Chants populaires de la Basse-Bretagne/Sainte Marguerite

Édouard Corfmat (1p. 171-177).


SAINTE MARGUERITE.
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I

  Je vous prie, chrétiens, de me prêter votre silence
Et d’écouter un cantique qui est de conséquence ;
C’est la vie d’une femme que j’ai entrepris
D’exposer ici en breton. [1][1]

  Considérez tous les grenouilles d’eau douce,
Chantant tous les jours avec leurs voix triomphantes,
Et disant à tous, dans le monde entier,
De se convertir, que le jugement arrive !

  Celle-ci est une femme de haute lignée,
Oui a quitté noblesse et qualité ;
Elle a quitté noblesse et qualité,
Pour venir chez sa tante garder les moutons.

  Celle-ci est une femme de haute lignée,
Qui chaque jour chantait à ses moutons, dans la montagne :
Chaque jour elle chantait à ses moutons, dans la montagne,
Des cantiques en l’honneur de Dieu et de la Sainte- Vierge.

  Un jeune cavalier qui revenait de l’armée,
A entendu sa voix chantant dans la montagne,
Et il a dit a son garçon d’aller lui parler,
Pour savoir qui chantait de la sorte.

  — Bonjour, jeune fille, qui chantez si gaiment !
Ce n’est pas vous qui devriez être avec ces moutons.
Là-bas, sur la grande route, il y a un jeune cavalier,
Qui a entendu votre voix, si belle, si ravissante ;

  Et il m’a dit de venir jusqu’ici.
Car il désire beaucoup que vous veniez lui parler.
Mon maître est un bel homme, qui a de l’or et de l’argent.
Et il sait rendre contents ceus qui lui plaisent. —

  — Sauf votre grâce, monsieur, votre adresse est bonne,
Et pourtant elle ne ressemble pas à vos habits ;
Vos habits sont beaux, magnifiquement dorés,
Et vous, vous semblez être un enjôleur de filles.

  Pour être sur la lande à garder les moutons,
Je ne vais pas ainsi à la suite des Français ;
Pour être sur la lande à chanter,
Je ne vais pas ainsi à la suite des passants. —


— Salut, à vous, mon maître, ma démarche a été
Un peu désagréable, j’ai été promptement repoussé :
C’est une honnête fille, et avec une seule parole
Elle a su me contenter et me faire retourner sur mes pas : —

— Pour être sur la lande à garder mes moutons,
Je ne vais pas, dit-elle, à la suite des Français !
Pour être sur la lande à chanter,
Je ne vais pas ainsi à la suite des passants. —

— Les Français ont des jambes et les passants aussi.
Et je vais moi-même lui parler. —
— Bonjour, jeune fille ; vous parlez de façon fort arrogante,
Pour une fille qui garde les moutons sur la lande !

J’avais envoyé quelqu’un pour vous parler.
Et vous lui avez répondu impertinemment, vous l’avez congédié ;
Rappelez-vous bien, jeune fille, le jour d’aujourd’hui.
Vous me reverrez, quand vous y songerez le moins ! —

II

— Je vois venir par la lande deux cavaliers ;
Depuis longtemps mon cœur était dans l’appréhension ;
Je vois venir l’heure où je serai mise à mort :
Mais sur ma pauvre âme ils n’ont aucun pouvoir !

Je vais me mettre à genoux
Pour réciter mon chapelet, le plus dévotement que je pourrai ;
J’ai choisi Jésus pour mon rédempteur,
J’ai choisi Jésus pour mon protecteur. —

— Détournez-vous, jeune fille, détournez vous de bon cœur,
Quelqu’attentive que vous soyez à votre prière. —
— J’ai choisi Dieu pour mon rédempteur,
J’ai choisi Dieu pour mon protecteur. —

Elle fut conduite à la cour, pour être interrogée,
Pour savoir d’où elle était et d’où elle était venue.
Elle leur dit, sans hésiter,
Comment on l’appelait, sur le champ :

— Je suis fille d’un grand ministre, maître de la loi.
Son nom était Elizac, quand il vivait :
Oui, je suis la fille d’Elizac, je ne le cache point.
Et je l’ai quitté pour servir Dieu —

Elle fut plongée dans un étang, jusqu’aux hanches ;
Elle y chantait comme une reine.
Mais un jour on vit descendre.
Visible au peuple, une colombe blanche vers elle

Quand le seigneur vit qu’elle ne mourait point.
Il donna l’ordre de dessécher l’étang ;
Il donna l’ordre de dessécher l’étang.
Et on la jeta dans la caverne d’un serpent, pour être dévorée !


Elle fut jetée dans une caverne, noire comme du charbon,
Où elle ne voyait aucune lumière
Il fallait voir Marguerite courant d’un bout à l’autre de la prison,
Pour essayer d’éviter le dragon !

Mais cette nuit il l’a dévorée, au milieu du feu.
Et, par la volonté de Dieu, ses entrailles ont été déchirées !
Il se trouva du monde à passer par là.
Au moment où Marguerite embrassait sa croix.

Et, vite, ils allèrent annoncer la nouvelle
Au village de Brelidi (1), où demeurait le seigneur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais ce seigneur, qui n’y croyait pas,
Envoya deux hommes de sa maison pour s’en assurer.
Quand le seigneur vit qu’elle ne mourait pas,
Il donna l’ordre de la décapiter.

Arrivée sur l’échafaud, pour être décapitée.
Elle a demandé une demi-heure de temps ;
Elle demande une demi-heure de temps.
Pour implorer pardon pour ses trois juges.

— Oh ! oui certainement, Marguerite, pardonnez-moi, je vous prie,
Car pour moi, je ne vous décapiterai pas ! —
— Sauf votre grâce, artisan, ne manquez pas de le faire,
Car vous êtes la porte entre Dieu et moi ! —

À peine avait-elle prononcé ces mots.
Que deux anges sont descendus du ciel sur l’échafaud :
— Allons ! Marguerite, Marguerite, courage !
Car voici l’heure où vous devez être couronnée ! —

Et à peine l’ange avait prononcé ces mots,
Que sa couronne (celle de Marguerite) est tombée sur son épaule ;
Sa couronne descendit sur son épaule,
Signe visible pour le peuple qu’elle allait jouir de la joie !


Chanté par une servante, au bourg de Pleubihan. — 1864.


(1) Il existe une commune de Brelidi entre Bégar et Pontrieux. On y voit les ruines d’un vieux château nommé Kastell -Brelidi, fameux dans les traditions locales. Je ne sais s’il existe quelque corrélation entre ce château et ce chant légendaire, qui ne paraît ancien.

Il y a des lacunes et des obscurités dans cette pièce et la précédente, je n’ai pas essayé de les faire disparaître.

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VARIANTES


Une autre version, recueillie par-delà la forêt de Koat-an-noz, donne ainsi la seconde partie de ce gwerz :


  On l’a prise et on l’a jetée dans l’étang…
Mais elle y chante comme dans un couvent.
Les petits oiseaux du ciel, en passant.
Ont entendu Marguerite qui chantait :

  Et ils vont dire au seigneur
Que Marguerite n’est pas encore morte,
Et qu’en passant dans la montagne verte,
Ils l’ont vue qui saluait la croix.

  Et ils vont dire au seigneur
Que Marguerite n’est pas encore morte,
Et le seigneur, voyant qu’elle ne mourait pas,
Ordonna de dessécher l’étang.

  Il ordonna de dessécher l’étang,
Et on jette Marguerite dans la caverne du serpent.
Et le serpent, aussitôt qu’on la lui a jetée,
A avalé Marguerite !

  Mais un jour, le bruit s’en répandit, et le serpent creva.
Et Marguerite en sortit par son dos :
Marguerite en sortit par son dos,
En chantant gaiment, et sans avoir éprouvé de mal.

  Et le seigneur, voyant qu’elle ne mourait pas,
Donna alors l’ordre de la décapiter…
Elle a demandé une demi-heure de temps,
Et un ange est descendu du ciel.

  — Persévérez, Marguerite, persévérez toujours,
Votre couronne est toute prête dans le paradis ! —
On lui fit son procès, pour être décapitée,
Mais aucun d’eux n’a osé…

  — Descendez, Marguerite, descendez de là quand vous voudrez,
Car pour moi, Marguerite, je ne vous décollerai point ! —
— Il ne faut pas, dit-elle, manquer de le faire,
Car vous êtes maintenant la porte entre Jésus et moi ! —


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Dans plusieurs églises de nos campagnes bretonnes on voit sainte Marguerite figurée sur un serpent ou un dragon.


  1. [1] Ce premier couplet m'a tout l’air d'une formule moderne appliquée à une vieille chanson, un de ces lieux communs qu'on rencontre fréquemment dans les productions contemporaines.