Chants populaires de la Basse-Bretagne/Sainte Henori

Édouard Corfmat (1p. 161-167).


SAINTE HENORI.
________


I

  Ecoutez tous, et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;
Un gwerz nouvellement composé,
C’est à sainte Henori qu’il est fait.

  Jamais son père ne l’a supportée.
Jamais il ne lui a désiré de bien ;
Il n’a fait que la chasser de son pays,
Et la priver de ses biens.

  Mais hélas ! il est tombé malade.
Et la maladie le malmène ;
Et les prophètes lui disent
Que s’il tette un sein vierge, il sera guéri ;

  S’il tette un sein vierge, il sera guéri,
S’il appartient à une de ses filles ...

II

  Le roi de Brest disait
Un matin :

  — Je vais trouver ma fille ainée,
C’est celle-là que j’aimais la première :
— Bonjour à vous, ma fille aînée.
C’est vous que j’aimais la première.

  Je suis en proie à une maladie.
Et les prophètes me disent
Que si j’avais le lait d’un sein vierge, je serais guéri.
S’il appartenait à une de mes filles. —

  — En cela, mon père, je ne puis vous secourir ;
En autre chose, je ne dis pas ;
En toute autre chose je vous secourrai.
Sans nuire à mon corps ni à mes biens. —

  Je vais trouver ma fille cadette.
C’est celle-là que j’aimais le plus :
Bonjour, ma fille cadette.
C’est vous que j’aimais le plus.

  Je suis en proie à une maladie,
Et les prophètes me disait
Que si j’avais le lait d’un sein vierge, je serais guéri ;
S’il appartenait à une de mes filles. —

  — En cela, mon père, je ne puis vous secourir,
En autre chose, je ne dis pas ;
En toute autre chose je vous secourrai.
Sans nuire à mon corps ni à mes biens. —

  — Je vais trouver ma fille Henori,
Jamais je ne lui ai désiré de bien ;
Je n’ai fait que la chasser de son pays,
Et la priver de ses biens. —

  Le roi de Brest disait.
En arrivant chez Henori :
— Bonjour à vous, ma fille de Dieu. —
— Et à vous aussi, mon père roi ! —

  — Je suis en proie à une maladie.
Et les prophètes me disent
Que si j’avais du. lait d’un sein vierge, je serais guéri,
S’il appartenait à une de mes filles. —

  — Que le Seigneur Dieu soit béni.
Puisque vous êtes obligé de recourir à moi, mon père
Mettez-vous à genoux,
Je vais délacer ma poitrine. —

  Aussitôt qu’elle eut délacé sa poitrine,
Son sein a été mordu par un serpent ;
Son sein a été mordu par un serpent,
Et elle a poussé un cri.

  Henori est sur son lit,
Et personne ne la console !
Et personne ne la console.
Si ce n’est son père le roi, celui-là le fait.

  — Consolez-vous, Henori, ne pleurez pas.
Quand vous serez guérie, vous serez mariée ;
Quand vous serez guérie, je vous marierai
Au plus beau fils de baron du pays. —

III

  Quand elle fut fiancée et mariée,
Après avoir été quelque temps avec son mari ;
Après avoir été quelque temps avec son mari,
Sa mère lui a dit[1] :

  — Sur ma foi, dit-elle, mon fils clerc,
Comme vous portez bien le bonnet !
J’ai vu votre femme dans le grenier.
Faisant le mal avec un prêtre ! —

  — Taisez-vous, ma mère, vous péchez,
Car ma femme est une honnête femme ;

J’ai épousé une honnête femme,
Et je l’aime de tout mon cœur.

  Taisez-vous, ma mère, vous péchez,
C’est mon valet de chambre que vous avez vu. —
— Votre valet de chambre ne porte pas
Ni soutane, ni bonnet de prêtre. —

  — Si je savais que cela fût vrai.
Je serais allé trouver mon père roi
Salut à vous, mon père roi !
— Et à vous aussi, mon fils de Dieu. —

  — Quelle punition est due
A une pauvre femme mal mariée ! —[2]
— Si son mari est honnête homme,
Il faudra la juger sévèrement ;

  La condamner à l’épée ou au bûcher,
Ou à la potence : une mort prompte. —
— Que Dieu soit loué,
C’est votre fille Henori que vous avez jugée ! —

  — Si c’est Henori que j’ai jugée,
Je lui ferai un autre jugement :
On lui construira un tonneau neuf.
Pour l’exposer sur la mer, à la garde de Dieu ! —

IV

  Son époux disait alors
A Henori, en arrivant à la maison :
— Henori, habillez-vous,
Pour m’accompagner au bal, chez votre père. —

  — Jamais je n’ai refusé
D’aller où vous me disiez.
Et surtout chez mon père,
Car là est tout mon bonheur :

  Bonjour à vous, mon père roi ! —
— A vous pareillement, ma fille de Dieu. —
— Et comment ai-je pu vous manquer,
Pour m’avoir condamnée à la potence ? —

  — Consolez-vous, Henori, ne pleurez pas,
Un autre jugement a été fait pour vous :
On vous a construit un tonneau neuf,
Pour être exposée sur la mer, à la garde de Dieu.

  A peine eut-il prononcé ces mots,
Qu’elle fut placée dans le tonneau ;
Elle a été placée dans le tonneau
Et exposée sur la mer.


  La voilà dans un tonneau neuf,
Exposée sur la mer, à la garde de Dieu !
Son mari demandait,
Un jour aux matelots :

  — Matelots, dites-moi,
N’avez-vous pas vu un tonneau ? —
— Nous n’avons pas vu de tonneau ;
Que celui qui a perdu, cherche ;

  Si ce n’est celui de sainte Henori,
Qui a abordé en Hibernie ;
Qui a abordé en Hibernie,
Tous les jours nous allons la saluer.

  Du corps de son innocent (enfant),
Sortent deux roses charmantes ;
Sortent deux roses charmantes,
S’il n’est roi, il sera certainement saint ! —

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — Ma pauvre femme, dites-moi,
Voulez-vous retourner avec moi à la maison ? —
— Jamais je n’ai refusé
D’aller où vous me disiez.

  Votre mère vous avait dit
Que j’étais la femme d’un prêtre ;
Que j’étais la femme d’un prêtre.
Maintenant vous connaissez la vérité. —

  — Ma pauvre femme, dites-moi,
Quelle punition lui souhaitez-vous ?
Je possède dix-sept métairies.
Et je voudrais les voir toutes en feu ;

  Je voudrais voir le feu à la plus basse,
Aussi bien qu’à la plus haute.
Car si j’ai été dans la douleur.
C’est ma mère qui en est cause ! —


Chanté par Anne Salic, vieille mendiante.
Plouaret, 1863.

Édouard Corfmat (1p. 167-168).


VARIANTES.


Une autre version, qui m’a été chantée au mois de septembre 1867, dans la petite presqu’île de Loquirec, par une vieille mendiante nommée Barba Lucas, présente les variantes qui suivent :

Le roi de Brest, après avoir vainement imploré l’assistance de sa fille aînée et de la cadette, comme dans la première leçon, arrive chez Henori, qu’il a chassée de son pays, et privée de ses biens.


  — Demad d’ac’h, ma merc’h Henori,
Pe tiegez eo ho hini ? —
— Leell ma zad, gwelet a reï,
Dour ha bara en ha reket ;

  Dour ha bara eo ha reket,
Hag ann douar ien da gousket ;
Hag ann douar ien da gousket ;
Ha da bluëk ur men kalet ! —

  — He ’zo klanvet gant ur c’hlenved
Hag a zo diremed meurbed,
Ma lavar d’in ar brofeled,
M’am be ur vron werc’h venniac’het —

  — Kommerret skabel, azezel,
Ho sikour, ma zad, ’zo dleet. —
Ma ’z ia Henori d’ann daoulinn,
D’ zispaka d’hi zad hi feutrinn.

  Pe oa ar peutrinn dispaket,
Ur serpant gant-ban ’zo lampet ;
Ur serpant gant-han ’zo lampet,
Ha bron Henori ’n eus troc’het !

  Neuze kerkent ’tiskenn un el,
En he zorn gant-han ur vron sklezr :
En he zorn gant-han ur vron sklezr,
’Zervij de c’holou, d’ ganteler.

  — Bonjour à vous, ma fille Henori,
Quel est votre ménage ? —
— Ma foi, mon père, vous le voyez,
Du pain et de l’eau à votre disposition ;

  Du pain et de l’eau à votre disposition
Et la terre froide pour coucher ;
Et la terre froide pour coucher.
Et une pierre dure pour oreiller ! —

  — Je mis en proie à une maladie
Qui est sans merci.
Et les prophètes me disent que
Si j’avais un sein vierge, je guérirais.—

  — Prenez un escabeau et asseyez-vous.
Mon devoir est de vous secourir, mon père. —
Et Henori se met à genoux
Et découvre sa poitrine à son père.

  Quand sa poitrine fut découverte,
Un serpent se précipita dessus ;
Un serpent se précipita dessus,
El coupa le sein d’Henori !

  Aussitôt descend un ange,
Portant à la main un sein lumineux ;
Portant à la main un sein lumineux ,
Qui sert de lumière et de chandelier !


Quand Henori eut erré pendant sept ans sur la mer, dans un tonneau de sureau vert (skao-glaz), dit cette leçon, le prince Efflam se mit à sa recherche.


  Pa oa ar seiz bloaz ac’huet.
’R prinz Efflamm d’hi c’hlask a zo et,
Ar prinz Efflamm a c’houlenne
Euz ’r verdedi, pa dremene :

  — Merdedi, d’in-me lavaret,
N’oc’h euz gwelet tonnel a-bed ? —
— Na ouzomp doare da hini,
Met hini santes Henori ;

  Met hini santes Henori,
Advokades d’ar merdedi ;
Ter fourdelizenn ekselant
’Zo war galon hi inosant ;

  ’Zo war galon hi inosaot ;
Mar na ve roue, ’vezo sant !…
— Demad d’ac’h, m’ fried Henori,
C’hui ’zo ’n graz Doue, me n’on mui.

  Diwar ma zreid ’on dizec’bet,
Ha bleo diwar ma fenn ’zo et ;
Ma bleo diwar ma fenn ’zo et,
Ma mamm ’zo et gant ’nn drouk-speret ! —


  Quand les sept ans furent accomplis,
Le prince Efflam se mit à sa recherche.
Le prince Efflam demandait
Aux matelots, en passant :

  — Matelots, dites-moi,
— N’avez-vous pas rencontré un tonneau ?
— Nous n’en connaissons aucun,
Si ce n’est celui de sainte Henori ;
Si ce n’est celui de sainte Henori,

  La protectrice des matelots :
Trois fleurs de lys excellentes
Sont sur le cœur de son innocent ;
Sont sur le cœur de son innocent,
S’il n’est roi, il sera saint !

  — Bonjour à vous, ma femme Henori,
Vous êtes en la grâce de Dieu, moi, je ne le suis plus.
Je suis desséché sur mes pieds,
Et les cheveux me sont tombés de la tête ;
Les cheveux me sont tombés de la tète.
Et le diable a emporté ma mère ! —


Il y a quelque analogie entre cette pièce et la Tour d’Armor du Barzaz Breiz (page 490, 6e édition).


  1. (1) La mère du mari.
  2. (1) Qui trompe son mari.