Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CLXXXVI. Pour le jour de Noël. III. Le Fis de Dieu devenu Fils de l’homme

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CLXXXVI. POUR LE JOUR DE NOËL. III. LE FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L’HOMME.

ANALYSE. – De ce qu’en s’incarnant le Verbe de Dieu n’a rien perdu de ce qu’il était, plusieurs concluent qu’on ne peut dire que le Fils de Dieu soit devenu Fils de l’homme. Ils se trompent, malgré la droiture de leurs intentions, et cette manière de parler est conforme au langage habituel des Écritures.

1. Réjouissons-nous, mes frères ; que les peuples tressaillent de bonheur et d’allégresse. Ce n’est pas ce soleil visible, mais son invisible Créateur qui a fait pour nous de ce jour un jour sacré ; quand devenu visible pour l’amour de nous, l’invisible Créateur de sa mère est né de son sein fécond sans aucune atteinte à sa pureté virginale ; car elle est restée Vierge en concevant son Fils, Vierge en l’enfantant, Vierge en le portant, Vierge en le nourrissant de son sein, Vierge toujours. Pourquoi t’étonner de ceci, ô mortel ? Il fallait qu’en daignant se faire homme Dieu na. quît de cette sorte, et qu’il formât ainsi Celle qui devait lui donner le jour. En effet, il était avant de naître, et avec sa toute-puissance, il pouvait naître tout en demeurant ce qu’il était. Il se créa donc une Mère tout en demeurant dans le sein de son Père ; et naissant d’elle, il ne cessa de demeurer en Lui. Et comment aurait-il cessé d’être Dieu en se faisant homme ; puisqu’il accordait à sa Mère de ne cesser pas d’être Vierge, tout en l’enfantant ? Aussi en se faisant chair le Verbe n’a point péri, il ne s’est point transformé en chair ; c’est la chair qui s’est unie au Verbe pour ne point périr : et comme il y a dans l’homme une âme et un corps, le Christ est Dieu et homme tout à la fois. Ainsi l’homme est Dieu, et Dieu est homme ; il n’y a pas de confusion de nature, mais unité de personne. Ainsi encore le Fils de Dieu, qui est coéternel à son Père en naissant éternellement de lui, a commencé, en naissant d’une Vierge, à être fils de l’homme ; et c’est ainsi que l’humanité s’est jointe en lui à la divinité, sans former pourtant une quatrième personne et sans ajouter à la Trinité.

2. Ne vous laissez donc pas gagner au sentiment de certains esprits trop peu attentifs à la règle de foi et aux divins oracles des Écritures. Le Fils de l’homme, disent-ils, est devenu Fils de Dieu, mais le Fils de Dieu n’est pas devenu fils de l’homme. En parlant ainsi ils pensent bien, mais ils ne savent s’exprimer correctement. Que veulent-ils dire, sinon que à nature humaine a pu s’améliorer et que la nature divine n’a pu se détériorer ? Ce qui est incontestable. Cependant, quoique la divinité ne se détériore d’aucune manière, le Verbe ne s’est pas moins fait chair. L’Évangile en effet ne dit pas : La chair s’est faite Verbe ; mais : « Le Verbe s’est fait chair ». Or, le Verbe est Dieu, puisqu’il est écrit : « Et le Verbe était Dieu[1] ». Quant à la chair, ne désigne-t-elle pas l’homme, car le Christ ne se l’est point unie sans prendre l’âme en même temps ? Aussi dit-il. « Mon âme est triste jusqu’à la mort[2] ». Mais si le Verbe est Dieu et si la chair est l’homme même, que signifie : « Le Verbe s’est fait chair », sinon : Dieu s’est fait homme ; sinon encore : Le Fils de Dieu s’est fait fils de l’homme, en prenant une nature inférieure et sans changer sa divine nature ; en s’unissant ce qu’il n’était pas, sans rien perdre de ce qu’il était ? Comment d’ailleurs confesserions-nous, d’après la règle de la foi, que nous croyons au Fils de Dieu qui est né de la Vierge Marie, si de la Vierge Marie était né, non pas le Fils de Dieu, mais le Fils de l’homme ? Quel chrétien nierait qu’elle a donné le jour au Fils de l’homme, mais aussi que Dieu s’étant fait homme, l’homme est ainsi devenu Dieu ? Car « le Verbe était Dieu, et le Verbe s’est fait chair ». Reconnaissons-le donc : le Fils de Dieu, pour naître de la Vierge Marie, est devenu fils de l’homme en prenant une nature d’esclave ; en restant ce qu’il était, il est devenu ce qu’il n’était pas ; il a commencé à être ce qui le rend inférieur à son Père, tout en conservant ce qui le rend un avec lui.

3. Si le Sauveur, qui est toujours le Fils de Dieu, n’était pas devenu réellement fils de l’homme, comment l’Apôtre dirait-il de lui « Ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu ; cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave, en devenant semblable aux hommes et en se montrant homme partout l’extérieur ? » Il n’est pas ici question d’un autre ; c’est l’égal du Père, dont il possède la divine nature ; c’est le Fils unique de Dieu qui « s’est anéanti lui-même en devenant semblable aux hommes ». Ce n’est pas un autre non plus, c’est encore l’égal du Père dont il a la nature divine, qui « a humilié », non pas un étranger, mais « Lui-même, en devenant obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix[3] ». Or, le Fils de Dieu n’a fait cela qu’autant qu’il est fils de l’homme et qu’il en a pris la nature. De plus, si étant éternellement le Fils de Dieu, il n’était pas devenu fils de l’homme, l’Apôtre dirait-il aux Romains : « Choisi pour « l’Évangile de Dieu, qu’il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes « Écritures, touchant son Fils, qui lui est né de la race de David selon la chair[4] ? » Voilà bien le. Fils de Dieu, le Fils éternel de Dieu, devenu membre de la race de David selon la chair, sans en avoir toujours été membre. De plus encore, si le Fils de Dieu ne s’était pas fait fils de l’homme, « Dieu aurait-il envoyé son Fils, formé d’une femme[5] ? » Remarquons que ce dernier terme en hébreu désigne simplement le sexe sans contester la gloire de la virginité. Or, qui a été envoyé par le Père, sinon son Fils unique ? Et comme a-t-il été formé d’une femme, sinon en devenant fils de l’homme quand il a été envoyé, lui qui dans le sein de son Père est le Fils même de Dieu ? Il naît de son Père en dehors du cours du temps, et c’est aujourd’hui qu’il est né de sa Mère. Après avoir créé ce jour il l’a choisi pour y être créé lui-même, comme après avoir créé sa Mère il l’a choisie pour naître d’elle. Ce jour, d’ailleurs, à partir duquel le jour grandit, ne convient-il pas à la mission du Christ, par qui de jour en jour se renouvelle en nous l’homme intérieur[6] ? Et puisque l’éternel Créateur daignait dans le temps devenir créature, ne devait-il pas avoir pour jour de naissance un jour qui indiquât ce qu’il venait créer dans le temps ?

  1. Jn. 1, 1, 14
  2. Mat. 26, 38
  3. Phi. 2, 6-7.
  4. Rom. 1, 1-3.
  5. Gal. 4, 4.
  6. 2Co. 4, 16.