Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Clerc Le Gallic


LE CLERC LE GALLIC
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I

  S’il vous plaît, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé ;
Un gwerz qui a été composé nouvellement,
C’est à un jeune clerc qu’il a été fait.

  Il a été fait à un jeune clerc
Qui était allé étudier à Nantes ;
Il était allé étudier à Nantes,
Et avant de revenir à la maison, il avait été fait prêtre.

  Et s’en retournant de là,
Il entra dans une aire neuve ;
Il entra dans une aire neuve
Et y salua deux de ses sœurs.

  Il y salua deux de ses sœurs,
Il y avait sept ans qu’ils ne s’étaient vus ;
Il y avait sept ans qu’ils ne s’étaient vus,
Il tombe dans le péché avec une d’elles.

  Le jeune clerc demandait
À sa sœur, ce jour-là :
— Jeune fille, dites-moi,
Où êtes vous à servir par ici ?

  — Sauf votre grâce, répondit-elle, clerc,
Je ne suis pas obligée de gagner mon pain,
Je possède trois cents écus de rente,
Et même quelque chose de plus.

  J’ai à Nantes un frère clerc,
Qui sera prêtre avant de revenir à la maison ….
Quand le jeune clerc entendit cela,
Son cœur devint très-faible.


II

  Le jeune clerc souhaitait le bonjour.
En arrivant dans la maison de son père :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison.
Ma mère et mon père où sont-ils ?

  Ma mère et mon père sont-ils en bonne santé ?
Mes sœurs, où sont-elles allées ?
Sa mère répondit alors
Au jeune clerc, quand elle l’entendit :

  — Elles sont allées toutes les deux à l’aire-neuve,
Je ne pense pas qu’elles reviennent à la maison, aujourd’hui ;
Je ne pense pas qu’elles reviennent à la maison, aujourd’hui,
Car je leur en ai donné la permission.

  Et pendant qu’ils étaient à leur compliment,
La jeune fille entra :
— Voilà la fille aînée,
Ta sœur Jeanne, il me semble.

  — Mon père, ma mère, j’étais venu vous prier
De venir assister à ma première messe ;
À présent je vous dis de ne pas venir,
Car il me faudra aller jusqu’au pape !

  Sa mère disait alors
Au jeune clerc, en l’entendant :
— Asseyez-vous ici, jeune clerc,
Pour que j’entende votre sentiment (pensée).

  — Jamais personne ne saura cela,
Si ce n’est le prêtre qui m’absoudra !
Le jeune clerc faisait ses adieux
À ses parents, ce jour-là :

  — Adieu, ma mère, adieu, mon père,
Et bonne aventure (chance) à mes sœurs ;
Et bonne aventure à mes sœurs,
Jamais ne vous reverront mes yeux !

III

  Le jeune clerc disait
En arrivant à la porte de la cour du pape.
— Dites-moi, portier,
Le Saint-Père n’est-il pas à la maison ?


  Dès que le portier entendit (cela),
Il courut à la chambre du pape ;
— Un jeune clerc de Tréguier
Demande à vous parler, Saint-Père.

  — Dites-lui de venir dans ma chambre,
Afin que j’entende ce qu’il veut.
Quand il arriva dans la chambre du pape.
Il se jeta à genoux :

  — Hâtez vous donc, ô Saint-Père,
Jamais je ne serai pardonné par Dieu….
— Dieu a plus de pouvoir pour te pardonner,
Que tu n’en as pour l’offenser ;

  En faisant dure pénitence,
Tu seras pardonné par Dieu.
— J’étais allé étudier à Nantes,
Et avant de retourner à la maison, j’étais prêtre :

  Et en revenant de là,
J’entrai dans une aire-neuve ;
J’entrai dans une aire-neuve,
Où je saluai deux de mes sœurs :

  Je saluai deux de mes sœurs,
Et je tombai dans le péché avec une d’elles ;
Je tombai dans le péché avec une d’elles,
J’étais troublé par le vin.

  Le Saint-Père dit
Au clerc, après l’avoir entendu :
— Tu retourneras d’ici chez toi.
Et tu mettras du gros sable dans tes chaussures ;

  Tu mettras du gros sable dans tes chaussures,
Et dormiras sur un oreiller de pierre ;
Tu dormiras sur un oreiller de pierre,
Et ne mangeras rien chez tes parents….

IV

  Le jeune clerc disait,
En arrivant dans la maison de son père :
— Petite servante, dites-moi,
Mon père et ma mère où sont-ils allés ?


  — Votre père et votre mère ne sont pas à la maison,
Ils sont allés à la noce de votre sœur Jeanne.
— Petite servante, dites-moi,
A-t-elle fait un bon parti ?

  — Elle n’a pas fait un bon parti,
Pour un menuisier qu’elle a eu ;
Il n’a rien que son métier,
Elle, malheureusement, a un enfant.

  — Petite servante, dites-moi,
À qui l’a-t-elle reproché (attribué) ?…
— Elle ne l’a reproché à personne,
Mais le monde dit qu’il est à son frère le clerc.

  — Voici un billet bien signé,
Un billet signé avec mon sang,
Pour donner à ma sœur tout mon bien,
Et à ses héritiers après elle…

  Le jeune clerc faisait ses adieux
Aux gens de la noce, ce jour-là :
Il ne voulait ni manger ni boire,
Ni s’asseoir auprès de personne.

  — Adieu, ma mère, adieu mon père.
Mes yeux ne vous reverront plus :
Vous aviez fait votre fils clerc,
Mais hélas ! il ne sera point prêtre.[1]

  Adieu, mon père, adieu, ma mère,
Jamais je ne vous reverrai dans ce monde ;
Jamais je ne vous reverrai dans ce monde,
Je vais, à présent, chercher mon jugement !

  Quand il leur eut fait ses adieux,
Il retourna vers le pape ;
Ses pieds, jusqu’aux chevilles,
Étaient mangés par le sable !

  Quand il arriva à la porte de la cour du pape.
Il tomba trois fois à terre ;
Il tomba trois fois à terre,
Puis il mourut sur-le-champ !


Chanté par Marie-Josèphe Cado,
Keramborgne, novembre, 1844.



Une autre version, recueillie à Ploumilliau, se termine différemment.


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Quand le jeune prêtre entendit,
Il se rendit au banquet ;
Il se rendit au banquet,
Et demanda son beau frère.

— Mon beau frère, si vous m’aimez,
Ne faites pas mauvaise vie à ma sœur Jeanne ;
Je vais lui signer (céder) tout mon bien,
Pour l’aider à élever ses enfants.

Il ne voulut ni manger ni boire,
Ni s’asseoir à aucune table ;
Il ne s’assit à aucune table,
Et il prit le chemin de Rome.

Quand il arriva à Rome,
Il demanda à être absous.
Ses pieds, jusqu’à ses chevilles,
Étaient rongés par le sable.

— Tous ne serez pas encore absous,
Vous irez dans la chambre de la pénitence ;
Un pot d’eau et trois onces de pain
Vous aurez pour vivre, pendant trois jours.

Les trois jours sont devenus trois ans,
Personne ne songeait à lui,
Jusqu’à ce qu’un jour, en dînant ;
Le pape se souvient de lui :

— Gouvernante, allumez de la lumière,
Afin que nous allions voir un cadavre !
Quand on ouvrit la porte sur lui,
Il se jeta à genoux :

— Dites-moi, Saint-Père,
N’est-il pas encore temps que je meure ?
Ô Saint-Père, vous le voyez,
Pour vivre, il n’est pas nécessaire d’avoir de la nourriture :

Voici l’eau et le pain
Que j’avais pour vivre pendant trois ans !…

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À peine avait-il prononcé ces mots,
Qu’il mourut sur la place.
Le jeune prêtre est allé à la gloire (éternelle),
Et il a aussi délivré sa sœur !






  1. Il me semble qu’il y ait contradiction, car on dit, plus haut, qu’il était ordonné prêtre, quoique n’ayant pas encore célébré sa première messe.