Château-Gaillard/Texte entier

Michel Lévy frères, éditeurs.
CHÂTEAU-GAILLARD


MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS




UN


NAUFRAGE PARISIEN


PAR


CLAUDE VIGNON


Deuxième édition – Un volume grand in-18




OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
format gr. in-18

MINUIT. Contes fantastiques. 1 volume.

RÉCITS DE LA VIE RÉELLE. Nouvelles. 1 volume.

JEANNE DEMANGEOT. 1 volume.

UN DRAME EN PROVINCE. 1 volume.

VICTOIRE NORMAND. 1 volume.

LES COMPLICES. 1 volume.



COULOMMIERS — Typ. A . MOUSSIN
Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/10


AVANT-PROPOS


J’ai tenté une œuvre audacieuse : j’ai voulu incarner le type de don Juan dans la société moderne.

Je sens d’ailleurs, profondément, combien l’idéal cherché demeure au-dessus de la réalisation obtenue. Néanmoins, je tiens à dire, en livrant ce roman au public, ce que j’ai essayé.

Tout est vrai dans ce livre, types et faits. Qu’on n’y cherche cependant ni portraits ni personnalités. Pour faire une statue, un statuaire fait poser divers modèles. Ces modèles servent tous à l’artiste, et pourtant son œuvre n’est la copie d’aucun.

Qu’on cherche encore moins des intentions politiques dans cette étude de mœurs contemporaines. Elle était entièrement conçue et en partie écrite avant 1870. Alors comme aujourd’hui, aujourd’hui comme alors, j’ai mis l’art au-dessus des intérêts et des passions des partis.


CLAUDE VIGNON.

CHATEAU-GAILLARD



PROLOGUE

1812


I

Nous sommes au faubourg Saint-Honoré, dans un hôtel de grande mine.

Madame, bien que souffrante et gardant le lit depuis plusieurs mois, reçoit la cour et la ville. Elle est d’ailleurs assez haut placée par sa fortune, son élégance, sa beauté, sa notoriété mondaine et le rang de son mari, pour se permettre de « tenir une ruelle » comme on disait encore.

Traversons le vestibule, où bâillent discrètement deux ou trois valets poudrés et galonnés ; montons l’escalier garni d’hortensias en fleurs, traversons l’antichambre, où vient vous recevoir une gentille soubrette de dix-huit ans en robe de guingamp rose et en tablier de percale festonné à dents de loup ; puis le salon tendu de point des Gobelins, meublé de consoles d’acajou à pilastres enrichis de cuivres ciselés par Gouttières, de fauteuils assortis et de tabourets à l’X ; et, entrons dans le sanctuaire.

Madame, les cheveux noués à l’antique sur le sommet de la tête, est languissamment couchée dans un lit de Jacob en forme de gondole, posé sur quatre cygnes, drapé de soie bleue et négligemment recouvert d’un cachemire orange, en guise de courte-pointe.

À portée de sa main, sur un somno, sont des journaux ; l’Almanach des modes, quelques numéros de l’Hermite de la chaussée d’Antin ; au fond du lit une glace à demi enveloppée par des draperies ; au pied, une vaste jardinière remplie de fleurs rares ; dans un coin, une harpe ; entre les fenêtres un piano chargé de sonates et de romances ; ailleurs, une psyché, une commode, une table à ouvrage ; à terre un frais tapis de la Savonnerie à rosaces ; çà et là, des siéges en bois doré recouverts de soie brochée ; sur les murs, des tentures de même soie plissées en tuyaux d’orgues, et attachées par des patères dorées à une frise de stuc ; sur la cheminée une pendule de Ravrio entre des vases de Sèvres peints par Dagoty ; et à l’entour de la glace, des portraits de Boilly et des miniatures d’Isabey…

C’est assez, n’est-ce pas, lecteur ? et vous savez que la femme chez qui je vous introduis est une des reines de Paris, qu’elle y donne le ton, qu’elle est coquette, qu’elle est aimée, et qu’elle a un mari qui la gâte et lui laisse faire ses quatre volontés.


II

M. Hérouard avait surgi sous les dernières années de la République ; de simple commis chez un banquier il était promptement devenu l’associé, puis le gendre et le successeur de son patron. Ses rares capacités financières lui valurent bientôt une place à part dans la haute banque parisienne ; il sut se rendre utile au moment du blocus, continental et obtint, en récompense, un poste élevé en Amérique comme agent diplomatique Français ; quelque chose comme un consulat général qui avait l’importance d’une ambassade.

J’ai dit que madame Hérouard était souffrante ; mais qu’avait-elle au juste ? On ne le savait pas ; c’étaient les nerfs sans doute ; ou bien le chagrin du veuvage, car monsieur était absent depuis plus de quinze mois. Que si vous me demandez pourquoi madame ne l’avait pas suivi en Amérique, je vous répondrai que le docteur Alibert l’avait défendu, madame étant délicate, et la traversée rude et longue.

Ce même docteur Alibert venait tous les jours voir la malade, conseillait le repos et la distraction, et parfois permettait une promenade le soir, en voiture.

Aussi avait-on aperçu, — c’était l’été — le gracieux visage de madame Hérouard, au fond d’un coupé, à la porte de Tortoni. Un beau jeune homme prenait soin d’elle ; ajustant l’ample schall qui la couvrait ; relevant ou abaissant, à propos, les glaces du coupé.

Ce jeune homme, d’ailleurs, était bien connu dans l’entourage de l’intéressante malade. On le trouvait assidu, chaque jour, à aller prendre de ses nouvelles et lui conter les bruits de la ville. Il jouait avec les enfants, et quelquefois reconduisait le docteur Alibert, à travers le salon, jusqu’à l’escalier.

Visiteurs et visiteuses lui faisaient fête : car Lucien Mériot n’était pas seulement un élégant renommé au manège Sourdis et au jeu de paume Charrier ; portant à ravir le frac vert saule, la culotte de tricot et les bottes de Sakowsky. C’était encore, c’était surtout un poëte déjà célèbre et promis, disait-on, à de hautes destinées ; et, en attendant, auditeur au conseil d’État.

Voulait-elle confondre son ami dans le nombre, ou l’encadrer ? le perdre, ou le mettre en valeur ? je ne sais. Mais madame Hérouard avait ouvert sa maison au monde littéraire de son temps. On y rencontrait à la fois les célébrités faites et les réputations futures : Étienne, Jouy, Delille, Baour-Lormian, y coudoyaient Lebrun, Ducis, Piis, Dupaty, Boïeldieu, Dalvimare, sans parler d’un jeune statuaire, élève de Lemot, — Pradier ; d’Auber, alors au début de ses succès de salon qui précédèrent ses succès de théâtre ; d’Auber, gai, spirituel, aimable ; et d’un tout jeune homme, aux traits purs, à la taille élancée, que sa triple qualité de dandy, de collaborateur de Jouy et de secrétaire-rédacteur au cabinet de l’empereur, désignait dès alors à l’attention, et qui, après avoir fait partie de la rédaction du Nain Jaune et du Journal des Débats sous la Restauration, devait devenir un des sénateurs les plus connus du second Empire.

Mais n’énumérons pas, un à un, les artistes et les lettrés qui se mêlaient dans le salon ou la ruelle de madame Hérouard aux brillants officiers presque par tout alors tenant le haut du pavé, et aux hommes politiques pressentant déjà qu’aux triomphes bruyants des capitaines succéderait, à un moment donné, la suprématie des diplomates et des avocats ; nous aurions trop à faire, car parmi cette élite de la société parisienne d’alors, se trouvaient bien des individualités qui, à des titres divers, devaient appartenir à l’histoire.

Qu’il suffise de savoir que là se rencontraient les hommes les plus marquants et les femmes les plus élégantes ; et que, si les hommes enviaient secrètement la faveur dont Lucien paraissait jouir auprès de la belle dolente, les femmes n’avaient l’air de remarquer ni ses assiduités, ni ses privilèges.

Heureuse et puissante madame Hérouard ! les poëtes venaient lui lire leurs vers frais éclos ; les musiciens lui dédiaient leurs romances ; les diplomates et les militaires ébauchaient chaque jour, en marivaudant autour d’elle, une carte d’Europe nouvelle ; les couturières en vogue venaient prendre son avis avant de lancer telle ou telle mode, les bijoutiers lui présenter leurs parures les plus belles ; son mari lui avait fait venir d’Asie un des premiers cachemires…

Et les jeunes femmes ne la déchiraient pas, et les vieilles semblaient par un tacite accord couvrir d’une aimable indulgence les égarements d’un trop long veuvage !…

Oui, heureuse madame Hérouard !… et heureuse surtout quand les indifférents partis, ses enfants éloignés et les portes closes à tous, sauf à sa femme de chambre confidente, elle attirait, vers elle, Lucien enivré, pour lui murmurer doucement à l’oreille :

— Tu vois ! personne ne se doute de rien… et pourtant, quelques jours encore et tu seras père … Ah ! comme il te ressemblera ! Mais tu le soigneras bien, au moins !

Et qu’un baiser passionné scellait sur ses lèvres la réponse de son amant.

III

Mais soudain, un jour, en décachetant une lettre, dont déjà la suscription l’avait fait pâlir, madame Hérouard jeta un cri :

— Nous sommes perdus !

— Quoi ? s’écria Lucien, plus pâle encore que sa maîtresse : il revient ?

— Il arrive !… il est arrivé, peut-être… mon Dieu ! Tiens, lis… calcule…

Et tous deux, tandis que la femme de chambre gardait la porte, émue elle-même, frissonnant et comprenant toute la gravité de la situation, se jetèrent éperdus dans les bras l’un de l’autre ; ce furent des cris étouffés d’abord ; puis des sanglots ; puis des baisers entrecoupés d’exclamations sinistres.

— C’est la honte ! le scandale, la vengeance… Je ne l’attendrai pas !

— Eh bien, il me tuera… ou je le tuerai…

— Tais-toi ! et mourons ensemble avant son arrivée !…

— Fuyons plutôt !

— Et comment ? — Où ? — Dans mon état ? quand chaque jour j’attends ma délivrance ?

— Je t’en conjure ; calme-toi ; attends.

— Quoi ! n’as-tu pas compris ? Parti de New York le 12 avril, il a dû aborder au Havre peu de jours après cette lettre venue par voie anglaise et, par conséquent, retardée… Compte donc ! Qui sait ? à l’heure présente, il est en chaise de poste peut-être, et accourt du Havre à Paris. Attendre ? rester là ?… et d’heure en heure je puis redouter sa présence !

Lucien pressait en silence sa belle amie sur son cœur, mais il ne savait que lui répondre. Les vagues rassurances n’étaient pas de saison ; et, d’autre part, le coup était encore trop récent pour que les idées de salut eussent le temps de naître. Pendant une heure, à peu près, il demeura comme abasourdi, les yeux atones, le visage morne, cherchant à apaiser sa maitresse avec des caresses, comme on apaise un enfant qui pleure parce qu’il a du mal.

Mais c’était un homme. Sans savoir encore ce qu’il allait faire, il comprit qu’il fallait agir, défendre cette femme, la sauver.

Quand donc il eut rassemblé quelques idées, l’expression accablée de son visage s’effaça pour faire place à une expression grave et ferme. Sa parole prit un ton d’autorité. Il maintint doucement la malade dans son lit, enjoignit à la femme de chambre de faire défendre la porte, de ne pas quitter sa maîtresse ; puis :

— Ma bien chère Éléonore, votre mari, quelque rapide qu’ait été son voyage, et quelque diligence qu’il fasse du Havre à Paris, ne peut arriver avant quatre ou cinq jours. Rassurez-vous donc. D’ici ce temps j’aurai pourvu à votre sûreté — et même à votre honneur. Comment ? Je n’en sais rien encore, mais cela sera. Ayez confiance. Vous m’avez livré votre honneur, j’en suis responsable. Je vous quitte pendant quelques heures ; attendez-moi en paix. Jusque-là ne recevez personne. Le trouble qui vous agite pourrait se lire sur votre visage. Ayez la migraine pour tout le monde, et cependant assurez en même temps votre santé, vos forces, et votre courage. Quoi que je puisse vous proposer, vous aurez besoin de l’énergie morale, et du ressort physique. Et puis songez à cet enfant adoré qui va naître et qui est le nôtre… auquel je veux consacrer ma vie entière et qui sera notre doux lien à travers les années.

Quand il revint, le soir, Lucien avait un plan. D’un signe il éloigna la femme de chambre, qui emmena les enfants ; et, toutes portes closes, il dit à Éléonore :

— Il faut d’abord que votre mari ne vous trouve pas ici ; il faut ensuite que votre absence s’explique naturellement et ne donne pas de prise aux soupçons : je me suis surtout préoccupé de ces deux points. Il faut ensuite songer à votre salut et à celui de notre enfant. Je n’ai trouvé qu’un moyen. Vous allez me répondre qu’il est absurde et vous aurez raison. Mais il n’y a que l’impossible qui réussit. Et puis nous n’avons pas le choix des moyens.

— Je le sais. Sauvez-moi donc à tout prix et fallût-il risquer ma vie…

— Peut-être…

– Eh bien, dites !

– Voici mon projet : demain, vous recevrez comme à l’ordinaire, et vous paraîtrez particulièrement gaie et bien portante. Vous annoncerez à votre cercle l’arrivée de M. Hérouard, et vous manifesterez l’intention d’aller au-devant de lui… :

– Moi ? qui garde le lit depuis quatre mois !…

— Que voulez-vous ? Il faut se résigner à cette invraisemblance ; on dira que vous faites une folie. Eh bien ! qu’importe ? Si après on vous voit revenir avec votre mari, nul ne s’étonnera de vous trouver un peu souffrante…

— Avec mon mari ?…

— Je vous ai dit que mon plan était insensé. Ce désir d’aller au-devant de votre mari, vous ne l’annonceriez d’ailleurs qu’en manière de projet en l’air ; de façon enfin qu’on le prenne pour une rêverie de malade demain, et qu’après-demain, en vous trouvant réellement partie, le monde ne soit pas surpris comme par un coup de foudre. Après-demain vous partez en chaise de poste, au vu et au su de tous vos gens, emmenant votre femme de chambre, n’emportant que le bagage qui convient à une course de huit à dix jours, recommandant bien vos enfants à la gouvernante. Remarquez que, par ce beau mois de septembre, vous n’avez point de parents à Paris auxquels vous deviez faire part de vos intentions, et qui puissent à cet égard vous faire des remontrances. La saison vous autorise aussi à partir chaudement vêtue, car les nuits peuvent devenir fraîches. Vous vous envelopperez donc bien. Vos gens d’ailleurs ne prendront pas garde à ces détails, parce qu’ils ne se doutent de rien…

— Qui sait ?

– En partant vous multiplierez les recommandations, minutieusement, et vous promettrez à tous et à chacun bonne récompense si au retour vous trouvez les choses selon vos ordres. Et, en effet, au retour vous serez généreuse.

– Reviendrai-je ? fit-elle avec mélancolie.

— Il y a un Dieu pour les amants !

— Et vous me conduirez ?

— Voilà ou vous allez me prendre pour un fou ! Je vous conduirai au Havre.

Les yeux seuls de madame Hérouard, cette fois, interrogèrent Lucien.

— Écoutez, dit-il, je pourrais sans doute vous conduire en cent endroits qui sembleraient mieux lieu d’asile ; mais, vers quel but pouvons-nous aller avec plus de sûreté ? En quelque lieu que vous vous cachiez, si vous vous cachez, il faudra prendre un faux nom et faire une déclaration de naissance illégitime ; laisser voir à un certain nombre de gens, à des mercenaires, que vous êtes dans une situation inavouable. Votre charmant visage est bien connu à Paris. Tant de gens, dont vous ne soupçonnez pas l’existence, vous ont ad mirée à Longchamps dans votre équipage, ou bien dans votre loge à l’Opéra ! Par simple curiosité ces gens chercheraient à savoir votre secret. Et pourquoi pas par intérêt ? Plus tard bien des complications pourraient se produire, en supposant que, dès demain, vos traces ne soient pas suivies et que vous ne vous trouviez pas prise en votre retraite comme en un traquenard.

Elle frissonna.

— Sauvez-moi de cela surtout ! s’écria-t-elle.

— Dans notre chaise de poste, et avec votre passeport légitime, vous êtes chez vous ; pas de curiosités éveillées, pas de cupidités à l’affût. Enfin… ma bien-aimée, pardonnez-moi, mais j’ose prévoir les éventualités les plus épouvantables et, vous connaissant comme je vous connais, je sais que, même dans la mort, vous ne voudriez pas emporter le déshonneur.

Les yeux d’Éléonore s’éclairèrent d’un jet de flamme.

— Ah ! s’écria-t-elle, tu me devines bien, toi ! Oui… avant tout que l’honneur soit sauf… Si je vis, que ce soit pour garder mon nom, mon rang, ma fortune… ma royauté tout entière ! Si je meurs… eh bien, que ce soit pour être pleurée… de mes enfants… de mon mari !

Et haute, fière, orgueilleuse, elle se souleva sur son lit avec une énergie souveraine. Il y a des natures à qui la honte est impossible, et qui ne sauraient courber le front, ni pour avouer ni pour mentir. Peut-être est-ce là tout ce qui sépare quelquefois des déclassées les reines de ce monde.

— Voilà pourquoi j’ai imaginé un coup d’audace qui peut tout sauver, reprit Lucien. - Écoute :

— La chaise de poste dans laquelle tu partiras d’ici seule avec Annette te conduira jusqu’à Mantes. Là tu me trouveras à l’hôtel du Grand-Cerf qui est l’hôtel achalandé de la ville, celui où tous les voyageurs de ton rang s’arrêtent…

– Mais alors ?…

– Tu vas m’objecter que ton mari aussi peut s’arrêter dans cet hôtel : c’est peu probable. Il y a deux routes pour aller de Paris à Rouen ; celle d’en haut, et celle d’en bas. La première, plus courte, part de Saint-Denis et, de Pontoise, va droit à Rouen par Magny et quelques petites villes insignifiantes ; c’est celle des voyageurs pressés, des gens d’affaires : la seconde suit à peu près le cours de la Seine par Meulan, Mantes, Vernon, Louviers, Pont-de-l’Arche : c’est celle des touristes. M. Hérouard évidemment arrivera par la route d’en haut. Mais rien que de naturel à ce qu’une femme délicate et souffrante prenne celle d’en bas, qui est pourvue de bons gîtes.

– Ainsi de Paris à Rouen pas de rencontre à redouter ?

— Non, à moins de complications impossibles à prévoir.

— Et de Rouen au Havre ?

– De Rouen au Havre la manœuvre est plus difficile ; mais irons-nous bien jusqu’au Havre ? Le tout d’abord est de partir et d’arriver à Mantes. Tu m’y trouveras, hôtel du Grand-Cerf : je serai en compagnie d’une femme que je nommerai ma mère, et qui semblera aussi un peu souffrante. – Ah ! il est convenu que tu voyages à petites journées !… Nous aussi. Je m’arrangerai pour que nous dînions ensemble. Tout en causant tu te plaindras de ta chaise de poste, qui sera, selon toi, incommode et mal suspendue : j’en prendrai occasion pour faire l’éloge de la nôtre, qui sera vaste et admirablement installée. Bref, nous nous arrangerons pour continuer la route de compagnie, et tu renverras ta chaise à Paris.

» La conversation qui rendra cette combinaison naturelle et plausible, tu l’imagines. Allant tous au Havre et voyageant du même train, rien de plus simple que notre arrangement. Mais en même temps, la gentille Annette dînant à la cuisine devra causer. Elle dira ton nom, et te donnera une maladie quelconque ; racontera que tu cours au-devant de ton mari, et que c’est une grande folie dans l’état de ta santé.

— Je comprends. Si M. Hérouard, arrivant à Paris et ne m’y trouvant pas, se prenait à suivre mes traces…

— Justement ; le témoignage de l’hôtesse serait un commencement d’explication à la suite des choses.

– De Mantes nous partons ensemble, ma mère et toi dans le fond de la voiture, Annette et moi sur le devant. Cette chaise de poste, ma bien-aimée, sera ta maison, ta chambre, jusqu’à l’heure de la délivrance. Il va sans dire que la femme qui m’accompagnera sera une habile sage-femme. Eh bien, l’enfant que tu comptais mettre au monde ici, seule entre Annette et moi, nous l’attendrons sur une grande route en chaise de poste. Tu auras du courage, moi je tâcherai d’avoir de la présence d’esprit, et les postillons eux-mêmes pourront ne se douter de rien.

– Bien. Et, l’enfant né ?

– Je descendrai au premier relai ; je l’emporterai roulé dans mon manteau. Tu continueras la route seule avec Annette et la sage-femme, jusqu’à un endroit convenu, où tu t’arrêteras et où je devrai vous retrouver.

— Je ne m’arrêterai pas un jour, pas une heure ! Je ferai tourner bride et reviendrai chez moi.

– Tu sauveras ta vie d’abord ; car une fois l’enfant et moi partis, l’honneur sera sauf, et tout peut s’expliquer au besoin… J’exige que tu te conformes aux prescriptions de la matrone.

– J’obéirai donc. Et maintenant, l’enfant ?

— J’en aurai soin… comme du mien ; Éléonore, ne crains rien.

— Mais encore ?

– Eh ! bien ! je gagnerai une bourgade assez éloignée. Là, je ferai la déclaration de naissance, et chercherai une bonne nourrice à laquelle je laisserai notre cher petit.

– La déclaration de naissance sera ?

– Père et mère inconnus. C’est la meilleure en pareil cas, parce qu’elle réserve tout. En même temps, d’ailleurs, je me chargerai d’élever l’enfant.

– Et… on acceptera ?… Comment ?

— Que répondre à un homme qui vient présenter un enfant devant l’officier de l’état civil, en disant : « Voilà un enfant que je viens de trouver, au coin d’un chemin, je l’ai ramassé, je l’apporte, il m’intéresse ; j’ai quelque fortune ; ma position sociale est honorable, je me charge de pourvoir à ses besoins ? »

— Rien, en effet, il me semble.

— Cette promesse faite par devant le juge de paix constitue.ce que le Code Napoléon appelle la tutelle officieuse, qui est un acheminement à l’adoption.

— Ce que tu feras sera bien fait, mon ami. Au demeurant, je t’aime et tu es son père.

– Sois tranquille, et repose-t’en sur moi, Éléonore.

– Eh bien, mon honneur, ma vie, la sienne et sa destinée, je remets tout entre tes mains… Que cette suprême confiance, au moins, soit mon excuse pour m’être abandonnée.

— Chère !

— Ah ! Je ne trompe pas ma conscience, mon ami, dit elle, avec l’accent d’une profonde mélancolie, je

— sais que je suis coupable… J’ai honte de ce mensonge et de cette comédie que je vais jouer au plus digne, au plus noble des hommes… — Je la jouerai pourtant, — et de mon mieux ! reprit-elle avec une fermeté soudaine, car c’est le seul parti que nous ayons à prendre ; et l’heure du danger n’est pas celle du repentir. À demain donc la préparation du monde ; à après-demain matin le départ ; au soir du même jour la rencontre à Mantes… Et, à l’avenir, l’expiation.

Sous presque toutes ces Parisiennes frèles, délicates, petites-maitresses, en cherchant bien, on trouve une héroïne.

IV

Peu de jours après, Lucien Mériot se présentait à la mairie des Andelys et y déclarait un enfant du sexe masculin, qu’il venait de trouver, disait-il, dans les ruines du Château-Gaillard.

Il lui donna les noms de Jean-Victor-Eugène de Château-Gaillard, en assuma la charge, donna au maire son nom et son adresse à Paris, choisit la plus belle nourrice du pays, la paya grassement et lui annonça qu’il viendrait une fois le mois savoir des nouvelles du poupon.

Et quand maire, juge de paix, et nourrice eurent regardé, en souriant à demi, le nouveau Saint-Vincent de Paule, tout fut dit.

Vers le même temps, madame Hérouard rentrait à Paris ; – fatiguée de son voyage, disait sa jeune soubrette, et un peu plus souffrante qu’avant son départ.

Tout précisément, M. Hérouard était arrivé de la veille et s’apprêtait à repartir pour rejoindre sa femme.

On s’était croisé ; pendant que madame suivait le cours de la Seine, monsieur arrivait par les hauteurs. Monsieur ne trouva pas de paroles pour remercier madame de cette preuve d’amour, et quand madame, qui prit le lit au débarqué, fut un peu reposée, elle serra tendrement les mains de son mari et exprima plusieurs fois son plaisir de se voir au milieu des siens.

Jamais famille plus charmante et plus unie ne s’était vue ; c’était à qui le dirait, dans le monde, à Paris ; et à qui vanterait aussi les cadeaux magnifiques rapportés par M. Hérouard à sa femme.


L’hiver suivant, les salons de l’hôtel du faubourg Saint Honoré s’ouvrirent à deux battants. Il y eut des fêtes brillantes et l’on y retrouva parmi la foule des désœuvrés et des élégantes les amis plus intimes que la gracieuse hôtesse avait choisis dans le monde des lettres et des arts.

Lucien y parut à son tour, juste assez pour que les commensaux ordinaires du logis ne remarquassent pas qu’il se faisait rare, et pour que M. Hérouard ne trouvât pas qu’il était assidu.

Au reste M. Hérouard l’aima fort, avant peu de temps ; et le poëte-auditeur devint, le plus naturellement du monde, un des meilleurs amis de la maison.


PREMIÈRE PARTIE




I


La table est dressée fort proprement, ma foi ! chez Pinson, rue de l’Ancienne Comédie, le bon restaurant du quartier latin vers 1832. Des huîtres, du vin de Sauterne, des rognons brochettes, un pâté de gibier. Quoi encore ? des biftecks aux pommes et un homard écarlate.

Aussi, c’est le cas de bien faire les choses. Marius Lehallier vient d’obtenir son diplôme d’avocat, et avant de retourner à Lyon recevoir les ovations de sa famille, il offre à ses amis un déjeuner de garçon pour prendre congé.

Autour de la table huit étudiants, qui ne sont ni muets ni manchots, s’escriment contre les vivres et d’estoc et de taille, et parlent d’abondance de leurs professeurs et des ministres, de la pièce en vogue et de leurs maîtresses.

Parmi ces huit, il en est un qui n’est pas l’amphitryon, et qui pourtant semble le maître : on l’écoute, quand il parle, avec une attention que n’obtiennent pas les autres ; son avis a du poids, soit qu’il s’agisse de politique, de littérature ou de femmes. Ce n’est pourtant qu’un étudiant de première année, un blanc-bec de vingt ans à la lèvre encore féminine ; et quant à sa famille, bien qu’il se fasse appeler « Jehan de Château-Gaillard » ma foi !… – la justice informe !

Au demeurant, il passe pour le fils naturel de Mériot l’académicien, aimable poëte auquel le Théâtre-Français doit une demi-douzaine de jolies comédies, dont deux sont restées au répertoire.

Mais à son âge, il s’est déjà fait deux duels : l’un, pour je ne sais plus quelle héroïne de je ne sais plus quel drame de Victor Hugo ; l’autre, à propos de son nom que l’on trouvait un peu bien ronflant à l’École. Un mauvais plaisant avait osé dire, je crois, que sur l’écusson des sires de Château-Gaillard, la barre était si large, qu’on ne lisait pas bien les armoiries !

Deux duels ! à vingt ans ! Et puis, habits de Pomadère, gants frais et bottes fines ; des succès au Prado et l’accès des premiers salons de Paris. — En fallait-il davantage pour mettre hors de pair un joli garçon ?

Car il avait une tête faite pour affoler les femmes : des yeux d’un vert de mer où l’infini semblait avoir mis son reflet ; une bouche d’un dessin à la fois pur et voluptueux, sur laquelle on voyait à peine une ombre brune dénoncer la moustache naissante ; un ovale à la Byron qu’encadraient d’abondants cheveux d’un blond fauve ; un teint mat que mettaient en valeur la ligne correcte des sourcils et le pourpre des lèvres. Mais c’étaient les yeux surtout : tantôt fascinateurs à corrompre une vierge, tantôt froids à glacer un homme, tantôt caressants à enjoler un diplomate.

Et avec cela si aimable ! et si bon enfant ! Pas de morgue du tout : une facilité de cœur et de caractère vraiment séduisante ; de l’esprit, des talents…

Mon Dieu ! chacun a ses faiblesses, et c’était bien innocent, après tout, en ce temps où le moyen âge était à la mode, de signer « Jehan » pour « Jean. » Maintenant pourquoi pas « Château-Gaillard ? » Le protégé de Mériot avait ses raisons sans doute, et quelques droits, puisqu’il avait tué son homme pour le prouver.

Du premier coup d’œil il s’enlevait en lumière sur le groupe des autres convives. Il y a comme cela de ces distinctions innées, de ces dons de nature qui créent, pour ainsi dire, la supériorité de ceux qui les possèdent, qui proclament leur royauté. On sent qu’ils deviendront « quelque chose » et que dans ce monde ils tiendront, quoi qu’il arrive, une plus grande place que le commun des hommes.

Quand on eut épuisé la politique et traîné aux gémonies le gouvernement de Juillet qui commençait alors à déplaire aux étudiants, quand la question « des femmes » vint sur le tapis, – au dessert, en un mot, chacun conta quelque prouesse.

L’un avait enlevé à un rival de neuvième année la première valseuse de la Chaumière ; l’autre avait été admis dans la loge d’une actrice de l’Odéon ; celui-ci était amoureux de Mademoiselle Mars, et croyait être sûr de recueillir chaque soir une œillade ; celui-là avait été « distingué » par une grande dame de province et lui écrivait « poste restante » , etc…

– Moi, dit Jehan, j’ai eu Sarah Bertin.

Il y eut un silence, et les sept auditeurs se regardèrent.

Il faut savoir que « Sarah Bertin » était alors une des courtisanes les plus vantées de Paris ; et, disait-on, la plus chère. En ce temps-là , tout le monde ne connaissait pas de vue les impures célèbres et leurs prix n’étaient pas cotés comme aujourd’hui. — Mais, parmi les jeunes gens, on était au fait de ces choses.

À propos de Sarah Bertin précisément, on racontait une anecdote qui faisait rêver les cerveaux des pauvres étudiants.

Un grand seigneur de vingt ans, beau et aimable, avait désiré, paraît-il, lui être présenté. On lui demanda dix mille francs, et il obtint une soirée.

À l’aurore, quittant la belle, il s’était penché vers ses lèvres, et dans un baiser d’adieu plein de reconnaissance et de tendresse, il avait murmuré :

— À ce soir ?…

Et Sarah Bertin, cambrant son beau corps dans son peignoir de dentelle, renversant sa tête alanguie, tandis que ses cheveux se déroulaient sur son épaule blanche, avait répondu :

— Tu es donc bien riche ?

– Sarah Bertin ! s’écrièrent ensemble les étudiants, après le premier moment d’étonnement.

Et puis :

— Tu es assez beau garçon pour lui avoir plu, dit Marius à Jehan.

— Peuh !… le duc de *** était beau garçon aussi.

— Mais… Tu n’as pas sans doute déposé ès mains de sa duègne les dix mille francs de rigueur ?

— Plus souvent ! J’ai usé d’adresse ; et, au fait, le tour est joli. Écoutez :

» Un jour que j’étais allé serrer la main d’un ami, — Baudrillet, vous savez, qui est clerc du fameux avoué Bordier, — je vois traversant l’étude une femme… ah ! lumineuse, radieuse ! Mon ami surprend le coup d’œil que je lance vers elle.

» — Joli morceau, hein ? me dit-il ; c’est Sarah Bertin.

» — Bah ! je ne l’avais pas reconnue d’abord… elle est plus belle encore de près que de loin.

» — Oui, mais « ils sont trop verts !… »

» — Elle a des procès ?

» — Elle est aux abois, mon cher ; son luxe dépasse… ses recettes : — saisie-arrêt sur sa voiture — sur son mobilier.

» — Bah ! Elle a donc beaucoup de créanciers ?

» — Une douzaine — qui ont chargé de leurs intérêts Villardier, le terrible homme d’affaires. — Et elle vient demander à mon patron de la tirer de ses griffes.

» – Ah ! oui-da ! Villardier… il a un fils, ce Villardier, qui a été au collége avec moi.

» — Possible. — Mais le fils n’est pour rien dans l’affaire.

» — Hum !

» Je ne sais quelle idée, vague comme une lueur à travers le brouillard, me passa par l’esprit.

» Sarah Bertin sortit du cabinet de l’avoué et je la revis. Dieu ! qu’elle était belle, animée par la colère !… Et puis… je ne la voyais plus avec les mêmes yeux… non !… Avant, elle m’était apparue comme une étoile… brillante… mais placée si haut, si loin qu’il était inutile à mon imagination même de souhaiter l’atteindre ; maintenant il me semblait qu’en me haussant et en étendant le bras, peut-être… — Enfin n’avez-vous jamais senti de différence entre l’admiration désintéressée qu’on éprouve pour ce qui est hors de votre portée, et la convoitise qui s’allume pour ce qui est difficile à conquérir, mais possible ?… — Avant, pour moi, Sarah Bertin était statue ; tout à coup elle venait de devenir femme.

» Quand je sortis de l’étude sordide qu’elle venait de traverser sans me voir, l’ardent désir brûlait en moi. Je marchais vite, la poitrine haletante ; il me semblait qu’au bout de ma course, par delà cette rue, puis cette autre, je voyais s’entr’ouvrir ces boudoirs capitonnés de soie dont le clerc de Bordier m’avait parlé en m’expliquant le luxe qui coûtait si cher et laissait la courtisane pauvre, malgré les flots d’or versés entre ses doigts.

» Je me remémorais l’anecdote du duc, et le « tu es donc bien riche » me semblait moins effrayant. Il me donnait bien le vertige, mais il ne me faisait plus peur…

» — Voyez-vous ça ! interrompit Marius Lehallier, en souriant, eh ! eh ! petit loup de six mois, tu vas bien ! — Un peu de Champagne, tiens, puisque le vertige ne te fait pas peur…

» — Volontiers, vieux requin. Non ! le vertige, au contraire, a des charmes d’une toute-puissance qu’on n’oublie plus dès qu’on les a sentis. Le vertige ! n’est-ce pas là le but suprême de nos efforts en ce monde ? Que cherchons-nous pour prix de labeurs incessants, de luttes désespérées ? des tentatives de l’audace et des palinodies de la lâcheté ? Quoi ? toujours la même chose ! — le vertige. Ah ! rien ne coûte assez pour payer cela ! car c’est la fin de l’excès… le « par delà » des forces et des plaisirs humains. C’est la conscience perdue, la vie dépassée, l’aspiration de toute notre puissance et de tous nos appétits, de nos rêves et de nos fantaisies, un instant touchée, sentie… réalisée, malgré les défenses de l’impossible.

Et tandis qu’il parlait, ses yeux avaient des lueurs phosphorescentes et des reflets intenses et changeants que regardaient avec étonnement les convives ; ses lèvres frémissantes, des courbes d’une volupté avide que rien ne semblait devoir assouvir. Il était beau et redoutable.

Mais tout à coup il s’arrêta, surprenant les regards de ses camarades, sans doute ; et, trouvant qu’il était monté bien haut, soit pour les oreilles qui l’écoutaient, soit pour la bonne fortune d’occasion qu’il racontait, il se prit à éclater de rire, d’un rire large et strident. Et :

— Bref, dit-il, les mystères de l’antre de la Sirène, autant que sa beauté, enfiévrèrent mon imagination. Je voulus cette femme, et naturellement je me dis que je l’aurais.

– Peste !

– En rentrant chez moi je fouillai la coupe où, dans mon antichambre, s’amoncelaient les cartes de mes visiteurs. J’y trouvai bientôt celle de mon ex-condisciple Charles Villardier, et je la mis, sans parti pris très-arrêté encore, dans la poche de mon gilet. Il y avait, dans la même, jusqu’à deux louis qui se choquaient.

» Le lendemain matin, vers onze heures, j’arrive rue du Helder, chez Sarah Bertin. Naturellement la femme de chambre qui m’ouvre la porte me répond que « madame n’est pas visible. »

— Dites-lui, repris-je, que c’est un clerc de l’étude de son avoué.

» L’effet fut magique. On m’introduisit aussitôt dans le plus délicieux boudoir : des glaces partout, perdues dans des draperies de satin cerise. Dans l’embrasure de la fenêtre une jardinière pleine des fleurs aux parfums pénétrants… Mais qu’importe ? je ne vis plus rien dès qu’elle entra, dans un peignoir de cachemire, fraîche, reposée, ses abondants cheveux cendrés mordus par un peigne de corail, le regard perdu sous ses longs cils noirs, le cou nu, les lèvres entr’ouvertes.

J’essayai une phrase de clerc. Ah ! bien oui, j’eus vite jeté mon personnage d’emprunt pour tomber à ses pieds, lui dire en termes ardents, en phrases insensées, l’amour qui me possédait, et mes désirs de jeune homme, pour lui crier que je donnerais ma vie en échange d’une heure d’amour…

— Tu dois bien jouer cette comédie-là, interrompit Marius qui se représentait en imagination le chérubin aux pieds de la courtisane.

— Ah ! comédie et pas comédie !… Il est certain que j’étais venu là pour rouer cette femme, pour lui ravir par adresse ce que je ne pouvais payer ; il est certain encore que je calculais l’effet de mon attaque et jusqu’au désordre de mes paroles ; mais, avec cela, j’étais cependant poussé par une passion diabolique, et je ne sais ce que j’aurais fait pour l’obtenir.

— Eh bien ?

— Elle fut aussi froide et aussi dédaigneuse qu’une duchesse aurait pu l’être, et sans me répondre, elle étendit la main et tira la sonnette.

— Ah !… s’écrièrent en chœur tous les étudiants, avec un accent d ’étonnement et de réprobation. Puis chacun à son tour :

— Elle est forte !

Elle n ’a pas de cœur !

— Comment faut-il qu’elle ait été trompée !

— À quel âge a-t-elle été vendue ?

— À douze ans, reprit Jehan. Je l’ai su depuis. Et elle en a dix-huit.

— Hélas !

— Reconduisez monsieur, dit-elle à la femme de chambre qui entra.

» Je me levai, mais ayant au cœur une rage folle. En même temps je calculai que le moment de risquer le coup était venu. Je me dirigeai vers la porte, en chancelant, et au moment de la franchir, quand déjà l’inflexible Sarah avait disparu, je poussai un cri étouffé et tombai roide sur le tapis.

» En tombant j’eus soin de chasser hors de la poche de mon gilet la carte de Charles Villardier et mes deux louis.

» On se précipita, cela va sans dire, à mon secours, et au bout de dix minutes, quand elle sut que je ne reprenais pas connaissance, la déesse daigna venir elle-même jeter sur son amoureux inanimé un regard, — dirai-je d’intérêt ? — non, de curiosité.

» Et il me sembla – je voyais un peu à travers mes paupières mi-closes — que demi-intéressée, demi-dédaigneuse, elle se disait :

» — Qu’est-ce que cela peut être que ce garçon-là ?

» Précisément un domestique ramassa la carte ; elle fit un signe, on la lui tendit – cette fois je ne me trompais pas, l’éclair d’une idée passa dans ses yeux. Je n’en attendis pas davantage, et je revins à moi.

» Les domestiques venaient de ramasser aussi les deux louis qui avaient roulé. Ils me les présentèrent en même temps que la carte, comme j’ouvrais les yeux. Je pris machinalement la carte ; quant aux louis — mes uniques ! et nous étions au milieu du mois, – je les repoussai d’un geste alangui en murmurant : « Gardez !… »

» On m’avait assis sur un fauteuil, entre la porte et la cheminée ; la femme de chambre me faisait respirer des sels ; le laquais attendait qu’on lui donnât quelqu’ordre.

» — Laissez-nous, dit Sarah Bertin après un moment d’incertitude.

» Ses domestiques sortirent, et je demeurai seul avec elle ; moi reprenant mes sens peu à peu, et sans oser faire un mouvement ni dire un mot : attendant tout désormais de son initiative ; elle, accoudée au marbre de la cheminée et dardant sur moi des regards singuliers.

» — Vous m’aimez donc bien ! dit-elle enfin.

» La glace était rompue. J’avais tout à l’heure épuisé les expressions les plus vives de la passion ; cette fois je ne répondis pas et me pris à pleurer.

— Comédien ! dit un des convives.

» — Mais non, je vous assure ; je tirais parti seulement de mon excitation nerveuse - et vraiment j’éprouvais des émotions incroyables ! désir, attente, multipliés dix fois par l’espérance et par la crainte. C’était en même temps l’impatience de l’amant, l’angoisse du joueur, la volonté du capitaine montant à l’assaut d’une redoute ennemie.

» Elle me prit les mains, puis me baisa les yeux… Alors… — Ah ! s’il y avait en moi une partie de comédien, en elle y avait-il une partie de passion ?… Quelle femme !… — Je veux être riche.

Il y eut un silence, pendant lequel les étudiants regardèrent Jehan avec curiosité.

— Et d’une voix délicieusement caressante elle murmura :

» — À présent, Charles, m’aimeras-tu encore ?

» Ce « Charles » me tira de l’extase. — Depuis quelques minutes, – enfant que je suis ! — j’oubliais que je n’étais pas aimé pour mon amour et mes vingt ans, et que c’était à Charles Villardier que Sarah Bertin avait ouvert ses bras. Je me réveillai, l’esprit déjà libre, et je répondis l’éternelle réponse de la politesse :

» — Toujours.

» Nous déjeûnames ensemble, gaiement, et la belle Sarah, devenue tendre, ne me disputa pas les menus suffrages de l’amour. Je demeurai là jusqu’à deux heures, me laissant aller à la dérive du plaisir. Négligemment elle me dit :

» — Ton père est un Turc, tu sais ? j’ai des créanciers ; il me persécute en leur nom — j’espère bien que tu vas y mettre ordre…

» Pourquoi revins-je chez moi avec l’envie de la déchirer ? N’importe, le lendemain, j’avais grand’soif de la revoir…

» — Et l’as-tu revue ?

» — Diable ! on ne recommence pas deux fois de ces coups-là… Je me figure que depuis elle a dû recevoir quelques papiers timbrés lancés par le Villardier ; et je vois d’ici le billet de reproches qu’elle aura écrit à mon camarade Charles !…

Et Jehan se prit à rire d’un rire nerveux ; et les étudiants, eux, de rire tout franchement, en faisant cent gorges chaudes.

« Le Sire de Château-Gaillard », comme ils l’appelaient en plaisantant, grandit encore à leurs yeux de quelques coudées. Tudieu ! ce n’était point là un garçon pétri du limon vulgaire : quelle audace ! que de passion et de calcul, d’impudence et de présence d’esprit !

Le seul Marius, homme grave, qui passait pour un puritain, ne riait pas.

– Est-ce que tu ne trouves pas que c’est un bon tour ? lui demanda son voisin.

– Soit, mais j’aime autant ne l’avoir pas fait, répondit-il sotto-voce.

Mais cette note discordante se perdit dans le concert des louanges, des brocards, des exclamations. — On porta la santé de l’infortuné Charles Villardier, de Sarah Bertin, et de l’heureux vainqueur, qui fut salué de cent jeux de mots combinés de son nom et de son prénom, et dont le mieux trouvé fut : « Don Juan de Fameux Gaillard ! »


II


– Mais comment diable fais-tu ? car enfin te voilà beau, fringant, roulant voiture, semant l’or comme si le Pactole coulait dans ton gousset… Et, là, soit dit entre nous, comme entre bons amis, ton… tuteur, le vieux Mériot, n’a guère, bon an mal an, et ses quinze cents francs d’académicien comptés, que six pauvres mille livres de rente.

– Si tout autre que toi me faisait une question aussi saugrenue, je lui donnerais d’abord mon stick par la figure ; ensuite… mais toi, tu es un bon garçon qui demande par curiosité et non par impertinence, qui voudrais bien avoir mon secret pour en user, mais non pas pour me trahir.

— Justement.

— Eh bien, je ne te le dirai pas, mais je ne te donne pas mon stick par la figure, remarque bien.

— Voyons : pas de plaisanterie, je m’ennuie, moi, de végéter comme je fais avec les infortunés cinq cents francs par mois que m’octroie ma famille…

— Si j’avais une famille qui me donnât cinq cents francs par mois… reprit en hochant la tête Jean de Château-Gaillard.

– Eh bien ?

— De deux choses l’une : ou je vivrais modestement et je joindrais les deux bouts ; puis je me marierais, et je deviendrais en mon castel du Poitou un bon gentilhomme campagnard, et c’est pour toi ce que tu aurais de mieux à faire…

— Ou ?

— Ou j’en dépenserais cinq mille, je me ferais mettre à Clichy, je ruinerais ma famille et je deviendrais un jour millionnaire.

– Euh ! comprends pas !

– J’en étais sûr.

— Veux-tu un troisième parti ?… Je vivrais avec un louis par semaine, et je jetterais le reste sur un tapis vert… dans l’espoir de le quintupler.

— Les jeux sont supprimés.

— Enfant !

Ce dialogue avait lieu sur le boulevard, par une belle après-midi du mois de mai. Les deux jeunes gens, Paul de Malinvault et Jean de Château-Gaillard, assis devant un guéridon à la porte d’un café, dégustaient un punch à la romaine, en regardant passer les promeneurs.

« Jehan » n’était plus l’étudiant adolescent que nous avons vu trois ans auparavant attablé chez Pinson, et contant à ses camarades ses prouesses galantes. Ses moustaches avaient poussé, et une fine royale faisait ressortir la courbe de sa lèvre inférieure. Sa tenue était d’une superlative élégance ; ses façons, en même temps affables et hautaines, polies et impertinentes.

Qu’on n’aille point se récrier : c’est peut-être toute la science de la plupart des hommes qui s’imposent à leurs égaux, que de mélanger habilement ces contraires ; de les doser avec tact, de les employer tour à tour et à propos.

À quelques pas, sur la chaussée, un groom tenait les guides de son élégant tilbury.

De temps en temps il recevait des saluts et les rendait : ce n’était rien, la main au chapeau seulement ; et pourtant, pas un de ces saluts n’avait le même accent. Paul de Malinvault, lui, était un fils de famille comme on dit ; vingt-cinq ans à peu près. Ses parents l’avaient envoyé à Paris pour y faire « ses folies » pendant un an, avant de le marier ; il y en avait déjà deux qu’il les faisait assez chèrement, et comme on l’a vu, ce n’était pas précisément encore l’envie de la retraite qui le tenait.

— Mais, reprit-il, après un court silence, toi qui n’as pas les cinq cents francs par mois de ta famille…

– Ah ! tu y reviens !…

— C’est que…

– C’est que tu es décavé, et que tu ne sais où donner de la tête, n’est-ce pas ?

– Juste : Antonia dépense…

— Veux-tu dix louis ?

– Mais…

— Mais tu me les rendras à ton premier oncle. Va, ne t’en occupe pas quant à présent : les voici. Et n’ouvre pas de grands yeux comme cela. Vois-tu, mon cher, c’est surtout quand on a n’a pas dix louis par mois à soi qu’il vous vient suffisamment de génie pour en trouver cent.

— Mais tu travailles donc ? tu fais des affaires ?…

— Fi !… à mon âge ? Les affaires seront pour plus tard.

— Alors ?

— Ne vas-tu pas t’imaginer que je fais de la fausse monnaie ? Allons ! j’ai terriblement de longanimité avec toi. Mon tuteur, d’abord…

— Mais tu es brouillé avec lui.

— Oui, nous avons eu quelques mots vifs quand j’ai pris mon vol… Dam ! il persiste à demeurer dans son immeuble : — une bicoque sise rue Rousselet ! mais n’importe, il m’envoie une misère ; deux cents francs par mois. Puis… il y a par le monde une fée qui s’intéresse à moi : fée-marraine sans doute, qui de temps en temps fait pleuvoir dans mon gousset une manne bienfaisante…

– Belle, la fée ?

— Je ne l’ai jamais vue.

— Amour et mystère… Ah ! que n’ai-je moi aussi une fée marraine !…

– Peuh ! cent écus qu’elle joint, en moyenne, aux dix louis de M. Mériot sont pour mes besoins une maigre provende… Heureusement que j’ai le jeu qui paie bien ses redevances.

– Diable ! mais… tu gagnes donc toujours ?

— Souvent.

— Tu as de la corde de pendu alors.

– Non ; une martingale.

— Les martingales, on en parle, mais… c’est comme les fées.

— Hein ?…

— Je dis que les bonnes sont rares.

— La mienne est excellente.

— Non, vrai ? entre nous ? tu as une martingale ?

— Oui.

— Mais… où donc joues-tu ?

— Partout… nulle part. Il manque bien à Paris de tables de trente et quarante ! ou de roulettes clandestines ! Et les salons donc !

— Dans les salons le jeu est modeste.

— Non pas ! chez madame Hérouard, par exemple, j’ai gagné au lansquenet deux mille francs l’autre soir à un banquier anglais.

— Chez madame Hérouard et pour un banquier anglais deux mille francs sont une misère. Mais les salons où l’on peut jouer le gros jeu des Hérouard sont clairsemés à Paris !

— Il est certain que dans le monde il faut se tenir sur la réserve ; tandis que chez les courtisanes on joue toujours gros jeu, et on trouve souvent des occasions… Mais c’est plus dangereux.

— Oui : on peut avoir affaire à des grecs.

— Peuh, les grecs !…

— Fichtre ! mais ils vous détroussent proprement en deux tours de cartes…

Château-Gaillard sourit. Puis :

« C’est vrai, dit-il, et pour toi qui as une famille qui paierait, je comprends que la partie de cartes avec un grec, comme tu dis, t’effraierait… perdre cinquante ou cent mille francs… »

Malinvault fit un bond.

— … Ou même une vingtaine de mille, poursuivit Château-Gaillard ; oui, je comprends, quand on a une mère et des sœurs, et que l’on se dit : « autant de prélevé sur leur douaire et sur leur dot… »

– Et puis, il ne faut pas soi-même entamer trop son patrimoine, reprit Malinvault, qui sous la soif des jouissances parisiennes gardait le fond de la prudence provinciale.

Château-Gaillard regarda Malinvault et l’évalua d ’un coup d’œil.

— Ah ! dit-il, certes ce serait gentil ! trouver moyen de s’amuser un brin, sans qu’il en coûtât rien ni à papa ni à maman, ni aux sœurettes ni à soi-même…

— Hai !

— Mais ce serait… embêtant… de laisser une ferme sur le tapis vert de Lolla ou d’Ismérie…

— Voilà.

— Pour moi, c’est différent. Peu me chault des chevaliers d’industrie, car je m’écrie avec Regnard :

Tu peux me faire perdre, ô Fortune ennemie !
Mais, me faire payer, parbleu ! je t’en défie !

— À la bonne heure ! et puis, avec ta martingale, au besoin tu pourrais promptement t’acquitter…

— Ah ! oui, ma martingale ! tu voudrais bien la connaître, hein ? Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/51 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/52 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/53 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/54


III


« Monsieur, vous seriez mieux si vous parliez assis ! »
Th. Corneille. — Don Juan.


À quelque temps de là, Château-Gaillard était chez lui, un matin, roulé dans une grande robe de chambre de velours, avalant, à petits coups, une tasse de thé, — et rêveur.

La veille il avait passé la soirée chez madame Hérouard, et, pour la première fois certains indices qu’il rapprochait, certains souvenirs qu’il rattachait, faisaient naître dans son esprit l’idée que, dans cette maison, il avait d ’autres droits que ceux d’un hôte ordinaire.

Dès l’enfance, il avait été admis dans l’intimité de la famille, comme fils adoptif de Mériot, l’ami de M. et madame Hérouard. D’abord il avait partagé les jeux des enfants, ensuite tenu sa place au foyer dans Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/56 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/57 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/58 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/59 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/60 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/61 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/62 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/63 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/64 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/65 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/66 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/67 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/68 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/69 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/70 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/71 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/72 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/73 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/74 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/75 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/76 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/77 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/78 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/79 Page:Cadiot - 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Chateau-Gaillard.pdf/315 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/316 CHATEAU -GAILLARD i protection ; dites- lui cela seulement. ) la entrer dans mon oratoire, dit Julie .

était un peu sombre ; madame de Val

vitant l’étrangère à s’asseoir, la regarda r essayer de la reconnaître, ou pour se

remière impression . Elle ne se souvenait ir jamais vue ; mais la première impres as mauvaise .

ouvait en présence d’une femme qui lui

une quarantaine d’années, et être violem

qui était vêtuemodestement, en voya

enveloppée d ’ailleurs, et qu’il devait être

le reconnaître, lorsqu ’ elle rabattait sur son

oile anglais bleu , qu’ elle venait, en en

eter sur ses épaules. ne, lui dit l’étrangère, j’ai d ’abord mille pus faire... sans votre réputation de bonté Eté... sans l’excès de mon malheur, je

mais osé cette démarche. Il n’est pas dans

ère , ni dans mes. habitudes , hélas ! de

s témoins de ma honte... ni d’implorer

our des misères que j’ai méritées... Voilà inze ans que je souffre... que j’expie ... sans doute, n ’est pas encore à la hauteur

.. des crimes... — mais... mais ... oh ! c’est , madame, et je ne peux plus...

madame, et ce que je pourrai faire pour nement je le ferai. - iens pas seulement à vous comme Fran

s qu’alors c ’est à monsieur votre mari ou

Celier que j’aurais dû m ’adresser... et je Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/318 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/319 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/320 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/321 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/322 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/323 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/324 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/325 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/326 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/327 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/328 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/329 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/330 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/331 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/332 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/333 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/334 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/335 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/336 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/337 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/338 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/339 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/340 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/341 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/342 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/343 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/344 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/345 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/346 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/347 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/348 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/349 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/350 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/351 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/352 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/353 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/354 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/355 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/356 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/357 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/358 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/359 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/360 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/361 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/362 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/363 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/364 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/365 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/366 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/367 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/368 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/369 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/370 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/371 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/372 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/373 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/374 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/375 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/376 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/377 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/378 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/379 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/380 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/381 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/382 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/383 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/384 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/385 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/386 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/387 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/388 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/389 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/390 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/391 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/392 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/393 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/394 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/395 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/396 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/397 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/398 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/399 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/400 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/401 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/402 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/403 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/404 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/405 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/406 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/407 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/408 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/409 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/410 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/411 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/412 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/413 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/414 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/415 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/416 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/417 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/418 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/419 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/420 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/421 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/422 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/423 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/424 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/425 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/426 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/427 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/428 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/429 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/430 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/431 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/432 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/433


XL


» Don Juan, c’est assez, je vous invite à venir demain souper avec moi. »
MOLIÈRE. — Don Juan.


Quand, à son tour, il fut parti, Sarah respira comme après une délivrance. Elle gagna sa chambre, secoua ses atours, défit sa ceinture, jeta les rubans et les boucles artistement mêlées à sa chevelure ; puis sonna sa femme de chambre, se fit déchausser, baigner, peigner, masser, accommoder, coucher, en se disant à travers ses bâillements : « J’en ai assez ! »

Jamais la courtisane n’avait aimé Jean de Château-Gaillard, malgré sa beauté, son élégance, sa corruption et malgré sa passion, non plus, — et peut-être à cause de cette passion même ! Elle l’avait pris parce qu’il lui était utile, et gardé pour la même raison. Mais, à travers les années, elle n’était point parvenue à oublier que, lors de leur première rencontre, elle avait été sa dupe. Si des jouissances d’orgueil, pendant quelques années, lui avaient donné le courage de jouer Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/435 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/436 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/437 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/438 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/439 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/440 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/441 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/442 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/443 Page:Cadiot - Chateau-Gaillard.pdf/444

Et, avec de félines ondulations, elle se glissa entre les groupes, arriva jusqu’à Château-Gaillard, chercha le poignet nu du viveur, et l’effleura seulement du doigt. Il tressaillit, comme si une étincelle électrique l’eût frappé.

Alors, d’une voix dont le seul timbre faisait vibrer tous les fibres de Jean :

— Mon ami, me ramenez-vous ce soir ?… dit-elle.


Au bal suivant, en effet, on ne revit plus Château-Gaillard.

Il disparut soudain du tourbillon parisien. Pendant la première quinzaine, le vide qu’il laissait, ici et là, fut remarqué. Les uns parlèrent d’un accès de goutte ; les autres d’une attaque. Chez lui, on répondait à ceux qui allaient prendre de ses nouvelles que « monsieur était un peu indisposé. » Au bout de quelques semaines, madame de Château-Gaillard reparut dans le monde, plus brillante que jamais. On apprit alors que le baron allait mieux, mais que les médecins lui avaient ordonné un voyage en Italie. L’été vint, madame partit, — pour le rejoindre sans doute !

Et on n’en parla plus.


ÉPILOGUE


L’ouragan de 1870 emporta et dispersa, aux quatre vents du ciel, tout un monde, en même temps qu’une dynastie et qu’une période de notre histoire.

Qui donc, parmi les débris, s’avisait de chercher les acteurs de la comédie parisienne, quand à peine on retrouvait les héros du grand drame qui eut Reichshoffen pour prologue, et les incendies du 24 mai pour épilogue ?

Je me suis laissé dire que Valdeuil était mort d’apoplexie à l’étranger, et que Julie s’était retirée en Suisse, pour y faire achever de fortes études, à ses enfants.

Que Malinvault s’était trouvé élu député, au scrutin du 8 février, son nom sans couleur complétant une liste de conciliation, bâclée à la hâte.

Que Charlotte Lehallier avait soigné, tour à tour, comme infirmière, les Français et les Allemands, et qu’elle continuait à se rendre utile, dans l’hospice d’une de nos villes de l’Est.

Que la baronne de Château-Gaillard avait été vue à Londres pendant la guerre, dans le monde de l’émigration impériale, et s’était, depuis, réinstallée à Vienne…

Que Baudrillet avait été mis en liberté le 4 septembre au soir, sa folie s’étant subitement guérie à la nouvelle de la révolution.

On ajoutait qu’il avait crié « Vive la République ! » et « à bas l’homme de Sedan ! » plus fort que tout le monde ; ce qui lui avait valu diverses missions du gouvernement dans Paris, pour l’organisation de la défense.

Qu’on l’avait ensuite trouvé colonel d’un bataillon d’éclaireurs, de défenseurs ou de ravageurs ; – je ne sais plus ; — et fort en autorité dans sa section et dans les clubs.

Enfin… – Dieu veuille que ce ne soit pas vrai ! — d’aucuns prétendent qu’il aurait… accepté de la Commune une charge de notaire, et reçu de la République versaillaise, — par l’intermédiaire d’un conseil de guerre, — un passage gratuit pour la Nouvelle-Calédonie…

« Misère et corde ! » « s’écrierait le Thomas Vireloque de Garvarni… — « l’homme, ça mange les moutons comme fait le loup ; ça bêle comme le mouton… et ça touche à tout… misère et corde ! »

Quant à M. et madame Le Sourd ils se sont retirés, à la veille du siége de Paris, dans leur terre de Normandie. Le Sourd a été un peu éprouvé par les événements ; mais il a sauvé une superbe fortune, d’une prudente liquidation.

Depuis l’an dernier, il commence à se remettre aux affaires, sans risquer son capital, et seulement pour occuper son activité.

Madame Le Sourd est restée en Normandie, pendant l’envahissement d’abord, puis pendant la Commune, puis tout l’été de 1871.

À l’automne — j’oubliais de dire que M. Le Sourd était maire de sa commune, laquelle n’est rien moins qu’un chef-lieu de canton ! — à l’automne donc, madame Le Sourd qui s’occupe des écoles, des hospices, des établissements de bienfaisance ou d’utilité publique dans la contrée, fut invitée à aller visiter un établissement qu’un docteur philanthrope avait fondé, aux environs de Caen, je crois, d’après un système nouveau.

C’était une agglomération de petits pavillons confortables, de chalets, élégants, disséminés dans un immense parc, et destinés, chacun, à recevoir un malade de distinction, assez fortuné pour installer, avec lui, deux ou trois domestiques.

Il y avait là des hommes et des femmes ; tous atteints de maladies chroniques considérées comme longues à guérir, ou inguérissables ; les malades appartenaient, en général, à des familles considérables qui, pour un motif ou pour un autre, ne voulaient pas laisser voir, dans leur sein, certaines infirmités, certaines aberrations des sens ou de l’esprit ; ou bien encore, des traces indélébiles de corruption.

Ainsi, dans deux ou trois pavillons, se trouvaient de pauvres femmes affectées de névroses étranges ; ailleurs, des épileptiques, des maniaques, des idiots, des malheureux rongés de lèpres hideuses, des ivrognes abrutis, des fous etc.

Tous ces malades étaient soignés par le fondateur de l’établissement qui, parfois, s’adjoignait des spécialistes. Ils ne communiquaient point entre eux : leurs habitations étant séparées par des barrières dissimulées, mais infranchissables, et les heures de promenades étant prudemment distribuées. À peine quelques-uns, des moins atteints, étaient-ils admis à se rencontrer quelquefois, après consultation préalable, entre les médecins.

C’était enfin, un hôpital modèle… pour les incurables ayant trente mille livres de rente.

Le docteur X… en fit parcourir les méandres à madame Le Sourd ; la fit entrer dans quelques-uns des pavillons ; lui montra les malades les moins répugnants.

— J’ai là-dedans, dit-il, – en désignant un chalet entouré de gazons vallonnés, de corbeilles de géranium et de cannas, et pourtourné par une petite rivière anglaise, — un personnage singulier, et que vous ne prendriez, certainement, ni pour un fou ni pour un incurable à voir sa tenue correcte et à entendre, un moment, sa conversation élégante et presque suivie.

— Et c’est un incurable ?…

— Un mort, qui se porte le mieux du monde. Il ne souffre nullement, il a bonne mine, il paraît jeune relativement ; — je lui donne la cinquantaine, bien que je ne sache pas au juste son âge, pas plus que je ne sais son nom…

— Bah ?…

— Si je voulais, assurément il ne serait pas difficile de percer le mystère dont on l’enveloppe ; mais par profession, je dois respecter le secret de quiconque veut être inconnu.

— Alors il n’est pas si fou, s’il sait garder le secret de son identité…

— Il n’est pas fou. Sans avoir la clairvoyance naturelle, il lui reste des lueurs ; assez, pour qu’il se sache malade, qu’il soit humilié de l’être, et veuille dissimuler, au monde, son état.

— Mais alors, s’il n’est ni malade ni fou ?…

— Je vous ai dit qu’il était mort.

— Précédemment, vous m’aviez dit qu’il causait bien. Un malade qui se porte au mieux, un esprit qui a conscience de son état ; un homme du monde qui soutient une conversation, vous appelez cela un mort ?… À ce compte-là, les morts ne manqueraient pas dans les salons !

— Oui ; il parle pendant des heures, enfilant des banalités les unes aux autres, entremêlant des énormités, dans des chapelets de lieux communs. Tout cela, du reste, d’un ton de bonne compagnie, et comme s’il s’adressait à des interlocuteurs du meilleur monde. Peut-être entend-t-il des réponses imaginaires ; peut-être fait-il abstraction de la réponse : quoi qu’il en soit, il va toujours. De temps en temps, il demande des journaux. On lui en donne ; toujours les mêmes, et vieux d’il y a six ans. Il les lit, comprend ce qu’il lit à mesure, mais ne se souvient pas de l’avoir jamais lu. – Se souvient-il, même, de la phrase qui précède celle qu’il lit, en y mettant le ton, et en tenant le compte, le plus exact, de la ponctuation ? Je ne crois pas. Enfin, la faculté que nous nommons mémoire, est absolument éteinte en lui. Et par ce défaut de mémoire, il a perdu toute compréhension d’ensemble. Ainsi, dites-lui une chose simple et actuelle, énoncez-lui un fait, il vous comprendra très-bien ; faites-lui le raisonnement le plus clair, ce raisonnement glissera sur son éternel sourire, passera comme une ombre devant ses yeux clairs, et ne s’arrêta pas dans son cerveau ; car, pour s’y arrêter et y produire une pensée, il faudrait que, par le souvenir, il pût coudre les prémisses à la conclusion. D’ailleurs, il souffre moins encore au moral qu’au physique, ne regrettant et ne voulant rien. La volonté est brisée chez lui, comme la mémoire. De temps en temps, un désir violent et passager : c’est tout.

— Puis-je le voir ? demanda Sarah qui s’ennuyait, maintenant, dans son rôle de châtelaine, et chez qui une sorte de curiosité s’éveillait, à l’idée de voir quelque chose de nouveau ou d’inconnu.

— C’est que…

— Quoi ?

— Vous êtes femme et vous êtes belle, madame ; or, si la convenance du ton de mon sujet ne se dément jamais, il place quelquefois cette musique sur d’étranges paroles…

— Qu’à cela ne tienne : une fois prévenue…

— Je voudrais que vous pussiez le voir sans en être vue.

Sarah conservait encore ses beaux traits. Avec des fards, elle recomposait l’ancien éclat de son visage ; et, comme il arrive, quand on prend l’habitude d’éclairer telle partie de la figure avec des blancs, de réveiller telle autre, avec des roses, de veiner de bleu les tempes, et d’assombrir de bistre le tour des yeux, elle forçait, de jour en jour, la proportion des teintes, et finissait par se faire une face étrange, et dont l’étrangeté même fascinait. Chez elle, cet ensemble n’apparaissait que dans le demi-jour ; dans le monde, elle portait à l’entour, un tulle blanc, au fin réseau, qui jetait, sur le tout, un glacis diaphane. À la ville, elle ne quittait plus ces voilettes à pois, qui ont le magique effet de dissimuler les rides, de rompre les lignes fatiguées des traits sous un semis de mouches, tout en relevant l’éclat des yeux et du teint.

— Ainsi accommodée, sous un chapeau venant de chez la plus savante modiste, dans un costume composé par la plus habile couturière, elle était, certes, encore, une de ces femmes-reines qui attirent et retiennent les yeux de l’observateur, et qui peuvent séduire ceux des naïfs ou des corrompus.

Elle s’avançait, curieusement, à travers les méandres du jardin anglais qui entourait le chalet ; elle effleurait les plantes grimpantes qui entouraient le perron et encadraient les fenêtres. Le docteur, qui la suivait complaisamment, écartait les branches, tandis qu’elle se penchait, pour voir à travers les vitres…

Tout-à-coup… elle vit !… elle fut vue !

Pendant qu’elle étouffait un cri, la porte vitrée violemment poussée, volait en éclats, et Jean, l’œil allumé, la bouche avide, Jean, hideux, ignoble, rugissant comme un fauve, s’élançait vers elle.

Le docteur se précipita. Il y eut pendant un moment : — deux ou trois minutes peut-être ! — une mêlée horrible : des onomatopées de douleur, des cris d’enfer, des appels de détresse, et enfin des hurlements effroyables.

Quand main-forte arriva, les trois lutteurs roulaient sur le gazon.

Sarah était ensanglantée ; çà et là, gisaient des lambeaux de sa toilette.

Le docteur était épuisé, pâle, chancelant, le visage bouleversé par l’épouvante.

Quant au fou, on ne le releva pas ; il était maintenant inerte, le corps convulsé, les yeux hors de leur orbite, la bouche tordue et pleine d’écume.

Sarah respira des sels ; on lui baigna les tempes d’eau fraîche, on la soutint, pour l’enlever à ce hideux spectacle.

Mais, avant de quitter la place :

— Il faut mettre à cet homme la camisole de force, balbutia-t-elle, encore chancelante et déjà hautaine, déjà grimée de son masque de pruderie sociale.

Le docteur alla vers ce qui gisait à terre, le souleva d’un poignet vigoureux. Nul mouvement, nul frémissement ne se produisit ; les yeux injectés demeurèrent fixes, les muscles gardèrent la crispation de la dernière grimace.

— Heuh ! dit le docteur, c’est fini. Il est maintenant tenu par le carcan de l’éternité !


FIN


TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)


Première partie
Chapitre IV 
 52
Chapitre V 
 67
Chapitre VI 
 80
Chapitre VII 
 88
Chapitre VIII 
 97
Chapitre IX 
 103
Chapitre X 
 109
Chapitre XI 
 113
Chapitre XII 
 121
Chapitre XIII 
 129
Chapitre XIV 
 136
Chapitre XV 
 143
Chapitre XVI 
 157
Chapitre XVII 
 169
Chapitre XVIII 
 180
Chapitre XIX 
 191
Chapitre XX 
 208
Chapitre XXI 
 215
Chapitre XXII 
 225
Chapitre XXIII 
 239
Deuxième partie
Chapitre I 
 243
Chapitre II 
 250
Chapitre XXV 
 263
Chapitre XXVI 
 276
Chapitre XXVII 
 288
Chapitre XXVIII 
 294
Chapitre XXIX 
 303
Chapitre XXX 
 314
Chapitre XXXI 
 319
Chapitre XXXII 
 324
Chapitre XXXII 
 334
Chapitre XXXIII 
 344
Chapitre XXXIV 
 356
Chapitre XXXV 
 366
Chapitre XXXVI 
 380
Chapitre XXXVII 
 389
Chapitre XXXVIII 
 397
Chapitre XXXIX 
 409
Chapitre XL 
 421
 433