Comment j’ai retrouvé Livingstone (Stanley, 1884)/07


CHAPITRE VII

Du Marenga Mkbali à Kouihara.


Le 22 mai toutes nos caravanes, celle de Thani, celle d’Hamed, les cinq ou six autres et la mienne, se réunissaient à Kounyo, station qui est à trois heures et demie de celle de Mpouapoua. Nous avions, pendant cette marche, côtoyé les montagnes, et franchi trois ou quatre éperons de la chaîne, qui s’avancent en travers de la route. La dernière de ces projections est rejointe par un chaînon transversal d’une assez grande hauteur. Bâti en cet endroit, et protégé par ce double abri, le village de Kounyo ne sent rien des rafales qui tombent des pentes voisines ; mais l’eau y est exécrable ; c’est à elle que la plaine déserte, qui sépare l’Ousagara de l’Ougogo, doit le nom de Marenga Mkhali, c’est-à-dire eau amère.

Malgré son horrible goût, les Arabes, ainsi que les indigènes, boivent sans crainte ce liquide nitreux et n’en souffrent pas ; mais ils le redoutent pour leurs ânes qu’ils ont grand soin d’en éloigner. Ne sachant pas cela, ignorant même où commençait exactement la plaine de l’eau mauvaise, je laissai conduire mes bêtes à l’abreuvoir, comme on faisait toujours à la fin d’une marche, et le résultat fut désastreux : celles qu’avait épargnées l’affreux marais de la Makata furent tuées par les citernes de Kounyo.

Peu de jours après, j’avais perdu cinq de mes ânes, les cinq meilleurs ; il ne m’en restait plus que quatre, dont pas un bien portant.

L’eau de cet endroit parait causer une rétention d’urine ; ce fut du moins cette maladie qui enleva trois de nos pauvres bêtes.

Notre caravane, à la sortie de Kounyo, était réellement imposante : près de quatre cents hommes, beaucoup de fusils, des drapeaux, des tambours, des trompes, des cris et des chants, un bruit effroyable.

La bande était conduite par le Cheik Hamed, qui avait reçu de Thani et de moi-même, la mission de la commander ; un choix malheureux, ainsi qu’on le verra plus tard.

De Kounyo à l’Ougogo, la distance est de trente milles, et doit être franchie en trente-six heures, ce qui fait plus que doubler la fatigue ordinaire. Entre ces deux points s’étend le Marenga Mkhali, où vous ne trouvez pas une goutte d’eau. Comme une caravane de plus de deux cents hommes, ne fait généralement qu’un mille trois quarts par heure, ce trajet de trente mille exige dix-sept heures de marche effective, par un soleil dévorant, et avec peu de repos.

En général l’eau est commune dans l’est de l’Afrique, d’où il résulte que dans cette région les caravanes n’ont pas été forcée
Camp à Kounya.
de recourir à la confection des outres, comme en Egypte et dans certaines parties de l’Inde. Pouvant traverser en deux jours les districts arides, chacun n’emporte qu’une petite gourde, et se contente de rêver à la quantité d’eau qu’il absorbera en arrivant.

Ce désert est monotone ; la marche s’en aggrave. En surcroît de la fatigue, la fièvre me prit et me dévora jusqu’à la moelle. Les bandes d’antilopes, de zèbres, de girafes, ces merveilles de l’Afrique galopant dans la plaine, étaient pour moi sans charme, et n’attiraient plus mon attention. Impossible de me tenir à âne ; il fallut me porter dans un hamac, où je tombai dans une léthargie profonde. Toutefois la fièvre cessa pendant la nuit ; et à trois heures du matin quand on sonna le rappel, j’étais botté, éperonné comme à l’ordinaire, remonté sur ma bête, et dirigeant mes hommes.

À huit heures nous avions fait nos trente-deux milles. Le désert était franchi ; nous entrions dans l’Ougogo, cette province qui pour mes gens était un sujet de crainte, pour moi une Terre Promise.

Les jungles furent longtemps à s’éclaircir, les défrichements à paraître. Ils se montrèrent enfin : rien encore, le sol était nu. La marche continua ; l’herbe revêtit des collines situées à notre droite, parallèlement à la route. Puis des bois sur les pentes, enfin la vue des cultures. Une grande vague de terre rouge, couverte de plantes sauvages, graminées et autres, fut escaladée, et les champs de grain s’ouvrirent devant nous.

Ce n’était pas là ce que j’attendais. Je m’étais figuré un plateau escarpé, dominant le désert de quelque cent mètres, et révélant tout à coup son étendue et sa richesse. Au lieu de cela une transition insensible ; au sortir d’herbes folles, un horizon borné par des tiges de sorgho, dans les limites les plus étroites ; des collines entrevues par hasard, un sol toujours aride.

Cependant, aux environs du premier village apparurent quelques traits particuliers. Il y avait là une grande étendue, tantôt plane, tantôt soulevée, ici unie comme une table, ailleurs présentant des mamelons, hérissés d’énormes quartiers de roche, posés les uns sur les autres comme si des enfants de race titanique s’étaient amusés à en faire des bâtisses ; et malgré leur amoncellement, chacun des matériaux de ces piles, éclat anguleux ou bloc arrondi, semblait avoir été projeté violemment par une force souterraine. L’un d’eux, situé près de Mvoumi, attira surtout mon attention ; vu à travers les branches d’un vieux baobab, il ressemblait si bien à ces tours carrées des anciennes forteresses, que pendant un instant je me flattai d’avoir fait une découverte extraordinaire. Un regard jeté de plus près dissipa l’illusion ; c’était simplement un cube rocheux, de quarante pieds sur chaque face.

Les baobabs jouaient également dans la scène un grand rôle ; pas d’autres arbres dans toutes les parties cultivées. Il y avait à cela probablement deux raisons : le manque d’outils nécessaires pour abattre une pareille masse, et la farine, qu’en temps de disette, peut fournir le fruit du colosse, farine qui est mangeable à défaut d’autre chose[1].

Les premières paroles qui frappèrent mon oreille dans cette province sortirent de la bouche d’un homme d’un certain âge, aux formes robustes, qui soignait des vaches avec indolence, mais qui, à mon approche, témoigna vivement de l’intérêt qu’avait pour lui cet étranger vêtu de flanelle blanche et coiffé d’un liège, breveté contre le soleil. Dès qu’il m’aperçut : « Yambo, Mousoungou ; Yambo, bana, bana, » s’écria-t-il d’une voix qu’on put attendre d’un mille.

L’effet produit fut électrique ; à peine ce nom de Mousoungou eut-il été proféré que tout le village fut en rumeur. L’émotion gagna de proche en proche ; toutes les bourgades, échelonnées près de la route, furent en proie à la même frénésie. Une foule ardente, hommes, femmes et enfants, tous presqu’aussi nus qu’Adam et Ève à leur premier matin, suivirent le Mousoungou en se poussant, en se battant, en se bousculant pour le mieux voir. C’était la première fois qu’un blanc était vu dans cette partie de l’Ougogo. Des cris de surprise, tels que : Haï li-i-i ! » éclataient au milieu du tumulte, et frappaient mon oreille, qui les trouvait impertinents. Un respectueux silence, tout au moins de la réserve, eût gagné mon estime. Mais vous, ô pouvoirs qui faites observer l’étiquette dans le pays des Vouasoungou, respect, réserve, estime, dignité personnelle, vos noms même sont inconnus dans ce lieu sauvage.

Jusque là je m’étais comparé à un marchand de Bagdad arrivant chez les Kourdes, et leur vendant ses soieries de Damas, ses Kéfiehs et autres objets de luxe ; il fallait maintenant en rabattre et me placer au niveau des singes d’un jardin zoologique.

Un de mes hommes les pria de crier moins fort ; on lui ferma la bouche comme à un être indigne de parler à des Vouagogo. Je me tournai vers mes Arabes et leur demandai conseil. « Laissez-les faire, me dit le vieux Thani, toujours sage. Ce sont des chiens qui ne font pas qu’aboyer, ils mordent. »

À neuf heures nous étions dans notre camp, près du village de Mvoumi. Les curieux arrivaient toujours ; malgré la palissade épineuse ils se pressaient pour entrevoir le Mousoungou, dont la présence était maintenant connue dans tout le canton. Mais bientôt j’oubliais les curieux et leurs efforts ; car en dépit de la quinine, la fièvre m’avait ressaisi.

Le lendemain nous franchîmes les huit milles qui nous séparaient du Mvoumi-Occidental, village qu’habitait le chef du district. L’abondance et la variété des provisions qui affluèrent dans notre boma justifièrent pleinement tout ce que l’on m’avait dit de la richesse de ce territoire. Du lait doux et caillé, du maïs, du sorgho, du millet, du miel, des haricots, du beurre fondu, des arachides, une espèce de fève, ressemblant à une grosse pistache ou à une amande, des pastèques, des melons musqués, des citrouilles, des concombres nous furent apportés, et cédés pour du merikani, du kaniki, des perles blanches américaines, et des perles rouges dites de corail ou samé samé.

Ce marché, qui dura depuis le matin jusqu’au soir, me rappela les coutumes commerciales des Abyssiniens et des Gallas. Jusqu’ici, à partir de la côte, les chefs de caravane sont obligés d’envoyer dans les villages et d’y faire acheter les vivres dont ils ont besoin. Dans l’Ougogo ce sont les naturels qui viennent trouver les caravanes et qui leur présentent tout ce qu’ils ont d’échangeable. Nos vendeurs y mirent un extrême empressement ; les moindres bribes de cotonnade, bleue ou blanche, furent acceptées par eux avec joie, voire une vieille ceinture usée jusqu’à la corde.

Le lendemain fut un jour de halte ; nous avions à payer le tribut, dont l’omission eût allumé la guerre. Dès le matin, le prudent Thani et l’actif Hamed s’occupèrent de cette affaire importante. Deux de leurs esclaves, doués d’une parole facile, rompus au trafic, connaissant bien les chefs et les usages du pays, portèrent pour nous au sultan vingt-quatre mètres d’étoffes diverses : huit mètres de kaniki au nom du cheik Hamed, huit de mérikani satiné, envoyé par le cheik Thani ; enfin quatre de barsati et autant de dabouani oulyah de la part du Mousoungou. Ce n’était là qu’un à-compte.

Au bout d’une heure les esclaves revinrent, ayant dépensé leur éloquence en pure perte : l’envoi, trouvé insuffisant, n’avait pas même été reçu.

« Mauvais homme, me dit le vieux Thani en me rendant compte du résultat de la démarche ; mauvais homme que ce sultan, mauvais, mauvais ! Le Mousoungou, a-t-il répondu à nos émissaires, est un haut personnage ; c’est un grand chef, il est très-riche ; j’ai vu passer plusieurs caravanes qui lui appartenaient. Il paiera donc quarante dotis (cent vingt mètres) et les Arabes chacun douze dotis ; car eux-mêmes ont un grand nombre de porteurs. Ne me répétez pas que vous ne formez à vous tous qu’une seule caravane. S’il en était ainsi, pourquoi auriez-vous des drapeaux et des tentes en pareille quantité ? Allez-vous-en, et rapportez-moi soixante-quatre dotis ; je ne recevrai pas moins.

— Si j’avais seulement vingt hommes de ma race, m’écriai-je en apprenant cette demande exorbitante, vingt hommes blancs armés de carabines à répétition, ce serait à nous que ce chef paierait tribut. » Mais Thani me supplia de modérer mes paroles, de peur que ma colère n’irritât le sultan, et ne nous fit réclamer double honga, ce dont le vilain homme était capable.

— Il faut céder, continua le vieil Arabe ; si vous refusiez ce serait la guerre ; vos porteurs déserteraient et vous laisseraient, vous et vos bagages » à la merci des Vouagogo. »

Je me hâtai de calmer ses craintes en lui disant que j’avais mis de côté cent vingt dotis d’étoffe à honga, ce qui me permettait d’en donner quarante, sans trop de peine. Sur ce, j’ordonnai à Bombay d’ouvrir le ballot et je priai Thani de vouloir bien prendre l’étoffe qui pourrait convenir au sultan.

Toute réflexion faite, et sur l’avis du Cheik Hamed, ainsi que des deux esclaves, le bon Arabe me conseilla d’envoyer seulement douze dotis, dont trois d’Oulyah ; laissant à nos mandataires le soin de persuader au sultan que le Mousoungou n’avait tant de bagages que parce qu’il emportait deux bateaux, qui ne pouvaient être d’aucune utilité au chef d’un pays sans rivière et sans lac. Pas besoin de dire que cet avis plein de sagesse eut mon approbation.

Les esclaves repartirent cette fois avec trente dotis, et accompagnés de tous nos vœux pour le succès de leur message. Une heure après ils revinrent les mains vides, mais sans avoir terminé. Le chef réclamait encore au Mousoungou six dotis de calicot, plus dix rangs de perles noires, et douze dotis aux Arabes, On les lui envoya. Il les prit ; puis ajouta que l’étoffe du Mousoungou étant de courte mesure, et celle des Arabes de piètre qualité, il redemandait au Mousoungou trois grands dotis, et aux autres cinq dotis de kaniki.

Je fis mesurer mes douze mètres par celui de mes hommes qui avait les bras les plus longs, et je les envoyai par Bombay.

Quant aux Arabes ils se récrièrent : c’était les ruiner, disaient-ils ; et des vingt mètres qu’on leur réclamait, ils n’en donnèrent que huit, suppliant le chef de considérer que l’étoffe qu’il avait déjà reçue formait un honga très-honorable. Mais nullement disposé à reconnaître cette vérité, le chef profita de l’occasion pour exiger que le reste lui fût payé en étoffe plus précieuse : huit mètres en oulyah, quatre en barsati kitambi. Il fallut en passer par là, et le tyranneau eut son étoffe, accompagnée des soupirs de Thani et des malédictions d’Hamed.

Très-agréable le poste de chef de district dans cette contrée : une sinécure et fort rénumératrice. D’un seul boma, notre homme venait de tirer cent quatre-vingt-huit mètres de cotonnade : mérikani, barsati, kaniki et dabouana ; vingt-huit d’étoffes supérieures, telles que réhani, sohari, dabouaui oulyah, et dix rangs de perles noires ; en somme, près de cinquante dollars ; ce qui est une bonne journée pour un Mgogo.

Le lendemain, 27 mai, nous quittâmes cette résidence royale, en secouant avec joie la poussière de nos pieds ; et nous continuâmes à marcher vers l’occident.

Cinq de mes ânes étaient morts la veille, des suites de l’eau nitreuse du Marenga Mkhali. Avant de partir, j’allai voir ce qu’ils étaient devenus ; il n’en restait que les os complètement nettoyés par les hyènes, et dont une armée de corneilles à cravate blanche avait pris possession.

Tout le pays n’était qu’un vaste champ de grain. Partout des villages ; de Mvoumi, à la station suivante, je n’en vis pas moins de vingt-cinq, dispersés dans la plaine rougeâtre, qui, malgré sa nature inhospitalière, était bien mieux cultivée que pas une des provinces que nous avions traversées jusque-là.

En comptant par vingtaines les gens qui se groupaient sur la route pour voir le Mousoungou, je ne m’étonnai plus des exigences de leur chef. Il était évident qu’ils n’auraient eu qu’à étendre la main pour s’emparer de tout ce que nous possédions : et je commençai à prendre meilleure opinion d’un peuple, qui, ayant le sentiment de sa force, s’abstenait d’en user ; d’un peuple assez intelligent pour comprendre que son intérêt, quelle que fût la tentation, était de laisser passer les caravanes, sans leur imposer autre chose qu’un droit de transit.

Arrivés à Matambourou, nous y trouvâmes la même affluence de curieux, la même ardeur à nous voir, les mêmes éclats de rire, les mêmes cris d’étonnement provoqués par notre extérieur ou par nos manières. Mes Arabes, dont les pareils se voyaient tous les jours, étaient à l’abri de ces vexations.

Le chef, un homme à tête massive, bien attachée sur de fortes épaules — celles d’un Milon de Crotone — se montra raisonnable. Moins puissant que l’autre, bien qu’il eût quarante villages et des forces suffisantes pour nous opprimer s’il l’avait voulu, il accepta les quatre dotis que nous lui envoyâmes comme préliminaire, et déclara qu’il serait satisfait si le Mousoungou et les Arabes lui en envoyaient encore autant.

L’affaire lestement terminée, à la satisfaction de tout le monde, le départ fut annoncé pour le lendemain. Dans la soirée, d’après Tordre du cheik Hamed, le premier guide réunit toute la bande et lui tint le discours suivant :

« Paroles, paroles du maître, s’écria-t-il. Prêtez l’oreille, kirangozis ! Écoutez, fils de l’Ounyamouézi ! Le voyage est pour demain. Le sentier est tortueux, le sentier est mauvais. Il a des jungles, où plus d’un homme sera caché. Les Vouagogo frappent les pagazis à coups de lance ; ils égorgent ceux qui portent l’étoffe et les perles. Les Vouagogo sont venus dans notre camp ; ils ont vu nos richesses ; ce soir ils iront dans la jungle. Soyez sur vos gardes, ô Vouanyamouézi ! Tenez-vous près les uns des autres. Ne vous attardez pas ; ne restez point en arrière. Kirangozis, marchez lentement pour que les faibles, les enfants, les malades puissent être avec les forts. Reposez-vous deux fois pendant la route. Telles sont les paroles du maître. Les avez-vous entendues, fils de l’Ounyamouézi ? »

Un cri unanime répondit affirmativement.

« Les avez-vous comprises ? »

Nouveaux cris affirmatifs.

« C’est bien ! »

La nuit était close ; l’orateur se retira dans sa hutte.

De Matambourou à Bihahouana, où se trouvait le premier camp, la route fut longue et pénible. D’abord, à travers un fourré de gommiers et d’acacias épineux, qui revêtaient des collines escarpées ; ensuite dans une plaine ardente où le soleil devint de plus en plus dévorant, jusqu’à tarir toutes les sources de la vie, transformant l’air en un voile embrasé, répandant partout un éclat douloureux pour la vue, qui cherchait vainement où se reposer de cette blancheur étincelante. Nous traversâmes plusieurs noullahs desséchés, dont le fond sableux portait les empreintes de nombreux éléphants, et dont la pente s’inclinait au sud-est et au sud.

Ce fut au milieu de cette fournaise que nous trouvâmes les villages de Bihahouana, presque invisibles, en raison du peu de hauteur de leurs cases, moins élevées que les grandes herbes qui fumaient autour d’elles, séchées et blanchies par l’air en feu. Nous nous arrêtâmes dans un vaste boma, situé à un quart de mille du tembé du chef. À peine étions-nous installés, que j’eus la visite de trois indigènes qui me demandèrent si je n’avais pas vu sur la route une femme et un enfant. J’allais répondre innocemment par l’affirmative, lorsque Mabrouki, toujours attentif aux intérêts du maître, m’avertit de ne rien dire, ces trois hommes n’attendant ma réponse que pour m’accuser d’avoir fait évader les fugitifs, et pour m’en réclamer la valeur, suivant la coutume du pays.

Indigné du complot, je saisis mon fouet pour en châtier les perfides ; mais d’une voix tonnante : « Prenez garde, maître ! s’écria mon fidèle ; autant de coups, autant de fois trois ou quatre dotis de bonne étoffe. » Ne me souciant pas d’épancher ma bite à si grands frais, j’étouffai ma colère, et mes visiteurs s’éloignèrent impunis.

On se reposa le lendemain, ce qui fut pour moi un grand soulagement ; la fièvre, que j’eus cette fois pendant quinze jours, me faisait horriblement souffrir, et m’empêchait de mettre tous les soirs mes notes au courant, ainsi que j’en avais l’habitude.

Bien que ses sujets fussent d’avides gredins, toujours prêts au vol et au meurtre, le chef de Bihahouana se montra modéré et n’exigea qu’un tribut de douze mètres. J’eus par lui des nouvelles de ma quatrième caravane, qui s’était distinguée dans un combat avec quelques-uns de ses bandits. Au moment où ces derniers entraînaient deux de mes porteurs, mes soldats étaient arrivés et avaient frustré les brigands de leur espoir. « Si toutes les caravanes étaient défendues de la sorte, me dit le chef, il y aurait moins de danger sur la route. » Vérité que je reconnus avec lui.

À Kididimo, où nous arrivâmes le 30 mai, et qui n’était pas à plus de quatre milles de Bihahouana, demeurait un autre sultan. La marche avait eu lieu dans une plaine étroite, flanquée sur les deux rives d’une chaîne de collines, semées de nombreux baobabs.

Rien de moins attrayant que l’aspect de Kididimo : tout chauffé à blanc par le soleil, jusqu’aux visages des habitants qui paraissaient blafards, sous le reflet de cette blancheur générale. L’eau des citernes, la seule du voisinage, ressemblait à de l’urine de cheval surchauffée. Elle rendit les ânes malades ; deux d’entre eux en moururent au bout d’une heure. Chez l’homme, elle produisit des douleurs d’entrailles, des nausées et une irritation de tous les organes qui se traduisit par les malédictions les plus vives, adressées au pays et à son chef imbécile ; irritation qui arriva au comble, lorsque après avoir débattu le honga, Bombay vint nous dire que le sultan exigeait dix dotis, et n’en voulait pas démordre. Toutefois, affaibli par la fièvre, je n’étais pas d’humeur à contester la somme, et le sultan fut payé. Les Arabes continuèrent les négociations ; ils en eurent jusqu’au soir ; mais ne donnèrent que huit dotis chacun.

Entre Kididimo et Nyamboua, district du sultan Pembira Péreh, se trouvait une grande forêt, futaie et jungle, habitée par l’éléphant, le rhinocéros, le zèbre, le daim, l’antilope et la girafe.

Partis au point du jour, nous entrâmes dans le fourré, dont les lisières de grands arbres et les sombres lignes se distinguent parfaitement du boma de Kididimo. Après deux heures de marche, nous nous arrêtâmes pour déjeuner au bord d’un chapelet de petits étangs d’eau douce, entourés d’espaces verdoyants, ou les bêtes sauvages se réunissaient en grand nombre, à en juger par les traces multipliées et récentes qui se voyaient aux alentours. Un étroit noullah, abrité par une épaisse feuillée, nous fournit un excellent refuge contre l’éclat du soleil.

À midi, notre soif étant apaisée, notre faim satisfaite, nos gourdes remplies, nous sortîmes de l’ombre pour rentrer dans l’air éblouissant. Tantôt dans la jungle, tantôt hors du fourré, ou dans un bois très-clair, puis au milieu de grandes herbes pâles, de gommiers et d’épines, répandant une odeur aussi forte que celle d’une écurie ; puis à travers des bouquets de mimosas, et des colonies de baobabs, dans un pays giboyeux, mais dont le gibier qui se montrait fréquemment n’avait pas plus à craindre nos armes que si nous fussions restés sur la côte.

Une tirikéza — c’était ainsi que nous marchions — n’admet aucun délai, aucun détour. Nous avions quitté l’eau à midi, pour ne la retrouver qu’au bout de vingt-quatre heures ; et pour cela il fallait marcher vite et longtemps.

On ne s’arrêta qu’à la fin du jour ; nous étions encore à deux heures du camp de Nyamboua. Ce soir-là nos gens bivaquèrent sous les arbres, au milieu d’une épaisse forêt, jouissant de la fraîcheur, et n’ayant pas même l’abri d’un chapeau, tandis, qu’au fond de ma tente, je gémissais et me débattais contre la fièvre.

Le soleil venait de paraître lorsque nos caravanes reprirent le sentier, où elles se déroulèrent en longue file indienne. C’était toujours la forêt : à droite et à gauche, de sombres profondeurs : au-dessus de nos têtes un ruban de ciel lumineux, où flottaient de légers nuages. Aucun bruit, à l’exception de quelques notes jetées au vol par un oiseau, le chant de quelque porteur, le bourdonnement d’une conversation, ou un cri de joie à la pensée qu’on approchait de l’eau. Un de mes pagazis, qui était malade, tomba pour ne plus se relever. Le dernier de la bande passa près de lui avant qu’il eût rendu le dernier soupir ; fort heureusement, car sans cela nous aurions eu la barbarie de le laisser sans sépulture, sachant qu’il était mort[2] ».

À sept heures nous étions au camp de Nyamboua, où l’eau est excellente, et nous buvions tous en chameaux altérés. De vastes champs de grain avaient annoncé les villages et fait presser le pas à nos hommes. Lorsque nous approchâmes de l’aire populeuse, nous vîmes accourir la multitude ; et bientôt jeunes et vieux des deux sexes formèrent sur notre passage une foule compacte et hurlante. Cet excès d’humeur démonstrative fit dire à maître Shaw : « Ceux-ci doivent être les vrais Ougogiens. Quels regards ! oh ! mon Dieu ! quels regards ! C’est à les souffleter. » Le fait est que la conduite de ces gens-là était l’exagération de celle des autres Vouagogo. Jusque-là on s’était contenté de regarder et de crier ; mais ici l’audace n’avait plus de bornes.

Ma colère grandissant avec leur insolence, je pris à la gorge le plus bruyant de ces clabaudeurs, et lui administrai une volée de coups de fouet qui n’était pas faite pour lui être agréable. Ce procédé fit jaillir de la foule un torrent d’injures, exprimées d’une façon particulière. Approchant à l’instar des chats irrités, ils lançaient leurs paroles d’une voix qui tenait du sifflet et de l’aboiement ; quelque chose comme le mot hahcht ! proféré sur une note aiguë, allant crescendo. « Les Vouagogo seront-ils battus comme des esclaves par ce Mousoungou ? » criaient-ils en avançant et en reculant tour à tour. « Un Mgogo est un homme libre, hahcht ! Il n’est pas habitué à être battu ; — hahcht ! »

Mais dès que le Mousoungou levait le bras, ces rodomonts jugeaient prudent de se tenir à distance respectueuse. Voyant donc qu’un peu de fermeté suffisait pour les remettre à leur place, j’eus recours à mon fouet, dont la grande lanière claquait avec le bruit d’un pistolet. Tant qu’ils se bornaient à me regarder et à se communiquer leurs opinions sur ma couleur et sur mon costume, je me résignais philosophiquement à les divertir ; mais quand ils m’approchaient au point de me laisser à peine la place de me mouvoir, un vigoureux claquement à droite et à gauche rendait bientôt le chemin libre.

Pembira Péreh est un vieux petit bonhomme, très-petit, et qui serait très-insignifiant s’il n’était pas le plus grand chef de l’Ougogo, ayant même une sorte de suzeraineté sur beaucoup d’autres peuplades. Malgré sa puissance, il est fort mal vêtu, plus misérablement que pas un de ses sujets ; et toujours crasseux, toujours gras, toujours la bouche sale ; mais par excentricité, non pas par idiotisme. C’est un homme extrêmement fin ; il a toujours en réserve un biais pour rançonner les Arabes qui passent ; et comme juge, il est sans pareil, expédiant avec aisance une tâche judiciaire qui accablerait le commun des martyrs.

Le Cheik Hamed notre commandant, était encore plus minime que le sale vieillard. Un tout petit personnage, petit et mince, qui compensait l’exiguité de ses proportions par une activité dévorante. Jamais de repos. Même dans les haltes, on voyait ce Petit-Poucet toujours allant, venant, furetant, s’agaçant, dérangeant tout, et troublant tout le monde.

Nos ballots ne devaient pas être mêlés, ni déposés trop près des siens, ni rangés de telle ou telle manière. Il avait une façon à lui d’empiler ses bagages, et restait là pour les faire entasser. Du premier coup d’œil il choisissait le meilleur endroit pour y planter sa tente, et ne souffrait pas qu’on empiétât sur son terrain. À le voir si frêle, on se serait imaginé qu’après une marche de dix à quinze milles il eût été heureux d’abandonner ces menus détails à ses gens ; mais non ; rien ne pouvait être bien fait s’il n’était là ; d’ailleurs infatigable : le mot lassitude n’existait pas pour lui.

Une autre particularité de son caractère, mais celle-ci plus commune, était d’être fort intéressé. Il n’était pas riche, voulait le devenir, et se donnait beaucoup de mal pour tirer d’une choukka ou d’un rang de perles tout ce qu’on pouvait en extraire ; chaque nouvelle dépense semblait lui arracher le cœur ; il était près de verser des larmes, il le disait lui-même, chaque fois qu’il pensait à la cherté des vivres, et aux exagérations du tribut. Double motif qui nous assurait que nous resterions le moins possible dans l’Ougogo, où la vie était fort chère.

Nous étions donc campés à Nyamboua, dont le souvenir restera dans la mémoire d’Hamed, gravé à jamais par une douleur poignante. Tandis que le petit homme se trémoussait dans le camp, absorbé par son tatillonnage, deux de ses ânes s’égarèrent dans le sorgho de Pembira. Dès qu’il s’aperçut de leur disparition, Hamed courut avec ses gens à la recherche des deux bêtes. Il revint le soir sans avoir rien trouvé, et se lamentant comme seul peut le faire un Oriental qui vient de perdre deux ânes de Mascate, d’une valeur de cent dollars. Le cheik Thani qui avait plus d’années, d’expérience et de sagesse, lui conseilla d’avertir le sultan de la perte qu’il avait faite. Jugeant que l’avis était bon, Hamed envoya deux de ses esclaves à Pembira pour lui expliquer l’affaire, et reçut en échange cette information que lui rapportèrent ses messagers. Les serviteurs de Pembira ayant trouvé les deux ânes mangeant le sorgho, de leur chef, les avait amenés à celui-ci, qui les gardait pour s’indemniser du dégât commis par les dites bêtes, à moins que leur propriétaire ne lui envoyât, à lui, Pembira Péreh, neuf dotis d’étoffe de première classe.

Hamed fut au désespoir. Neuf dotis d’étoffe précieuse, soixante-douze coudées qui, dans l’Ounyanyembé, vaudraient vingt-cinq dollars ! neuf dotis pour une poignée de grain, valant à peine une demi choukka ; c’était absurde. Mais s’il ne payait pas, on lui prenait cent dollars, que représentaient les ânes.

Il résolut d’aller trouver Pembira pour lui démontrer l’absurdité de la réclamation, et pour lui offrir un demi doti, en lui prouvant que c’était plus du double de la valeur du grain mangé par les deux bêtes.

Quand il arriva, le sultan qui buvait depuis l’aurore, était dans un état d’ivresse — je suppose que c’est son état normal — état qui ne lui permettait pas d’entendre la cause.

La plupart des chefs de l’Ougogo ont auprès d’eux un Mnyamouézi qui est leur conseiller, leur ministre, leur bras droit, leur homme à tout faire, excepté le bien ; une sorte d’arlequin, formé d’une telle dose d’intrigue, de cupidité, de fourberie et d’audace, qu’on a toujours envie de traiter ce personnage comme on traite les bêtes nuisibles.

Ce fut le Mnyamouézi de Pembira qui reçut le cheik Hamed. Impossible d’en rien obtenir : pas moins de neuf dotis, ou le sultan garderait les ânes.

Hamed s’en alla comme il était venu. La journée s’écoula ; pas de nouvelles de l’affaire ; d’où il résulta que la nuit suivante Hamed ne put fermer l’œil. Heureuse inquiétude, qui le préserva d’une perte plus grande que celle qui l’empêchait de dormir. Vers minuit un voleur s’introduisit dans le camp, et enlevait à notre Hamed une charge de cotonnade, lorsque le petit homme fit siffler à l’oreille du pillard une balle qui le mit en fuite.

Le Mnyamouézi avait touché comme tribut, au nom de son maître, cinquante et un dotis de nos trois caravanes et de celles qui nous accompagnaient ; il n’en fut pas moins inflexible à l’égard du chef de cette bande productive ; et le pauvre Hamed paya les neuf dotis pour ravoir ses deux ânes.

Sortis des champs de maïs de Pembira, nous nous trouvâmes dans une grande plaine, aussi unie que la surface d’un lac paisible et qui fournit du sel aux Youagogo. Cette immense saline, qui s’étend de Kanyényi, sur la route du sud, jusqu’au delà des frontières de l’Ouhoumba et de l’Oubanarama, contient de nombreux étangs, remplis d’une eau amère, dont les bords peu élevés sont revêtus d’une efflorescence nitreuse. Deux jours après, étant arrivé sur la crête qui sépare l’Ougogo de l’Ouyanzi, j’embrassai du regard cette vaste plaine d’une étendue de plus de cent milles carrés. Il est possible que ce fût une illusion ; mais je crus voir de larges nappes d’eau, d’un bleu grisâtre, qui me firent présumer que cette plaine n’était qu’une portion d’un ancien lac salé. Les Vouahoumba, qu’on trouve en grand nombre depuis Nyamboua jusqu’à l’Ouyanzi, ont dit à mes hommes qu’il y avait au nord un Madji Kouba c’est-à-dire une grande eau.

Mizanza, où notre camp fut établi, est situé dans un bois de palmiers, à peu près à treize milles de Nyamboua. Dès que ma tente fut dressée, je m’ensevelis sous mes couvertures, repris que j’étais de la fièvre, qui me revenait périodiquement depuis la traversée du Marenga Mkhali. Certain qu’un jour de halte, en me permettant de prendre ma quinine d’une façon régulière, suffirait à me guérir, je priai le bon Thani de demander à Hamed de ne pas voyager le lendemain, afin que je pusse me délivrer de ces accès violents, qui m’avaient réduit à l’état de squelette, et qui m’enlevaient toutes mes forces.

Dans son désir de gagner l’Ounyanyembé avant les autres, afin d’y placer son étoffe plus avantageusement, le petit cheik répondit qu’il ne pouvait pas s’arrêter pour le Mousoungou. Lorsque Thani m’eut rapporté ces paroles, je fis dire à Hamed que le Mousoungou n’entendait nullement l’arrêter dans sa marche, qu’il avait assez d’hommes et de fusils pour achever seul la traversée de l’Ougogo, et qu’il espérait que le cheik Hamed ne l’attendrait pas.

J’ignore par quel motif le petit Arabe changea de résolution ; mais sa trompe ne donna pas le signal du départ, et le lendemain il campait avec nous.

Je commençai au point du jour à prendre ma quinine ; à six heures, une seconde dose ; puis une troisième. Bref, avant midi j’en avais pris quatre ; au total cinquante grains. L’effet se manifesta par une transpiration qui mouilla mes flanelles, mon linge, mes couvertures comme si on les eût trempés dans l’eau. Je me levai ensuite, plein de reconnaissance pour le précieux médicament qui me débarrassait des tortures que j’éprouvais depuis une quinzaine.

Ce jour-là, ma tente, sur laquelle flottait le drapeau des États-Unis, attira les regards du sultan de Mizanza et me valut la visite de ce puissant personnage. Comme il était célèbre parmi les Arabes pour avoir secondé Manoua Séra dans la guerre que celui-ci avait faite à Snay Ben Amir, dont Burton et Speke ont parlé avec tant d’éloges[3], et qu’en outre c’était, après celui de Nyamboua, le chef le plus considérable de l’Ougogo, j’étais très-curieux de le voir.

En entrant dans ma tente, dont la portière était levée à son intention, le vieux gentleman fut tellement surpris de la hauteur et de l’arrangement de cette maison de toile, qu’il laissa tomber la cotonnade crasseuse qui le protégeait seule contre le froid de la nuit et contre les feux du jour, exposant ainsi au regard profane du Mousoungou les tristes ruines d’un corps dont les proportions avaient dû être majestueuses. Son fils, un jeune homme de quinze ans, se hâta de l’avertir avec respect de sa nudité ; sur quoi il replaça le mince appareil en ricanant de l’aventure ; puis il alla s’asseoir et donna cours à son admiration. Un soldat varègue introduit au milieu des splendeurs du palais de Byzance, n’aurait pas été plus ébloui que ne le fut le chef de Mizanza en face des objets qui se trouvaient dans ma tente. Après avoir regardé avec stupéfaction la table sur laquelle étaient quelques poteries, et le peu de livres que j’avais avec moi, après avoir béé devant le hamac, dont la suspension lui parut être l’effet d’un procédé magique, examiné les porte-manteaux qui contenaient mes vêtements, il s’écria : « Haï li-i-i ! le Mousoungou est un grand chef, qui vient de son pays pour voir l’Ougogo. » Me prenant alors pour point de mire, il s’émerveilla de mon teint pâle, de mes cheveux lisses, et me posa cette question : « Comment, sur la terre, se fait-il que vous soyez blanc, quand le soleil a brûlé la peau de nous autres jusqu’à la rendre noire ? »

Voyant ensuite mon casque de liège, il en coiffa sa tête laineuse, ce qui l’amusa beaucoup, ainsi que moi-même. Je pris mes armes et déchargeai le raïfle à répétition, dont je tirai vivement les seize coups pour lui en faire comprendre la force meurtrière. Il resta confondu. « Les Vouagogo, dit-il enfin, ne pourraient jamais tenir en bataille devant le Mousoungou ; car n’importe où serait l’un d’eux, avec un pareil fusil il ne tarderait pas à être tué. »

Après cela, je lui montrai les carabines et les revolvers dont je lui expliquai le mécanisme, jusqu’au moment où, dans un élan d’enthousiasme pour mes richesses et pour ma puissance, il me dit qu’il m’enverrait une chèvre ou un mouton, car il voulait être mon frère. Je le remerciai de l’honneur, et lui promis de faire bon accueil à ce qu’il lui plairait de m’offrir.

Thani, qui me servait d’interprète, me souffla qu’un chef de l’Ougogo ne devait jamais partir les mains vides. Je coupai deux mètres de kaniki et les donnai à mon visiteur. Après avoir examiné et mesuré l’étoffe, le chef me la rendit, ajoutant que le Mousoungou était trop riche pour s’avilir en ne lui donnant qu’une choukka. Cette exigence, succédant à la perception d’un tribut de douze dotis, me sembla raide ; toutefois, comme le solliciteur devait me faire un présent, la seconde choukka lui fut accordée.

Fidèle à sa promesse, le chef m’envoya en effet un gros mouton, dont l’énorme queue était une pelotte de graisse ; mais l’envoi était accompagné de ce message : « Maintenant que vous êtes mon frère, vous allez me donner trois dotis de belle étoffe. »

Un mouton ne se vendant qu’un doti et demi, je refusai la bête ainsi que l’honneur fraternel, et je rappelai au chef qu’en surplus du honga, il avait reçu de moi un doti qui me paraissait un cadeau suffisant, tous les dons ne pouvant pas être du même côté. L’affaire n’eut pas d’autre suite.

Un de nos ânes mourut dans l’après-midi. Le soir les hyènes vinrent en grand nombre pour dévorer le cadavre. Oulimengo, notre chasseur, et, parmi nos soldats, ceux qui tiraient le mieux, prirent leurs fusils, et tuèrent deux des convives, qui se trouvèrent de la plus grande taille. L’une de ces hyènes ne mesurait pas moins de six pieds du bout du museau à l’extrémité de la queue ; elle avait trois pieds de tour.

Le 4 juin nous levâmes le camp. Après avoir fait, à l’ouest, environ trois milles, où nous rencontrâmes plusieurs nappes d’eau salée, nous primes au nord-ouest, en suivant le pied des collines qui séparent l’Ougogo de l’Ouyanzi.

Trois heures de marche nous firent gagner le Petit-Moukondokou, territoire administré par le frère du sultan du Moukondokou proprement dit. Nous nous arrêtâmes pour payer le tribut. Douze mètres parurent suffisants au chef de ce petit canton, où il ne se trouve que deux villages, peuplés en majeure partie de Vouahoumba et de Vouahéhé qui ont abandonné leur tribu.

Les Vouahoumba sont des pasteurs ; ils habitent des cases revêtues d’un crépissage en bouse de vache, et dont la forme conique, est pareille à celle des tentes du Turkestan.

D’après ce que j’en ai vu, les Vouahoumba forment une race remarquable. Ils sont grands et bien faits, ont la tête petite, avec la partie postérieure extrêmement saillante ; mais le visage est d’une beauté réelle. Vous chercheriez vainement parmi eux de grosses lèvres ou un nez épaté. Au contraire, leur bouche est à la fois petite, délicate et d’une excellente coupe ; leur nez est droit, celui des anciennes statues ; c’est chez eux un trait si général que, tout d’abord, je les ai surnommés les Grecs d’Afrique. Loin d’avoir les membres lourds, comme ceux des Vouagogo et d’autres peuplades de cette région, ils ont la jambe longue et bien formée, nette comme celle d’une antilope ; les attaches fines, un cou mince et long, sur lequel la tête, bien posée, se balance avec grâce. Habiles dès le jeune âge à tous les exercices du corps, n’ayant d’autre labeur que le soin de leur bétail, ne se mariant qu’entre eux, ils conservent la pureté de leur race, et il n’est pas un de ceux que j’ai vus qui n’eût pu servir de modèle à un sculpteur pour une statue d’Hylas, d’Antinoüs, de Daphnis ou d’Apollon.

Aussi belles que les hommes, les femmes ont la peau très-fine, très-unie, — le grain et la netteté de l’ébène, — et d’un noir absolu, non pas la teinte du charbon, mais le noir de l’encre.

Des spirales de fil de laiton en pendants d’oreille, en collier, en bracelets, en ceinture constituent leurs ornements. Celle-ci retient une peau de chèvre, ou de veau, qui, placée en écharpe et attachée sur l’épaule, leur retombe jusqu’aux genoux.

Quant aux Vouahéhé, nous pouvons dire que ce sont les Romains de cette partie du monde.

Remis en marche au bout d’une heure, il nous en fallut quatre autres pour arriver au Moukondokou proprement dit. Cette extrémité de l’Ougogo est excessivement populeuse. Trente-six villages entourent le tembé de Souarourou, chef du district. Les gens qui accoururent de ces bourgades pour voir les hommes merveilleux dont la figure était blanche, dont le corps était couvert de choses
Homme et femme de l’Ougogo.
si étonnantes, et qui avaient des armes surnaturelles, « faisant boum-boum aussi vite que l’on peut compter ses doigts, » les gens qui accoururent formèrent une foule si nombreuse qu’il me parut impossible que la curiosité fût le seul but de leur réunion. Je m’arrêtai pour demander ce qu’il y avait et pourquoi on faisait tant de bruit. Un gros homme, prenant mes paroles pour une injure, tendit immédiatement son arc. Il n’avait pas fini, que mon Winchester, avec toutes ses balles en magasin, était à l’épaule, et n’attendait que le départ de la flèche pour envoyer ses messagers de mort à la foule. Mais cette dernière s’enfuit aussi vite qu’elle était venue, laissant mon agresseur et deux ou trois autres à une portée de pistolet de mon raïfle.

La dispersion instantanée de la multitude, me fit éclater de rire et baisser ma carabine. Les Arabes, non-moins alarmés par cette fuite qu’ils ne l’avaient été des excès précédents, s’employèrent comme médiateurs, démarche qui fut couronnée de succès.

Quelques mots d’explication ramenèrent les curieux en plus grand nombre ; et le noir Thersite, qui avait été la cause du trouble, se retira honteux et confus sous la pression de l’opinion publique.

Il vint alors un homme important, qui chapitra la foule : j’appris plus tard que ce personnage était le second du district.

« Vouagogo, s’écria-t-il, ne savez-vous pas que ce Mousoungou est un Mtémi ? (chef du rang le plus élevé.) Il ne vient pas ici comme les Arabes pour acheter de l’ivoire, mais pour nous visiter et pour nous faire des présents. Pourquoi le tourmentez-vous, pourquoi troublez-vous son peuple ? Laissez-les passer en paix, lui et sa caravane. Si vous désirez le voir, approchez-le, mais sans vous moquer de lui. Le premier d’entre vous, écoutez-bien, le premier qui fera du désordre, sera dénoncé à notre grand-chef, qui saura comment ses amis sont traités. »

Nous arrivâmes au Khambi, qui, dans l’Ougogo, est toujours situé sous un grand baobab, à un millier de pas de la résidence du chef.

Les curieux nous entouraient en si grand nombre et nous serraient de si près, que le bon Thani résolut de faire une démarche pour nous délivrer de cette invasion, ou pour la rendre moins gênante. Il mit son plus beau costume et alla chez le sultan pour lui demander protection. Complètement ivre, le sultan l’accueillit par ces mots : « Que me voulez-vous, gredin que vous êtes ? Vous venez me dérober mon ivoire ou mon étoffe. Allez-vous-en, vieux voleur ! » Mais son ministre, l’homme sensé qui déjà avait réprimandé la foule, l’appela d’un signe, et vint nous retrouver avec lui.

Tout le camp était en rumeur. On ne pouvait plus s’y retourner, encore moins s’y entendre. Les pagazis se querellaient à propos des bagages, les soldats à propos des effets de leurs maîtres, et criaient qu’on allait renverser les tentes. J’étais au fond de la mienne, à écrire mon journal, sans m’inquiéter du tumulte qui se passait entre Vouagogo, Vouanyamouézi et Vouangouana.

Tout à coup il se fit un silence tellement profond que je sortis pour voir quelle en était la cause. Thani et le ministre venaient d’arriver. « À vos tembés, Vouagogo ! à vos tembés, cria celui-ci. Pourquoi troubler ces voyageurs ? Qu’avez-vous à faire avec eux ? À vos tembés, vous dis-je, à vos tembés ! Tout Mgogo qui sera, trouvé dans le camp sans avoir rien à vendre, ni bétail, ni farine, ni denrée quelconque, paiera au mtémi soit de l’étoffe, soit des vaches. »

Il prit un bâton et chassa la foule devant lui. Les Vouagogo étaient là par centaines ; chacun lui obéit comme un enfant ; et pendant les deux jours que nous restâmes dans cet endroit, pas un curieux ne vint nous déranger.

La question du tribut fut de même réglée en peu de mots, grâce au ministre, avec laquelle elle fut traitée. Cet homme, plein de raison, accepta tout d’abord les six dotis qui forment le tribut ordinaire ; il se contenta d’un seul doti d’étoffe de première classe, et parut joyeux des quatre mètres d’oulyah dont je lui fis présent.

Pour aller du Moukondokou à l’Ouyanzi trois routes s’offrent au voyageur. La veille du départ, les Arabes vinrent dans ma tente afin de discuter sur le chemin qu’il fallait prendre. Les Kirangozis et les vétérans de la caravane furent appelés au conseil. La première route que les guides nous proposèrent fut celle du midi, qui est la plus fréquentée ; mais elle passe par Kiouhyeb, dont le chef a une réputation détestable, et Hamed se récria :

« Le sultan est mauvais, dit-il ; on lui a vu demander jusqu’à vingt dotis par caravane ; la nôtre devrait lui en donner soixante. Ne pensons pas à cette route. D’ailleurs il nous faudrait faire une tirikéza, et nous ne serions à Kiouhyeh qu’après demain. »

La seconde route, celle du centre, nous faisait arriver le lendemain à Mouniéka ; le jour suivant il y aurait tirikéza pour atteindre le camp d’Ounyambogi. Là nous ne serions plus qu’à deux heures de Kiti, où l’on trouve en abondance de l’eau et des vivres. Mais ni les Arabes, ni les guides ne connaissaient le chemin ; le seul membre du conseil qui l’eut suivi était l’un de mes porteurs ; et Hamed ne se souciait pas de confier la direction de la caravane à un simple pagazi.

La troisième route, qui passe au nord, traverse pendant les deux premières heures, un grand nombre de villages, ensuite une jungle ; et après trois heures de marche elle arrive à Simbo, où l’on trouve de l’eau, mais pas de bourgade. Le lendemain, une étape de six heures vous conduit au bord d’un étang. Après une brève halte, la route est reprise, et une nouvelle marche de cinq heures vous mène à un khambi, situé à moins de trois heures d’un lieu habité. Ce chemin étant connu de nos deux cheiks et de nos guides, Hamed pria Thani de m’informer que c’était à cette dernière route qu’il donnait la préférence. Je répondis qu’ayant accompagné les Arabes depuis le Mpouapoua, j’étais disposé à les suivre, et que s’ils choisissaient la route de Simbo, je la prendrais avec eux.

La question décidée, non sans beaucoup de paroles, je me mis à relever différents points. On se rappelle, qu’à partir de Mizanza, nous avions marché directement à l’ouest pendant trois heures ; ensuite, pendant quatre heures et quart au nord-ouest, en rasant le pied d’une chaîne qui s’étend dans cette direction, depuis le voisinage de Kanyényi, jusqu’aux frontières de l’Ouhoumba, et qui sépare l’Ougogo du territoire des Vouahyanzi. Moukondokou n’est qu’à deux milles de cette chaîne du côté de l’est. Kiouhyeh se trouve au sud-sud-ouest de Moukondokou, d’où il y a sept jours de marche pour gagner Kousouri. Simbo est au nord-nord-ouest, et à six étapes de ce dernier endroit. Il était donc évident que le chemin le plus court était celui de Kiti, auquel on n’avait à reprocher que l’ignorance de nos guides à son égard.

La route du sud, rejetée par Hamed, l’est également par tous les chefs de caravane, qui préfèrent les fatigues et les privations d’une longue marche, en pays désert, aux exigences du chef de Kiouhyeh. Mais les pagazis, qui n’ont d’autre obligation que de porter leur charge, et auxquels le tribut est indifférent, préfèrent de beaucoup la rançon du maître aux fatigues et à la soif qu’imposent les tirikézas ; d’où il résulte, qu’en dépit de la volonté des chefs, la route de Kiouhyeh est plus fréquentée que les autres.

À peine la décision du conseil fut-elle connue des gens de nos caravanes, que les clameurs s’élevèrent contre la route de Simbo, où, sur une grande étendue, manquaient l’eau et les vivres. Ce fut à qui raconterait les horreurs du désert, en les exagérant ; bref les pagazis d’Hamed signifièrent à leur maître que si la décision était maintenue, ils s’en iraient, et lui laisseraient porter ses bagages.

Hamed alla trouver immédiatement Thani, et lui déclara qu’il fallait prendre la route de Kiouhyeh, sans quoi nos porteurs déserteraient. « Toutes les routes me sont égales, répondit le bon Arabe ; prenez celles que vous voudrez ; la vôtre sera la mienne. » Ils se rendirent alors dans ma tente et m’informèrent de cette nouvelle détermination.

Je fis appeler mon vétéran, celui qui avait indiqué la route centrale, et je lui demandai de nouveaux détails. Le rapport fut si avantageux, que, sans hésiter, je répondis à Hamed : « Je suis le maître de ma caravane ; elle doit aller où je dis au guide de la conduire, et non pas où il plaît aux pagazis. Quand j’ordonne une halte, elle doit s’arrêter ; quand c’est une marche, elle doit partir. Je la nourris bien, je ne la surmène pas ; et je voudrais voir le porteur ou le soldat qui me désobéirait. C’est vous qui avez choisi la route de Simbo, nous l’avons acceptée ; vos pagazis veulent passer par Kiouhyeh ; cela vous arrange, allez à Kiouhyeh, et payez le tribut qu’on vous demandera. Moi et ma caravane nous partons demain par la route de Kiti ; et lorsque vous arriverez à Toura, où je vous aurai précédé, vous regretterez de n’avoir pas suivi le même chemin.

Ce langage modifia de nouveau la résolution d’Hamed. « Après tout, dit-il, ce chemin est le meilleur ; et puisque le sahib est décidé à le prendre, pourquoi nous séparer ? Inch Allah ! suivons donc la même route. » Thani, l’excellent homme, ne demandait pas mieux ; et mes deux cheiks allèrent annoncer la nouvelle.

Le lendemain, 7 juin, les trois caravanes prirent la route de Kiti sous la conduite du Kirangozi d’Hamed. Chacun avait l’air content ; mais nous n’étions pas en route depuis une demi-heure, quand je m’aperçus d’un changement de direction : par un détour habile on nous rapprochait rapidement d’une gorge qui débouchait sur le plateau de Kiouhyeh.

Je réunis mes hommes et je priai Bombay de leur dire que le Mousoungou ne revenait jamais sur ce qu’il avait résolu. Que j’avais décidé que ma caravane se rendrait à Kiti ; et que ma caravane s’y rendrait, quelle que fût la route que prissent les Arabes. Puis j’ordonnai au vétéran qui connaissait le chemin, de le montrer au Kirangozi.

Mes porteurs déposèrent leurs ballots et il y eut des symptômes de révolte. L’ordre fut donné aux soldats de charger leurs mousquets, de longer la caravane, et de tirer sur le pagazi qui essaierait de prendre la fuite. Je saisis mon fouet, je descendis de mon âne, et allant à celui qui s’était déchargé le premier, je lui dis de reprendre son ballot et de se mettre en marche. Il n’en fallut pas davantage ; tous mes hommes suivirent le guide.

Me tournant alors du côté des Arabes, je me disposais à leur faire mes adieux, lorsque Thani s’écria : « Attendez-moi, Sahib. J’en ai assez de ce jeu d’enfant ; je vais avec vous. » Et sa caravane fut dirigée vers la mienne.

À ce moment-là, celle d’Hamed touchait au défilé ; tandis que son maître, à un mille derrière elle, pleurait à chaudes larmes de ce qu’il appelait notre abandon. Ayant pitié de sa détresse, car la pensée du chef de Kiouhyeh lui faisait perdre la tête, je lui donnai le conseil de courir après sa bande, et de lui rappeler que le susdit chef n’avait pas moins de cruauté que d’avarice. Bref nous n’avions pas gagné le défilé de Kiti, que les gens d’Hamed accompagnaient les nôtres.

La montée fut extrêmement rude : une pente escarpée et rocailleuse, couvertes des épines les plus acérées, les plus aiguës. L’acacia horrida, plus horrible que jamais, nous faisait mille blessures ; les gommiers étendaient leurs branches pour saisir les fardeaux ; les parasols des mimosas nous protégeaient de leur ombre, mais nous empêchaient d’avancer. Des croupes de granit et de syénite, usées par le passage de pieds nombreux nous opposaient leur surface polie, qu’à notre tour il fallait gravir. Ailleurs des plates-formes dressaient leurs murailles terreuses, hérissées de gros blocs, vacillant sous l’effort des grimpeurs ; tandis que le bruit lointain de coups de feu, retentissant dans la forêt, ajoutait l’effroi au mécontentement général. Si je ne les avais pas suivis de près, tous mes Vouanyamouézi auraient déserté.

Bien que le sommet ne fût qu’à huit cents pieds au-dessus de la plaine, il nous fallut deux grandes heures pour y arriver. Nous nous trouvâmes alors sur un plateau où la comparaison nous fit trouver la marche facile. Trois heures de route dans une forêt, à travers des jungles et d’étroites clairières, nous conduisirent à Mouniéka, petit village fondé par des colons, venus de Moukoudoukou, et dont les alentours présentent de riches cultures.

Lorsque nous atteignîmes le camp, tout le monde était de bonne humeur, excepté Hamed, qui bientôt se fâcha tout-à-fait. Il arriva que les hommes de Thani dressèrent la tente de leur maître un peu trop près de l’arbre sous lequel les ballots d’Hamed étaient empilés. J’ignore si le petit Cheik supposa que l’honnête vieillard était capable de le voler ; ce qu’il y a de certain c’est qu’il s’emporta jusqu’au délire, et que Thani donna l’ordre d’éloigner sa tente de quelque cent mètres.

Hamed n’en fut pas plus tranquille ; à sa fureur succéda le remords ; si bien que vers minuit il alla trouver le bon Arabe, se jeta à ses genoux, et lui baisa les pieds et les mains, en implorant son pardon. Cheik Thani, qui était le meilleur et le plus généreux des hommes, le lui accorda volontiers. Cela ne suffit pas encore au petit Hamed, qui ne fut satisfait que lorsqu’il eut fait replacer la tente de son ami à l’endroit où elle avait été d’abord.

L’eau que nous bûmes à Mouniéka fut puisée dans le creux profond d’une roche de syénite ; une eau limpide comme du cristal et froide comme de la glace. Boire de l’eau froide ! un luxe que nous n’avions pas eu depuis notre départ de Simbamouenni

Le lendemain, à sept heures du matin, la corne du Kirangozi vibra tout à coup plus fort et plus allègrement qu’elle ne le faisait depuis dix jours : la caravane entrait dans l’Ouyanzi, ou pour nous servir d’un nom plus connu, dans le Magounda Mkali, mot qui signifie Champs embrasés.

Nous sortions de l’Ougogo ; chacun s’en réjouissait. J’y étais arrivé plein d’espoir, croyant trouver là une Terre-Promise, une terre où le lait et le miel coulaient à flots. Déception profonde ! il n’avait été pour nous que fiel et amertume, ennuis et vexations ; un lieu d’épreuves, où, à chaque pas, se rencontrait un danger, où le caprice d’un homme ivre nous tenait à sa merci. Quoi d’étonnant dans la joie que nous ressentions ? La pensée des fatigues qui nous attendaient, loin de nous abattre, augmentait notre ardeur. Le désert est souvent moins inhospitalier qu’un peuple.

Nous étions partis de Mouniéka à six heures du matin ; une heure après nous passions la frontière, et à neuf heures nous nous arrêtions au bord du Maboungourou. Ce noullah prend sa source dans la chaîne qui sépare l’Ougogo du Magounda Mkali, et se dirige au sud-ouest. À l’époque des pluies il est presqu’infranchissable, en raison de la force du courant, son lit ayant une pente excessivement rapide[4]. Les blocs de syénite et de basalte dont il est encombré, témoignent de la violence de son cours ; leurs angles sont usés, leur surface est polie. De profonds bassins ont été creusés dans la roche où le torrent s’est fait un canal, et servent de réservoirs pendant la saison sèche. Bien qu’elle soit visqueuse et verdâtre, et abondamment peuplée de grenouilles, l’eau de ces bassins est loin d’avoir mauvais goût.

La marche fut reprise à midi, au son des trompes, au bruit des chants et des cris de toute la bande. Porteurs, esclaves et soldats, faisant assaut de poumons, ébranlaient la forêt du tonnerre de leurs voix.

Je n’avais pas encore vu de paysage aussi pittoresque depuis que j’étais en Afrique. D’énormes ondulations de terrain ; ça et là des collines, et des rochers de syénite, figurant d’anciennes forteresses, qui donnaient au bois un aspect fantastique. On aurait cru voir un coin de l’Angleterre à l’époque féodale. Tantôt des blocs arrondis, posés les uns sur les autres, paraissaient devoir s’agiter au souffle du vent ; tantôt des obélisques dominaient les plus grands arbres ; puis des cônes, des tours, de grandes vagues de pierre, et des entassements de roches brisées, qui prenaient des proportions de montagnes.

Il était près de cinq heures, lorsqu’on arriva. Nous avions fait vingt milles ; tout le monde avait besoin de repos.

À une heure, la lune étant levée, Hamed sonna du cor et nous cria : « En marche ! » Évidemment il était fou. Un murmure de profond mécontentement répondit à son appel. Néanmoins, présumant qu’il avait pour nous réveiller à cette heure indue quelque bonne raison, cheik Tani et moi nous ne lui fîmes pas de remontrances, attendant ce qui arriverait pour juger de sa conduite.

Toute la bande était maussade ; la marche fut silencieuse. Nous étions à quatre mille cinq cents pieds au-dessus de la mer, et le thermomètre ne marquait pas douze degrés. La rosée était froide comme du givre ; les porteurs, presque nus, hâtaient le pas pour se réchauffer ; beaucoup d’entre eux se blessèrent en se heurtant les pieds contre le roc, ou en marchant sur des épines.

Arrivés à Ounyambogi, nous nous jetâmes par terre ; et chacun de s’endormir. Pour moi, ce fut d’un profond sommeil, ne songeant pas à ce que l’aurore nous réservait.

Quand je m’éveillai, il était grand jour ; le soleil me flamboyait dans les yeux. Hamed était parti depuis deux heures. Il avait voulu emmener Thani, qui avait refusé de le suivre, en lui montrant sa déraison, et qui me demanda ce que j’en pensais. Je déclarai que c’était de l’extravagance ; et, à mon tour, je demandai au vieux cheik si, dans l’après-midi, nous ne pourrions pas gagner l’endroit où il y avait de l’eau et des vivres.

« Parfaitement, répondit l’Arabe.

— N’y aurait-il pas, d’ailleurs, moyen de se procurer le nécessaire à Ounyambogi ? continuai-je.

— Je ne m’en suis pas occupé, répliqua le vieux cheik, ou plutôt je n’ai pas eu besoin de le faire ; les habitants m’ont appris d’eux-mêmes qu’il y avait chez eux du millet, du sorgho, du maïs, des chèvres, des moutons, de la volaille en abondance, et d’un bon marché inconnu dans l’Ougogo.

— Eh bien, dis-je à Thani, si Hamed a envie de tuer ses porteurs, pourquoi ferions-nous de même ? Je ne suis pas moins pressé qu’il peut l’être ; mais l’Ounyanyembé est encore loin ; et je n’entends pas compromettre mes intérêts, et ceux de mes gens, pour le plaisir de faire une sottise. »

Jamais station n’avait été meilleure ; une eau excellente ; et, ainsi qu’on l’avait dit au vieux cheik, les vivres en abondance : six poulets pour deux mètres de calicot ; un mouton pour le même prix, ou six mesures de grain, sorgho, millet ou maïs — bref, un pays de cocagne.

Le 10 juin, après quatre heures et demie de route, nous arrivâmes à Kiti, où nous retrouvâmes Hamed plus agité que jamais. Son esclave favorite venait de mourir, et trois de ses porteurs avaient disparu, eux et leurs charges, emportant les tuniques (au nombre de cinq), les gilets brodés d’or, les vestes galonnées d’argent avec lesquels cheik Hamed devait faire dans l’Ounyanyembé la figure qui convenait à un homme de sa sorte. Outre ses habits d’apparat, le petit cheik perdait du riz, des plats à pilau, des bassins de cuivre et deux balles d’étoffe. Le curieux de l’affaire, c’est que tout en gémissant il ne voulait pas avouer son chagrin. « Que faites-vous ici, cheik Hamed, lui avait demandé Sélim ? Je vous croyais bien loin devant nous.

— J’attendais mon ami, répondit-il. Pouvais-je le laisser derrière moi ? »

Les provisions abondaient également à Kiti, et ne s’y vendaient pas cher. Cette bourgade était alors peuplée de Vouakimbou, venus des environs de l’Ourori ; gens paisibles, préférant l’agriculture aux combats et l’élève du bétail aux conquêtes. Au moindre bruit de guerre, ils emmènent leurs familles et leurs troupeaux dans quelque lieu inhabité, ou ils commencent aussitôt à défricher le sol et à chasser l’éléphant pour en prendre l’ivoire. C’est néanmoins une belle race, bien armée, et paraissant capable de se mesurer avec n’importe quelle tribu du voisinage. Mais la désunion l’affaiblit. Ses petites communes, régies par des chefs indépendants les uns des autres, ne sauraient se défendre ; tandis que groupées autour d’un pouvoir qui leur servirait de lien, elles présenteraient à l’ennemi des forces respectables.

La marche suivante devait nous conduire à Msalalo, situé à quinze milles de Kiti. Hamed, qui avait cherché ses déserteurs et qui ne les avait pas retrouvés, non plus que ses habits de gala, se remit avec nous. Il voulut encore nous dépasser ; mais ses hommes n’en eurent pas la force ; et il fut obligé de camper à Msalalo.

Le 12, après une marche de trois heures et demie, nous arrivâmes à Ouelled Ngaraiso, petit village florissant où les vivres étaient d’un bon marché fabuleux, presque deux fois moins chers qu’à Ounyambogi. Tous mes hommes, pagazis et soldats, s’étant admirablement comportés pendant les dernières étapes, je leur achetai un bouvillon pour douze mètres de calicot, et leur donnai à chacun un rang de perles, afin qu’ils pussent jouir des bonnes choses que leur offrait le pays. Le laitage et le miel abondaient, et l’on pouvait avoir trois frasilahs de patates, c’est-à-dire cent vingt livres, pour un morceau d’étoffe valant à peu près deux francs.

Le 13 juin nous voyait à Kousouri, dernier village du Magounda Mkali, district de Djihoué la Singa. La marche avait été de huit milles trois quarts.

Kousouri, ainsi que prononcent les Arabes, est nommé Kounsouli par les gens qui l’habitent, et qui sont des Vouakimbou. C’est un exemple, entre mille, de l’altération que les Arabes font subir aux noms du pays[5].

Entre Ngaraiso et Kousourî se trouve Kirouroumo, bourgade actuellement en voie de prospérité, et qu’avoisinent de nombreux villages, également prospères. Comme nous passions, les gens de Kirouroumo vinrent saluer le Mousoungou, dont les caravanes avaient célébré la richesse ; et ils m’apprirent que les soldats de ma première bande les avaient aidés à gagner une bataille contre leurs frères ennemis de Djihoué la Mkoa.

Un peu plus loin, nous avions traversé un vaste khambi, où Sultan ben Mohammed, un Omani de haute naissance, était alors campé. Dès qu’il avait été instruit de mon approche, Ben Mohammed était venu à ma rencontre et m’avait invité à lui faire une visite. Sa tente lui servant de harem, je n’y avais pas été reçu ; mais un tapis avait été disposé au dehors à mon intention.

Après les questions d’usage, questions sur ma santé, sur la route, sur Zanzibar et sur l’Oman, l’Arabe m’avait demandé si j’avais beaucoup d’étoffe. C’est une question que font souvent les chefs de caravanes descendantes, par le motif que, dans leur avidité pour l’ivoire, ils se laissent entraîner à des achats trop importants, et n’ont plus assez de cotonnade pour le retour. Comme il ne me restait plus qu’un des ballots de ceux que j’avais destines à payer mes frais de route, je pus sans rougir répondre négativement.

Quelques minutes après, le cheik Hamed fut annoncé, et parut en saluant jusqu’à terre. Il prétendit baiser les mains du grand Omani, et témoigna dans son keifalek (comment vous portez-vous ?) de l’anxieux désir qu’il avait de savoir si le noble Sultan ben Mohammed « allait tout à fait, tout à fait bien ? »

Pendant cinq minutes, les deux Arabes échangèrent les questions les plus pressantes relativement à leurs santés et à leur voyage. Il y eut une pause, afin de reprendre haleine ; puis cette demande : « Avez-vous de la cotonnade ? fut adressée au cheik Hamed.

— Très-peu, » répondit celui-ci, bien qu’il eût cinquante-cinq ballots d’étoffe, ce que le grand Omani savait aussi bien que moi.

On parla d’autre chose. Ben Mohammed m’offrit obligeamment de se charger des dépêches et autres menus paquets que je voulais envoyer à Zanzibar. Apprenant que j’avais laissé Farquhar à Mpouapoua, il me promit de s’occuper du malade, et s’engagea à l’emmener s’il était dans le cas de supporter le voyage. Enfin il m’envoya à Kousouri, par un de ses esclaves, une outre pleine du beau riz blanc de l’Ounyanyembé[6], présent que j’aurais voulu pouvoir ne pas accepter après la réponse négative que j’avais dû faire à son auteur.

Le soir, une bande de chasseurs d’éléphants, natifs du Sahouahil et fixés à Djihoué la Singa, vint me trouver sous la conduite d’un vieillard qui avait été dihouan[7] de Bagamoyo. Ces gens-là, qui ne m’apportaient rien, me demandèrent du papier, du cari et du savon, trois choses que je n’avais pas à donner, la traversée du marais de la Makata m’ayant laissé peu d’objets de cette nature.

Je m’arrêtai à Kousouri. Les marches précédentes avaient été fort longues, et un jour de halte me semblait nécessaire avant de s’engager dans la solitude qui sépare le Djihoué la Singa du district de Toura. Hamed, que tous ses échecs n’avaient pas rendu plus sage, nous quitta le lendemain, en me promettant d’annoncer ma venue à Séid ben Sélim, et de lui dire de me procurer un tembé.

Le 15, ayant vu que le cheik Thani serait obligé de passer plusieurs jours à Kousouri, où le retenaient le grand nombre de ses porteurs qui avaient la petite vérole, je fis mes adieux au bon Arabe, et je partis avec mes hommes pour me replonger dans le désert.

Un peu avant midi, nous nous arrêtâmes au camp de Mgongo Thembo, nom qui signifie dos d’éléphant, et qui a été donné à ce khambi en raison d’une croupe rocheuse, dont l’échine brunie par les influences atmosphériques, semble aux indigènes avoir quelque rapport avec le dos d’un brun-bleuâtre du géant de la forêt.

En 1857, lors du passage de Burton et de Speke, Mgongo Thembo était un établissement prospère, vendant aux voyageurs le produit de ses cultures[8]. Mais, en 1868, plusieurs caravanes ayant subi des voies de fait de la part de ses habitants, les Arabes de l’Ounyanyembé attaquèrent ses bourgades, y mirent le feu et anéantirent l’œuvre de quinze années de travail. Nous ne trouvâmes à la place de ses villages que des débris carbonisés, et des épines où avaient été des jardins.

Nous nous reposâmes sous un bouquet de dattiers qui me rappela l’Égypte, et qui s’élevait à côté d’un noullah dont les bords verdoyants faisaient un étrange contraste avec le sombre aspect du hallier.

Là, j’eus avec mes hommes une discussion assez vive : la tirikéza que nous avions à faire pour gagner Madédita, devait-elle avoir lieu le jour même, ou être remise au lendemain ? Les pagazis opinaient pour le jour suivant ; mais j’étais le maître ; et consultant mes intérêts, j’insistai, non sans faire claquer mon fouet, pour que le départ fût immédiat.

À une heure, chacun avait repris sa charge, et nous nous mettions en route. Le ciel était en feu ; des torrents de flammes nous inondaient la tête. Quand le soleil baissa, la chaleur devint suffocante ; l’air était brûlé avant d’arriver aux poumons, qui le cherchaient avidement. La bouche et la gorge étaient desséchées ; nos gourdes n’avaient plus d’eau, la soif nous dévorait. Un des pagazis, atteint de la petite vérole, se jeta sur la route et s’y coucha pour mourir. Personne ne s’arrêta : la caravane en tirikéza est comme le vaisseau dans la tempête ; il faut qu’elle avance ; malheur à qui s’attarde ; la faim et la soif n’attendent pas. Malheur à qui tombe à la mer quand l’équipage est en péril.

Enfin nous atteignîmes le Ngouhalah, un noullah dont les citernes rocheuses et profondes, renfermaient une eau fraîche, abondante et douce.

Le Ngouhalah prend naissance vers le nord, dans l’Oubanarama, contrée célèbre dans cette région pour la beauté de ses ânes. Après avoir couru au sud, puis au sud-sud-ouest, le Ngouhalah traverse la route de l’Ounyanyembé, d’où il incline au couchant. Les traces de la furie des eaux qui le parcourent n’y sont pas moins visibles que dans le lit du Maboungourou.

Le 16 nous étions au camp de Madédita, ainsi nommé d’un village qui n’existe plus. Nous avions fait douze milles et demi à partir du Ngouhalah. À quelque cent pas de la route se trouve un étang, dont l’eau est bonne, et qui est le seul réservoir que l’on rencontre jusqu’à la station suivante. La tchoufoua, c’est-à-dire la tsetsé, nous tourmenta d’une façon cruelle, preuve que la grosse bête vient s’abreuver à l’étang ; mais ce qui n’annonce pas qu’elle en habite les rives. Des bords si fréquentés par les caravanes ne peuvent pas être le refuge d’animaux sauvages, qui, dans cette partie de l’Afrique, évitent soigneusement le voisinage de l’homme.

Au point du jour nous étions en route, marchant d’un pas plus leste qu’à l’ordinaire. Bientôt nous allions quitter le Magounda Mkali pour entrer sur un territoire plus populeux et plus fécond.

Deux heures de cette marche rapide, et la forêt, que nous commencions à trouver monotone, s’éclaircit. Elle diminua, ne fut plus qu’une jungle ; puis elle disparut, et nous nous trouvâmes dans une vaste plaine qui se gonflait, s’abaissait, ondulait jusqu’à un horizon bleuissant au loin et qui reculait sans cesse.

Des champs de grain suivaient les ondulations et les contours de cette plaine, champs fertiles dont la brise qui arrivait, chargée du froid pénétrant de l’Ousagara, faisait s’entrechoquer les épis mûrs.

À huit heures nous arrivions au village-frontière de l’Ounyamouézi, le Toura-Oriental, que mes gens envahirent, sans s’inquiéter des habitants, d’ailleurs assez peu nombreux. Nous y trouvâmes Nondo, un déserteur de Speke, et l’un des partisans de Baraka dans les disputes que ce dernier eut avec Bombay[9]. Désirant se mettre à mon service, Nondo m’engagea à fournir du miel et des sorbets à ses anciens compagnons, et finalement aux pagazis.

Nous ne fîmes que poser dans ce village, ayant encore une heure de marche pour gagner le Toura-Central. Du premier au second Toura, le chemin traverse de vastes champs de sorgho, de maïs, de millet ; des jardins remplis de patates, de concombres, de pastèques, de citrouilles, de melons musqués et d’arachides que l’on cultive dans le creux des sillons, entre les rangées de sorgho.

Près des villages, de plus en plus nombreux, des bananiers à large feuille se joignaient à ces diverses cultures.

Pareils à ceux des Vouagogo, les villages des Vouakimbou sont carrés, et à toit plat ; ils ont à l’intérieur une grande place, dont ils forment l’enceinte, et qui parfois est divisée en trois ou quatre sections, au moyen de palissades, faites avec des tiges de sorgho ; c’est là ce qu’on appelle le tembé.

Hamed, qui, en dépit de ses efforts, n’était pas parvenu à obtenir de ses pagazis tous les jours double étape, avait été obligé de camper à Toura, où il était encore lorsque nous arrivâmes.

Cette première nuit passée dans la Terre de la Lune fut assez émouvante et nous donna un échantillon de la gredinerie des gens de Toura. Deux voleurs s’introduisirent dans mon camp ; mais le cliquetis de la détente d’une carabine leur annonça que les ballots du Mousoungou étaient bien gardés, et ils prirent la fuite. Ils allèrent chez Hamed, où leurs espérances ne furent pas moins déçues : l’infatigable petit cheik arpentait son bma le fusil à la main, et enlevait aux filous toute chance de réussir.

De là, nos voleurs se rendirent chez Hassan, l’un des Vouasahouahili qui nous accompagnaient. Ils furent assez heureux pour atteindre les bagages et pour s’emparer d’une couple de ballots ; mais le bruit qu’ils firent en s’évadant réveilla le chef de la caravane, et l’un d’eux reçut une balle qui lui traversa le cœur.

Dès l’aurore tous les villages des environs savaient la triste nouvelle. Toutefois quelqu’audacieux que les habitants fussent dans l’ombre, ils étaient lâches au grand jour, et personne ne demanda raison du fait ; il n’y eut même pas un mot, pas un regard qui trahit le plus léger ressentiment. Ce fut un jour de halte ; et l’on nous apporta des vivres en si grande abondance, qu’avec deux dotis, je pus donner à tous mes hommes assez de grain, de patates, de miel et de beurre fondu pour célébrer notre arrivée dans l’Ounyamouézi.

Partis le 18 avec la caravane d’Hamed et celle d’Hassan, nous arrivâmes au Toura-Perro ou Toura-Occidental, après avoir zigzagué pendant une heure à travers des champs de sorgho ; puis nous rentrâmes dans la forêt où les Vouakimbou vont chercher leur miel et trapper les éléphants, qui, parait-il, y sont fort nombreux. C’est au moyen de fosses profondes, recouvertes de fascines, de terre et d’herbe qu’ils prennent ces animaux.

Une heure de marche, à partir du Toura-Occidental, nous fit gagner un étang près duquel nous nous reposâmes. Il y en avait un autre à côté. Les deux pièces d’eau se trouvaient au milieu d’une petite plaine, qui, malgré la saison sèche, alors très-avancée, était encore humide de l’inondation précédente.

Après un repos de trois heures, la caravane se remit en marche pour une tirikéza.

C’était toujours la même forêt que depuis le Toura-Occidental ; la route s’y continue jusqu’à un mtoni appelé Kouala, et que Burton a marqué, à tort, sur sa carte sous le nom de Kouale[10]. Ce lit de torrent, large et tortueux, renferme de grandes auges dont les profondeurs avaient encore de l’eau, et où nous trouvâmes une espèce de loche, qui n’est nullement à mépriser lorsqu’il y a trois mois qu’on n’a mangé de poisson. Toutefois il est probable que si j’avais pu choisir, ayant le goût assez fin quand l’occasion le permet, j’aurais pris autre chose que de la loche de bourbier.

La distance du Toura-Occidental au Kouala, est de dix-sept milles et demi, ce qui n’est pas énorme lorsqu’on ne fait cette route qu’une fois par quinzaine ; mais lorsqu’elle se représente au moins tous les deux jours, elle devient excessivement longue. Dans tous les cas, c’était l’opinion de mes gens, et les murmures éclatèrent lorsque le lendemain j’ordonnai de se mettre en marche.

Abdoul, le tailleur, qui s’était loué comme sachant tout faire, depuis le racommodage d’un pantalon, jusqu’à un entremets délicat ou une chasse à l’éléphant, mais qui jusqu’alors ne s’était montré capable que de boire et de manger, n’en pouvait plus. Les marchandises qu’il avait apportées de Zanzibar dans un mouchoir de poche, et avec lesquelles il devait acheter de l’ivoire et faire fortune dans l’Ounyanyembé, avaient disparu depuis longtemps, ainsi que les espérances qu’il avait fondées sur elles, comme avaient disparu les rêves d’Alnaschar, l’homme aux faïences des Mille et une Nuits. Tandis que la marche se préparait, Abdoul vint me trouver et m’annonça du ton le plus douloureux « que sa mort était prochaine ; il le sentait dans sa chair, dans la moelle de ses os, dans ses jambes, qui ne pouvaient plus le porter. » Enfin il me suppliait d’avoir pitié de lui et de le laisser partir. Cette requête, si peu en harmonie avec les projets ambitieux qu’il avait eus jadis, venait de ce que, dans la matinée, deux de mes ânes étant morts, j’avais donné l’ordre de lui faire porter leurs selles jusque dans l’Ounyanyembé.

Le poids des deux bâts, qui n’était que de seize livres, n’avait rien d’écrasant ; mais il suffisait pour dégoûter de la vie mon tailleur, qui le voyait avec désespoir s’ajouter aux longues étapes que nous avions en perspective. Abdoul se jeta la face contre terre, me baisa les pieds et me conjura, au nom de Dieu, d’autoriser son départ.

L’expérience que j’avais acquise en Abyssinie, pendant la campagne anglaise, au sujet des Hindous, des coulies, des Malabarais, me dictait ce qu’il fallait faire. J’accordai immédiatement l’autorisation demandée ; car je n’étais pas moins las de mon fainéant que ce dernier prétendait l’être de sa pénible existence. Mais Abdoul ne se souciait pas de rester seul dans la jungle, et me dit qu’il entendait ne se séparer de moi que quand il serait dans l’Ouyananyembé.

« Allez-y d’abord, répondis-je ; nous verrons ensuite. En attendant, vous porterez les selles pour payer la nourriture que vous mangerez d’ici là.

— Êtes-vous sans miséricorde ? s’écria-t-il d’une voix suppliante.

— Oui, pour un lâche tel que vous, paresseux que vous êtes, » répondis-je en accompagnant ces mots d’une volée de coups de fouet qui ressuscitèrent le moribond, et qui le rendirent à la vie active.

Ce jour-là, je le confesse, j’étais de mauvaise humeur. Moi aussi j’étais fatigué ; et le kirangozi, arrivant sur ces entrefaites, eut sa part de reproches.

Je n’avais pas, comme Burton, un Kidogo, sachant se faire obéir. Si je l’avais eu, je l’aurais, à ce qu’il me semble, autrement estimé que ne l’a fait mon prédécesseur[11]. Que de fois j’ai soupiré après un pareil aide, lorsque mon éloquence échouait contre l’apathie de mes hommes ! J’étais obligé de recourir aux menaces, voire de frapper à droite et à gauche pour réveiller soldats et pagazis. Une tirikéza devenait-elle nécessaire, il me fallait en donner l’ordre ; personne ne l’eut demandée, si importante qu’elle fût ; bien loin de là ; j’avais à couper court aux paroles de Bombay, qui plaidait le repos, et à faire claquer mon fouet pour chasser du camp toute la bande.

Je reçus donc le guide assez durement, et lui reprochai la sottise qu’il avait de ne pas songer qu’à l’heure des gratifications, heure qui allait bientôt sonner, je me rappellerais qu’au lieu de m’obéir il avait écouté l’avis des autres.

« Combien les porteurs vous ont-ils donné, lui demandai-je, pour faire de petites marches et de longues haltes ?

— Pas un n’y a pensé, dit-il. Je n’ai rien reçu d’aucun d’eux.

— Et combien d’étoffe pourriez-vous avoir de moi, si j’étais satisfait ?

— Oh ! beaucoup, beaucoup !

— Reprenez donc votre charge ; et d’ici à l’Ounyanyembé, faites preuve de bon vouloir. »

Il promit solennellement de ne plus écouter que mes ordres, de marcher aussitôt que je le voudrais, de ne se reposer que quand je le trouverais nécessaire.

On se mit en route ; et, fidèle à sa promesse, le Kirangozi ne s’arrêta qu’au Roubouga-Central, au grand émoi de toute sa suite, qui le croyait devenu fou : près de dix-neuf milles (plus de trente kilomètres) sans faire de halte ; lui qui n’avait jamais fait seize milles sans couper la marche en deux[12].

« Le Roubouga, dit Burton, est renommé pour sa viande, pour son laitage, son beurre fondu, son miel, et nous y fîmes bonne chère[13]. » On pouvait encore juger de l’ancienne richesse de ce territoire par l’étendue de ses cultures. De chaque côté de la route, sur un espace de beaucoup de milles, les champs de grain se succédaient, mûrissant leurs épis au milieu des gommiers, des mimosas, des cactus, qui bientôt devaient les faire disparaître. C’était là tout ce qui restait de la prospérité de ce district autrefois si populeux, si riche en troupeaux et en abeilles. Où avaient été ses nombreux villages, nous ne trouvions plus que des ruines : argile noircie, charpentes carbonisées. Plus d’habitants, plus de bétail ; on les avait emmenés dans le nord, à trois ou quatre jours de leurs maisons détruites et de leurs champs dont les récoltes, restées pendantes, s’étaient ressemées, en attendant qu’elles fussent étouffées par la jungle.

Une soixantaine de Vouangouana étaient venus s’établir dans ces lieux, où ils faisaient le commerce d’ivoire, et trouvaient leur nourriture dans les champs abandonnés. Ce fut dans leur village que nous nous arrêtâmes. Malgré la fatigue de cette longue marche, tous les pagazis étaient arrivés à trois heures.

Je rencontrai là Amir ben Sultan, un de ces types de vieux Orientaux comme on en voit dans les livres : longue barbe blanche et figure vénérable. Amir retournait à Zanzibar, après dix ans de séjour dans l’Ounyanyembé. I l me donna une chèvre, présent très-respectable dans un endroit où cet animal se vend cinq choukkas ; et il y ajouta un sac de riz.

Le jour suivant fut un jour de repos. J’expédiai un de mes soldats à Ben Nasib et à Séid ben Sélim, les deux grands dignitaires de la colonie arabe, pour leur annoncer ma venue prochaine ; et le lendemain nous nous dirigeâmes vers Kigoua.

La route se fit au milieu d’une forêt pareille à celle que nous avions traversée dans les dernières étapes[14]. À mesure que nous avancions vers l’ouest le terrain s’élevait rapidement.

Arrivés à Kigoua, après une route de cinq heures, nous eûmes sous les yeux le même tableau qu’à Roubouga, les effets de la même vengeance : un pays dévasté.

Trois heures et demie d’une marche alerte nous conduisirent le lendemain au noullah qui sépare le territoire de Kigoua du district de l’Ounyanyembé. Une courte halte pour étancher notre soif, puis un nouvel effort de trois heures et demie, et nous nous arrêtâmes à Chiza.

Bien qu’un peu longue, cette course fut charmante : un pays pittoresque, offrant à chaque pas de nouveaux aspects, et des preuves du caractère paisible et de l’industrie des habitants. Une scène à la fois agricole et pastorale ; de tout côté le mugissement des vaches, le bêlement des moutons et des chèvres ; partout l’abondance, la richesse, la quiétude.

À peu près une demi-heure avant d’atteindre Chiza, nous avions eu sous les yeux la plaine ondulée où se trouve le principal établissement des Arabes.

Le chef du village, désirant me mettre en fête, m’envoya une jarre contenant vingt et quelques litres de pombé. Cette bière, dont la couleur était celle d’une eau laiteuse, et le goût celui d’une ale éventée, me parut peu agréable. Je m’en tins au premier verre et donnai le reste à mes hommes qui en firent leurs délices. J’y ajoutai un bouvillon, que le chef m’avait cédé au prix de dix-huit mètres de calicot, et qui fut tué immédiatement.

Pour toute ma bande la nuit fut courte ; longtemps avant l’aube les tranches de bœuf crépitaient sur la braise, afin que les estomacs pussent encore une fois se réjouir avant de quitter le Mousoungou, dont ils avaient si souvent connu les largesses.

Le repas terminé on donna six charges de poudre aux hommes qui avaient des fusils et qui devaient annoncer notre approche aux établissements arabes.

Tous les porteurs étaient en grande tenue, pas un qui n’eût sa plus belle choukka ; les moins riches en calicot tout neuf ; les autres en étoffes voyantes, cotonnade à raies ou à carreaux, soie et coton ou drap rouge. Les soldats en calottes neuves et en longues tuniques blanches ; car c’était le grand jour, celui dont on parlait sans cesse depuis l’heure du départ ; en vue duquel on avait fait ces longues marches des derniers temps : cent soixante-dix-huit milles (plus de deux cent quatre-vingt-six kilomètres) en deux semaines, y compris les haltes.

Le signal retentit ; la caravane s’ébranla toute joyeuse, drapeaux déployés, cors et trompettes sonnant.

Deux heures et demie de route, et nous fûmes en vue de Kouikourou, qui est à deux milles environ de Tabora, principale résidence des Arabes.

À l’extérieur se voyait une longue rangée d’hommes en tuniques blanches, auxquels mes gens adressèrent une volée d’artillerie, telle que les échos du lieu en avaient rarement entendu. Les pagazis serrèrent les rangs, prirent l’air crâne de vieux troupiers, et mes soldats continuèrent leurs décharges.

Voyant les Arabes se diriger vers moi, je m’avançai, la main tendue ; elle fut immédiatement saisie par le cheik Séid, par ben Sélim, et ensuite par vingt autres.

Ce fut ainsi que nous entrâmes dans l’Ounyanyembé.

  1. Voir, à propos de cette farine et des baobabs de l’Ougogo, Burton, Voyage aux Grands Lacs, pages 226 et 228. (Note du traducteur.)
  2. Singulière puissance de l’éducation qui peut amener un homme, plein de cœur, à trouver moins pénible d’abandonner un mourant qu’un mort, et qui le fait se réjouir d’être absous d’un manque de formalité par la prolongation l’une agonie solitaire. (Note du traducteur.)
  3. Voir Barton, Voyage aux grands lacs, page 231. (Note du traducteur.)
  4. Le Maboungourou est un des exemples de noullah pierreux dont nous avons parlé en note, à la page 124. C’est dès lors, pour Burton, un fiumara et non plus un noullah. (Voir page 247 du Voyage aux grands lacs.) Après s’être dirigé au couchant, à partir de l’endroit où il a été franchi par Stanley, jusqu’à celui où Burton l’a rencontré, la Maboungourou, d’après les renseignements recueillis par Speke, va directement au sud, puis au sud-est et gagne le Kisigo, affluent du Roufidji. (Note du traducteur.)
  5. Dans la plupart des dialectes de l’Afrique australe, dit Burton, les liquides l et r se prennent indifféremment l’une pour l’autre. Néanmoins en Kisahouahili, qui est la langue franque de cette région, elles sont distinctes toutes les fois que leur changement pourrait modifier le sens du mot : ainsi mlima désigne une colline (principalement non rocheuse} et mrima la portion du rivage qui est en face de Zanzibar ; variété du mot précédent qui veut dire Terre des collines ou des dunes. Mais quand la signification ne doit pas en souffrir, les Arabes, et les plus civilisés des gens qui parlent cet idiome, emploient la lettre r de préférence. Par contre les esclaves et les nègres de l’intérieur qui préfèrent un l, et paraissent tellement épris de cette dernière lettre qu’ils l’emploient ad libitum au commencement et au milieu des mots.
    xxxx Si les Arabes, d’ailleurs, altèrent les noms du pays, les indigènes ne modifient pas moins les noms arabes. D’après Burton leurs organes ne supportent pas qu’un mot finisse par une consonne ; il leur faut une voyelle finale à tous les noms, et l’accent sur la pénultième ; c’est ainsi que d’Aboubekr, ils ont fait Békhari ; de Khamis Khamaisi ; d’Usman, Tani ; de Nasib, Shiba. Ils en sont arrivés à remplacer ibn (fils de — ) par Voua préfixe indiquant la possession ; Khamis bin Usman, devient alors Khamisi Voua Tani. (Pour plus de détails voir The Journal of the Royal geographical Society, vol. XXIX, pages 43 et 95 London 1859) (Note du traducteur.)
    .
  6. Cette épithète qui peut sembler inutile, appliquée à du riz, est nécessaire dans cette région où te riz indigène est rouge. La variété blanche, cultivée par les Arabes, qui paraissent l’avoir importée, est bien supérieure à celle du pays. (Note du traducteur.)
  7. Titre donné sur la côte aux chefs de village, d’un rang plus ou moins élevé, il y a cinq catégories de dihouans : le Mouinyi Kambi, ou maître de l’enceînte fortifiée, ce qu’en bon Anglais, Burton a traduit par Lord of the manor (Seigneur du manoir). Sous le Mouinyi Khambi, chef de district, se trouve le Mfamao, qui est son premier ministre ; viennent ensuite le Mouinyi Kaya ou chef de village ; enfin le Mouinyi ousyali et le doutchali, simples conseillers. Toutefois, ces noms changent suivant les localités ; par exemple de Bagamoyo à Bouamadji, le dihouan prend le titre de chomhoui. Dans l’Ouzaraomo, les chefs forment une classe où le pouvoir est héréditaire ; on y retrouvé également les cinq ordres. (Pour les attributions et les privilèges de ces notables, voir Burton, Voyage aux grands lacs, pages 19, 102, 110, 115. (Note du traducteur.)
  8. Voir Burton, Voyage ans grands lacs, page 251, Librairie Hachette. (Note du traducteur.)
  9. Voir le journal du capitaine Speke, les Sources du Nil, pages 123 et 421. (Note du traducteur.)
  10. Il est très-difficile de reconnaître le véritable nom des lieux, des personnes ou des objets étrangers d’après l’orthographe anglaise, dont les voyelles n’ont pas un son unique. Ainsi la lettre a se prononce tantôt a tantôt é, cette dernière lettre, ayant en anglais, le son de l’i français. Il est donc possible que M. Stanley ait prononce Konalé en écrivant Kouala, et qu’il ait prêté au Koualé de Burton le son de Kouali. Mais Burton ayant annoncé que, pour les noms propres, il donnerait à ses voyelles le son qu’elles prennent en italien (malheureusement il ne l’a pas toujours fait}, ce n’est pas Kouali, mais Koualé qu’il faudrait lire sur sa carte, et dans ce cas les deux voyageurs seraient d’accord. Note du traducteur
  11. Voir dans le Voyage aux grands lacs, page 128, le portrait de cet homme remarquable, (Note du traducteur.)
  12. Peut-être y avait-il dans ce dernier cas plus de sagesse que le maître ne le supposait. « Le pagazi, dit Burton, aime mieux avoir à franchir l’obstacle à la fin qu’au début de la marche, et fait un suprême effort pour gravir la montée qui, sans cela, commencerait l’étape suivante. Il préfère, à celle qui est au départ, la jungle qui forme la station finale, parce qu’il y trouve à la fois sécurité et fraîcheur. » On Le fait donc arriver plus facilement que partir, surtout que marcher pendant les heures brûlantes du jour. « Vers huit heures du matin, si l’on découvre une place ombreuse, ou un étang, les fardeaux sont déposés ; on se couche ou l’on flâne, on jase, on boit, on fume, et l’on discute avec ardeur l’endroit où l’arrêt sera définitif. Si la marche se prolonge jusqu’à midi, la caravane s’attarde, se débande et souffre cruellement ; la chaleur du sol brûle les pieds nus, les épines arrachent des cris douloureux, les soldats s’arrêtent, les porteurs appuient leurs ballots contre un arbre et se pelotonnent comme les chiens dans les moindres places où il y a de l’ombre ; c’est alors qu’ils désertent ; et si le maître fait bien, il n’entrera que le dernier au bivac. » (Note du traducteur.)
  13. Voyage aux grands lacs, page 275.
  14. Ces forêts sont composées de mimosas, de gommiers, de bauhinias, de cactus quadrangulaires, de mtogoués (sorte de strychnos] clair-semés sur un sol onduleux dépourvu de buissons et de grandes herbes, et où la marche est facile. Bien qu’elles soient peu épaisses, leur traversée n’est pas toujours sûre. Lors du passage de Burton ces bois étaient infestés par les brigands. Msimbira, chef de la province septentrionale de l’Ounyamouézi, envoyait des bandes nombreuses y détrousser les caravanes ; et le chef de Kigoua y faisait voler pour son propre compte. Un Arabe, entre autres, s’y était vu prendre cinquante balles de marchandises ; et malgré son escorte, l’expédition anglaise y eut un pagazi cruellement attaqué. (Note du traducteur.)