Le clerc Le Chevanz, de Pont-Cado,[1]
(Est) le plus beau fils de paysan du pays.
Et que lui sert d’être beau,
Puisqu’il est condamné à mort ?
Puisqu’il est condamné à une mort si ingrate (cruelle),
À aller mourir devant la maison de son père !
Puisqu’il est condamné à une mort si cruelle,
À aller mourir devant la cour de son père !
Pour avoir tué le fils du seigneur,
L’héritier du Bali Kercadio.
Le clerc Le Chevanz disait
En arrivant chez le vieux Hélari :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Françoise Hélari où est-elle ?
Et le vieux Hélari répondit
Au clerc Le Chevanz, quand il l’entendit :
— La petite Françoise n’est pas à la maison,
Et n’y a pas été depuis trois ou quatre jours ;
Elle n’y a pas été depuis trois ou quatre jours,
Elle n’arrivera pas d’ici à demain.
— Ne reste pas longtemps à discourir,
Et faites-moi, vite, lui parler.
Quand Françoise Hélari entendit (cela),
Elle descendit l’escalier tournant.
Portant une bouteille de vin et un verre,
Et une bonne miche de pain blanc ;
Et une bonne miche de pain blanc,
Et un beurrier rempli de beurre jaune.
— Mangez et buvez, jeune clerc,
Pendant que j’irai prendre de l’eau pour préparer le souper ;
Mangez, buvez, faites bonne chère,
Moi, je vais chercher de l’eau au puits de mon père.
Quand le clerc Le Chevanz entendit (cela),
Il lui donna trois soufflets ;
Il lui donna trois soufflets,
Et l’abattit sur l’aire de sa maison ;
Il l’abattit sur l’aire de sa maison
Et en fit à sa volonté,
Devant sa mère et devant son père,
Quel crêve-cœur pour eux !
Le vieux Hélari se désolait,
Sa fille Françoise le consolait :
— Consolez-vous, mon chère père, ne pleurez point,
Pour honte de moi vous n’aurez pas ;
Pour honte de moi vous n’aurez pas,
Allez me chercher un prêtre ;
Et si vous le cherchez, cherchez-le tout de suite,
Car comme un ruisseau coule mon sang !
Le jeune prêtre demandait
À Françoise Hélari, en la confessant :
— Françoise Hélari, dites-moi,
Que demandez-vous que l’on fasse au clerc ?
— Je ne demande pas qu’on lui fasse rien,
Je le recommande à Dieu.
Le clerc Le Chevanz demandait
Au jeune prêtre, en le voyant :
— Jeune prêtre, dites-moi,
Que demande-t-elle qu’on fasse au clerc ?
— Elle ne demande rien contre lui,
Elle le recommande à Dieu.
Le clerc Le Chevanz disait,
Assis dans la grande prison :
— Geôlière, tu étais mon amie (naguère),
Et si tu veux, tu le seras, à présent, encore ;
Va pour moi jusqu’à chez mon père,
Et dis-lui de venir encore jusqu’à moi
La geôlière disait
En arrivant chez le vieux Le Chevanz :
— Dieu, que de biens il y a dans cette maison-ci,
Et votre fils est à pourrir en prison !
Votre fils est à pourrir en prison,
Et vous avez les moyens de payer sa rançon !
Et le vieux Le Chevanz répondit
À la geôlière, quand il l’entendit :
— Dussè-je avoir mon fils pour un sou,
Geôlière, je ne paierai pas sa rançon ;
Dussè-je avoir mon fils pour un denier,
Geôlière, il ne reviendra pas à la maison ;
Dussè-je avoir mon fils pour un baiser,
Je ne le délivrerai pas de la pendaison !
Trois fois déjà j’ai payé sa rançon,
Et ce serait la quatrième fois ;
Ce serait pour moi la quatrième fois de payer pour lui ;
Je voudrais que ce fût fini de lui.
J’ai à la maison de bons enfants,
Qui vont travailler au champ ;
Mais celui-là ne fait que boire
Et rimer-des chansons pour chanter ;
Rimer des chanson pour chanter,
Et aller ensuite courir les filles.
Quand on achetait de la toile de Hollande,
Pour faire des coiffes à ma fille aînée,
Elle était employée par sa mère
À faire des chemises au clerc.
La geôlière disait
Au clerc Le Chevanz, en revenant :
— Clerc Le Chevanz, consolez-vous vous-même,
Car pour votre père, il ne vous secourra point.
— Geôlière, ma bonne amie,
Faites encore un plaisir pour moi
Donnez-moi une chemise fraîche, pour la mettre,
Et prenez la mienne, qui est de toile de Hollande ;
Et prenez la mienne, qui est de toile de Hollande,
Ce serait pitié (dommage) que le bourreau l’usât !
— Clerc Le Chevanz, dites-moi,
Où étiez-vous quand vous fûtes pris ?
— Dans une auberge de Goudelin,
À boire ma part de trois sortes de vins ;
À boire ma part de trois sortes de vins,
Et à manger des pruneaux et du raisin ;
Si l’hôtesse m’avait été fidèle,
Si elle était montée dans la chambre et m’avait dit :
— Clerc Le Chevanz, prenez garde à vous,
Les archers arrivent pour vous prendre !
Je me serais bien défendu contre eux,
Et quand ils auraient été la moitié plus nombreux !
Le clerc Le Chevanz disait,
En montant sur le plus haut degré de l’échelle :
— J’ai trois sœur que j’aimais,
Et qui sont habillées toutes les trois de satin blanc ;
Fussent-elles habillées de drap d’or.
Quant à leur honneur elles sont pauvres.[2]
À présent les filles de Le Chevanz pourront
Détacher (quitter) leurs croix de vanité ;
Détacher leurs croix d’argent blanc.
Pour racheter leur frère de la corde.
La première d’entr’elles s’appelle Marie,
Et je lui donne ma bénédiction ;
Celle-là m’a souvent dit
De délaisser le vin et les filles ;
De délaisser le vin et les filles,
Et d’être dévot (assidu) à la grand’messe ;
Et d’être dévot (assidu) à la grand’messe,
Et de quitter les fainéants.
La seconde se nomme Francesa,
Et je prie mon père de la corriger ;
Celle-là m’a souvent dit
Que ce serait le bourreau qui userait mes habits ;
Que ce serait le bourreau qui userait mes habits,
Jamais mauvaise prédiction n’a porté bonheur.
La troisième se nomme Jeanne,
Qui ne fait que se moquer des hommes ;
Et quand vous la verrez se moquant d’eux,
Reprochez-lui son frère aîné ;
Reprochez-lui le clerc Le Chevanz
Qui est pendu à la potence ![3]
de Pluzunet — décembre, 1868.
- ↑ Peut-être faudrait-il traduire « Ar Chevans » par « Le Chevoir ». La femme de La Fontenelle, le fameux ligueur, s’appelait Marie Le Chevoir. Elle était fille de la dame de Mézarnou, de son premier mariage avec Lancelot Le Chevoir.
- ↑ Parce qu’il les déshonorait par sa mort.
- ↑ Voir la note de la page 359.