Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CCXII. Pour le cinquième lundi de Carême. Explication du Symbole. I

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CCXII. POUR LE CINQUIÈME LUNDI DE CARÊME. EXPLICATION DU SYMBOLE. 1

ANALYSE. – Dans cette courte explication adressée aux Catéchumènes, saint Augustin montre plutôt la liaison que le sens détaillé des parties du Symbole. Il termine en disant pour quel motif il était alors défendu de l’écrire.

1. Il est temps de vous livrer le Symbole, qui contient en peu de mots ce que vous croyez en vue du salut éternel. Le mot symbole est pris ici par analogie, dans un sens figuré. On dit des négociants qu’ils font un symbole quand, pour le maintien de leur société, ils font entre eux un pacte de fidélité. Votre société aussi n’est-elle pas une espèce de commerce spirituel, et ne ressemblez-vous pas aux marchands qui sont en quête de la perle précieuse[1] ? C’est la charité que répandra dans vos cœurs l’Esprit-Saint qui vous sera donné[2]. Or ; on y parvient par la loi contenue dans le Symbole. Croyez donc en Dieu, le Père tout-puissant, invisible, immortel, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est invisible et de ce qui est visible ; croyez de lui encore toutes les grandeurs que nous montre en lui la raison dans sa pureté ou l’autorité des saintes Écritures. Mais de ces grandeurs n’excluez pas le Fils de Dieu. Si on les attribue au Père, ce n’est pas pour les refuser à Celui qui a dit : « Mon Père et moi nous sommes un[3] » ; et de qui l’Apôtre a écrit : « Il avait la nature de Dieu et a il ne croyait point usurper en se faisant égal à Dieu[4] ». Usurper, c’est s’attribuer une chose étrangère ; or, l’égalité avec Dieu est la nature même du Fils de Dieu. Comment donc ne serait-il pas tout-puissant, puisque tout a été fait par lui, puisqu’il est la Puissance et cette Sagesse de Dieu[5], dont il est écrit qu’étant « une, elle peut tout[6] ? » Il est aussi invisible par nature, par cette nature qui le rend l’égal du Père. N’est-il pas invisible en effet ce Verbe de Dieu qui était au commencement et qui était Dieu [7] ? Comme tel il est aussi complètement immortel, c’est-à-dire immuable sous tout rapport. L’âme humaine est bien immortelle à un point de vue ; mais elle ne possède point l’immortalité véritable, puisqu’elle est mobile, capable de reculer et de progresser. Elle meurt, quand elle renonce à la vie de Dieu ; par suite de l’ignorance qui est en elle ; elle vit, quand elle court à la source de la vie, pour jouir, à la clarté de Dieu, de la lumière de Dieu. Vous aussi vous vivrez de cette vie, lorsque par la grâce du Christ vous sortirez de l’état de mort auquel vous renoncez. Quant au Verbe de Dieu ; quant au Fils unique de Dieu, il possède avec son Père une vie toujours immuable ; il ne perd rien, car il n’y a point diminution dans ce qui reste toujours le même ; il n’acquiert rien non plus, car ce qui est parfait ne saurait croître. Il est aussi le Roi des siècles, le Créateur des choses visibles et des choses invisibles. En effet, comme le dit l’Apôtre : « C’est par lui que toutes choses ont été créées au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles, soit Trônes, soit Dominations, soit Principautés, soit Puissances ; tout a été créé par lui et en lui, et pour lui tout subsiste[8] ». Cependant, comme « il s’est, anéanti », non pas en perdant la nature de Dieu, mais « en prenant une nature d’esclave[9] » ; par cette nature d’esclave il est devenu visible, puisqu’il est né de l’Esprit-Saint et de la Vierge Marie. Comme esclave encore le Tout-Puissant est devenu faible, puisqu’il a souffert sous Ponce-Pilate. Comme esclave l’Immortel est mort, puisqu’il a été crucifié et enseveli. Comme esclave le Roi des siècles est ressuscité le troisième jour. Comme esclave le Créateur des choses visibles et des êtres invisibles est monté aux cieux, quoiqu’ils ne les ait quittés jamais. Comme esclave il est assis à la droite du Père, quoiqu’il soit le bras du Père, puisqu’un prophète a dit de lui : « Et le bras du Seigneur, à qui s’est-il manifesté[10] ? » Comme esclave il viendra juger les vivants et les morts, avec qui il a voulu mourir, quoiqu’il soit la vie des vivants. C’est par lui que le Père et lui-même nous ont envoyé l’Esprit-Saint. Cet Esprit du Père et du Fils a été envoyé par le Père et par le Fils, sans être engendré par l’un ni par l’autre ; il est le lien de tous deux, et tous deux il les égale. Voilà la Trinité, voilà le Dieu unique, tout-puissant, invisible, le Roi des siècles, le Créateur de ce qui est visible et de ce qui est invisible. Car nous ne disons pas qu’il y ait ni trois Seigneurs, ni trois Tout-Puissants, ni trois Créateurs ; nous ne prononçons au pluriel aucun de ces noms réservés à la grandeur de Dieu, attendu qu’il n’y a pas trois dieux, mais un seul Dieu. Et pourtant, dans cette auguste, Trinité, le Père n’est pas le Fils, le Fils n’est pas le Père, l’Esprit-Saint n’est non plus ni le Père ni le Fils s le Père est simplement le Père du Fils ; le Fils, le Fils du Père ; et le Saint-Esprit, l’Esprit du Père et du Fils. Croyez pour comprendre ; car vous ne comprendrez point si vous ne croyez[11]. Avec cette foi espérez la grâce qui effacera tous vos péchés ; c’est par là que vous serez sauvés et non par vous-mêmes, car le salut est un don de Dieu. Espérez aussi qu’après cette mort qui nous abat tous en punition du crime antique du premier homme, vos corps mêmes ressusciteront à la fin des siècles, non pas pour être accablés de douleurs, comme les impies, qui ressusciteront aussi ; non pas pour goûter les joies des désirs charnels, comme s’y attendent les insensés ; mais pour expérimenter ce que dit l’Apôtre : « On sème un corps animal, il s’en élèvera un corps spirituel[12] », un corps qui ne sera plus un fardeau pour l’âme et qui, ne perdant plus rien n’aura plus besoin d’aucun aliment.

2. Je vous devais ce petit discours sur l’ensemble du Symbole ; le voilà terminé, et vous reconnaîtrez qu’il comprend en peu de mots tout ce qu’on vous montrera dans ce Symbole. Afin toutefois de retenir ce Symbole mot à mot, vous ne devez pas l’écrire, mais, l’apprendre en l’entendant ; vous ne devez pas même l’écrire lorsque vous le saurez, mais le retenir et le réciter toujours de mémoire. Sans doute, tout ce que vous verrez dans le Symbole est contenu dans les saintes Écritures ; et s’il n’est pas permis de l’écrire après l’en avoir ainsi recueilli et en avoir formé cet abrégé, c’est en souvenir des divines promesses exprimées ainsi par un Prophète, à propos du Nouveau Testament : « Voici l’alliance que je formerai alors avec eux, dit le Seigneur : j’écrirai ma loi dans leur esprit et je la graverai dans leur cœur[13] ». En mémoire donc de ces paroles, on apprend le Symbole en l’écoutant ; on ne le grave ni sur des tablettes, ni sur une matière quelconque, mais dans le cœur. Celui qui vous convie à son royaume et à sa gloire, vous accordera la grâce, quand vous aurez été régénérés, que le Saint. Esprit lui-même l’écrive aussi dans vos cœurs. Par là vous aimerez ce que vous croyez, la foi agira en vous par la charité et vous plairez ainsi au Dispensateur de tous les biens, au Seigneur notre Dieu, non pas en craignant la peine comme des esclaves, mais en vous affectionnant à la justice comme des enfants. Voici donc le Symbole dont l’Écriture et les discours de l’Église vous ont appris la substance, et que les fidèles doivent retenir et pro, fesser sous cette courte formule.

  1. Mat. 13, 45
  2. Rom. 5, 5
  3. Jn. 10, 30
  4. Phi. 2, 6
  5. 1Co. 1, 24
  6. Sag. 7, 27
  7. Jn. 1, 3, 1
  8. Col. 1, 16, 17
  9. Phi. 2, 7
  10. Isa. 56, 1
  11. Isa. 7, 9, sel. LXX
  12. 1Co. 15, 54
  13. Jer. 31, 33