Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CCXIV. Explication du Symbole. III

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CCXIV. EXPLICATION DU SYMBOLE. III

ANALYSE. – Ce discours est évidemment un des premiers qu’ait prononcés saint Augustin lorsqu’il eut quitté la retraite studieuse où il avait demandé à son évêque de pouvoir s’enfermer pour se préparer au ministère de la parole[1]. Aussi le style et les idées présentent-ils ici une plus grande ressemblance que dans ses autres discours, avec le style et les idées de ses ouvrages philosophiques, composés vers la même époque ; cette explication du Symbole s’attache plus aussi à dilucider et à approfondir les idées dogmatiques qu’à en tirer des conclusions morales. Le lecteur ne pourra qu’être frappé de la justesse et de l’élévation de doctrine où le saint Docteur était déjà parvenu, si peu de temps après sa conversion, quatre années seulement ; car ce discours se rapporte à l’an 391.

1. Déjà ministre de l’autel dont vous allez vous approcher, nous ne pouvons vous refuser le ministère de notre parole, tel que notre faiblesse pourra le remplir à un âge si peu avancé, à l’entrée d’une carrière que nous apprenons seulement à fournir et où toutefois nous sommes, soutenus par notre affection pour vous.

« Si tu confesses de bouche, dit l’Apôtre, que Jésus est le Seigneur, et si tu crois dans ton cœur que le Seigneur l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ; car on croit de cœur pour être justifié et en confesse de bouche pour être sauvé[2] ». C’est le Symbole qui met en vous ce que, pour être sauvés, vous devez croire et confesser. Il est vrai, ce que vous allez entendre en peu de mots pour le confier à votre mémoire et pour le confesser de bouche, ne sera pour vous ni nouveau ni inouï. Les saintes Écritures et les discours ecclésiastiques vous le présentent habituellement sous différentes formes. Pour vous le faire apprendre, toutefois, on en a fait un recueil abrégé et disposé avec ordre ; moyen d’éclairer en vous la foi, et de vous préparer à la confesser, sans vous charger la mémoire. Voici donc ce que vous devez retenir et réciter par cœur. Après ce début il faut réciter le Symbole en entier, sans y mêler aucune réflexion : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant », et le reste. Vous savez qu’on n’a pas l’habitude d’écrire ce Symbole. On fera suivre ces mots du discours suivant.

2. Vous devez, non-seulement croire, mais encore retenir mot à mot et répéter les vérités que vous venez d’entendre en si peu de paroles. Il faut de plus les défendre contre ceux qui les combattent, contre les esclaves du démon qui attaquent perfidement la foi en s’opposant à notre salut. En croyant donc que Dieu est tout-puissant, souvenez-vous de croire aussi qu’il n’est absolument aucune nature qu’il n’ait formée ; et s’il punit le péché qu’il n’a pas fait, c’est parce que le péché souille la nature qu’il a faite. Par conséquent toutes, les créatures visibles et invisibles : soit celles dont l’âme raisonnable peut connaître l’immuable vérité, comme les anges et les hommes ; soit celles qui ont la vie et le sentiment, mais sans avoir l’intelligence, comme tous les animaux qui se meuvent sur la terre, au milieu des eaux et dans l’air, quadrupèdes, reptiles, poissons, oiseaux ; soit celles qui sont privées d’intelligence et de sens, mais non d’une vie telle quelle, comme les plantes qui fixent en terre leurs racines pour s’élever en germant et s’épanouir dans les airs ; soit celles qui se bornent à occuper quelque espace, comme les pierres, comme les éléments que nous pouvons voir ou toucher dans ce monde matériel ; toutes enfin ont été créées par le Tout-Puissant, qui a eu soin d’unir entre eux les extrêmes par des milieux et de faire apparaître chacune de ses œuvres à la place et au temps qui leur conviennent. Mais il ne les a pas formées d’une matière préexistante dont il ne serait pas l’auteur ; il n’a point travaillé sur un fonds étranger, il a tout fait dans ses œuvres. Prétendre qu’il n’a pu faire rien avec rien, serait-ce croire qu’il est tout-puissant ? C’est sûrement le nier, que de croire, qu’il n’aurait pu former le monde sans une matière préexistante. Quelle toute-puissance en effet, quand il y aurait eu en lui tant de faiblesse, que pareil à un artisan vulgaire il n’aurait pu produire son œuvre sans le concours d’une matière qui ne lui devrait – pas l’existence ? Bannis donc de ton esprit ces idées vaines et mensongères, toi qui crois en Dieu tout-puissant. D’ailleurs cette matière qu’on appelle informe et qu’on dit susceptible de prendre des formes diverses et de servir aux desseins du Créateur, peut réellement se prêter à toutes les modifications qu’il voudra lui imprimer. Dieu, pour créer le monde, ne l’a point rencontrée comme un être qui lui fût coéternel ; il l’a tirée entièrement du néant, aussi bien que ce qu’il a fait avec elle. Elle n’a point précédé les œuvres qu’elle a servi à former ; aussi le Tout-Puissant, dès l’origine, a tiré tout de rien, la matière première, comme le reste. Si donc le ciel et la terre ont été créés au commencement, cette matière dont ils ont été formés a été créée en même temps qu’eux. Non, Dieu n’a rien trouvé sous sa main pour faire ce qu’il a fait dès le principe ; il ne l’a pas moins fait, parce qu’il est tout-puissant, pour y mettre ensuite l’ordre ; la perfection et la beauté ; et sa toute-puissance éclate, non-seulement parce qu’il a fait de rien ce qu’il a fait au commencement, mais encore parce qu’il a pu faire tout ce qu’il a voulu avec ce qu’il a créé d’abord.

3. Si les impies agissent souvent à l’encontre de la volonté divine, qu’ils n’en concluent pas que Dieu n’est point tout-puissant. S’ils font ce qu’il ne veut pas, lui fait d’eux ce qu’il veut, et jamais ils ne changent ni ne maîtrisent la volonté du Tout-Puissant ; toujours cette volonté s’accomplit, soit dans la juste condamnation, soit dans la délivrance miséricordieuse de l’homme. Ainsi rien n’est impossible au Tout-Puissant, que ce qu’il ne veut pas. Il fait servir les méchants, non pas aux desseins de leur volonté dépravée, mais aux vues de sa volonté toujours droite. De même que les méchants font un usage mauvais de leur nature bonne, c’est-à-dire de ce que Dieu a. fait bon ; ainsi la Bonté divine fait un bon usage de leurs œuvres perverses, et sous aucun rapport la volonté du Tout-Puissant n’a le dessous. S’il n’avait dans sa bonté même le moyen de faire servir les méchants à la justice et au bien, il ne les laisserait assurément ni naître ni vivre. Ce n’est pas lui sans doute qui les a rendus méchants, il n’en a fait que des hommes, en créant, non pas le mal qui est en eux contre nature, mais leur nature même ; cependant il n’a pu dans sa prescience ignorer ce qu’ils deviendraient, et s’il a su le mal que feraient ces méchants, il a su aussi le bien que lui-même ferait d’eux. Qui pourrait développer, qui pourrait célébrer dignement combien nous sommes redevables à la passion du Sauveur, qui, a versé son sang pour la rémission des péchés ? Toutefois ces biens immenses ont eu pour instrument la malice du démon, la malice des Juifs, la malice, du traître Juda. Et ce n’est pas à eux qu’on doit rendre hommage du bien que Dieu, et non pas eux, a voulu par eux faire aux hommes ; au contraire ils sont justement tourmentés pour avoir voulu leur nuire. Si ce fait que nous citons prouve avec éclat comment Dieu a. fait servir à notre rédemption et à notre salut les crimes mêmes des juifs et du traître Judas ; Dieu ne voit-il pas, dans ces mystérieuses profondeurs de toute créature où nous ne saurions plonger ni de l’œil ni de la pensée, comment lui-même emploie le mal pour procurer le bien, et comment s’accomplit, dans tout ce qui naît et se gouverne au monde, la volonté du Tout-Puissant ?

4. J’ai dit qu’au Tout-Puissant rien n’est impossible que ce qu’il ne veut pas ; et on pourrait m’accuser peut-être de témérité pour avoir dit que quelque chose est impossible au Tout-Puissant. Mais l’Apôtre le dit aussi : « Si nous ne croyons pas, a-t-il écrit, lui n’en reste pas moins fidèle, il ne saurait se nier lui-même[3] ». Ajoutons que s’il ne peut pas, c’est qu’il ne veut pas non plus, car il ne peut vouloir. La justice peut-elle vouloir faire ce qui est injuste ? La sagesse peut-elle se livrer à rien d’insensé ? ou la vérité chercher ce qui est faux ? C’est assez pour nous donner à entendre que non-seulement le Tout-Puissant « ne saurait se nier lui-même », comme s’exprime l’Apôtre, mais qu’il est encore beaucoup d’autres choses qu’il ne peut faire. Ainsi je l’ose dire, je l’ose dire, appuyé sur sa vérité même et sans oser dire le contraire : Malgré sa toute-puissance, Dieu ne peut ni mourir, ni changer, ni se tremper, ni devenir malheureux, ni être vaincu. Que le Tout-Puissant est éloigné d’avoir un semblable pouvoir ! Aussi non-seulement la vérité même démontre qu’il est tout-puissant pour ne pouvoir rien de pareil ; elle contraint même de reconnaître que s’il avait ce pouvoir il ne serait pas tout-puissant. En effet, quand Dieu veut, c’est tout qui veut en lui ; c’est l’éternel, c’est l’immuable, t’est l’infaillible, c’est le bienheureux, c’est l’invincible qui veut. De là il suit que s’il ne peut tout ce qu’il veut, c’est qu’il n’est pas tout-puissant. Mais il l’est ; donc tout ce qu’il veut, il le peut, et ce qu’il ne veut pas ne saurait être. Sa toute-puissance consiste à pouvoir tout ce qu’il veut. « Au ciel et sur la terre, est-il dit dans un psaume, il a fait tout ce qu’il a voulu[4] ».

5. Ce Dieu tout-puissant, qui a fait tout ce qu’il a voulu, a engendré aussi son Verbe unique, par lequel tout a été fait ; mais il ne l’a pas tiré du néant, c’est de lui-même, et pour motif il n’est pas dit qu’il l’a fait, mais qu’il a engendré. « Au commencement, est-il écrit, il a fait le ciel et la terre[5] » ; mais il n’a point fait son Verbe au commencement, car « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[6] ». Ce Verbe est Dieu de Dieu, tandis que le Père est bien Dieu, mais non pas Dieu de Dieu. Il est aussi le Fils unique de Dieu, parce que Dieu n’a aucun autre Fils qui soit formé de sa substance, qui soit coéternel et égal au Père. Ce Verbe est Dieu : il ne ressemble donc pas à cette parole humaine dont la pensée, se représente le bruit et dont, la bouche peut le faire entendre ; ce « Verbe était Dieu » ; voilà ce qui se peut dire de plus court et de plus clair à son sujet. « Il était Dieu », demeurant immuablement dans le sein de son Père, et, comme son Père, immuable lui-même. C’est de lui que l’Apôtre parle ainsi : « Il avait la nature de Dieu et il ne crut pas usurper en se faisant égal à Dieu » ; car cette égalité vient de sa nature même et ne lui est pas étrangère. Voir dans quel sens nous croyons en Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu le Père, Notre-Seigneur.

6. Mais lui, qui dans sa nature divine n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu, lui par qui nous avons été créés, « il s’est anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave, il est devenu semblable aux hommes et a été reconnu pour homme par les dehors[7] » ; afin de chercher et de sauver ce qui était perdu : aussi croyons-nous encore qu’il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Ses deux naissances, divine et humaine, sont admirables. Dans l’une il a un Père sans avoir de mère, et dans l’autre une Mère, sans avoir de père ; dans l’une il est en dehors du temps, et dans l’autre il est né en temps convenable ; l’une est éternelle, l’autre temporelle ; l’une ne lui donne point de corps dans le sein de son Père, l’autre lui donne un corps sans altérer la virginité de sa Mère ; l’une a lieu en dehors de tout sexe, l’autre a lieu sans l’union des sexes. Et si nous disons qu’il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, c’est que la Sainte Vierge ayant demandé à l’ange : « Comment cela se fera-t-il ? » l’ange lui répondit : « L’Esprit-Saint descendra en vous et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » ; puis il ajouta : « C’est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu[8] ». L’ange ne dit pas : Ce qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu. C’est que toute l’humanité que s’est unit le Verbe, à savoir l’âme raisonnable et le corps, pour ne former qu’un même Christ, qu’une même personne divine, qu’un seul Fils de Dieu, tout en n’étant pas seulement le Verbe, mais le Verbe et son humanité, tout est en même temps Fils de Dieu le Père comme Verbe, et fils de l’homme comme homme. Comme Verbe, ; il est égal au Père ; comme homme, il lui est inférieur. Uni à son humanité il est Fils de Dieu, mais à cause du Verbe qui s’est uni à elle, et uni au Verbe il est fils de l’homme, mais à cause de l’humanité que le Verbe s’est uni. En considération de sa conception toute sainte dans le sein de la Vierge, conception qui n’a pas été due aux ardeurs de la concupiscence, mais à la ferveur d’une charité pleine de foi, nous disons encore qu’il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, l’un de ces deux noms désignant, non pas Celui qui a engendré, mais Celui, qui a sanctifié, et l’autre s’appliquant à Celle qui l’a conçu et mis au monde. « C’est pourquoi, disait l’ange, ce qui naîtra saint de vous sera appelé le Fils de Dieu ». Il est saint, voilà pourquoi : « Du Saint-Esprit » ; il naîtra de vous, voilà pourquoi : « De la Vierge Marie » ; il sera appelé le Fils de Dieu ; voilà pourquoi : « Le Verbe s’est fait chair[9] »

7. Il fallait qu’en se faisant homme, non-seulement l’invisible se montrât et que, coéternel au Père il naquit dans le temps ; il fallait encore que l’insaisissable fût saisi, que l’invincible fût suspendu au gibet, que là vie ; que l’immortalité même mourût sur la croix et fût ensevelie dans un tombeau : eh bien ! tout cela s’est vu dans le Fils de Dieu, dans Jésus-Christ Notre-Seigneur. Aussi devons-nous croire de cœur, pour être justifiés et confesser de bouche, pour être sauvés, que ce même Fils de Dieu, que ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur n’est pas seulement né, comme homme, de sa Mère, mais encore qu’il a souffert jusqu’à sa mort et sa sépulture ce que peuvent endurer les hommes. Car ce Fils unique de Dieu, ce Jésus-Christ Notre-Seigneur étant à la fois le Verbe et son humanité, c’est-à-dire le Verbe, son âme et son corps, s’il est dit que son âme fut triste jusqu’à la mort[10], cette tristesse se rapporte à toute la personne ; et c’est le Fils unique de Dieu, c’est Jésus-Christ qui fut triste ; s’il est dit que comme homme seulement il fut crucifié, cela se rapporte à toute la personne aussi, et c’est le Fils unique de Dieu, c’est Jésus-Christ qui a été crucifié, s’il est dit que son corps seulement a été enseveli, cela se rapporte aussi à toute la personne. Depuis en effet que nous avons commencé à dire que nous croyons en Jésus-Christ, son Fils unique ; Notre-Seigneur, dans tout ce que, nous ajoutons ensuite relativement à lui, il ne faut jamais sous-entendre que ces mots ; Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur. Pourquoi vous en étonner ? Ne pouvons-nous dire que le Fils unique de Dieu, que Jésus-Christ Notre-Seigneur a été enseveli, quoique sa chair seule l’ait été ; comme nous disons, par exemple, que l’Apôtre saint Pierre gît aujourd’hui dans son tombeau, bien que nous puissions affirmer aussi, conformément à la plus exacte vérité, qu’il jouit avec le Christ du repos et de la joie ? N’est-ce pas à nos yeux le même Apôtre ? Pierre n’est pas deux, il est un ; et c’est du même que nous disons qu’avec son corps seul il est dans le sépulcre pet qu’avec son seul esprit il partage le bonheur du Christ. Nous ajoutons : « Sous Ponce-Pilate », soit pour donner un moyen de s’assurer de l’époque, soit pour faire mieux ressortir l’humilité du Christ, qui a tant souffert pour avoir été jugé par un homme, lui qui doit venir avec tant à puissance pour juger les vivants et les morts,

8. Il est ressuscité ensuite le troisième jour, avec son corps véritable, mais pour être désormais et toujours exempt de la mort. Les disciples s’en sont assurés non-seulement en le regardant ; mais encore en le touchant ; la Bonté même n’a pas pu se jouer de leur bonne foi, ni la Vérité les induire en erreur. Pour être plus court on ajoute aussitôt qu’« il est monté au ciel » ; quoiqu’il ait demeuré quarante jours avec ses disciples, pour ne pas donner lieu, en les quittant trop tôt, de considérer comme une illusion cet important miracle de sa résurrection. Là maintenant « il est assis à la droite du Père ». Nous devons joindre ici la prudence à la foi et ne pas nous représenter le Fils de Dieu comme fixé sur un siège sans pouvoir faire aucun mouvement, sans pouvoir marcher ni même se tenir debout. Si saint Étienne a affirmé qu’il le voyait debout[11] ; il ne faut pas croire qu’il s’est trompé ou qu’il ait démenti ce passage du Symbole. Loin de nous de penser ou de parler ainsi ! C’est pour indiquer qu’il demeure au sein d’une félicité sublime et ineffable qu’il est dit de lui, qu’il est assis à la droite du Père. Aussi nomme-t-on parmi nous les habitations des sièges : quand nous demandons où est quelqu’un : Dans ses sièges, répond-on ; et des serviteurs de Dieu surtout on dit très-fréquemment : Un tel s’est assis, sedit, tant d’années dans tel ou tel monastère ; ce qui signifie qu’il s’y est arrêté, qu’il y a demeuré, qu’il l’a habité. Cette manière de parler n’est pas, inconnue dans les saintes Écritures. Lorsque le roi Salomon eut commandé au fameux Séméi de demeurer à Jérusalem, en le menaçant, s’il en sortait, des châtiments qu’il méritait, l’Écriture dit qu’il y fut assis, exathise, trois ans[12], ce qui signifie qu’il y resta cet espace de temps. Quant à la droite du Père, on ne doit pas se la représenter matériellement, ni croire que le Père occupe la gauche du Fils dès que le Fils est à la droite du Père. La droite de Dieu est mise ici pour désigner l’ineffable degré de gloire et de bonheur où le Fils est élevé. Dans le même sens il est dit de la Sagesse : « Sa gauche est sous ma tête, et de sa droite elle m’embrasse[13] ». C’est qu’en laissant au-dessous de soi les commodités de la terre, on est comme embrassé par la félicité éternelle qui est bien au dessus.

9. C’est donc de cette haute demeure des cieux, où maintenant même son corps est déjà immortel, que Jésus-Christ Notre-Seigneur viendra juger les vivants et les morts. C’est l’assurance formelle qu’ont donnée les anges et qu’on lit aux Actes des Apôtres. Comme en effet les disciples regardaient le Seigneur monter au ciel et qu’ils le conduisaient d’un œil fort attentif, ils entendirent des anges qui leur disaient : « Hommes de Galilée ; pourquoi vous tenez-vous là ? Ce même Jésus qui s’éloigne de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu aller au ciel[14] ». Combien de suppositions de tout genre soustraites à la présomption humaine ! Le Christ pour nous juger aura la même nature que quand il fut jugé ; car c’est avec cette même forme humaine que les Apôtres le voyaient monter au ciel, quand ils apprirent qu’il en reviendrait de la même, manière. Son humanité frappera donc les regards des vivants et des morts, des bons et des méchants ; soit que par vivants nous entendions ici les bons et par morts, les méchants ; soit que les vivants désignent ceux qui n’auront pas atteint encore le terme de leur vie lorsqu’aura lieu son avènement, et les morts ceux qu’il ressuscitera, car lui-même s’exprime ainsi dans son Évangile : « Viendra l’heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront ; ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation[15] ». Les uns donc verront dans son humanité Celui en qui ils ont cru, et les autres Celui qu’ils ont méprisé. Quant à sa nature divine, qui le rend égal à son Père, les impies ne la verront pas. « L’impie sera enlevé, dit un prophète, pour qu’il ne voie point la beauté de Dieu[16] ». Il est dit encore : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu[17] ». Contentons-nous de ces aperçus sur le Fils unique de Dieu, sur Jésus-Christ Notre-Seigneur.

10. Car nous croyons également au Saint-Esprit, qui procède du Père[18], sans être son Fils ; qui repose sur le Fils[19], sans être son Père ; qui reçoit du Fils[20], sans pourtant être son Fils ; mais il est l’Esprit du Père et du Fils, l’Esprit-Saint, une des personnes divines. Si effectivement il n’était pas Dieu, il n’aurait pas un temple comme celui dont parle l’Apôtre : « Ignorez-vous, dit-il, que vos corps sont le temple, de l’Esprit-Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu[21] ? » Ce n’est pas la créature, c’est le Créateur qui doit avoir un temple. Loin de nous d’être le temple d’une créature ! « Car le temple de Dieu est saint, dit encore l’Apôtre, et c’est vous qui êtes ce temple[22] ». Il n’y a dans cette Trinité adorable ni supérieur ni inférieur, aucune distinction dans les œuvres, aucune différence dans la nature. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, l’Esprit-Saint est Dieu. Toutefois le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu, sans que le Père soit le Fils, sans que le Fils soit le Père et sans que l’Esprit-Saint soit le Père ou le Fils ; car le Père est Père du Fils, le Fils est Fils dit Père, et l’Esprit-Saint, l’Esprit du Père et du Fils ; chacun deux est Dieu et tous trois ne sont qu’un seul Dieu. Pénétrez vos cœurs de cette croyance et qu’elle inspire votre profession de foi. En entendant ce mystère, croyez-le pour arriver à le comprendre, car en progressant vous pourrez comprendre réellement ce que vous croyez.

11. Pour la sainte Église, votre mère, laquelle est comme la Jérusalem céleste, la cité sainte de Dieu, honorez-la, aimez-la, louez-la. C’est elle qui porte des fruits et qui se développe dans le monde entier en y répandant cette foi que je viens d’expliquer[23]. C’est l’Église du Dieu vivant, la colonne et l’appui de la vérité[24] ; laquelle néanmoins souffre, que les méchants, dont elle est séparée par la différence des mœurs et qui seront à la fin séparés complètement d’elle, participent aux sacrements. En faveur du froment qui gémit dans son sein au milieu de la paille et qui au moment où apparaîtra le grand Vanneur, se montrera si digne d’être placé au grenier, elle a reçu les clefs du royaume des cieux, afin de pouvoir, par les mérites du sang de Jésus-Christ et par l’opération de l’Esprit-Saint, remettre les péchés : Dans cette Église pourra donc revivre l’âme a qui le péché avait donné la mort, pour ressusciter avec Jésus-Christ, dont la grâce fait notre salut.

12. Nous ne devons pas douter non plus que cette chair mortelle elle-même ne doive ressusciter à la fin des siècles. « Il faut, en effet, ça que ce corps corruptible se revête d’incorruptibilité, et que mortel il se revête d’immortalité. On le sème dans la corruption, il lèvera dans l’incorruption ; on le sème dans l’abjection, il lèvera dans la gloire ; on le sème corps animal, il lèvera corps spirituel[25] ». Telle est la croyance chrétienne, la croyance catholique, la croyance apostolique. Ayez foi au Christ quand il vous dit : « Pas un cheveu ne tombera de votre tête[26] » ; et repoussant toute idée, de doute, songez plutôt combien vous valez. Qu’est-ce en effet que notre Rédempteur pourrait dédaigner de ce qui nous appartient, quand il ne saurait être indifférent à un seul de nos cheveux ? Comment encore pourrions-nous hésiter de croire qu’il communiquera a notre âme et à notre corps l’éternelle vie, quand pour l’amour de nous il a pris une âme et un corps afin de pouvoir mourir, quand il a quitté son corps en mourant et qu’il l’a repris pour ôter à la mort ses terreurs ? Je viens, mes frères, d’exposer à votre charité, dans la faible mesure de mes forces, ce qui est contenu dans le Symbole. Ce pont désigne le pacte sur lequel est établie notre société, et en le professant on donne un signe qui fait reconnaître qu’on est chrétien et fidèle. Ainsi soit-il.

  1. Voir lett. 21, tom. I.
  2. Rom. 10, 9-10
  3. 2Ti. 2, 13
  4. Psa. 134, 6
  5. Gen. 1, 1
  6. Jn. 1, 1
  7. Phi. 2, 6-7
  8. Luc. 1, 34-35
  9. Jn. 1, 14
  10. Mat. 26, 38
  11. Act. 7, 55
  12. 1Ro. 2, 38, sel. LXX
  13. Can. 2, 6
  14. Act. 1, 11
  15. Jn. 5, 28-29
  16. Isa. 26, 10, sel. LXX
  17. Mat. 5, 8
  18. Jn. 15, 26
  19. Id. 1, 32
  20. Id. 16, 14
  21. 1Co. 6, 19
  22. Id. 3, 17
  23. Col. 1, 6
  24. 1Ti. 3, 15
  25. 1Co. 15, 53.42-43
  26. Luc. 21, 18