l’Ourougourou au Vouami, et l’Ouségouhha septentrional, gouverné par Moto, et qui, du Vouami, se prolonge jusqu’à l’Oumagassi et à l’Ousoumbara,

Le développement de cette tribu et son élévation nous offrent un exemple des vicissitudes que les races barbares ont subies dans tous les siècles. Il y a trente ans les Vouaségouhha ne possédaient qu’une lisière de terrain, placée entre les Vouasambara et les Vouadoé. Ceux-ci prédominaient alors au levant de l’Ousagara. Mais les marchands d’esclaves, portant la ruine avec eux, livrèrent cette belle race à des bandes composées de fugitifs de la Mrima, d’esclaves marrons, de criminels échappés aux lois de Zanzibar, de voleurs d’enfants, de détrousseurs de caravanes dont les bois de cette région étaient infestés[17].

Les bandits, organisés par les traitants, fournirent bientôt à ceux-ci des Vouadoé, pris dans les districts les moins populeux. La vente de ces captifs, d’une beauté de forme et d’une intelligence remarquables, fut à la fois rapide et fructueuse, et les razzias se multiplièrent.

Parmi les chefs de ces expéditions était Kisabengo, dont nous avons raconté l’histoire, et qui, au trafic des habitants, joignant la conquête du sol, étendit l’Ouségouhha jusque dans la vallée où il fonda Simbamouenni. À l’époque de cette fondation, il ne restait plus qu’un petit nombre de Vouadoé ; presque tous avaient été arrachés de leur demeure.

Mais l’horrible chasse n’est pas terminée ; la plupart des guerriers vouaségouhha ont des mousquets ; et en retour des munitions que leur donnent les Arabes, ils continuent d’approvisionner ceux-ci de Vouarougourou, de Vouadoé, de Vouakouenni. En 1867 ils pénétrèrent dans l’Ousagara, au cœur même des montagnes, désolèrent les parties populeuses de la vallée de la Makata, et en ramenèrent cinq cents captifs.

Autrefois, dans ce pays, la guerre n’était causée que par les disputes des chefs ; elle est maintenant fomentée par les traitants de la Mrima, qui en ont besoin pour approvisionner d’esclaves le marché de Zanzibar.

L’escadre qui est en croisière dans ces parages a le pouvoir d’arrêter l’infâme négoce, au moins du côté des Vouaségouhha. Qu’elle détache un bateau à vapeur avec cinquante hommes, qui remonteront le Vouami jusqu’au village de Kigongo. Là, on n’est plus qu’à vingt milles de Simbamouenni : huit ou neuf heures de marche. Parti le soir, le corps d’armée attaquerait la ville au point du jour ; et, y mettant le feu, détruirait le pivot de la traite de l’homme dans cette partie de l’Afrique. Aidés par les marchands d’esclaves, les Vouaségouhha sont le fléau de cette région ; mais une fois leur repaire anéanti, ils seraient impuissants pour le mal.

C’est, dit-on, chez les Vouaségouhha que la croyance à la sorcellerie est le plus profondément enracinée ; ce qui n’empêche pas les adeptes de cette science ténébreuse d’avoir chez eux une vie des plus précaires. On trouve fréquemment, au bord de la route, des tas de cendre qui marquent les places où de nombreux vouaganga ont été mis à mort.

Tant que ses prédictions se réalisent et n’amènent que du bien, le sorcier reste en faveur ; mais qu’une famille soit frappée d’une calamité qui ne lui semble pas ordinaire, elle jure que c’est le résultat d’un maléfice et accuse le mganga. Aussitôt les inquisiteurs se rassemblent et prononcent l’arrêt, qui, en tout pays, a frappé les sorciers. Le bois sec est rapidement trouvé dans la forêt voisine, et l’infortuné périt dans les flammes. Comme avertissement à ses confrères, on suspend sa choukka à la branche qui est au-dessus de l’endroit où il a subi la sentence[18].

Nous trouvons ensuite les Vouasagara, dont le territoire s’étend de la Makata au désert de Marenga Mkali, sur une longueur de soixante-quinze milles géographiques, et une largeur de près de trois degrés de latitude. Ainsi que nous l’avons vu, il se compose d’un groupe de montagnes et de leur base. La chaîne s’y dirige du sud au nord en inclinant à l’est. Elle doit avoir son point culminant à six mille pieds au-dessus de la mer. Le mont Kiboué, près de Kadétamaré, s’élève à deux mille cinq cents pieds au-dessus du niveau de la vallée, et celle-ci est a deux mille pieds au-dessus de l’Océan. Mais il y a aux environs de l’Ougombo, dans le massif du Ngourou, des sommets qui, d’après notre estime, dépassent de quinze cents pieds au moins celui du mont Kiboué.

Au nord, et vue à peu de distance de la Makata, la chaîne parait beaucoup plus haute et plus escarpée que dans la portion qui touche à la passe de la Moukondokoua. Les nuages qu’apporte la mousson rencontrent ces montagnes et s’y arrêtent ; ils versent la pluie qu’ils renferment sur les sommets qui les retiennent, sur les pentes qu’ils ont gravies ; et l’eau retombe en ruisselets et en torrents, puis s’écoule en rivières dans la région maritime, sans avoir franchi le rempart derrière lequel s’étend la plaine altérée.

Quelle que soit à ce sujet l’opinion des géographes, la chaîne de l’Ousagara me paraîit être, dans cette région, ce que les Montagnes-Rocheuses sont au centre de l’Amérique du Nord. Je considère cette chaîne comme l’épine de l’Afrique orientale. Le Kilima-Njaro est situé par de longitude est ; le mont Kénia par  ; je place le mont Kiboué par  ; et Burton, envisageant la vallée que traverse le Roufidji, comme une simple lacune de la chaîne, pense que les monts de l’Ousagara « ont leur point culminant dans le Njésa-Ouhiyou[19]. »

Qu’il y ait dans cette chaîne de larges interruptions ne prouve rien contre ma théorie. Si la vallée du Rouhoua (cours moyen du Roufidji) n’est qu’une brèche de l’Ousagara, pourquoi verrait-on autre chose dans celle de la Moukondokoua ? Pourquoi les plaines de l’Ouhoumba (Oumasaï) ne seraient-elles pas une simple lacune, entre deux chaînons ? Pourquoi le Kilima-Njaro, le mont Kénia et ses deux voisins, le Msarara et le Doeno Camouea, soulevés tous sur la même longitude, n’appartiendraient-ils pas à une seule et même chaîne ?

L’effet qu’on observe à l’est et à l’ouest des Montagnes-Rocheuses, se voit également sur les deux rives des monts de l’Ousagara. Personne n’ignore que la plaine du Colorado, le Wyoming, et une grande partie du Nébraska, situés au levant de la grande chaîne américaine, n’ont pas à beaucoup près la richesse des bords du Missouri, et que le Grand-Bassin, qui est au couchant des mêmes montagnes, est loin d’être aussi fertile que les terres placées à l’ouest de l’Utah. Ces régions dépourvues de bois ont, de chaque côté de la montagne, une largeur qui varie de cinq cents milles à huit cents, sur une longueur de près de deux mille milles du nord au sud.

Nous n’avons pas en Afrique une pareille étendue ; mais il faut se rappeler qu’au lieu d’une altitude moyenne de onze à douze mille pieds, qui est celle des Montagnes Rocheuses, l’Ousagara n’en présente que trois mille cinq cents, dans la partie la plus proche de la côte, du moins d’après notre estime. Au couchant elle s’élève davantage, et peut avoir une moyenne de quatre mille cinq cents pieds.

Cette différence établie, nous trouvons dans la plaine de la Makata la même pénurie de bois que dans celles du Far-West ; et la région qui est au couchant de l’Ousagara, avec ses terres arides et ses dépôts salins, peut être comparée à la partie occidentale du Colorado et au territoire de l’Utah.

Dans l’Ouyanzi, à l’ouest de l’Ougogo, le terrain se relève longitudinalement, arrive à mille pieds au-dessus de la région précédente, et arrêtant les vapeurs que charrient les vents d’est, redevient productif, et ne le cède en fertilité qu’à la vallée de la Moukondokoua[20].

Les Vouasagara sont donc des montagnards. Violents dans les districts du nord, où ils ont pris les mœurs des Vouahoumba, qu’ils avoisinent, ils sont doux et bons dans les districts du sud. Les attaques répétées qu’ils ont eues à subir de la part des Vouadirigo ou Vouahéhé, de celle des Vouaségouhha, des Vouahoumba et des Vouagogo, leur ont donné de la défiance à l’égard des étrangers ; mais dès qu’on les rassure, ils se montrent pleins de franchise et d’amabilité.

Ils ne sont, hélas ! que trop fondés à se méfier des Arabes et des Vouangouana de Zanzibar. Dans l’est de leur territoire, Mboumi a été brûlé deux fois en peu d’années par les traitants et par les chasseurs d’esclaves. Réhennéko a éprouvé le même sort ; et Abdallah ben Nasib a porté le fer et la flamme depuis Misonghi jusqu’au Mpouapoua. Kanyaparou, chef des environs de Kounyo, ensemençait autrefois un quart du Marenga Mkali ; maintenant il se borne à cultiver le haut de ses collines, où le retient la crainte des maraudeurs de l’Ouhéhé.

Dans l’est il est difficile de distinguer les Vouasagara des Vouaségouhha. Plus loin les signes caractéristiques se produisent et deviennent de plus en plus marqués. Ce fut dans les villages du Mpouapoua qu’ils nous apparurent d’abord. Là nous avons trouvé, pour la première fois, les cheveux divisés en petites mèches, longues et bouclées, ornées de petites pendeloques de cuivre et de laiton, de balles, de rangs de perles minuscules, de picés brillants, menue monnaie de Zanzibar, valant un peu moins de cinq centimes.

Un jeune Msagara fardé d’une légère teinte d’ocre rouge, ayant sur le front une rangée de quatre ou cinq piécettes de cuivre, à chaque oreille une petite gourde, passée dans le lobe distendu, coiffé de mille tire-bouchons bien graissés et pailletés de cuivre jaune, la tête rejetée en arrière, la poitrine large et portée en avant, des bras musculeux, des jambes bien proportionnées, représente le beau-idéal de l’Africain de ces parages.

Outre les deux petites gourdes qu’il a aux oreilles, et qui renferment sa menue provision de tabac et de chaux, — celle-ci obtenue par la cuisson de coquilles terrestres, — notre élégant porte une quantité de joyaux primitifs qui lui pendent sur la poitrine ou qui lui entourent le cou ; par exemple de petits morceaux de bois sculptés, deux ou trois cauris d’un blanc de neige, une petite corne de chèvre, ou quelque médecine (lisez talisman) consacrée par le mganga de la tribu, une dizaine de rangs de perles rouges ou blanches, un collier de picés ou deux ou trois soungomazzi, grains de verre de la taille d’un œuf de pigeon, et quelquefois une chaîne en fil de cuivre, pareille aux chaînes de montre à bas prix, qu’il reçoit des Arabes en payement de ses poulets et de ses chèvres, ou qu’il a fabriquée lui-même.

Les enfants sont complètement nus ; plus tard ils se mettent une peau de chèvre ou de mouton. Les adultes ont des jupettes et des draperies d’étoffe, calicot écru ou cotonnade bleu foncé, faite dans l’Inde, soit unie, soit à bordure rouge. Cette dernière variété, qui est le barsati, jouit d’une grande faveur dans l’Ousagara. Les chefs portent le bonnet des dihouans de la Mrima, ou le arboush des Arabes. Enfin, dans les deux sexes, le front, la poitrine et les bras sont tatoués.

Nous trouvons ensuite les Vouagogo, race puissante, dont le territoire, situé à l’ouest de l’Ousagara, est large de quatre-vingts
Jeune homme de l’Ousagara.
milles et peut en avoir cent de longueur. On se rappelle combien la traversée de l’Ougogo exige de prudence et de jugement de la part de ceux qui l’accomplissent. C’est là que, pour la première fois depuis la Cité-Lion, Ils entendent prononcer te mot de honga. qui signifiait jadis : présent fait à un ami, et qui, maintenant, accompagné de menaces de guerre, est l’équivalent d’extorsion.

Trois routes franchissent l’Ougogo[21]. Celle du midi et celle du nord, qui a été suivie par nous, imposent au voyageur sept tributs, dont le total s’élève, pour une caravane de cent cinquante hommes, à cent soixante-dix-huit ou cent soixante-dix-neuf choukkas, près de trois cent soixante mètres d’étoffe[22]. Sur la route du centre, où le honga se paye huit fois, le total s’augmente de dix-neuf choukkas.

Mais ce chiffre n’a rien d’absolu ; et pour peu que le voyageur s’y prête, il le verra grossir de tous les lambeaux d’étoffe qu’on pourra lui arracher. Mvoumi, par exemple, lui demandera soixante choukkas et se trouvera magnanime d’exiger aussi peu d’un grand Mousoungou. Le voyageur fera donc bien de confier aux plus importants de ses hommes le soin de traiter l’affaire, et leur enjoindra de ne pas se compromettre en offrant trop vite un chiffre quelconque.

Le tribut n’est payé en cotonnade et autres étoffes que par les caravanes arrivant de la côte ; celles qui reviennent de l’intérieur l’acquittent généralement avec de l’ivoire et des houes en fer.

Physiquement et moralement, les Vouagogo sont supérieurs aux peuplades que nous avions rencontrées jusqu’alors. Il y a dans leur front quelque chose de léonin ; leur physionomie est intelligente, leurs yeux sont grands et largement ouverts, leur peau d’un brun foncé est d’un ton riche. Ils ont, il est vrai, le nez épaté, les lèvres grosses ; mais pas de cette façon monstrueuse que nous supposons chez tous les nègres.

En somme, bien qu’il soit violent jusqu’à être féroce, capable de tout quand la passion l’entraîne, le Mgogo nous attire. Il est fier de son chef, fier de son pays aride et sans beauté, fier de lui-même, de ses exploits, de ses armes, de tout ce qui lui appartient. Il est vaniteux, bravache, égoïste, dominateur, mais susceptible d’affection et de dévouement. Il se donnera de la peine pour le seul plaisir d’obliger ceux qu’il aime, et cependant le vice de son caractère, ce qui le place sous un mauvais jour aux yeux du voyageur, c’est son âpreté au gain.

Avec son aspect menaçant, sa nature exubérante, emportée, fière, hautaine, querelleuse, ce brutal devient un enfant pour l’homme qui cherche à le comprendre et qui l’étudie sans le blesser. Il est d’un amusement facile ; tout l’intéresse ; sa curiosité s’éveille promptement ; et, nous le répétons, avec la conscience de sa force et de la faiblesse de l’étranger, il a assez de raison pour dominer sa convoitise, pour comprendre que toute violence à l’égard d’un voyageur détournerait les caravanes, priverait ses chefs d’une partie de leurs revenus et le pays de ses bénéfices[23].

Ses armes, composées d’un arc et de flèches aiguës, à pointe fourchue en arrière et cruellement barbelée ; d’une couple d’asségayes ; d’une lance, dont le fer de plus de deux pieds de long ressemble à une lame de sabre ; d’une hache d’armes et d’une petite masse appelée roungou, sont faites avec beaucoup d’art. Exercé à les manier dès l’enfance, à quinze ans il est habile à s’en servir.

Doit-on se battre, le messager du chef court d’un village à l’autre, en soufflant le bruit de guerre dans sa corne de bœuf. À cet appel le Mgogo jette sa houe sur son épaule, revient à sa hutte et ressort l’instant d’après en costume de combat : des plumes d’autruche, d’aigle ou de vautour se balancent sur sa tête ; un long manteau rouge flotte derrière lui. À son bras gauche est un bouclier de peau d’éléphant, de rhinocéros ou de buffle, orné de dessins blancs et noirs. Il tient sa lance d’une main, de l’autre ses assegayes. Son corps est peint de la couleur de guerre ; il a des clochettes aux genoux et aux chevilles, et aux poignets de nombreux anneaux d’ivoire qu’il entrechoque pour annoncer sa présence. Il a quitté à la fois la houe et l’extérieur du paysan ; c’est maintenant un guerrier plein de fierté et d’enthousiasme, bondissant comme un tigre, et flairant le champ de bataille.

La force, la puissance des Vouagogo vient surtout de leur grand nombre. Il est rare qu’ils fassent partie des caravanes, et leurs villages conservent tous leurs guerriers. Des tribus décimées, ou naturellement faibles, acceptent avec joie d’être admises dans leurs cercles ; les émigrés, les bannis des peuplades voisines trouvent chez eux un refuge, et grossissent la population. Ainsi, dans, le nord, les Vouahoumba sont nombreux ; dans les districts du sud, les Vouahéhé, les Vouakimbou ; ailleurs ce sont des Vouasagara et des Vouanyamouézi. Il faut dire que, dans cette région, ces derniers sont l’équivalent des Écossais : on en trouve partout ; et ils ont, pour se produire et pour se placer au premier rang, une adresse particulière.

De même que dans l’ouest de l’Ousagara, les habitations des Vouagogo sont disposées sur les quatre côtés d’une aire qu’elles entourent complètement, et sur laquelle ouvrent toutes les portes. C’est le tembé que nous retrouverons jusqu’au bord du lac Tanganika. Sur la terrasse qui en forme le toit, sont placés le grain, l’herbe, le tabac, les citrouilles et autres récoltes. La muraille extérieure a de petites ouvertures qui servent à la fois de judas et de meurtrières.

Dans l’Ougogo, la bâtisse en est fragile ; c’est un mince clayonnage recouvert de pisé, avec trois ou quatre pieux soutenant les poutrelles où s’appuient les solives qui portent la terrasse. Une balle de mousquet perce d’outre en outre ces frêles murailles, qui, dans l’Ouyanzi, où le bois de charpente est commun, ont une bien autre épaisseur et deviennent une véritable défense.

Chaque appartement, séparé du voisin par une cloison, abrite un ménage, dont les enfants couchent sur des pelleteries posées par terre. Le père de famille seul a une kitanda, sorte de lit fait d’une peau de bœuf ou de l’écorce du myombo, tendue sur un cadre, monté sur quatre pieds.

L’aire des chambres, composée d’argile battue, est d’une saleté repoussante, et imprégnée de l’odeur de toutes les abominations. Dans tous les angles, sont accrochés les pièges d’une araignée noire, de taille énorme, et les repaires d’insectes monstrueux.

Des rats bruns, ayant la tête singulièrement longue, infestent chaque tembé. Parmi les animaux domestiques, les chats, les vaches, les moutons et les chèvres sont les seuls à qui l’entrée de la demeure soit permise ; les chiens, de race pariah, logent dehors avec les bœufs.

Les Vouagogo admettent l’existence d’un esprit céleste qu’ils appellent Mouloungou, et qu’ils invoquent dans certaines occasions, telles que la mort de leurs parents. Dès qu’il a enterré son
Le tembé à vol d’oiseau.
père, le Mgogo réunit tout ce qui appartenait au défunt : ses armes, sa houe, son étoffe, son ivoire, son bétail, puis il s’agenouille devant tout cela, et demande à plusieurs reprises au Mouloungou d’accroître sa richesse, de bénir ses moissons et de rendre son commerce fructueux.

Voici l’entretien que nous avons eu à ce sujet avec un marchand du pays :

« Qui a fait vos parents ? lui demandai-je.

— Mais, homme blanc, c’est le Mouloungou !

— Et vous, qui vous a fait ?

— Si le Mouloungou a fait mon père, le Mouloungou m’a fait aussi ; n’est-ce pas ?

— Parfaitement. Où pensez-vous que soit allé votre père, maintenant qu’il est mort ?

— Les morts sont morts et ne vivent plus, dit-il solennellement. Le chef meurt, et il n’est plus rien ; il ne vaut pas plus qu’un chien qui a cessé de vivre ; il est fini ; ses paroles sont mortes, sa bouche n’a plus de voix. — C’est vrai ! ajouta le Mgogo en me voyant sourire. Le chef mort n’est plus rien. Qui dit le contraire dit un mensonge.

— Mais votre chef n’est-il pas un grand personnage ?

— Seulement pendant sa vie. Quand il est mort, il va dans la fosse comme les autres, et il n’en est plus question, pas plus que d’une autre personne.

— Comment un Mgogo est-il enterré ?

— Ses deux jambes sont réunies et attachées ; le bras droit est mis près du corps, l’autre est plié sous la tête. On place le mort dans la fosse, sur le côté gauche ; on étend sur lui sa choukka, puis on le recouvre de terre, et l’on y plante des broussailles pour empêcher le fizi (la cynhyène) de le déterrer. Les femmes sont mises sur le côté droit, dans des fosses séparées de celles des hommes.

— Et que faites-vous du sultan quand il est mort ?

— Nous l’enterrons comme les autres, cela va sans dire. Seulement la fosse est creusée au milieu du village, et une maison est construite dessus. Le nouveau sultan demande alors un bœuf ; il le tue devant cette maison, en prenant le Mouloungou à témoin qu’il est bien le chef légitime ; ensuite il distribue la viande au nom de son père, et chaque fois qu’un bœuf est tué dans le village, c’est devant le tombeau du chef.

— Quand le sultan est mort, qui est-ce qui lui succède ? Est-ce son fils ?

— Oui, lorsqu’il en a un. S’il n’a pas d’enfant, c’est le chef le plus élevé qui le remplace. A près le mtémi, qui est le chef du district, vient le msagira, dont l’emploi est d’écouter les plaintes de chacun, de les transmettre au mtémi, qui rend la justice et dont il rapporte les arrêts. C’est lui qui reçoit le honga, lui qui le place devant le mtémi ; quand ce dernier a pris ce qui lui convient, le reste est pour le msagira. Celui-ci commande aux manyapara ou simples chefs de bourgade.

— De quelle manière se marient les Vouagogo ?

— Ils achètent leurs femmes.

— Combien vaut une épouse ?

— Cela dépend. Un homme très-pauvre payera la sienne une couple de chèvres ; le mtémi en donnera une centaine, ou cent moutons, et même cent vaches. C’est un chef, et le mtémi, vous savez, n’achète pas une femme du commun. Pour lui, comme pour les autres, il faut le consentement du père, et livrer le bétail d’avance. Cela demande beaucoup de temps et beaucoup de paroles. Tous les parents et tous les amis de la fille ont à discuter la chose ; on ne s’entend pas tout de suite.

— En cas de meurtre, que faites-vous du coupable ?

— le meurtrier doit payer cinquante vaches. S’il n’est pas assez riche pour s’acquitter, le chef donne aux parents de la victime, ou à ses amis, la permission de le tuer. Ceux-ci, quand ils peuvent le saisir, l’attachent à un arbre et le tuent à coups d’assegayes, lancées une à une ; puis ils lui tranchent la tête, lui coupent les membres, et en dispersent les débris.

— Comment punit-on les voleurs ?

— Celui qu’on prend sur le fait est mis à mort immédiatement, et l’on n’en parle plus. N’était-ce pas un criminel ?

— Mais si le voleur n’est pas connu ?

— On le cherche. L’accusé est amené devant nous ; on tue un poulet : si les entrailles sont blanches, l’homme est innocent ; quand elles sont jaunes, il est coupable.

— Croyez-vous à la sorcellerie ?

— Naturellement. Celui qui jette un sort au bétail, ou qui empêche de pleuvoir, est puni de mort. »

De l’Ougogo, on entre dans l’Ouyanzi. Avant que des émigrés de l’Oukimbou vinssent s’y établir, c’était un désert où l’on souffrait tellement de la chaleur et de la soif, que les porteurs l’appelèrent Magounda-Mkali, ce qui veut dire Plaine embrasée. L’eau y était rare et les tirikézas nombreuses.

Maintenant, dans cette Terre brûlante, au moins sur la route du nord, celle qui passe par Mouniéka, l’eau ne manque plus, les villages sont fréquents, et le voyageur s’aperçoit que le Magounda Mkali n’a plus un nom qui lui convienne[24]. Les Vouakimbou, nous l’avons dit plus haut, sont de bons agriculteurs, des hommes industrieux et laborieux entre tous. Ils ont pour armes des lances légères, des masses d’armes, des arcs et des flèches. Leurs tembés sont fortement établis, et prouvent chez leurs auteurs une grande habileté dans l’art des constructions militaires. Les estocades sont tellement bien faites, qu’il faudrait employer le canon pour entrer dans le village qu’elles entourent, si peu que celui-ci fût défendu.

Les Vouakimbou sont également très-habiles dans la confection des trappes qu’ils établissent pour prendre les éléphants et les buffles, et où se trouve quelquefois un lion ou un léopard.

En quittant le Magounda-Mkali, nous sommes entrés dans l’Ounyamouézi, la Terre de la Lune des anciens auteurs, et où nous reprenons la suite de notre voyage.

  1. Burton, Voyage aux grands lacs de l’Afrique Orientale. Paris, librairie Hachette, 1862.
  2. Speke, Les sources du Nil, journal de voyage. Librairie Hachette, 1864. Nous ne croyons pas qu’on ait traduit le voyage de Grant.(Note du traducteur.)
  3. Il serait plus juste de dire : fait partie du Zanguebar, le nom de Mrima s’appliquant à la portion du rivage qui est en face de Zanzibar, et comprime entre l’embouchure du Pangani et celle du Roufidji. Celui de Sahouahil, qui lui convient également, désigne plutôt le Barr el Banadir ou Terre des Havres, qui s’étend de Mombas à l’embouchure du Pangani, ou commence la Mrima.(Note du traducteur.)
  4. Voir Burton, Voyage aux grands lacs, page 14. (Note du traducteur.)
  5. Ces deux mot : longueur et largeur sont employés ici dans le sens de longitude et de latitude ; le premier, de l’est à l’ouest ; le second, du nord au sud. (Note du traducteur.)
  6. La longitude employée par l’auteur, ainsi que par Burton et par Speke, est celle de Greenwich ; nous l’avons traduite par celle du méridien de Paris. (Note du traducteur.)
  7. Cette information, recueillie également par Burton, se trouve dans le Voyage aux grands lacs, page 99 ; le Mkambakou y est désigné sous le nom de Montagnes du Douthoumi.(Note du traducteur.)
  8. Cette province s’appelle également Ounnsaï.
  9. Il y a ici une erreur évidente, sans doute une faute d’impression. La région dont parle l’auteur a sa limite septentrionale par deux degrés environ au sud du Victoria N’Yanza ; elle est en outre à l’orient de ce grand lac. Il est donc impossible que le vent du nord-est puisse en transporter les eaux dans les réservoirs du Nil. C’est au contraire, d’après Burton, ce vent-là qui amène la pluie dans l’Ougogo, en se chargeant des vapeurs du N’Yanza ; et pour cela il faut nécessairement qu’il ait viré au nord-ouest, (Note du traducteur.)
  10. On peut, dit Burton, expliquer ces dépôts salins et nitreux par la décomposition de l’air, ainsi que l’a fait Barrow pour ceux du midi de l’Afrique. Barrow suppose, d’après les expériences de Humboldt, que les terres fortement argileuses s’emparent de l’oxygène de l’atmosphère, et que l’azote, mis en liberté par cette soustraction, va se combiner avec l’oxygène de la couche supérieure. Il se formerait alors de l’acide nitrique, d’où la présence du salpêtre dans les terrains en question. (Journal of the Royal Geographical Society. London, 1859). (Note du traducteur.)
  11. Trachylobium.
  12. Taxus elongatus.
  13. Voir dans Livingstone (Explorations du Zambèsse, librairie Hachette, Paris, 1866), page 529, ce que doit être le missionnaire dans cette partie de l’Afrique. On y aura sur l’évéque Tozer, le prélat de Zanzibar, ami de la pourpre, des renseignements qui feront comprendre l’allusion ci-dessus. (Note du traducteur.)
  14. Ce sont précisément ces détails qui ont servi à Burton pour caractériser les tribus qui les présentent, et qui ne les ont adoptés que pour se distinguer les unes des autres. (Note du traducteur.)
  15. Voir dans Burton (Voyage aux grands lacs), page 112, l’histoire de cette lutte acharnée. (Note du traducteur.)
  16. Burton reconnaît cette altération des noms indigène par les Arabes ; mais comme les naturels, dit-il, n’ont pas de règle arrêtée ; comme il arrive que la prononciation diffère parfois d’une tribu à l’autre, sinon dans la même peuplade, tandis que chez les Arabes, elle est fixée par l’écriture, c’est l’orthographe de ces derniers que nous suivrons invariablement, bien qu’elle ne soit pas toujours la plus correcte, (Journal of the Royal Geographical Society, London, 1869.) (Note du traducteur.)
  17. Voir Burton (Voyage aux grands lacs), page 116. (Note du traducteur.)
  18. La choukka, morceau de cotonnade plus ou moins large, mais d’une longueur fixe de quatre coudées, à partir de Zanzibar jusqu’à l’Ounyamouézi, où elle commence à être d’une longueur double, constitue le vêtement de ces peuplades. Elle se porte de différentes manières, et généralement autour des hanches, d’où elle retombe en forme de jupe. Le doti, ou double choukka, est à l’usage des femmes, qui s’en composent un fourreau, porté soit au milieu, soit au-dessous de la poitrine, Choukka est le nom arabe de cette écharpe que les gens du Sahouahil appellent oungoua, et les tribus de l’intérieur oupandé ou loupandé. (Voir Burton, Voyage aux grands lacs, page 135. Librairie Hachette, 1862.) (Note du traducteur.)
  19. Il y a ici une faute d’impression, ou une variante des paroles de Burton, L’Ousagara, dit textuellement ce dernier, s’étend vers le sud jusqu’à la ligne des Hautes-Terres dont le Njésa, dans l’Ouhiao, est représenté comme te point culminant. « Usagara is extending southwards to the line of highlands of whhich Njésa in Uhiao is said to be the culminating apex. » (Journal of the Royal Geographical Society, vol. XXIX, page 161.) Le Njésa, d’après le voyageur anglais, serait donc le point culminant des highlands dont l’Ouhiao fait partie, et non pas de la chaîne entière. Ces highlands, qui se prolongent jusqu’au Chiré, ont bien effectivement des sommets plus élevés que ceux de l’Ousagara proprement dit ; mais Burton, ainsi que M. Stanley, étendant cette chaîne vers le nord jusqu’au mont Kénia, les huit ou dix mille pieds des pics de l’Ouhiao seraient peu de chose à côté des six mille cinq cents mètres du Kilima-Njaro, même de l’altitude de ses voisins. (Note du traducteur.)
  20. Il y a certainement des traits d’une grande ressemblance entre les deux régions : un sol rouge, qui a valu au Colorado le nom qu’il porte ; des plaines ondulées et dépourvues d’arbres, des terres salines, des rochers aux formes bizarres, et tout ce qui résulte d’un ciel de feu, dans un pays aride que balaye un vent glacé ; effets de mirage, trombes sableuses, etc. Nous comprenons que, frappé de cette vue, l’auteur se soit rappelé les montagnes dont la base lui avait offert le même tableau. Il est certain aussi qu’on peut rattacher la triple rampe de l’Ousagara, non-seulement aux Highlands de l’Ouhiao et des Manganjas, mais au Lupata, aux Drakensberg, aux monts des Basoatos ; bref, que c’est l’un des pans de la muraille qui entoure la péninsule ; et que du Kénia aux Zwarteberg la ligne est aussi longue que celle des Montagnes-Rocheuses. Mais ces rapports Sont-ils suffisants pour que les deux chaînes aient le même caractère et jouent le même rôle ? Nous n’avons pas à discuter cette question ; nous rappellerons seulement que pour Burton, l’Oussgara est l’équivalent des Ghattes de l’Inde, et que Livingstone, en décrivant la chaîne qui soutient le plateau des Maravis, est frappé du rapport qu’elle présente avec la partie des Ghattes que l’on traverse pour aller de Bombay à Pounah. (Voir Explorations du Zambèse et de ses affluents par D. et Ch. Livingstone, librairie Hachette, 1866, p. 494, et Burton, Voyage eux grands lacs, p. 199.) (Note du traducteur.)
  21. Le mot route ne doit s’entendre ici que de la direction prise pour aller d’un endroit à un autre, et ne désigne jamais, dans cette région, qu’une piste de vingt ou trente centimètres de large ; « piste frayée par l’homme dans la saison des voyages, et qui, suivant l’expression locale, dit Burton, meurt pendant la saison des pluies, c’est-à-dire s’efface sous une végétation exubérante. Dans la plaine déserte, la route présente quatre ou cinq lignes tortueuses ; dans les jungles, c’est un tunnel hérissé de grappins qui arrêtent les porteurs ; près des villages, elle est barrée par une estacade ou par une haie d’euphorbe. Quand la terre est libre, le sentier s’allonge par mille détours ; dans les endroits féconds, il se traîne au milieu des grandes herbes, traverse des marécages, des lits vaseux, aux berges escarpées ; et, miné par les insectes et par les rongeurs, devient un piège perpétuel. Dans la montagne, il disparaît au fond des ravins, s’arrête en face de côtes abruptes et se métamorphose en échelle de racines et de quartiers de roche mouvants. Ailleurs il est encore plus mauvais, et souvent on ne le reconnaîtrait pas sans les points de repère qui l’émaillent : arbres flambés ou écorcés, tessons de poterie et de gourdes, crânes et cornes de bœufs ou d’animaux sauvages, arcs et flèches tournés du côté de l’eau, portails en joncs, plates-formes, barricades, arbustes couronnés d’herbes, coiffes de coquilles d’escargots, etc. Dans les carrefours, une branche mise en travers, ou bien une ligne faite avec le pied indique le chemin qu’il faut prendre ; la ligne s’efface, la branche s’écarte ; on croît les voir où elles ne sont pas, on va de confiance et l’on s’égare. » (Burton, Voyage aux grands lacs, p. 293 et suivantes). (Note du traducteur.)
  22. Le texte porte 179 cloths. Nous croyons qu’il s’agit de choukkas (loin-cloths). (Note du traducteur.)
  23. Voir dans Burton (Voyage aux grands lacs). pages 659 et suivantes, ce qui est relatif au gouvernement de ces peuplades, et pages 384 et 663, ce qui forme la liste civile dos chefs. (Note du traducteur.)
  24. Déjà Burton, qui a suivi la route centrale en 1850, disait en parlant du Magounda-Mkali : « Sa mauvaise renommée ne sera bientôt plus que traditionnelle. Chaque jour la torche et la cognée restreignent ses proportions et diminuent les souffrances qu’imposait sa traversée, il y a quinze ans, il fallait pour le franchir douze grandes marches et plusieurs tirikézas ; il suffit maintenant d’une semaine. La première moitié est la plus sauvage, et l’on rapporte que, même en cet endroit, des hameaux de Vouakimbou s’élèvent rapidement, au nord et au sud de la route. En somme, le voyageur n’a guère maintenant à redouter dans cette plaine ardente que la fatigue des trois premières marches. » (Voyage aux grands lacs, p. 245). En 1871 les pagazis de Stanley traversaient le Magounda-Mkali en chantant, et poussaient des cris de joie sur cette terre que leurs prédécesseurs avaient maudite. Ils y trouvaient l’abondance, et leur chef a pu écrire que « cette province ne le cède en fertilité qu’aux vallées de la région maritime. » Il a suffi pour cela qu’une race paisible et laborieuse s’établit dans ces champs embrasés. L’Ougogo, « riche en lait et en miel, en farine, en viande et en légumes, » n’est lui-même qu’un sol aride, un coin du désert transformé par la culture. Quel encouragement dans ces faits ! Pas de terre ingrate pour les persévérants ; et la transformation est rapide. Lorsque les Mormons arrivèrent dans l’Utah (1847), l’eau douce manquait presque partout ; il fallut amener celle des montagnes pour irriguer les terres, « après les avoir débarrassées de la couche saline dont elles étaient couvertes. » (Remy.) En 1860, dans la ville qu’on avait fondée sur ce terrain, ou le sel avait été semé, le pain de froment, les légumes, le lait et le beurre n’étaient pas chers ; le veau y coûtait 5 sous la livre, et un canard 27 sous. Chaque maison avait son jardin ou se voyaient les fleurs et les fruits d’Europe : jusqu’à cent variétés de pommes. La pluie, qui ne tombait naguère que pendant quelques jours, au printemps ou à l’automne, et en faible quantité, se prolongeait alors jusqu’en juin. Dès 1855, les sauniers établis près du lac disaient à M. Remy que la nappe d’eau avait monté de sept pieds depuis trois ans ; que d’abord ils en retiraient un tiers de sel, tandis qu’à présent ils n’en obtenaient guère plus d’un quart. Y a-t-il une utopie plus incroyable que ces réalités ? Gloire donc et gratitude aux travailleurs quels qu’ils soient, blancs, noirs ou jaunes, à ceux qui font naître la joie où était la douleur, l’abondance où était la famine ; et qui, en guérissant la terre de ses maux — le désert est une lèpre — équilibrent ses forces et nous préparent des jours plus tranquilles : saisons propices et récoltes assurées. (Note du traducteur.)